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N1413BZD
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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA
le 11 Mai 2022
Mots-clés : apport-cession • apport • sociétés • impôt sur les sociétés • holding
L’apport de titres d’une société opérationnelle à une société holding, suivi de la cession des titres apportés présente des intérêts indéniables :
La procédure de répression des abus de droit étant couramment mise en œuvre dans ce type de schéma, le législateur est intervenu en 2012 pour définir de nouvelles modalités à ce différé d’imposition lorsque les titres qui font l’objet de l’apport sont cédés rapidement.
Cette législation, prévue à l’article 150-0 B ter du CGI N° Lexbase : L6170LU3 a le mérite de sécuriser sensiblement les opérations et de réduire en conséquence les risques de qualification par l’administration fiscale d’une opération comme caractérisant un abus de droit. Cet encadrement ne prémunit pas pour autant totalement contre ce risque (4).
1. L’apport à une société holding des titres d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés
Selon l’article 150-0 B du CGI N° Lexbase : L3216LC4, un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés est une opération qui n’entraîne pas l’imposition de la plus-value d’apport dans les conditions de l’article 150-0 A du CGI N° Lexbase : L0732L7A.
Plusieurs nuances doivent être soulignées.
Cet article ne s'applique, s’agissant des opérations d'apport, qu’à celles qui sont réalisées en France, dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.
Il s’applique aux échanges avec soulte à condition qu’elle n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus (la plus-value est toutefois imposable au titre de l’année de l’échange, à concurrence de la soulte).
Surtout, ce dispositif de « sursis d’imposition » prévu à l’article 150-0 B s’applique « sous réserve des dispositions de l'article 150-0 B ter ».
Dès lors que les conditions suivantes sont remplies, le dispositif de report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI s’appliquera de plein droit, obligatoirement :
Ainsi, lorsque l'apporteur ne contrôle pas la société bénéficiaire de l'apport, la plus-value bénéficie du sursis d’imposition prévu à l’article 150-0 B du CGI et non du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI. Il est souligné que dans le cadre du sursis, aucune plus-value n’est constatée tant que l’apporteur ne cède pas les titres reçus en contrepartie de l’apport, sauf abus de droit bien évidemment.
Le report d’imposition n’obéit pas à cette même logique. Les praticiens évoquent l’idée d’une « cristallisation » de la plus-value. La plus-value est alors constatée au moment de l’échange de titres mais son imposition est reportée.
La plus-value est alors calculée et déclarée au titre de l’année de sa réalisation. Le montant de cette plus-value est alors mentionné sur le formulaire n° 2074-I, annexé à la déclaration des revenus.
Après l'apport, l’opération d’« apport-cession » implique donc une cession. Les conséquences fiscales seront différentes selon que la vente des titres apportés intervient :
2. La cession des titres apportés dans les trois ans de l’apport, ou après trois ans
Il est souligné que certains évènements entraînent l’expiration de ce report d’imposition :
Focus sur les réinvestissements éligibles et exemples applicatifs Le report d'imposition ne prendra pas fin si la société holding s'engage à réinvestir, dans un délai de deux ans à compter de la cession, au moins 60 % du produit de la cession. Les réinvestissements éligibles sont les suivants :
Les biens ou titres visés ci-dessus, objets du réinvestissement, doivent être conservés pendant au moins douze mois à compter de la date de leur inscription à l'actif de la société.
