La lettre juridique n°904 du 5 mai 2022 : Social général

[Textes] Loi « Waserman » : un nouveau statut pour le lanceur d’alerte

Réf. : Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte N° Lexbase : L0484MCW

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par Joël Colonna et Virginie Renaux-Personnic, Maîtres de conférences à la Faculté de droit, Aix Marseille Université, Centre de Droit social (UR 901)

le 04 Mai 2022

Mots-clés : lanceur d’alerte • statut • protection • champ d’application • sanctions

La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, qui entrera en vigueur le 1er septembre, transpose la Directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 et vise à corriger les imperfections de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin 2 », et à en améliorer l’efficacité. Elle élargit le champ des bénéficiaires du statut de lanceur d’alerte en l’étendant notamment aux « facilitateurs » qui lui auront apporté une aide, ainsi qu’aux personnes en lien avec lui. Elle réorganise la procédure de signalement des alertes, tout particulièrement en permettant au lanceur d’alerte de procéder directement à un signalement externe auprès des autorités compétentes sans passer par le préalable obligatoire du canal interne. Elle renforce enfin la protection du lanceur d’alerte en durcissant les sanctions contre les mesures de représailles.


Du chemin a été parcouru depuis le débarquement du lanceur d’alerte sur la scène juridique française dans le sillage de l’extra territoriale loi américaine « Sarbanes-Oxley » du 30 juillet 2002 [1] qui a imposé à toutes les entreprises cotées aux États-Unis, quelle que soit leur nationalité, ainsi qu’aux filiales étrangères des entreprises américaines, quel que soit le pays dans lequel elles sont établies, de mettre en place un dispositif d’alerte professionnelle ou éthique [2]. En effet, d’abord accueilli avec méfiance comme la cheville ouvrière d’un « système organisé de délation professionnelle » [3], le lanceur d’alerte a rapidement suscité la bienveillance [4] à mesure que les « WikiLeaks », « Panama Papers » et autres « LuxLeaks »… se hissaient à la une des journaux et des chaînes « d’info » et que proliféraient dans les entreprises les codes de bonne conduite et les chartes éthiques. Et, tout aussi rapidement, s’est imposée, sous l’impulsion du Conseil de l’Europe [5] et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) [6], l’idée que le lanceur d’alerte agit dans l’intérêt général en dénonçant des actes illicites et qu’il doit être protégé contre les représailles auxquelles il s’expose.

La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, constitue l’aboutissement de cette évolution N° Lexbase : L0484MCW. Présentée comme la loi la plus protectrice d’Europe [7], elle comble définitivement le retard du droit français en la matière. On rappellera, à cet égard, que contrairement à de nombreux États qui avaient adopté un régime unique de protection, la France n’a pendant longtemps offert qu’une protection parcellaire aux lanceurs d’alerte. Multipliant les textes, le législateur français avait, en effet, institué un véritable « mille-feuille des statuts protecteurs » [8]. Pas moins de six dispositifs spécifiques dans les secteurs de la maltraitance [9], de la corruption [10], de la sécurité sanitaire des médicaments [11], de la vie publique [12], de la finance [13] ou de la sécurité [14], qui, faute de former un ensemble cohérent [15], ont été peu utilisés [16] tant il était difficile pour celui qui souhaitait lancer une alerte de savoir quel dispositif invoquer [17]. Et si la Chambre sociale a comblé les imperfections de la législation [18], en mobilisant les ressources de l’article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme N° Lexbase : L4743AQQ pour protéger au titre de la liberté d’expression, par la nullité de toute sanction ou licenciement prononcé à son encontre, le lanceur d’alerte n’entrant pas dans le champ des dispositions légales [19], ce n’est qu’avec la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 N° Lexbase : L6482LBP, dite loi « Sapin 2 » [20], qu’ont été institués un régime général de protection et un véritable statut du lanceur d’alerte. Allant bien au-delà de son objet initial, qui était de transposer la Directive (UE) n° 2019/1937 du 23 octobre 2019 N° Lexbase : L6898LTN, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, la loi « Waserman » [21] du 21 mars 2022 poursuit l’œuvre accomplie par la loi « Sapin 2 » et vise à en corriger les défauts et à en améliorer l’efficacité [22]. À cette fin, elle ouvre plus largement le bénéfice du statut de lanceur d’alerte (I.), assouplit les dispositifs de recueil et de traitement des alertes (II.) et renforce la protection du salarié lanceur d’alerte (III.).

