La lettre juridique n°903 du 21 avril 2022 : Procédure pénale

[Jurisprudence] La cassation de l’arrêt d’appel n’empêche pas d’aggraver le sort de l’auteur du pourvoi

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-985 QPC, du 1er avril 2022, Société Concept immo et a. N° Lexbase : A77847RQ

Lecture: 25 min

N1182BZS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La cassation de l’arrêt d’appel n’empêche pas d’aggraver le sort de l’auteur du pourvoi. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/83767747-jurisprudencelacassationdelarretdappelnempechepasdaggraverlesortdelauteurdupourvoi
Copier

par Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne - Université Paris I

le 21 Avril 2022

Mots-clés : reformatio in pejus • renvoi après cassation • recours juridictionnel effectif • dissuasion • aggravation de la peine

La Cour de cassation avait jugé sérieuse l’objection selon laquelle, en permettant à une cour de renvoi d’aggraver le sort du prévenu alors qu’il a seul formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel le condamnant, on risquerait de dissuader ce prévenu de former un tel recours. Pour garantir l’effectivité du recours « pourvoi en cassation », il faudrait éviter qu’il ne se retourne contre la personne poursuivie. Mais le Conseil constitutionnel auquel une question prioritaire a donc été renvoyée sur ce point n’est pas du même avis. Il refuse d’analyser l’effectivité du pourvoi au regard de ses suites et d’admettre, en application du principe de faveur, que le pouvoir d’appréciation de la cour de renvoi puisse être réduit dans une telle hypothèse. Il donne une leçon de procédure pénale – bien discutable – à l’attention de la chambre criminelle de la Cour de cassation !


Quelle portée reconnaître à la prohibition de la reformatio in pejus ? La question vient d’être posée au Conseil constitutionnel dans l’hypothèse particulière d’un renvoi après cassation alors que l’appel du jugement de première instance avait été formé tant par le prévenu que par le ministère public mais que l’arrêt n’avait été frappé de pourvoi que par le prévenu.

Dans une telle hypothèse, l’article 609 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4438AZE se contente de disposer que : « Lorsque la Cour de cassation annule un arrêt ou un jugement rendu en matière correctionnelle ou de police, elle renvoie le procès et les parties devant une juridiction de même ordre et degré que celle qui a rendu la décision annulée ». Ce texte ne précise pas les pouvoirs de la juridiction de renvoi.

La société Immo Concept lui a reproché son laconisme puisqu’il n’empêche pas la nouvelle cour d’appel d'aggraver la peine antérieurement prononcée dans le cas où la cassation est intervenue sur le seul pourvoi d’un prévenu. Il a été soutenu que, dans ce cas, le prévenu serait dissuadé de former un pourvoi contre l’arrêt qui le condamne. Il s’ensuivrait une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.

La Cour de cassation ne l’a pas exclu ; elle a accepté de renvoyer au Conseil une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point. Pour notre Haute juridiction, la question présentait un caractère sérieux car, « en ne prévoyant pas que la cour d'appel saisie sur renvoi après cassation, intervenue sur le seul pourvoi du prévenu, ne peut aggraver la peine antérieurement prononcée, les dispositions critiquées sont susceptibles de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif en dissuadant le prévenu de se pourvoir contre un arrêt irrégulièrement rendu » [1].

