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N1112BZ9
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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine
le 15 Avril 2022
Mots-clés : agent immobilier • nullité du mandat • commission • préemption • diagnostic technique • notaire • responsabilité • opportunité économique • défiscalisation • nullité de la vente • restitution du prix • erreur sur la fiscalité • pourparlers • offre d'achat • garantie des vices cachés • pollution • droit de rétractation • courrier électronique
La revue Lexbase Droit privé inaugure un nouveau rendez-vous d’actualité avec la chronique de droit de la vente immobilière, sous la plume de Maître Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine.
Cette matière, en constante évolution compte tenu d'une jurisprudence particulièrement abondante de la Cour de cassation dans ce domaine, sera appréhendée largement, puisque la chronique a vocation à traiter, outre les problématiques du contrat de vente d’immeubles stricto sensu, d’autres contentieux en lien direct avec la vente d’immeubles, celui des agents immobiliers d’une part, et celui de la responsabilité des notaires d’autre part.
Pas moins d'une quinzaine de décisions, pour la plupart inédites au bulletin de la Cour de cassation, ont été sélectionnées par l'auteur pour cette première chronique, couvrant la période de janvier à mars 2022.
Sommaire
1. Convention ultérieure au mandat nul de l’agent immobilier
Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-16.698, F-D
Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 18-21.694, F-D
Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-14.534, F-D
2. Rémunération proportionnelle de l’agence et conséquence d’un prix moindre après préemption
Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-17.028, F-D
3. Responsabilité de l’agent immobilier
Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-22.341, F-D
Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-15.900, F-D
4. Droit à commission face à l’attitude fautive de l’acquéreur
Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-13.619, F-D
5. Opportunité économique et efficacité fiscale de l’opération
Cass. civ. 1, 2 février 2022, n° 20-14.296, F-D
6. Faute du notaire et absence de préjudice
Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-11.837, F-D
7. Garantie du notaire fautif pour les restitutions après nullité de l’acte
Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-15.194, F-D
8. Responsabilité du notaire pour erreur sur la fiscalité
Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-14.375, F-D
9. Pourparlers et formation du contrat
Cass. civ. 3, 16 mars 2022, n° 21-10.586, F-D
10. Délai pour agir en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ?
Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B
11. Pollution et vices cachés
Cass. civ. 3, 19 janvier 2022, n° 21-10.073, F-D
12. Rétractation de l’acquéreur par courrier électronique au notaire
Cass. civ. 3, 2 février 2022, n° 20-23.468, FS-D+B
1. Convention ultérieure au mandat nul de l’agent immobilier (Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-16.698, F-D N° Lexbase : A79617HC ; Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 18-21.694, F-D N° Lexbase : A90217Q8 ; Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-14.534, F-D N° Lexbase : A19277KL)
Le droit à rémunération de l’agent immobilier est subordonné à l’existence d’un mandat respectant les prescriptions de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite « loi Hoguet » N° Lexbase : L7536AIX. Spécialement, l’article 6 de ladite loi impose à l’agent immobilier d’obtenir un mandat donné par une des parties, préalablement à toute recherche ou négociation. L’irrespect de ces prescriptions entraine la perte du droit à rémunération. Par exemple, dans l’hypothèse de l’agent qui a agi en vertu d’un mandat seulement verbal [1]. Dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, la Cour de cassation en tire la conséquence, évidente, que, en l’absence de mandat, l’agent immobilier ne peut faire grief au propriétaire de l’avoir écarté des négociations commerciales ayant abouti à la vente.
Une autre affaire récente, soumise à la Haute juridiction le 16 mars 2022, est particulièrement intéressante à ce titre. En l’espèce, un mandat avait été donné pour la vente d’un bien immobilier au prix de 8 000 000 d’euros ; la commission étant stipulée égale à la différence entre le prix stipulé et ce plancher. Ce premier mandat était entaché de nullité. Le bien est néanmoins négocié pour 10 500 000 euros. Un protocole d’accord intervient alors entre agence et vendeur, reconnaissant un droit à commission de 1 100 000 (au lieu de 2 500 000). La vente intervient ensuite par acte authentique, avec stipulation d’un échelonnement du prix. En conséquence de quoi, l’agence échelonne également le paiement de sa commission. Postérieurement à la vente, vendeur et acquéreur s’entendent pour différer le paiement du dernier terme du prix. À cette occasion, le vendeur précise à l’agence que sa facture corrélative, de 40 000 euros, sera payée lorsque la fraction de prix correspondante, soit 1 500 000 euros, lui sera payée par l’acquéreur.