I. L’élargissement du cercle des bénéficiaires du statut de lanceur d’alerte

La loi précise et modifie le domaine de l’alerte et étend la protection à l’entourage du lanceur d’alerte.

A. Une définition plus précise et plus large du domaine de l’alerte

Selon la loi nouvelle, est lanceur d’alerte la « personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. […] » (art. 1er).

La loi livre ainsi une définition du lanceur d’alerte modifiée sur les quelques points qui soulevaient des difficultés [23]. Est ainsi supprimée, en premier lieu, l’exigence - trop imprécise - que l’alerte soit faite de « manière désintéressée », remplacée par l’absence de « contrepartie financière directe », qui permettra de considérer comme lanceur d’alerte, par exemple, un salarié en conflit avec son employeur, quand bien même il pourrait tirer un bénéfice de son alerte. Est, ensuite, supprimée, lorsque l’alerte porte sur des informations obtenues dans le cadre de l’activité professionnelle, l’exigence que le lanceur d’alerte ait eu personnellement connaissance des faits qu’il signale ou divulgue. C’est en ce sens qu’il faut sans doute comprendre que, dans le nouveau texte, le signalement ou la divulgation a pour objet des informations portant sur un des faits illicites visés, mais pas directement sur ceux-ci. Pourra ainsi être considéré comme lanceur d’alerte, le salarié qui signale des faits qui lui ont été rapportés dès lors qu’il a une conviction raisonnablement établie qu’ils se sont produits ou qu’ils sont susceptibles de se produire [24]. On peut donc penser que, à l’avenir, un salarié pourra bénéficier du statut de lanceur d’alerte lorsqu’il divulgue des informations qui lui auront été rapportées. Est enfin abandonnée l’exigence d’une gravité manifeste des faits dénoncés, qui avait fait l’objet de critiques en ce qu’il s’agissait de « standards » relevant d’une interprétation a posteriori par le juge et exposant, de ce fait, le salarié au risque d’une mauvaise appréciation [25]. On avait, en effet, pu craindre que l’intéressé ne préfère s’abstenir plutôt que de courir le risque d’être hors du champ de la protection [26]. En revanche, demeurent toujours exclus du champ de l’alerte les faits, informations et documents, quel que soit leur forme ou leur support, dont la révélation ou la divulgation est interdite par les dispositions relatives au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret professionnel de l’avocat, auxquels sont ajoutés le secret des délibérations judiciaires et le secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires.

La nouvelle définition du lanceur d’alerte appelle une dernière observation. S’agissant des infractions pénales, l’objet de l’alerte reste, comme auparavant, cantonné à la dénonciation de faits portant sur un crime ou un délit et exclut toujours la dénonciation de comportements simplement constitutifs de contraventions, contrairement à la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 10, § 1, de la Convention EDH, ce qui pose nécessairement la question de la pérennité de cette jurisprudence.

B. Une protection étendue à l’entourage du lanceur d’alerte

La protection est étendue à trois catégories de personnes liées au lanceur d’alerte (art. 2), rompant ainsi de l’isolement dans lequel ce dernier pouvait jusque-là se trouver. Il en est ainsi :

  • des « facilitateurs », entendus comme « toute personne physique ou morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation […] » résultant de faits illicites. Cette extension, qui ne figurait pas dans la directive, permet de compenser l’absence de référence aux personnes morales dans la définition du lanceur d’alerte et d’assurer au salarié lanceur d’alerte le soutien des associations et organisations syndicales, ainsi que cela avait été demandé par certains parlementaires ;
  • des « personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte […] [risquant de faire l’objet de mesures de représailles] dans le cadre de leurs activités professionnelles de la part de leur employeur ou de leur client ou du destinataire de leurs services ». On songe bien évidemment, ici, aux collègues de travail et proches du salarié lanceur d’alerte ;
  • des « entités juridiques contrôlées […] par un lanceur d’alerte […] pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel ».