Une telle justification pourrait appeler bien des réserves. En effet, le pourvoi en cassation n’est pas l’équivalent de l’appel : il ne s’agit pas d’amener une autre juridiction à rejuger l’affaire en fait et en droit mais d’amener une juridiction de nature différente (la Cour de cassation n’étant pas un troisième degré de juridiction) à examiner la régularité de la décision rendue : son contrôle en droit est l’équivalent d’un contrôle de légalité ; elle ne réforme pas la décision attaquée mais l’annule si nécessaire. Partant de là, on ne saurait dire que l’action publique est encore exercée à ce stade et attacher de quelconques conséquences à la qualité de l’auteur du pourvoi sur l’étendue du pouvoir d’appréciation de la Cour. Il lui appartient de corriger toute application erronée de la règle de droit indépendamment du point de savoir s’il en résulte une aggravation de la situation de la personne poursuivie lorsque celle-ci a seule agi devant elle [2]. En réalité, l’action publique est suspendue durant l’examen du pourvoi [3]. On ne saurait donc déduire de l’absence de pourvoi du ministère public que celui-ci renonce à voir les faits entièrement rejugés par la cour de renvoi dans l’éventualité d’une cassation sur le seul pourvoi d’un prévenu. L’objet du pourvoi en cassation est trop spécifique pour que l’on puisse tirer une telle conclusion. Il s’ensuit qu’en cas de censure les parties se trouvent devant la cour de renvoi dans la même situation que devant la cour d’appel : si le ministère public a fait appel incident du jugement, la cour de renvoi peut aggraver le sort du prévenu auteur de l’appel principal et du pourvoi suivi de la cassation entraînant sa saisine [4].

Mais ce n’est pas sur ce terrain que le Conseil constitutionnel s’est placé, le 1er avril 2022, lorsqu’il a écarté le grief tiré d’une méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1363A9D et jugé l’article 609 du Code de procédure pénale conforme à la Constitution.

Certes, il a rappelé qu’il découle de cet article 16 « qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » (§ 3), ce qui est une interprétation particulièrement audacieuse de ce texte mais qui n’apparaît pas nouvelle et n’appelle pas d’observations particulières ici [5].

À la suite, le Conseil a estimé que « en application des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour d'appel de renvoi, statuant sur les appels qui avaient été formés par le prévenu et le ministère public, peut aggraver la peine antérieurement prononcée, y compris lorsque la cassation est intervenue sur le seul pourvoi du prévenu » (§ 4). La jurisprudence constante à laquelle il fait allusion correspond à ces quelques arrêts ayant jugé que « la cour de renvoi doit statuer non seulement sur l'appel du prévenu mais également sur celui du ministère public et peut aggraver la peine antérieurement prononcée, même si la cassation est intervenue sur le seul pourvoi du prévenu » [6].

Ensuite, le Conseil a raisonné en deux temps. Il a d’abord observé que « ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité pour la personne condamnée de former un pourvoi en cassation et d'obtenir l'annulation de la décision attaquée » (§ 5). Puis, le Conseil relève que, en cas d’annulation, l’affaire « sera à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi », ce qui n’est pas toujours le cas mais il est vrai que l’hypothèse d’une cassation sans renvoi (COJ, art. L. 411-3 N° Lexbase : L2546LBW) ne présentait guère d’intérêt ici. Le Conseil conclut : la circonstance que la cour de renvoi « puisse aggraver la peine antérieurement prononcée dans le cas où le ministère public avait fait appel de la décision de première instance est ainsi sans incidence sur l'effectivité du pourvoi en cassation » (§ 6). Partant de là, il écarte tout grief sans convaincre véritablement. En effet, ces rappels des règles applicables ne répondent pas à la question posée qui commandait de prendre un peu de hauteur et de s’intéresser moins aux dispositions du Code de procédure pénale qu’au droit d’exercer un recours effectif tel qu’il est déduit de la Constitution. Car, si la réponse ainsi apportée semble formellement irréprochable, elle ne résout pas la difficulté : elle se désintéresse de l’effectivité du recours en question (I) et refuse toute valeur constitutionnelle au principe de faveur qui fonde pourtant la prohibition de la reformatio in pejus (§ II).