Pour les réinvestissements indirects, la société cédante doit conserver les parts ou actions des fonds, sociétés ou organismes jusqu'à l'expiration du délai de cinq ans. Attention, lorsqu'il est prévu le versement d'un ou de plusieurs compléments de prix, le produit de la cession s'entend du prix de cession augmenté des compléments de prix perçus. Le prix de cession doit être réinvesti, dans le délai de deux ans à compter de la date de cession, à hauteur d'au moins 60 % de son montant. Exemple applicatif : Un acquéreur propose l’achat de 100 % des parts sociales de la Société « A ». 5 000 000 d’euros seraient versés en numéraire à la signature. À l’expiration d’un délai de 18 mois, un solde de 2 000 000 d’euros serait versé en numéraire, sous déduction le cas échéant de sommes retenues au titre d’une garantie de passif. Préalablement à la cession, Monsieur « B », associé unique de la société « A » pourrait constituer une société holding soumise à l’impôt sur les sociétés, par apport des parts sociales. Après sa constitution, la société holding à créer céderait les titres de la société « A ». Le réinvestissement devra porter sur au moins 60 % du prix total au plus tard en année N+2, soit la somme minimale de 4 200 000 euros (en l’absence d’exercice de la garantie). Lorsque le complément de prix est perçu ultérieurement (y compris plus de deux ans après la cession), il doit lui-même être réinvesti dans un délai de deux ans à compter de sa perception, à hauteur du reliquat nécessaire pour que le seuil minimal de réinvestissement demeure respecté. À défaut, le report d'imposition prend fin au titre de l'année au cours de laquelle ce nouveau délai de deux ans expire. Exemple applicatif : Le solde de 2 000 000 d’euros serait ici versé en numéraire à l’expiration d’un délai de trois ans, sous déduction le cas échéant de sommes retenues au titre d’une garantie de passif. Le réinvestissement devra porter sur au moins 60 % du montant reçu initialement, soit 3 000 000 d’euros au plus tard en année N+2 et au moins 60 % du complément, soit 1 200 000 euros au plus tard en année N+4 (en l’absence d’exercice de la garantie). |
En filigrane, il faut comprendre que dès lors qu’une cession des titres apportés intervient plus de trois années après l'apport, cela n’aura pas pour effet de remettre en cause le report d'imposition, que la société bénéficiaire de l'apport réinvestisse d’ailleurs ou non, le produit de cession dans une activité économique.
Dans l’esprit, les titres reçus en contrepartie de l’apport ne devraient jamais être vendus ou remboursés, rachetés, annulés, sans quoi le report d’imposition tomberait. Les titres peuvent tout au plus être apportés de nouveau à une autre société sous le régime du report ou du sursis, sans mettre en péril le report, ou transmis à titre gratuit.
Sur ce dernier point, il est nécessaire de préciser que les conséquences vont différer selon que les titres reçus en contrepartie de l’apport sont transmis par décès ou par donation.
En cas de transmission par décès, la plus-value en report serait définitivement exonérée. Il n’en est pas de même pour les donations : le report d’imposition est maintenu sur la tête des donataires s’ils contrôlent la société. Si les donataires ne contrôlent pas la société, la plus-value en report n’est pas transférée sur leurs têtes.
Pour le donataire pour lequel le report d’imposition est transféré sur sa tête, il tombera et la plus-value sera imposée à son nom dans trois situations :
3. La cession des titres apportés dans les deux ans de l’apport, ou après deux ans
En cas de cession des titres apportés par la société bénéficiaire de l’apport, la plus-value professionnelle à long terme sur titres de participation, déterminée par référence à leur valeur nette comptable (c’est-à-dire la valeur d’apport, dans le cadre d’une opération d’apport-cession) « fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 0 %, sous réserve de la réintégration au résultat imposable d'une quote-part de frais et charges », selon les termes employés par l’administration fiscale dans sa doctrine (BOI-IS-BASE-20-20-10-20, § 1),
Cette exonération est conditionnée au respect de certaines conditions parmi lesquelles les « titres de participation » doivent revêtir ce caractère sur le plan comptable, détenus depuis au moins deux ans.
Ainsi, dans la situation d’une cession des titres apportés, la société holding bénéficierait d’une exonération de plus-values professionnelle à long terme sur titres de participation (sous réserve de la taxation d’une quote-part de frais et charges de 12 %, soit une pression fiscale maximale de 3 % (12 % x 25 % actuellement), toutes conditions devant être respectées par ailleurs pour l’application de ce dispositif d’exonération).
Une telle exonération n’est donc pas applicable s’agissant des titres qui ne constituent pas des titres de participation et/ou qui sont détenus depuis moins de deux ans.
