Le Quotidien du 3 mai 2022 : Voies d'exécution

[Brèves] Gel des avoirs : quid des conséquences sur la prescription des intérêts dus sur les sommes gelées ou sur la majoration du taux d’intérêt légal ?

Réf. : Cass. ass. plén., 29 avril 2022, n° 18-18.542 et n° 18-21.814 B+R N° Lexbase : A75827UD

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par Alexandra Martinez-Ohayon

le 03 Mai 2022

Relevons qu’en 2021, la CJUE, interrogée par la Cour de cassation, a indiqué qu’aucune mesure conservatoire n’est possible, sans autorisation de l’autorité compétente, sur des avoirs gelés. Dans cet arrêt, l’Assemblée plénière tire les conséquences sur la prescription des intérêts ou sur la majoration du taux d’intérêt légal ; énonçant qu'une mesure conservatoire ou d’exécution forcée interrompt le délai de prescription des intérêts, et lorsque les avoirs d'un débiteur sont gelés et que les conditions dans lesquelles l'autorité française compétente peut autoriser le déblocage de certains d'entre eux ne sont pas réunies ou que celle-ci a refusé de les débloquer, la prescription extinctive est suspendue à l'égard des créanciers pendant toute la durée de la mesure de gel.

La Haute juridiction énonce que la majoration du taux d’intérêt légal est prévue pour inciter le débiteur à exécuter sans tarder la décision le condamnant et que le juge peut tenir compte de la situation du débiteur subissant un gel de ses avoirs, pour moduler ou non la majoration du taux d’intérêt légal.

Contexte. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de 2006, transposée en droit européen, a conduit au gel des avoirs d’une banque iranienne désignée par les Nations unies comme participant à un programme de missiles balistiques en Iran.

Par un arrêt du 26 avril 2007 de la cour d’appel de Paris, la banque a été déclarée responsable d’agissements délictueux et condamnée à verser certaines sommes avec intérêts au taux légal à deux sociétés américaines. Compte tenu du gel de ses avoirs, les deux sociétés américaines n’ont pas pris de mesures conservatoires ou d’exécution forcée contre la banque iranienne. Le 17 janvier 2016, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé le dégel des avoirs de la banque iranienne, qui à compter de cette date en a donc retrouvé la disposition.

Les sociétés américaines ont fait délivrer des commandements de payer et des saisies ont alors été pratiquées contre la banque iranienne. Cette dernière a assigné les créancières devant le juge de l’exécution pour voir trancher les intérêts au taux légal des causes des saisies.

L’ensemble des parties ont chacune formé un pourvoi, et un arrêt a été rendu (Cass. ass. plén., 10 juillet 2020, n° 18-18.542 et n° 18-21.814, P+B+R+I N° Lexbase : A93843QM).

Moyen du pourvoi n° 18-18.542 de la banque iranienne. L’intéressée fait grief à l’arrêt (CA Paris, 8 mars 2018, n° 17/02093 N° Lexbase : A4868XGE) d’avoir rejeté ses demandes tendant à la voir exonérer de la majoration du taux d’intérêt légal réclamée par les sociétés créancières, et de dire et juger que les intérêts dus aux sociétés américaines seront calculés selon le taux d'intérêt légal à l'exception de toute majoration. En l’espèce, pour rejeter la demande d’exonération, les juges d’appel ont retenu que l’indisponibilité de la créance de la Société Générale résultait du gel de ses avoirs ne constituant pas un élément de sa situation permettant son exonération.

Réponse de la cour. Les Hauts magistrats après avoir rappelé que le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration du taux de l'intérêt légal ou en réduire le montant retiennent la solution précitée, au visa de l’article L. 313-3 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7599HIB, et relèvent que la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et a violé le texte précité.

Dans le communiqué, il est relevé que compte tenu du fait que la banque iranienne n’était pas en mesure d’exécuter sa condamnation, le juge pouvait tenir compte de cette situation pour moduler la majoration des intérêts dus aux deux sociétés américaines.

Moyen du pourvoi n° 18-21.814 des sociétés américaines. Les demanderesses font grief à l’arrêt de dire prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et de les retrancher des causes des saisies. En l’espèce, pour dire prescrits les intérêts courus antérieurement à la date précitée, la cour d’appel a retenu que rien n'interdisait aux sociétés demanderesses d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie-attribution.

Réponse de la cour. Les Hauts magistrats énonçant la solution précitée censurent le raisonnement des juges d’appel. Ils ont préalablement rappelé les réponses de la Cour de justice de l’Union européenne répondant aux questions préjudicielles qui lui avaient été renvoyées par l’arrêt du 10 juillet 2020, en énonçant qu’il ressort de cette réponse qu'aucune sûreté judiciaire ni aucune saisie conservatoire, qui assurent au créancier que sa créance sera réglée par préférence aux autres créanciers sur le bien qui en fait l'objet, ne peut être diligentée sur des avoirs gelés sans autorisation préalablement délivrée par l'autorité française compétente. Bien plus, ils relèvent que, dès lors, qu’une saisie-vente d'avoirs gelés étant impossible, le créancier qui poursuit l'exécution du titre exécutoire dont il dispose n'est pas tenu de délivrer un commandement aux fins de saisie-vente dans l'unique but d'interrompre la prescription.

Le communiqué énonce que pendant la période au cours de laquelle les avoirs de la banque iranienne étaient gelés, le délai de prescription des intérêts ne pouvait courir au détriment des deux sociétés américaines. En effet, le gel des avoirs empêchant toute mesure conservatoire ou d’exécution forcée, qui aurait permis d’interrompre le délai de prescription.

En l’espèce, l’Assemblée plénière, casse et annule, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, mais seulement en ce qu'il dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, retranche des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et dit que les frais devront être recalculés en conséquence, et en ce qu'il rejette la demande de la banque iranienne d'exonération de la majoration du taux de l'intérêt légal.

Pour aller plus loin :

  • N. Fricéro et G. Payan, Chronique de procédures civiles d’exécution – mars 2021, Lexbase Droit privé, mars 2021, n° 859 N° Lexbase : N6877BYD ;
  • A. Martinez-Ohayon, Mesure de gel des fonds et des ressources économiques : précisions de l’Assemblée plénière sur la nature et les conséquences de cette dernière, Lexbase Droit privé, juillet 2020, n° 832 N° Lexbase : N4101BYK.

 

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