I. Quid de l’effectivité du recours ?

Le Conseil constitutionnel a entendu faire ici de la technique. Il se montre ainsi capable de maîtriser la procédure pénale et d’en comprendre la logique. Cependant, le raisonnement développé prouve trop car, à l’instar d’une interprétation littérale, il passe à côté de la difficulté résultant de l’application du texte querellé. À la lettre, en effet, il est bien clair que l’article 609 du Code de procédure pénale n’a pas pour objet de restreindre les conditions dans lesquelles un pourvoi en cassation peut être exercé. Le Conseil le rappelle avec un surprenant manque d’esprit critique. Il ne voit pas où un problème peut exister alors même que la Cour de cassation a qualifié de sérieuse la question qu’elle lui a renvoyée. Quand on songe à la sévérité du filtre qu’opère sa Chambre criminelle, on peut s’inquiéter de la désinvolture avec laquelle répond l’organe de la rue de Montpensier. Il y a quelque chose de tout à fait sidérant à le voir faire la leçon à notre Haute juridiction sur les effets du pourvoi en cassation et ses conséquences sur la procédure pénale ! N’étant pas saisi directement par un plaideur, qu’il pourrait suspecter d’être exagérément imaginatif ou animé d’un esprit dilatoire, mais par la gardienne de la légalité en matière pénale, le Conseil aurait dû s’interroger davantage sur le sens de la question posée.

Il aurait pu le faire d’autant plus aisément qu’était en cause ici une voie de recours extraordinaire à l’égard de laquelle il n’est pas certain que s’applique l’exigence d’un droit de recours effectif. Son office de cour constitutionnelle aurait dû l’inciter à réfléchir davantage au droit au recours ici invoqué qu’à la norme censée porter atteinte à ce droit. Il aurait ainsi été intéressant de savoir si les conséquences que le Conseil tire de l’article 16 de la Déclaration de 1789 valent devant toutes les juridictions répressives ou seulement devant celles qui statuent en fait et en droit. Le Conseil se serait grandi en approfondissant ce point et en précisant, au besoin, ce que l’on doit entendre par pourvoi effectif au sens de la Constitution. Or, il s’en est abstenu, comme il s’abstient le plus souvent, de préciser le périmètre du droit fondamental en cause : dans sa jurisprudence, le grief tiré d’une violation du droit à un recours effectif se trouve le plus souvent écarté et, lorsqu’une disposition est déclarée non conforme à la Constitution sur ce fondement, c’est essentiellement parce qu’aucun recours n’est ouvert à une personne à laquelle préjudicie pourtant une décision [7]. Dès lors qu’un recours existe, peu importe le délai très bref dans lequel il est enfermé [8] ou les formalités au respect desquelles il est subordonné [9]. Le Conseil ne vérifie pas son effectivité [10]. Il se contente de possibilités indirectes de contestation de la décision pour écarter tout grief sans s’interroger sur la pertinence de celles-ci [11]. Partant de là, sa jurisprudence s’avère plutôt décevante sur un tel fondement [12]. Au cas particulier, il perd une occasion de la préciser. Car, en effet, il existait bien ici un recours et la difficulté était uniquement de savoir si ce recours était effectif. Cela commandait de sa part une analyse beaucoup plus fine des termes du problème.

Si le Conseil avait rempli pleinement son office, il aurait sans doute réalisé que la question posée concernait en réalité moins les conditions de recevabilité du recours en cassation que l’effet dissuasif s’attachant à l’absence de précisions quant à ses effets. Le Conseil aurait alors pu redonner tout son sens à la question posée, qui concernait moins les conditions d’exercice du pourvoi que le fait de savoir si l’exposition du prévenu à un risque de voir sa condamnation aggravée par la cour de renvoi n’était pas de nature à le dissuader d’exercer une telle voie de recours. Peu importe que, en l’espèce, il n’ait pas été expressément saisi de la non-conformité à la Constitution de l’article 515, alinéa 2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3906AZP, texte qui n’était pas directement applicable et qui, de ce fait, aurait pu entraîner l’irrecevabilité de la QPC. La règle énoncée par ce texte était implicitement mais nécessairement invoquée : c’est sa combinaison avec l’article 609 du même code qui posait problème ici. La prohibition de la reformatio in pejus a valeur de principe dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui l’applique au-delà même des hypothèses dans lesquelles la loi la prévoit [13]. Au cas particulier, c’est cette règle qui a justifié le renvoi au Conseil de la QPC. On pouvait donc attendre de celui-ci qu’il se demande s’il est possible de déduire du droit à un recours effectif l’interdiction pour une cour de renvoi d’aggraver le sort du prévenu seul auteur du pourvoi formé contre l’arrêt d’appel.