Exemple applicatif : Soit Madame et Monsieur, mariés, retraités, bénéficiant ensemble de pensions de retraite nettes imposables de 60 000 d’euros par an. Ils sont propriétaires des actions d’une société commerciale évaluée à un million d’euros, souscrites à sa constitution au prix global de 100 000 euros. Madame et Monsieur souhaitent vendre à moyen terme (3-5 ans) les titres de la société à un tiers. (i) En l’absence d’apport préalable, dans l’hypothèse où l’évaluation de l’entreprise serait inchangée au moment de la vente, Madame et Monsieur réaliseraient ensemble une plus-value de 900 000 euros (1 000 000 – 100 000), donnant lieu à une imposition au titre de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux :
L’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu étant plus favorable au cas particulier, l’imposition attendue serait de 204 590 euros dans le cadre de cette vente. (ii) En présence d’un apport préalable des titres de cette société commerciale à une société qu’ils contrôlent, établie en France et soumise à l’impôt sur les sociétés : Au cas particulier, la plus-value serait placée en report d’imposition et ne donnerait donc pas lieu à une imposition immédiate, qu’il s’agisse d’un apport à une société existante ou à une société constituée par l’apport des titres. Si le prix de cession des titres est identique à leur valeur d’apport : Trois ans après l’apport, la société bénéficiaire de l’apport cède les titres apportés au prix d’un million d’euros. Dans cette hypothèse, le prix de vente étant égal au prix d’acquisition par la société holding, aucune plus-value ne serait constatée. Cette vente ne rendrait donc pas exigible l’impôt sur les sociétés à défaut de plus-value. Sauf à distribuer le produit de la cession, cette opération d’apport-cession n’entraînerait aucune conséquence fiscale pour la société. Cette opération n’entraînerait pas non plus de conséquences fiscales pour Madame et Monsieur pour lesquels le report d’imposition serait maintenu. Si le prix de cession des titres est supérieur à leur valeur d’apport : Dans l’hypothèse où l’entreprise serait vendue (par hypothèse, plus de trois ans après l’apport) à une valeur supérieure à la valeur d’apport, en raison des performances de la société commerciale depuis la date de l’apport, par exemple, la plus-value professionnelle sur titres de participation serait donc exonérée, sous réserve de la taxation à hauteur d’une quote-part de fais et charges, dans le respect des conditions pour le bénéfice de l’exonération. Pour l’exemple d’un prix de vente de deux millions d’euros, la plus-value s’élèverait à la somme d’un million d’euros. Le montant de l’impôt sur les sociétés s’élèverait à la somme maximale de 30 000 euros seulement (à législation constante) ! Cette opération n’entraînerait pas non plus de conséquences fiscales pour Madame et Monsieur pour lesquels le report d’imposition serait pareillement maintenu. Bien évidemment, si Madame et Monsieur envisagent de se distribuer le produit de la vente, ils supporteront à cet égard le PFU et les prélèvements sociaux, soit une imposition globale de 30% à législation constante (majorée de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus le cas échéant), sauf option pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Ils pourront opportunément décider de distribuer des dividendes à la hauteur de leurs besoins financiers et d’affecter le solde du produit de la vente à d’autres investissements à réaliser par la société, et ce, pour éviter le frottement fiscal lié à l’appréhension personnelle des dividendes. Enfin, à la suite de cette opération d’apport-cession, une donation par Madame et Monsieur des titres de la société holding aux enfants permettra d’exonérer définitivement la plus-value en report, après une durée de conservation de cinq ans par les enfants. |
4. Le risque d’abus de droit
L’abus de droit prévu à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales [1] est un risque identifié notamment dans l’hypothèse où les titres apportés sont cédés dans le délai de trois ans à compter de l’apport, et que le contribuable revendique le maintien du report d’imposition en raison du réinvestissement économique du prix de vente des titres apportés.
Toutes les situations où le contribuable rechercherait à se réapproprier les liquidités réinvesties doivent être évitées, quand bien même toutes les conditions du réinvestissement économique seraient respectées.
L’administration fiscale pourrait en effet qualifier un abus de droit en cas de distributions de dividendes importantes de la société cible après le réinvestissement ou en cas de réductions de capital non motivées par des pertes de cette société.
[1] La procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du LPF permet à l'administration d'écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable lorsque ces actes ont un caractère fictif ou lorsque, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales dont était passible l'opération réelle.
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