II. L’assouplissement de la procédure de signalement des alertes

La loi nouvelle assouplit la procédure graduée et hiérarchisée de signalement instaurée par l’article 8 de la loi « Sapin 2 » (art. 3, I, 2°), dont la violation était susceptible de priver le salarié de la protection du statut de lanceur d’alerte [27]. On rappellera que, sauf exception [28], le salarié devait, en premier lieu, procéder au signalement en interne auprès de son supérieur hiérarchique, de l’employeur ou d’un référent ad hoc, puis, en l’absence de diligence de leur part, s’adresser aux autorités judiciaires, administratives ou aux ordres professionnels, et, enfin, en dernier ressort, à défaut de traitement par ces derniers dans un délai de trois mois, diffuser l’information au public. Tirant les conséquences des critiques dont faisait l’objet cette procédure à laquelle il était reproché d’être complexe et mal connue et d’exposer dans le cadre du signalement interne le salarié à des risques de pressions et de représailles pour le faire taire, la loi [29] supprime cette hiérarchisation et permet, désormais, au lanceur d’alerte de choisir entre le signalement interne et le signalement externe (art. 3, I, 2°), la divulgation publique n’étant admise que dans certaines situations.

A. Procédure de signalement interne

Situations visées. Le signalement interne concerne les informations obtenues par une personne dans le cadre de ses activités professionnelles portant sur des faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire dans l’entreprise concernée, notamment lorsque la personne estime qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie et qu’elle ne s’expose pas à un risque de représailles.

Les premières personnes visées par la loi pour déclencher cette procédure de signalement interne sont les salariés, anciens salariés et candidats à un emploi [30].

Recueil et traitement des signalements. Les modalités de la procédure diffèrent selon la taille de l’entreprise.

  • Dans les entreprises de moins de 50 salariés, lorsqu’aucune procédure interne de recueil et de traitement des signalements n’a été mise en place, les informations peuvent, comme auparavant, être signalées au supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l’employeur ou à un référent désigné par celui-ci.
  • Dans les entreprises employant au moins 50 salariés, la loi précise que la procédure interne de recueil et de traitement des signalements qu’elles doivent mettre en place doit être précédée de la consultation des représentants du personnel [31]. Les entreprises de moins de 250 salariés, ainsi que les sociétés d’un même groupe pourront mettre en commun leur procédure de recueil et de signalement [32].

B. La procédure de signalement externe

Le lanceur d’alerte n’est plus tenu d’avoir effectué un signalement interne pour procéder à un signalement externe. Celui-ci peut donc désormais intervenir soit après un signalement interne infructueux, soit directement. Dans tous les cas, il doit être adressé à l’autorité compétente [33], au Défenseur des droits, à l’autorité judiciaire ou enfin à une institution, un organe ou un organisme de l’UE compétent pour recueillir des informations sur des violations relevant du champ d’application de la Directive du 23 octobre 2019.

C. La divulgation publique

L’alerte publique pourra intervenir dans trois cas dont seul le troisième est véritablement nouveau :

  • en cas d’absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un délai qui sera fixé par décret ;
  • en cas de « danger grave et imminent » ou, pour les informations obtenues dans un cadre professionnel, en cas de « danger imminent ou manifeste » pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible, notions dont la définition pose les mêmes problèmes que celle, désormais abandonnée, de « gravité manifeste » et expose le lanceur d’alerte à la même insécurité ;
  • lorsque la saisine de l’autorité compétente fait courir un risque de représailles à l’auteur de l’alerte ou qu’elle ne peut permettre de remédier efficacement à l’alerte en raison des circonstances particulières de l’affaire, notamment si des preuves peuvent être dissimulées ou détruites ou si l’auteur du signalement a des motifs sérieux de penser que l’autorité peut être en conflit d’intérêts ou en collusion avec l’auteur des faits ou encore impliquée dans ces faits.