La réponse à une telle question n’a rien d’évident mais elle aurait mérité d’être posée afin que l’on puisse délimiter clairement le périmètre du droit en cause. Notons que la Cour de cassation a, elle, admis au visa de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR, de l’article 2 du Protocole n° 7 à ladite Convention, ainsi que de l’article préliminaire du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1305MAL et de l’article 132-19 du Code pénal N° Lexbase : L7614LPP, que l’exercice du droit d’appel « ne saurait constituer un motif d'aggravation de la peine prononcée par les premiers juges » [14]. En statuant de la sorte, notre Haute juridiction a voulu éviter qu’un prévenu ne renonce à contester une décision de première instance par crainte d’une aggravation de sa peine en appel. L’hypothèse n’est pas exactement la même que celle posée au Conseil constitutionnel en l’espèce et elle n’appelle pas nécessairement la même réponse. Mais elle montre à tout le moins qu’une juridiction soucieuse de défendre le droit à un recours effectif peut tout à fait se demander si les conséquences d’un recours ne sont pas de nature à en limiter la portée dès lors qu’elles dissuadent un condamné de l’exercer. En effet, l’effectivité du recours est un élément à part entière du droit en question qu’il convient de faire respecter.

II. Quid de la reformatio in pejus ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité ériger l’interdiction d’aggraver le sort de l’auteur d’un recours en droit fondamental. Il ignore cette règle au motif qu’elle n’est pas directement exprimée par le texte attaqué (C. proc. pén., art. 609) et décrit les conséquences immédiates de l’application de ce texte en se gardant bien d’examiner celle qui était invoquée par l’auteur de la QPC. Partant de là, aucune réflexion n’est menée sur les raisons qui ont poussé le législateur à prévoir l’interdiction de la reformatio in pejus à plusieurs endroits du Code de procédure pénale [15] et qui auraient pu justifier, selon l’auteur de la question, une approche plus générale dégagée soit dans le cadre d’une réserve d’interprétation, soit dans le cadre d’une déclaration de non-conformité avec invitation lancée au législateur d’introduire une telle garantie [16]. Or, parmi les justifications de cette règle, il y a la volonté de ne pas dissuader la personne poursuivie d’exercer le recours, comme l’a reconnu la Cour de cassation en transmettant la question litigieuse. En l’ignorant, le Conseil constitutionnel témoigne d’une maîtrise de la procédure pénale tout à fait sélective. Il n’admet que ce qu’il lit en se gardant bien d’examiner le procès pénal dans son ensemble. Ici, il s’abstient de voir dans la prohibition de la reformatio in pejus une conséquence nécessaire du droit à un recours effectif.

Mais, à cette première observation, on peut en ajouter une seconde. Le Conseil constitutionnel ne semble a fortiori pas prêt à consacrer un principe de faveur en matière pénale qui aiderait à l’interprétation des dispositions répressives dans une logique résolument libérale [17]. Pourtant, ce principe inspire différentes dispositions constitutionnelles. En droit pénal de fond, la principale d’entre elles est sans nul doute l’article 8 de la Déclaration de 1789 (DDHC) N° Lexbase : L1372A9P dont le Conseil déduit la valeur constitutionnelle de la rétroactivité in mitius. En droit pénal de forme, la principale d’entre elles est sans nul doute l’article 9 du même texte N° Lexbase : L1373A9Q consacrant la présomption d’innocence, d’où l’on conclut que le doute doit nécessairement profiter à l’accusé. En réalité, d’une manière plus générale, ce principe innerve toute la matière pénale car il fonde également l’exigence de légalité : dans la conception libérale d’origine, ce principe s’est imposé afin de limiter le pouvoir de répression de l’État. L’idée, encore affirmée à l’article 5 de la DDHC N° Lexbase : L1369A9L, reste que tout ce qui n’est pas interdit par la loi ne peut être empêché. La liberté étant le principe, l’incrimination ne constitue qu’une exception devant être interprétée restrictivement. Les magistrats doivent veiller à ne pas sanctionner plus que le trouble à l’ordre public identifié par le législateur. Peu importe ce que dicte la morale ou l’opinion publique. Les magistrats doivent résister au besoin de répression qui monte du corps social [18]. Le prononcé d’une peine n’étant pas une fin en soi, l’interprétation de la loi pénale doit être faite dans l’intérêt de la personne poursuivie et non dans le souci de défendre l’ordre public [19]. Une peine ne doit pas être prononcée dans un seul souci d’efficacité répressive. Certes, nous sommes loin aujourd’hui de cette approche qui fait nécessairement de la loi pénale une loi odieuse (parce que limitant, sous la menace des pires sanctions, la liberté de chacun). Elle est pourtant à l’origine de la Déclaration de 1789. Le Conseil ne saurait l’ignorer. Mais il se montre lui-aussi sensible aux discours sécuritaires et refuse d’accorder à ce texte la portée générale qu’il mérite [20]. Les limites imparties à la rétroactivité in mitius suffisent à le montrer [21].

