La lettre juridique n°904 du 5 mai 2022 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Clause résolutoire d'un bail commercial soumise à l’arrêt des poursuites individuelles

Réf. : Cass. civ. 3, 13 avril 2022, n° 21-15.336, FS-B N° Lexbase : A41187TP

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N1331BZC

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par Bastien Brignon, Maître de conférences à Aix-Marseille Université, Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés (IGS), Membre du centre de droit économique (UR 4224) et de l’institut de droit des affaires

le 05 Mai 2022

Mots-clés : procédure de sauvegarde • procédures collectives • action en résolution du bail commercial • clause résolutoire • non-paiement des loyers à l'échéance • défaut de paiement • interruption des poursuites individuelles (oui)

L’action en résolution d’un contrat de bail commercial pour non-paiement à l’échéance convenue est une action fondée sur le défaut de paiement, de sorte qu’elle tombe sous le coup de l’interruption des poursuites individuelles contre le débiteur en procédure collective.


 

1. L'action introduite par le bailleur avant le placement en sauvegarde du preneur en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure peut-elle être poursuivie après ce jugement ?

2. Alors que l’on aurait pu penser que la Cour de cassation réponde par la positive puisqu’il s’agit d’une action fondée non pas sur le non-paiement de la créance de loyer mais sur le paiement tardif, elle répond au contraire de manière négative, par un arrêt publié du 13 avril 2022 [1], reprenant ainsi une solution affirmée pour la première fois en 2016 [2].

3. En l’espèce, le preneur d'un bail commercial, destinataire, le 2 septembre 2015, d'un commandement de payer un arriéré locatif visant la clause résolutoire qui lui avait été délivré par le bailleur, assigne ce dernier en annulation de ce commandement. Le bailleur oppose la résiliation de plein droit du bail commercial le 2 octobre 2015, à défaut du paiement des sommes dues. Par jugement du tribunal de commerce du 5 octobre 2017, une procédure de sauvegarde est ouverte au bénéfice du preneur. Le preneur et le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde font grief à la cour d'appel [3] de constater la résiliation du bail, de dire que le preneur devait quitter les lieux et, à défaut, ordonner son expulsion, de le condamner à rembourser au bailleur les arriérés de loyers et de taxes foncières et à lui verser une indemnité d'occupation. Ils se pourvoient en cassation.

4. La Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel, retenant :

- qu’il résulte de la combinaison des articles L. 145-41  N° Lexbase : L1063KZE et L. 622-21  N° Lexbase : L9125L74 du Code de commerce que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en sauvegarde du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement ;

- qu’en relevant, pour déclarer la demande en résiliation du bail commercial recevable, que l'ouverture de la procédure judiciaire en 2017 n'interdisait pas d'invoquer le bénéfice de la clause résolutoire dont le jeu devait s'apprécier au moment de la délivrance du commandement de payer, soit le 2 octobre 2015, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

5. Aux termes de l'article L. 622-21 du Code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers, en l’occurrence le bailleur, tendant au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, cette règle de l’arrêt des poursuites individuelles concernant les créances qui sont nées antérieurement au jugement d'ouverture. Or, pour la Cour de cassation, l’action en résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent à son échéance est une action fondée sur le défaut de paiement d’une somme d’argent au sens de l’article L. 622-21 précité. Par conséquent, la demande du bailleur tendant à la résiliation du contrat de bail pour paiement tardif des loyers antérieurs au jugement d’ouverture est irrecevable [4]. C’est aujourd’hui au tour de la troisième chambre civile d’affirmer la même solution que la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La règle de l'arrêt des poursuites individuelles s'applique donc à l'action du bailleur en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire [5].

6. Au demeurant, il est de jurisprudence constante que dès lors qu'il ne dispose pas, avant l’ouverture de la procédure collective, d'une décision passée en force de chose jugée, c’est-à-dire d’une décision irrévocable, le bailleur ne peut, après le jugement d’ouverture, poursuivre l’action en acquisition de la clause pour défaut de paiement antérieur [6].