Par exception, une alerte relevant des deux derniers cas ne peut pas être immédiatement rendue publique si elle porte atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationales.

La réorganisation des canaux de signalement s’accompagne d’une amélioration de la protection de la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte et de la personne mise en cause ainsi que des informations recueillies (art. 5) [34].

III. Le renforcement de la protection du salarié lanceur d’alerte [35]

Le législateur cherche, d’abord, à améliorer l’effectivité du dispositif de protection du lanceur d’alerte prévu par la loi par une meilleure information des salariés, via le règlement intérieur, qui devra en mentionner l’existence (art. 4) [36], et par l’interdiction, à peine de nullité de plein droit, de toute renonciation à ce dispositif ainsi que de toute limitation d’aucune forme des droits en résultant (art. 8).

A. Une protection contre les représailles

Déjà présente dans la loi « Sapin 2 », la protection du lanceur d’alerte contre les représailles a été entièrement réorganisée. Elle se subdivise désormais en trois régimes, car, malgré l’unification du statut protecteur, la loi laisse subsister non seulement les régimes spécifiques antérieurs relevant du droit du travail [37] qui ne seront pas envisagés ici, mais en crée deux nouveaux.

1) La protection du salarié signalant ou divulguant une alerte dans les conditions prévues par la loi « Sapin 2 modifié »e (art. 6, I et 7, I, 1°)

a. La protection contre les mesures discriminatoires

La protection est transférée de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail N° Lexbase : L7446LBE à un nouvel article L. 1121-2 N° Lexbase : L0917MCX, aux termes duquel le lanceur d’alerte ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte. Il ne peut pas non plus être écarté d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise. Le nouvel article L. 1121-2 appelle deux observations. La première concerne l’ajout par la loi de l’interdiction de modifier les horaires de travail et d’utiliser l’évaluation de la performance à des fins de représailles à la longue liste des mesures discriminatoires prohibées. On ne peut s’empêcher de penser que cette adjonction, imposée par la Directive du 23 octobre 2019, alourdit inutilement le texte puisqu’on sait que, précédée de l’adverbe notamment, cette liste ne revêt pas de caractère exhaustif. On relève, ensuite, que ce texte ne renferme pas la totalité des protections contre les mesures de représailles. Il renvoie, en effet, à l’article 10-1, II, nouveau, de la loi « Sapin 2 », directement issu de la Directive, qui édicte toute une série de mesures interdites, notamment les atteintes à la réputation, en particulier sur un service de communication en ligne et l’orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical.

L’ensemble de ces mesures est sanctionné par la nullité, prévue par l’article 10-1, II, dernier alinéa, de la loi « Sapin 2 », et de façon quelque peu redondante, par l’article L. 1132-4, modifié du Code du travail N° Lexbase : L0920MC3.

b. L’action en justice

Régime probatoire. Le transfert de la protection du lanceur d’alerte de l’article L. 1132-3-3 N° Lexbase : L7446LBE au nouvel article L. 1121-2 N° Lexbase : L0917MCX s’est accompagné d’une incohérence. Les dispositions du premier de ces textes qui instituaient un régime probatoire calqué sur celui des discriminations ont disparu et ne se retrouvent pas dans le second. Il faut aller les chercher dans l’article 10-1, III, nouveau de la loi « Sapin 2 » dont l’application au lanceur d’alerte visé par l’article L. 1121-2 ne saute pas aux yeux en raison d’une absence de renvois croisés entre ces deux textes. En effet, l’article L. 1121-2 ne renvoie pas au III de l’article 10-1, lequel ne vise qu’indirectement le lanceur d’alerte de l’article L. 1121-2 par le biais d’un renvoi au II. On conviendra qu’on pouvait faire plus simple. N’aurait-il pas suffi que l’article L. 1121-2 renvoie directement au III de l’article 10-1 ?