En l’état, il convient donc d’observer que cette décision témoigne d’une occasion manquée. Mais était-ce vraiment la bonne occasion ? Car, nous avons tenté de le montrer en introduction, la solution contestée en l’espèce se défend. Pourquoi faudrait-il déduire une interdiction d’aggraver le sort de la personne poursuivie sous prétexte que cette personne a seule formé un pourvoi contre l’arrêt qui la condamne ?

D’abord, il convient de souligner que la justification même de cette règle n’est pas unanime. Ainsi, de Hauts magistrats l’expliquent autrement : « L’interdiction de la reformation in pejus se fonde sur l’idée qu’en aggravant le sort d’une partie appelante, alors que les autres parties qui ont comparu en première instance n’ont pas fait appel, les juges d’appel leur donneraient une satisfaction qui ne leur a pas été demandée et statueraient ainsi ultra petita. Ce principe peut être critiqué. En effet, il pourrait être admis au contraire qu’une personne qui fait appel le fasse à ses risques et périls » [22]. Cette seule explication ne manque pas de surprendre mais elle n’a rien d’illogique. Elle témoigne seulement d’un désintérêt total pour le principe de faveur qu’elle n’incite pas à consacrer [23].

Ensuite, il convient de rappeler que ladite règle ne joue en réalité que de manière tout à fait exceptionnelle. Si elle est présentée comme un principe de justice élémentaire qui pourrait même jouer en cas de renvoi, dans le cadre d’un recours en révision [24], elle ne s’applique que rarement. En effet, le ministère public fait systématiquement appel incident en cas d’appel principal d’un prévenu ou d’un accusé. Le plus souvent, cet appel incident a pour seul objectif de neutraliser la règle en question afin de permettre à la juridiction statuant en second d’aggraver éventuellement le sort du prévenu ou de l’accusé si elle estime son recours abusif. Le surcroît de sévérité en appel n'a fréquemment pas d’autre explication. Or, le législateur en est parfaitement conscient et il ne s’y oppose pas. Il n’a jamais imaginé de supprimer ou de soumettre cette possibilité d’appel « a minima » du ministère public [25] à des conditions particulières qui empêcheraient un tel raisonnement. Il s’ensuit, à notre sens, que la prohibition de la reformatio in pejus n’a pas la portée que l’auteur de la question lui prêtait ici [26]. À cet égard, la prudence dont fait preuve le Conseil constitutionnel est peut-être justifiée. Le pourvoi rompt la logique d’affrontement procédural qui prévaut devant les juridictions de fond, ce qui interdit de lui attacher les mêmes conséquences qu’un appel. Il ne faudrait pas, dès lors, qu’au seul motif de se pourvoir en cassation un plaideur puisse contester la décision qui le condamne sans prendre d’autre risque que de la voir confirmée.

 

[1] Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 21-84.632, F-D N° Lexbase : A03527LM.

