Le Quotidien du 3 mai 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Neuf ans après, la justice tente de juger la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge

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[A la une] Neuf ans après, la justice tente de juger la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/84549372-a-la-une-neuf-ans-apres-la-justice-tente-de-juger-la-catastrophe-ferroviaire-de-bretignysurorge
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par Vincent Vantighem

le 24 Octobre 2022

Une sorte d’agrafe en métal d’une dizaine de kilos au cœur des débats. Et huit semaines d’audience pour tenter d’y voir clair. Le procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne) s’est ouvert lundi 25 avril 2022 au tribunal judiciaire d’Évry. L’objectif : comprendre pourquoi et comment l’Intercités 3657 entre Paris et Limoges a déraillé le 12 juillet 2013 fauchant sept vies et faisant plus de 400 blessés. Sur le banc des prévenus, deux personnes morales – la SNCF et la SNCF Réseau (anciennement appelée Réseau ferré de France) et une seule personne physique. Laurent Waton, cheminot, est en effet le seul responsable physique de l’accident aux yeux des juges d’instruction. Huit jours avant le drame, il avait inspecté les voies et n’avait pas remarqué qu’une éclisse, espèce d’agrafe permettant de relier deux rails entre eux, était fragilisée. C’est donc pour « une faute », pour « un manque d’attention » qu’il est jugé actuellement, quand son ancienne entreprise, la SNCF et sa filiale chargée de la maintenance, doivent répondre d’homicides involontaires et de blessures involontaires.

            Le procès s’annonce d’ailleurs comme une belle bataille d’experts. Avec d’un côté, ceux qui ont travaillé lors de l’instruction et estimé que la SNCF aurait dû, aurait pu, se rendre compte que cette pièce était fragile et pouvait provoquer un drame. Et ceux, essentiellement cités par la SNCF, qui vont plaider le problème métallurgique insoupçonnable. « Il est évident qu’avec une catastrophe pareille, c’est un procès important pour la SNCF, a déclaré Emmanuel Marsigny, l’avocat de l’entreprise publique. Mon client n’a jamais prétendu que le système était parfait » mais « jamais au regard des difficultés rencontrées, la sécurité n’a été en jeu... »

Un jeune cheminot sur le banc des prévenus

           Au milieu de ces débats se trouve donc Laurent Waton, jeune cheminot, chargé de gérer l’équipe de maintenance du secteur à l’époque des faits. Chemise bleue sur le dos, mains bien à plat sur le pupitre, il a d’ores et déjà été interrogé pendant trois heures par le tribunal, mercredi 27 avril. Non pas sur les faits, mais sur sa personnalité. Sur ce qui doit permettre d’éclairer les débats alors que les victimes, nombreuses, assistent au procès dans un silence de cathédrale.

            À la barre, le jeune homme a justement commencé par présenter ses « pensées » aux victimes. « Il n’y a pas un jour sans que je ne pense à cette catastrophe. Je connais leurs noms. Je les connaîtrai jusqu’à ma mort. » Mais, évidemment, et c’est le but de ce type de procès, les quatre magistrats chargés de l’audience sont allés fouiller au plus profond de sa vie d’alors pour tenter de comprendre l’incompréhensible. En juillet 2013, Laurent Waton avait 24 ans. Diplôme d’ingénieur en poche, il avait découvert la maintenance des voies à la SNCF à l’occasion d’un stage. « Ça a été un coup de cœur », a-t-il lâché avec enthousiasme. De quoi l’amener à diriger une équipe de dix-neuf personnes et à veiller sur 50 kilomètres de voies dans un des secteurs les plus empruntés de l’agglomération parisienne.

            Mais, au détour des questions, le jeune homme n’est pas parvenu à lever les interrogations des parties civiles. Était-il trop jeune pour avoir cette responsabilité là ? Était-il suffisamment affûté alors que ses horaires étaient délirants et que ses SMS ont mis en lumière son goût pour « la bringue » ? Au-delà de son état d’esprit à l’époque des faits, le tribunal judiciaire a d’ailleurs passé de longues minutes déjà à éplucher ses SMS de l’époque. Parce qu’ils posent question. Parce qu’ils laissent entendre qu’il aurait pu, sur les conseils de ses supérieurs, tenter de manipuler les enquêteurs lors de ses premières auditions. « Pas facile de passer cinq heures à ne pas se faire comprendre », écrivait-il ainsi après avoir été entendu par un officier de police judiciaire, laissant planer le doute.

            Évidemment, lui s’en défend. Il explique qu’il n’a été briefé par personne. Et d’ailleurs qu’il a été mis sur la touche après le drame, le forçant, au final, à changer de boulot quelque temps plus tard. Mais il y a beaucoup de doutes autour de cette affaire. Et le principal concerne son ordinateur portable… Un outil rempli de données qu’il prétend avoir laissé dans son bureau pour justement aider les enquêteurs dans leur travail après la catastrophe alors que lui était parti en vacances. Mais un outil qui a disparu étrangement avant d’être découvert, complètement vide, dans un local désaffecté de la gare de Brétigny-sur-Orge…

Les agents briefés par le service juridique ?

            Mais faire peser la responsabilité d’un tel drame sur les épaules d’un seul homme n’est pas possible. Et dans ce dossier, c’est surtout la SNCF qui joue gros. Au cours de l’enquête, les magistrats instructeurs avaient souligné « les difficultés rencontrées » pour recueillir auprès de la SNCF des « documents essentiels permettant de retracer les opérations de maintenance ». Ils ont aussi regretté que la majorité des agents ait été entendue, avant leurs auditions, par le service juridique de l’entreprise pour « y recevoir des consignes » selon les mots des juges. Lundi 25 avril, lors de l’ouverture des débats, Emmanuel Marsigny a pourtant assuré que la SNCF avait « toujours collaboré ». « Il n’a jamais été question de la part de la SNCF ni de sa direction juridique d’interférer de quelque manière que ce soit, ni de faire entrave à l’enquête. »

           L’accusation reproche aussi et surtout au gestionnaire des voies, la SNCF Réseau, « des fautes » ayant « conduit à l’absence de renouvellement anticipé » de la voie ou à « l’insuffisance des effectifs » ainsi que des défaillances « dans l’organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance ». Le procès doit durer jusqu’au 18 juin.

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