Autre sujet d’étonnement, le régime probatoire n’est pas sorti indemne de ce transfert. Le lanceur d’alerte bénéficie, certes, toujours de l’allègement de la charge de la preuve et doit seulement présenter des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues par la loi. Mais, alors que, auparavant [38], l’employeur devait prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé, il doit, aujourd’hui, prouver que sa décision est « dûment » justifiée. Reprise directe de la Directive [39], cette nouvelle formulation paraît a priori plus restrictive. Reste à savoir si elle induira une plus grande exigence du juge dans l’admission des justifications avancées par l’employeur. Mais alors, se poserait inévitablement, contrairement à l’intention initiale du législateur, un problème de coordination avec les règles applicables en matière de discrimination [40] et de harcèlements [41], dont la rédaction n’a pas été modifiée et qui s’appliquent aussi au lanceur d’alerte, y compris, pour les premières, au lanceur d’alerte de l’article L. 1121-2.

Provision pour frais d’instance. Afin de limiter le coût financier des procédures que doit engager le lanceur d’alerte, l’article 10-1, III [42] prévoit que le juge pourra allouer, à la charge de l’autre partie, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles à son encontre ou qui fait l’objet d’une procédure, dite « bâillon », visant à entraver son signalement ou sa divulgation publique, par exemple une plainte en diffamation.

Le juge peut également lui allouer, en cours d’instance, une provision visant à couvrir ses subsides lorsque sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ou de la divulgation publique.

Il peut rendre ces provisions définitives à tout moment, c’est-à-dire même si le lanceur d’alerte perd son procès.

2) La protection du salarié dénonçant un crime ou un délit

Est visée, ici, la personne ne s’inscrivant pas dans le champ de l’alerte définie par la loi, mais témoignant ou relatant, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Sa protection est désormais inscrite à l’article L. 1132-3-3 N° Lexbase : L7446LBE entièrement réécrit. Mais encore une fois par un complexe jeu de renvoi, cette personne bénéficie de la protection contre l’ensemble des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2 N° Lexbase : L0917MCX ainsi que des dispositions de l’article 10-1, III de la loi « Sapin 2 », relatives au régime probatoire et à l’octroi de provisions en cas de contentieux. Ces règles devront là encore être articulées avec les articles L. 1132-4 N° Lexbase : L0680H93 et L. 1134-1 N° Lexbase : L2681LBW, respectivement relatifs à la nullité des mesures de représailles et au régime probatoire qui sont également applicables au lanceur d’alerte.

Créé par la loi, ce nouveau régime de protection correspond à la situation à laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation appliquait l’article 10, § 1, de la Convention EDH. Il semble réduire l’espérance de vie de cette jurisprudence qui protégeait les salariés dénonçant des faits susceptibles de caractériser des infractions pénales et englobait donc les contraventions [43].

3) La protection de l’entourage du lanceur d’alerte

Les facilitateurs et personnes en lien avec un lanceur d’alerte entrant dans le champ de la loi bénéficient, selon l’article 6-1 nouveau de la loi « Sapin 2 », de la protection contre l’ensemble des mesures de représailles, ainsi que du régime probatoire et de l’octroi des provisions prévus par l’article 10-1, II et III.

Mais, insérés par la loi nouvelle (art. 10), dans l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY [44], ils sont également protégés contre l’ensemble des mesures visées par ce texte, qui sont rigoureusement identiques à celles prévues par l’article L. 1121-2 N° Lexbase : L0917MCX, et bénéficient - fâcheux doublon - de toutes les mesures applicables au contentieux de la discrimination, notamment du régime probatoire et de la sanction de la nullité.