[2] V., S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, 12e éd., 2019, p. 1402, n° 2579, soulignant que « l’interdiction de la reformatio in pejus, celle qui aggraverait le sort du demandeur, n’interdit pas à la chambre criminelle de dire le droit en reconnaissant, sur le pourvoi du prévenu, que le tribunal correctionnel était incompétent parce que l’infraction était un crime (Cass. crim., 24 juillet 1956, B n° 574) ».

[3] V., admettant la suspension de la prescription : Cass. crim., 1er juin 1995, n° 94-82.590, 94-82.610, 94-82.614 N° Lexbase : A6413C8Z ; Cass. crim., 19 avril 1983 : Bull. crim., n° 111.

[4] Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-84.084, F-D N° Lexbase : A7660NMN : A. Maron et M. Haas, obs., Dr. pén., 2015, comm. 48, jugeant fort pédagogiquement que : « sur renvoi après cassation, même intervenue sur le seul pourvoi du prévenu, la cour d'appel est saisie, sauf en ce qui concerne les dispositions non annulées, de la cause telle qu'elle s'était présentée devant la juridiction précédente, de sorte qu'appelée à statuer, non seulement sur l'appel de ce prévenu, mais encore sur celui du ministère public, elle peut aggraver la peine antérieurement prononcée par le tribunal ».

[5] V., tenant semble-t-il pour la première fois ce raisonnement : Cons. const., décision n° 96-373 DC, 9 avril 1996, § 83 N° Lexbase : A8338ACS.

[6] Cass. crim., 13 oct. 2015, n° 14-87.111, F-P+B N° Lexbase : A5897NTL : A. Maron et M. Haas, obs., Dr. pén., 2015, comm. 168 ; V. aussi, Cass. crim., 21 juin 1966, n° 65-91.304 N° Lexbase : A4185CIT et Cass. crim., 31 janvier 1857 : Bull. crim., n° 40.

[7] V., s’agissant de la purge des nullités opposée à un accusé qui n’a pas été informé de la procédure ouverte contre lui : Cons. const., décision n° 2021-900 QPC, 23 avril 2021, § 13 N° Lexbase : A10544Q4 – V., aussi, Cons. const., décision n° 2021-899 QPC, 23 avril 2021, § 13 N° Lexbase : A10534Q3 ; Cons. const., décision n° 2019-791 QPC, 21 juin 2019, § 9 N° Lexbase : A9477ZEQ ; Cons. const., décision n° 2018-712 QPC, 8 juin 2018, § 13 N° Lexbase : A4534XQY. Lorsque la décision ne préjudicie pas à la personne mais est prise dans son intérêt, le Conseil refuse de s’inquiéter de l’absence de recours : Cons. const., décision n° 2004-492 DC, 2 mars 2004, § 125 N° Lexbase : A3770DBA.

[8] Cons. const., décision n° 2016-561/562 QPC, 9 septembre 2016, § 18 N° Lexbase : A4005RZD ; Cons. const., décision n° 2016-602 QPC, 9 décembre 2016, § 27 N° Lexbase : A1550SP4.

[9] Cons. const., décision n° 2013-311 QPC, 17 mai 2013, § 5 N° Lexbase : A5437KDQ.

[10] Il est allé jusqu’à juger que « le caractère non suspensif d'une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 » (Cons. const., décision n° 2019-787 QPC, 7 juin 2019, § 9 N° Lexbase : A4269ZDH).

[11] Cons. const., décision n° 2018-704 QPC, 4 mai 2018, § 9 N° Lexbase : A1936XMN. V., aussi, Cons. const., décision n° 2020-863 QPC, 13 novembre 2020, § 12 N° Lexbase : A340434T ; Cons. const., décision n° 2018-758 QPC, 31 janvier 2019, § 13 N° Lexbase : A6434YUT ; Cons. const., décision n° 2018-705 QPC, 18 mai 2018, § 11 N° Lexbase : A9686XMP.