7. En revanche, l'article L. 622-21 du Code de commerce est d'interprétation stricte. Il en résulte que l'arrêt des poursuites du bailleur ne concerne pas les actions en résiliation du bail fondées sur l’inexécution d'une obligation antérieurement au jugement d'ouverture, dès lors qu’elle ne concerne pas une somme d'argent (travaux sans autorisation, sous-location irrégulière, etc.) [7]. La règle de l’arrêt des poursuites ne concerne pas non plus les actions en refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime de non-paiement des loyers et charges antérieurs, car l’action en refus de renouvellement est distincte de l’action en résiliation, seule concernée par la règle de l’arrêt des poursuites [8]. En outre, ne sont pas non plus visées les actions en paiement par le jeu de la compensation entre les loyers impayés et les créances connexes et ce, en application de l’article L. 622-7 du Code de commerce N° Lexbase : L9121L7X [9].

8. Mais, conformément à la solution de l’arrêt commenté, l'action introduite par le bailleur, avant le jugement d'ouverture d'une procédure collective contre le preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges afférents à une occupation antérieure à ladite procédure, ne peut plus être poursuivie après ce jugement car elle se heurte à la règle de l’interdiction des poursuites, excepté le cas où elle a donné lieu, avant le jugement d’ouverture, à une décision passée en force de chose jugée.

9. Cette solution, évidemment favorable aux intérêts de la procédure collective, se comprend sans mal : elle évite que contrat de bail commercial, seul actif restant ayant encore un peu de valeur, ne soit rompu, et permet ainsi, à travers la valeur que représente le droit au bail, d'apurer une partie du passif du débiteur. De plus, l'action interrompue en application de l'article L. 622-21 peut être reprise de plein droit et à l'initiative du créancier poursuivant sous les conditions suivantes qui sont cumulatives (C. com. art. L. 622-22 N° Lexbase : L7289IZY et R. 622-20 N° Lexbase : L6117I3X) : d’une part, le créancier a remis au greffe du tribunal saisi une copie de sa déclaration de créance ou tout élément justifiant de la mention de cette créance sur la liste des créances déclarées, établie par le mandataire judiciaire ; d’autre part, il a mis en cause (par voie d'assignation en intervention forcée) le mandataire judiciaire ainsi que, le cas échéant, l'administrateur lorsqu'il a pour mission d'assister le débiteur ou le commissaire à l'exécution du plan ou, en cas de liquidation judiciaire, le liquidateur. Enfin, elle ne résiste pas à la décision passée en force de chose jugée obtenue avant le jugement d’ouverture.

10. Toutefois, chacun sait que l'action reprise tend uniquement à la constatation de la créance du bailleur et à la fixation de son montant (C. com., art. L. 622-22), sans que le juge puisse condamner le locataire à payer. De même, avoir une décision de justice passée en force de chose jugée avant le jugement d’ouverture relève presque du miracle tellement le prix de la course est élevé. Le bailleur reste donc presque en tout état de cause paralysé par le jeu de l'article L. 622-21 qui s'applique à l'action en résolution pour paiement tardif. Et la solution vaut également pour le redressement et la liquidation judiciaires. Elle vaut même pour tous les créanciers, et pas seulement le bailleur. Tout créancier, quel qu'il soit, qui, en effet, assigne son débiteur en résolution ou résiliation du contrat pour paiement tardif peut se heurter au principe exorbitant du droit de l’interdiction ou de la suspension des poursuites. Or, la règle de l’arrêt ou la suspension des poursuites vise en principe non pas les actions relatives au paiement tardif mais celles afférentes au défaut de paiement. L’extension de son champ d’application pourrait s’avérer inconstitutionnelle.

 

[1] V. Téchené, Lexbase Affaires, avril 2022, n° 714 N° Lexbase : N1169BZC.

[2] Cass. com., 15 novembre 2016, n° 14-25.767, FS-P+B+I N° Lexbase : A0701SHG ; B. Brignon, Lexbase Affaires, décembre 2016, n° 491 N° Lexbase : N5669BWU.