B. Une immunité civile et pénale (art. 6, I)

La loi institue, d’abord, un principe d’irresponsabilité civile des lanceurs d’alerte, quel que soit le régime dont ils relèvent, ainsi que de l’entourage protégé pour les dommages causés du fait de leur signalement ou divulgation publique, dès lors qu’ils avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’ils y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

Elle étend, ensuite, l’immunité pénale du lanceur d’alerte, prévue par l’article 122-9 du Code pénal N° Lexbase : L7395LBI, à la soustraction, au détournement ou au recel de documents ou tout autre support contenant les informations dont il a connaissance de manière licite et qu’il signale ou divulgue dans les conditions définies par la loi. Elle en fait également bénéficier le complice de ces infractions.

C. Les sanctions

Outre la nullité des mesures de représailles déjà envisagée, la loi prévoit deux sanctions particulières applicables à l’ensemble des lanceurs d’alerte ainsi qu’à leur entourage protégé.

1) Un abondement du compte personnel de formation du salarié (CPF)

À l’occasion de tout litige, le conseil de prud’hommes peut, en complément de toute autre sanction, obliger l’employeur à abonder le CPF du salarié ayant lancé l’alerte jusqu’à son plafond (art. 8, 1°), soit 8 000 euros [45].

Cette mesure a pour objet de faciliter la reconversion du lanceur d’alerte, lorsque sa réintégration ou son maintien dans l’entreprise n’est plus possible. En effet, bien souvent, les représailles de l’employeur vont avoir pour effet de rompre le lien de confiance avec le lanceur d’alerte et compromettre l’avenir de ce dernier dans l’entreprise [46].

2) Les sanctions contre les actions en justice abusives

La loi « Sapin 2 » a créé un délit d’entrave à l’alerte et punit toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende [47].

La loi du 21 mars complète cette disposition. Elle porte, en cas d’action abusive ou dilatoire dirigée contre un lanceur d’alerte, le montant de l’amende civile à 60 000 euros, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure.

Une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision pénale est également ajoutée (art. 9, I, 1°).

Conclusion. Un des objectifs de la proposition de loi « Waserman » [48], outre la transposition de la Directive, était de rendre le système de protection des lanceurs d’alerte « cohérent, complet et performant ». L’avenir dira si ces objectifs seront atteints. Si, effectivement, le nouveau dispositif facilite le déclenchement des alertes et accroît la protection des lanceurs d’alerte en sanctionnant plus rigoureusement les mesures de représailles et en leur offrant un accompagnement, en revanche, s’agissant de la recherche de cohérence, le compte n’y est pas. Les travaux préparatoires ont, de ce point de vue, sérieusement complexifié certaines dispositions de la proposition de loi dans le but louable de rendre le dispositif plus intelligible et de mieux articuler les différents régimes d’alerte. On l’a vu à propos de l’analyse des dispositions protégeant le lanceur d’alerte contre les discriminations. Sans dire que la question du maintien de la jurisprudence fondée sur l’article 10, § 1, de la Convention EDH reste posée. Ce régime survivra-t-il à titre subsidiaire pour pallier les insuffisances du dispositif légal ?

[1] N. Lenoir, Le lanceur d’alerte. Une innovation française venue d’outre-Atlantique, JCP E, 2015, 1492.

[2] Dispositifs couramment désignés sous l’appellation de whistleblowing, terme qui signifie littéralement souffler dans un sifflet et, par extension, sonner l’alarme.

[3] L. Gamet, Le whistleblowing (ou le salarié mouchard), Bull. Joly Sociétés, mars 2006, p. 307 ; CNIL, Délib. n° 2005-110 et n° 2005-111, 26 mai 2005 N° Lexbase : X2560AD8. V. aussi, Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3615EPL.

[4] F. Barrière, Les lanceurs d’alerte, Revue des sociétés, 2017, p. 191.

[5] Résol. 1729 (2010) et Rec. CM/Rec (2014) 7, sur la protection des lanceurs d’alerte.