[12] V., ttfois, s’agissant d’une décision à venir qui n’était enfermée dans aucun délai : Cons. const., décision n° 2016-543 QPC, 24 mai 2016, § 16. - Mais le Conseil a aussitôt limité cette prise de position en estimant qu’un délai raisonnable s’impose en toute hypothèse : Cons. const., décision n° 2016-596 QPC, 18 novembre 2016, § 9 N° Lexbase : A3268SHI.

[13] V., jugeant en dehors de tout texte que, « en cas d'appel d'une ordonnance de réduction supplémentaire de peine, le président de la chambre de l'application des peines ne peut, sur le seul appel du condamné, aggraver le sort de l'appelant » : Cass. crim., 12 février 2014, n° 13-81.683, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1256MEA : F. Fourment, obs., Gaz. Pal., 13 mai 2014, n° 178 ; Cass. crim., 15 octobre 2014, n° 13-85.365, F-D N° Lexbase : A6535MYP ; Cass. crim., 18 mars 2015, n° 13-86.724, F-D N° Lexbase : A1813NEU et n° 14-84.434, F-D N° Lexbase : A1747NEG.

[14] Cass. crim., 24 janvier 2007, n° 03-85.061, F-P+F N° Lexbase : A9622DTK.

[15] V., non seulement à l’article 515, alinéa 2, du Code de procédure pénale en matière correctionnelle, mais aussi, aux articles 380-3 et 380-6, du même code, en matière criminelle.

[16] Ce grief d’incompétence négative semble systématiquement écarté par le Conseil : Cons. const., décision n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, § 380 N° Lexbase : A5079Y4U ; Cons. const., décision n° 2017-664 QPC, 20 octobre 2017, § 18 N° Lexbase : A1282WWE.

[17] V., sur ce principe, E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 6e éd., 2021, pp. 94-109.

[18] Evidemment, les positivistes italiens qui dénonçaient la logique formelle induite par le principe de légalité contestèrent de la même façon la prohibition de la reformatio in pejus (E. Ferri, La sociologie criminelle, traduit de l'italien par L. Terrier, F. Alcan, 2e éd., 1914, p. 496).

[19] Ici, un auteur l’a bien noté : « L'intérêt de la société semble donc l'emporter dans ce cas sur celui du prévenu » (P.D. de Boivilliers, La règle de l’interdiction d’aggraver le sort du prévenu, RSC, 1993, p. 694, n°26).

[20] V. E. Dreyer, Droit pénal général, préc., p. 328 et s.

[21] Cons. const., décision n° 2010-74 QPC, 3 décembre 2010, § 3 N° Lexbase : A4388GMH.

[22] F. Desportes et L. et Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, coll. Corpus Droit privé, 4e éd., 2015, p. 2225, n° 3405.

[23] Un autre auteur souligne avec plus de nuances que cette règle tend non seulement à ménager les droits de la défense mais aussi le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement : « En rendant une sentence plus sévère sans que le Ministère public l'ait requis, le magistrat de la cour d'appel statuerait ultra petita » (J. Leblois-Happe, Le libre choix de la peine par le juge, Dr. pén., 2003, étude, n° 11). On ajoutera que l’explication précédente repose essentiellement sur un avis du Conseil d’État du 12 nov. 1806 auquel une valeur législative était reconnue sans aucune discussion.

[24] S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, op. cit., p. 1388, n° 2555. V., aussi, admettant dans le même esprit que cette règle appartient aux principes généraux du droit disciplinaire : CE, 1er février 2017, n° 384483 N° Lexbase : A4620TBQ : B. Seiller, obs., Gaz.Pal., 13 juin 2017, n°22, p. 34

[25] Formule de J. Leroy, Procédure pénale, Lgdj, 7e éd., 2021, n°1016. V., aussi, E. Dreyer et O. Mouysset, Procédure pénale, Lgdj, 2e éd., 2019, n° 756.

[26] D’autant qu’elle n’a jamais été étendue en cas d’opposition à jugement rendu par défaut : Cass. crim., 7 novembre 1941 : DC 1942.9, rap. Nast. ; Cass. crim., 2 mars 1882 : DP 1882.1.240.

newsid:481182