[3] CA Bordeaux, 12 janvier 2021, n° 17/06635 N° Lexbase : A34114CC.

[4] Cass. com., 15 novembre 2016, n° 14-25.767, préc. ; Dalloz Actualité, 29 novembre 2016, obs. X. Delpech ; Loyers et copr., 2017, comm. 47 et JCP E, 2017, 1139, note Ph.-H. Brault ; JCP E, 2017, 1164, n° 3 , obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 2017, comm. 100 , note F. Macorig-Venier ; RTD com., 2017, p. 185 , n° 4, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal., 10 janvier 2017, p. 65, note F. Kendérian.

[5] F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, préf. J. Monéger, LexisNexis, coll. Droit & Professionnels, 5ème éd., 2019, n° 30 et s., p. 26 ; V. Leloup-Thomas et I. Rohart-Messager, La mise en œuvre de la clause résolutoire dans le cadre d’une procédure collective, in Le bail commercial face aux difficultés économiques des locataires, Colloque Atelier des baux commerciaux de Lorraine, Nancy, 1er décembre 2017, AJDI, 2018, p. 256.

[6] Cass. com., 12 juin 1990, n° 88-19.808  N° Lexbase : A4395ACR – Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-21.499,  FS-P+B N° Lexbase : A2696D3A, Loyers et copr., 2008, comm. 83, note Ph.-H. Brault ; Act. proc. coll. 2008, comm. 22, obs. C. Regnaut-Moutier ; AJDI, 2008, p. 288, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; JCP E, 2009, 1041, n° 25, obs. H. Kenfack ; RTD com., 2009, p. 81, obs. F. Kendérian. – Cass. com., 15 février 2011, n° 10-12.747, F-D N° Lexbase : A1641GX3, Loyers et copr., 2011, comm. 120, note Ph.-H. Brault – Cass. civ. 3, 17 mai 2011, n° 10-15.957, F-D N° Lexbase : A2573HS4, AJDI, 2011, p. 698, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Gaz. Pal., 7-8 octobre 2011, p. 25, note F. Kendérian – Cass. civ. 3, 1er décembre 2016, n° 15-18.425, F-D N° Lexbase : A8471SN3, JCP E, 2017, 1338, n° 21 , obs. C. Saint Geniest – Cass. com., 12 juillet 2017, n° 16-10.167, F-D N° Lexbase : A9810WMB, AJDI, 2017, p. 841, obs. J.-P. Blatter – Cass. civ. 3, 4 juillet 2019, n° 18-16.453, F-D N° Lexbase : A2949ZI3, JCP E, 2019, 1579 , note Ch. Lebel ; AJDI, 2020, p. 210 , obs. P. Haas – Cass. civ. 3, 26 mars 2020, n° 19-10.223, F-D N° Lexbase : A60533KE, JCP E, 2020, 1269, n° 23, obs. F. Kendérian.

[7] Cass. com., 11 octobre 2016, n° 15-16.099, F-D N° Lexbase : A9720R77, AJDI, 2017, p. 199, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Rev. proc. coll., 2017, comm. 101, note F. Macorig-Venier ; Gaz. Pal., 10 janvier 2017, p. 64, note F. Kendérian – CA Nancy, 13 janvier 2021, n° 20/00150 N° Lexbase : A33414CQ.

[8] CA Paris, 5-3, 19 septembre 2012, n° 10/22363 N° Lexbase : A0819ITI, Loyers et copr., 2013, comm. 20, obs. Ph.-H. Brault ; JCP E, 2013, 1187, note F. Kendérian.

[9] On pense notamment au dépôt de garantie : P.-M. Le Corre, Dépôt de garantie et compensation dans les procédures collectives, AJDI, 2003, p. 657 ; S. Pelletier et M. Aymami, La compensation des créances de loyers et de restitution du dépôt de garantie en procédures collectives, JCP E, 2012, 1289.

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