[6] V. not., CEDH, 12 février 2008, Req. 14277/04, Guja c/ Moldavie N° Lexbase : A7465D4A ; CEDH, 18 octobre 2011, Req. 10247/09, Sosinowska c/ Pologne ; CEDH, 21 juillet 2011, Req. 28274/08, Heinisch c/ Allemagne.

[7] V., reprenant les propos de Sylvain Waserman, l’auteur de la proposition de loi, J.-Ph. Foegle, J.-P. Markus, La loi sur les lanceurs d’alerte adoptée le 16 février 2022 est-elle vraiment la « meilleure d’Europe » ?, Les surligneurs.eu [en ligne].

[8] P. Lagesse, V. Armillei, Le statut du lanceur d’alerte, Rev. internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, 2019, n° 2, étude n° 64.

[9] Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale N° Lexbase : L1438AW8.

[10] Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption N° Lexbase : L2607H3X.

[11] Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé N° Lexbase : L5048IRE et loi n° 2013-316 du 16 avril 2013, relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte N° Lexbase : L6336IWL.

[12] Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3622IYS.

[13] Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW.

[14] Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement N° Lexbase : L9309KBE.

[15] C. Mathieu, F. Terryn, Le statut de lanceur d’alerte en quête de cohérence, RDT, 2016, p. 159 ; Conseil d’État, Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger, Doc. fr., 2016, p. 46 [en ligne].

[16] V. les sondages réalisés pour le compte de l’Association Transparency France, Fraudes, malversations, lanceurs d’alerte… comment réagissent les salariés français ?, étude cabinet Technologia, novembre 2015 ; Lanceurs d’alerte : quelle perception de la part des salariés ?, Harris interactive, novembre 2015.

[17] V. Conseil d’État, préc., p. 43.

[18] P. Morvan, Sur la défense des valeurs par la jurisprudence sociale récente, RJS, 7/2018, p. 543.

[19] Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0019RWM, D., 2016, p. 1740, note J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; Cah soc., octobre 2016, n° 289, p. 478, obs. J. Icard. Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 19-25.754, FS-B N° Lexbase : A62994YX, JCP S, 2021, 1254, note B. Bossu ; JSL, 7 octobre 2021, n° 527-3, p. 12, obs. H. Nasom-Tissandier ; Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-10.057, FS-B N° Lexbase : A76997IY, JCP S, 2022, 1056, note B. Bossu ; RDT, 2022, p. 106, note S. Maillard. V. sur la question, J. Colonna, V. Renaux-Personnic, Le salarié lanceur d’alerte : quelle protection par la Chambre sociale de la Cour de cassation ?, Rev. de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale, 2022-2, à paraître.

[20] Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, préc.. V. B. Querenet-Hahn, A. Renard, Le régime de protection des lanceurs d’alerte issu de la loi Sapin 2, JCP S, 2018, 1095 ; P. Adam, A propos de la protection générale des lanceurs d’alerte dans l’entreprise privée (commentaire de la loi dite « Sapin II » du 9 décembre 2016), RJS, 5/2017, p. 355.

[21] La transposition d’une directive par une proposition de loi est une chose assez rare pour être signalée.

[22] Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte N° Lexbase : L0484MCW. La loi entrera en vigueur le 1er septembre 2022.

[23] La loi élargit aussi le champ de l’alerte en ajoutant « la violation du droit de l’Union européenne » et « l’information sur une tentative de dissimulation d’une violation » d’une des normes visées dans la définition du lanceur d’alerte.

[24] Rapp. n° 4663 et 4664 au nom de la Commission des lois, 10 novembre 2021, p. 16.

[25] V., en ce sens, D. Lochak, Les lanceurs d’alerte et les droits de l’homme : réflexions conclusives, Rev. des droits de l’Homme, 10/2016 ; F. Barrière, art. préc.. V. cependant, les observations du Conseil d’État (Avis n° 404001, 4 novembre 2021, p. 4 [en ligne]) qui craint que la suppression de cette exigence n’ouvre trop largement l’objet de l’alerte, tout particulièrement dans les relations de travail.

