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par Vincent Vantighem
le 24 Mai 2022
Dès la semaine précédente, ils avaient fait savoir qu’ils ne se déplaceraient pas pour écouter la cour d’appel de Paris livrer sa sentence. C’est donc par un communiqué, rédigé et diffusé par leurs avocats, que François et Penelope Fillon ont annoncé, lundi 9 mai, leur intention de se pourvoir en cassation après leur condamnation dans l’affaire dite « des emplois fictifs ». Quelques heures plus tôt, François Reygrobellet, le président de la chambre 2-12 de la cour d’appel de Paris avait acté leur absence du prétoire et décidé, par voie de conséquence, de livrer très rapidement les éléments essentiels de sa décision. Une peine de quatre ans de prison dont trois avec sursis, 375 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité à l’encontre de l’ancien Premier ministre. Deux ans de prison avec sursis, 375 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité à l’encontre de son épouse Penelope. Le tout pour « détournement de fonds publics ».
« Monsieur et madame Fillon ont décidé de se pourvoir en cassation, explique donc le communiqué. La cour n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations sur les preuves apportées de la réalité du travail accompli par madame Fillon. » Pour les anciens barons de la Sarthe, le but n’est pas tant ici de parvenir à prouver leur innocence que de gagner encore un peu de temps. En formant ce pourvoi en cassation et comme le prévoit la procédure en de pareils cas, François Fillon suspend la décision qui vient d’être rendue. Pas besoin de payer l’amende tout de suite. Et surtout pas besoin, dans l’immédiat, de vivre l’infamie d’un passage devant un juge d’application des peines chargé d’exécuter la peine de prison ferme, éventuellement sous la forme d’un placement sous surveillance électronique à domicile comme l’avait réclamé, à l’audience, le parquet général.
Des preuves « évanescentes » voire « vaporeuses »
Sur le fond, la cour d’appel a simplement acté le fait que Penelope Fillon avait bien été payée indûment par son époux député, puis par le suppléant de ce dernier, comme collaboratrice parlementaire alors qu’elle n’effectuait pas un réel travail. Dans ce dossier, Penelope Fillon était accusée d’avoir occupé un emploi fictif sur trois périodes distinctes : 1998-2002 aux côtés de son époux, 2002-2007 aux côtés de Marc Joulaud, suppléant de François Fillon à l’Assemblée, puis à nouveau de 2012 à 2013 aux côtés de son mari. La cour d’appel a retenu la responsabilité des prévenus pour les deux derniers contrats mais les a relaxés pour le premier « au bénéfice du doute ». Non pas qu’il existe pour celui-là des preuves irréfutables du travail effectué par Penelope. Mais plutôt que les faits sont si anciens qu’il est compréhensible qu’on ne trouve plus aujourd’hui de traces de ce travail…
Moins cassant en appel qu’en première instance, François et Penelope Fillon n’avaient pourtant pas changé leur ligne de défense d’un iota. L’ancien Premier ministre expliquant que son épouse avait bien œuvré à ses côtés, qu’elle était d’ailleurs sa collaboratrice « la plus importante » et « la plus diplômée », justifiant selon lui les 3 676 euros nets de rémunération octroyés sur la période incriminée. À l’heure de plaider, Antonin Lévy, l’un des avocats de François Fillon avait même produit quarante-et-une attestations prouvant qu’elle ne se tournait pas les pouces dans son manoir de Beaucé à Solesmes (Sarthe) pendant que les salaires tombaient sur son compte. Des explications qualifiées « d’évanescentes » voire de « vaporeuses » par le parquet général à l’audience et qui a donc été suivi, dans son analyse, par la cour d’appel. Si la peine est un peu plus faible que celle requise (et que celle prononcée en première instance), c’est sans doute parce que la cour d’appel a exclu le premier contrat de Penelope du champ de sa saisine.
La sanction au portefeuille
Mais pour les Fillon, l’autre conséquence de cette décision rendue en appel se situe sur le plan financier. La cour a, en effet, reconnu l’Assemblée nationale dans son statut de partie civile et acté le fait qu’elle avait subi un « préjudice financier » en payant Penelope Fillon alors qu’elle n’exécutait pas de travail. « S’il n’y avait pas travail, il ne devait pas y avoir salaire », avait expliqué à l’audience Yves Claisse, le conseil du Palais-Bourbon.
Sur ce point, la défense des Fillon et de Marc Joulaud (condamné, lui, à trois ans de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité) avait mis en avant la « jurisprudence Kerviel » pour tenter d’échapper à la sanction au portefeuille. C’est-à-dire qu’elle avait expliqué que l’Assemblée nationale ne pouvait toucher de dommage et intérêts dans la mesure où elle avait, elle-même, une part de responsabilité dans le fric-frac institutionnel, ayant manqué à ses obligations de contrôle. L’histoire réserve parfois des surprises. C’est ainsi que Jean Veil, avocat de la Société Générale dans le dossier Kerviel, aurait pu aujourd’hui bénéficier d’une jurisprudence qui lui a causé du tort, voilà sept ans, devant la cour d’appel de Versailles (Yvelines) quand il était opposé à l’ancien trader.
Mais la cour d’appel a balayé cet argument, et a donc condamné les prévenus à verser solidairement un peu plus de 800 000 euros à l’Assemblée nationale, soit le total des salaires de Penelope auquel s’ajoutent les cotisations sociales (salariales et patronales). Dans le détail, Marc Joulaud et Penelope Fillon doivent payer 679 989,32 euros à l’Assemblée pour la période 2002-2012 et François et Penelope, 126 167,10 euros pour la période 2012-2017, le premier contrat ayant donc été exclu de ces comptes d’apothicaire.
Un nouveau signal envoyé à Nicolas Sarkozy
Si le pourvoi en cassation suspend la condamnation pénale prononcée à l’encontre des trois prévenus, il n’en est pas de même pour leur condamnation civile dont ils doivent s’acquitter désormais. Reste à savoir si la partie civile, l’Assemblée nationale, fera les démarches dès aujourd’hui pour récupérer son dû ou si elle attendra que l’ancien Premier ministre épuise toutes les voies de recours pour lui envoyer une mise en recouvrement… Il sera intéressant de voir quelle attitude elle adopte.
En attendant, après les époux Balkany, après Jérôme Cahuzac, après Claude Guéant : la justice a envoyé un nouveau signal à la classe politique. Le signal qu’elle entendait désormais solder l’impunité qui a régné pendant des années sans avoir la main qui tremble. Un signal qui a dû être reçu par Nicolas Sarkozy, lui-même condamné à deux peines de prison ferme dans deux dossiers distincts et qui doit attendre, avec un peu de fébrilité, son passage à venir devant la même cour d’appel.
Pour aller plus loin : V. Vantighem, « PenelopeGate » : François et Penelope Fillon jugés en appel dans l’affaire des emplois fictifs, Lexbase Pénal, novembre 2021 N° Lexbase : N9376BYW. |
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