[26] J. Colonna, V. Renaux-Personnic, art. préc..

[27] La Chambre sociale de la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur ce point, mais certaines juridictions ont, en effet, refusé d’accorder la protection aux salariés n’ayant pas respecté cette procédure : CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 6 janvier 2022, n° 20/14225 N° Lexbase : A57377HX ; CA Aix-en-Provence, 14 février 2019, n° 18/08647 N° Lexbase : A0673YX9.

[28] En cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles (art. 8, II).

[29] Transposant les articles 7 à 15 de la Directive n° 2019/1937.

[30] Sont également visés les actionnaires, associés et titulaires de droits de vote au sein de l’assemblée générale de l’entreprise, les membres de l’organe d'administration, de direction ou de surveillance ; les collaborateurs extérieurs et occasionnels et les cocontractants de l'entreprise concernée, à leurs sous-traitants ou, lorsqu'il s'agit de personnes morales, aux membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance de ces cocontractants et sous-traitants ainsi qu'aux membres de leur personnel.

[31] Les modalités en seront définies par un décret en Conseil d’État.

[32] Les conditions seront définies par un décret en Conseil d’État.

[33] Un décret en Conseil d’État fixera la liste des autorités compétentes, ainsi que les modalités de recueil et de traitement des alertes externes.

[34] Les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec son consentement. Ils peuvent toutefois être communiqués à l’autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci. Le lanceur d’alerte en est alors informé, à moins que cette information ne risque de compromettre la procédure judiciaire. Des explications écrites sont jointes à cette information. Les signalements ne peuvent être conservés que le temps strictement nécessaire et proportionné à leur traitement et à la protection de leurs auteurs, des personnes qu’ils visent et des tiers qu’ils mentionnent, en tenant compte des délais d’éventuelles enquêtes complémentaires. Des données relatives aux signalements peuvent toutefois être conservées au-delà de cette durée, à la condition que les personnes physiques concernées n’y soient ni identifiées, ni identifiables.

[35] Une loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 N° Lexbase : L0483MCU renforce le rôle du Défenseur des droits en matière de protection des lanceurs d’alerte.

[36] L’article L. 1321-2 du Code du travail N° Lexbase : L6800K9Q est modifié en conséquence.

[37] La loi réécrit les articles L. 1152-2 N° Lexbase : L8841ITM et L. 1153-2 du Code du travail N° Lexbase : L8842ITN afin d’améliorer la protection des salariés ayant subi ou refusé de subir des faits de harcèlement moral ou sexuel ou dénonçant de tels faits et de la coordonner avec le régime général de protection des lanceurs d’alerte (art. 7, 4° et 5°). La loi réécrit également dans le même objectif l’article L. 4133-3 N° Lexbase : L8726LGB, relatif à la protection du salarié auteur d’une alerte en matière de santé publique et d’environnement (art. 7, 10°).

[38] C. trav., art. L. 1132-3-3 N° Lexbase : L7446LBE, dans sa version antérieure.

[39] Directive (UE) n° 2019/1937, 23 octobre 2019, art. 21. 5.

[40] C. trav., art. L. 1134-1 N° Lexbase : L2681LBW.

[41] C. trav., art. L. 1154-1 N° Lexbase : L6799K9P.

[42] Dont l’application au lanceur d’alerte de l’article L. 1121-2 du Code du travail N° Lexbase : L0917MCX relève du même renvoi « en cascade » que décrit précédemment.

[43] Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0019RWM ; Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 19-25.754, FS-B N° Lexbase : A62994YX.

[44] La loi modifie également l’article 225-1 du Code pénal N° Lexbase : L2676LBQ.

[45] C. trav., art. L. 6323-11-1 N° Lexbase : L8187LRN.

[46] Rapp. Waserman, préc., p. 55.

[47] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 N° Lexbase : L6482LBP, art. 13, I.

[48] Proposition de loi n° 4398, p. 4 et s..

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