Nonobstant la nullité du mandat initial, la cour d’appel fait droit au paiement par l’agence de l’intégralité de sa commission, telle que stipulée au protocole (CA Aix-en-Provence, 2ème ch,21 juin 2018, n° 15/11224 N° Lexbase : A5977XTK). La solution est censurée par la Cour de cassation. Reprenant une solution déjà formulée [2], elle décide que « si l'une des parties peut s'engager, hors mandat, à rémunérer les services de l'agent immobilier, cet engagement n'est valable que lorsqu'il est postérieur à la réitération de la vente par acte authentique ». En conséquence de quoi, l’engagement du vendeur de payer la commission de 40 000 est valable, s’agissant d’un engagement postérieur à la vente. Et le vendeur ne peut alors plus se prévaloir de la nullité du mandat pour refuser le paiement. En revanche, le protocole, quand bien même il reconnaît un droit à commission au profit de l’agence, ne peut produire effet, étant antérieur à la vente.
Une solution similaire est formulée dans une autre espèce examinée le 19 janvier 2022 par la Cour suprême, où une agence commercialise, sans mandat valable, la vente en plusieurs lots d’un immeuble. La Cour de cassation conforte le paiement intervenu après certaines des ventes, tout en considérant que ce paiement n’a pas pour effet de pallier l'absence de mandat pour les ventes intervenues postérieurement.
2. Rémunération proportionnelle de l’agence et conséquence d’un prix moindre après préemption (Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-17.028, F-D N° Lexbase : A89197QE)
Les mandats d’agent immobilier stipulent, ou bien une rémunération forfaitaire, ou bien une commission calculée en un pourcentage du prix de vente. La réglementation (décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, art. 75 N° Lexbase : L8042AIP) dispose que si le mandat prévoit une rémunération forfaitaire, celle-ci peut être modifiée lorsque le prix de vente ou de cession retenu par l'engagement des parties est différent du prix figurant dans le mandat. En revanche, elle ne dit rien dans l’hypothèse de la commission liquidée après application du pourcentage prévu.
Dans une affaire récente, un mandat de vente prévoyait une vente de terrain moyennant le prix de 80 euros le m² net vendeur, et une commission fixée à 6 % hors taxe du prix net vendeur « qui serait réellement perçu par le vendeur ». Une promesse de vente notariée constate l’accord des parties à ce prix, et calcule la commission d’agence à près de 800 000 euros. Les terrains font l’objet d’une préemption par la communauté urbaine. Et le prix est judiciairement fixé, selon les terrains, de 11,53 à 14,99 euros le m². La commission de l'agent immobilier se trouve ramenée à 126 716,35 euros TTC. L’agence agit alors en responsabilité contre le notaire, en indemnisation du manque à gagner. La cour d’appel (CA Rennes, 1ère ch., 19 mai 2020) retient la faute du notaire « en ne fixant pas, dans le compromis, la rémunération de l'agent immobilier à un montant de 6 % sur une base intangible de 80 €/m² ». Ce qui entraîne la censure par la Cour de cassation. Elle considère que l’agent immobilier ne peut recevoir aucune autre somme que celle prévue dans son mandat ; ici un pourcentage du prix effectivement perçu par le vendeur. Dit autrement : le montant indiqué par le notaire dans la promesse de vente, en appliquant le pourcentage au prix stipulé, n'a pas pour effet de transformer la commission en rémunération forfaitaire. De sorte qu’une baisse de prix ultérieure fait varier la commission en conséquence. La Cour justifie à raison sa solution, en considérant que c’est le mandat qui fonde le droit à rémunération (loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, art. 6) ; l’acte notarié ne faisant que rendre la commission exigible en constatant que l'opération a bien été conclue par l’intermédiaire de l’agence (décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, art. 72 et 73).
3. Responsabilité de l’agent immobilier (Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-22.341, F-D N° Lexbase : A88367QC ; Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-15.900, F-D N° Lexbase : A80697HC)
Il n’existe pas de texte spécifique sur la responsabilité de l’agent immobilier. En conséquence, il convient d’appliquer le droit commun de la responsabilité contractuelle, ainsi que les règles du mandat édictées au Code civil. De ces textes généraux, la jurisprudence induit un devoir de conseil et d’information à la charge de l’agent immobilier, dont le manquement est susceptible d’engager sa responsabilité [3]. Ce principe n’est pas sans limites, toutefois. La jurisprudence récente en donne deux illustrations.
Dans une première affaire soumise à la Cour de cassation le 16 mars 2022, une clause de la vente indiquait le risque de mérules dans le bâtiment objet de la vente ; en dépit de quoi l’acquéreur sollicitait la réception de la vente sans l’établissement d’un diagnostic spécifique à ce propos. Par malheur, la mérule s’avère bien présente dans le bien acquis. Et l’acquéreur agit en responsabilité contre l’agent immobilier, pour manquement à son devoir de conseil, en n’ayant pas conseillé l’établissement d’un diagnostic. Cette responsabilité est écartée, en considérant que l’acquéreur, au demeurant professionnel de l’immobilier, avait été suffisamment averti du risque : l’acte de vente pointait l'état de vétusté de l'habitation, l'absence d'occupation depuis plusieurs années, et les diagnostics avertissaient clairement de l'humidité présente dans certains murs, susceptible de conduire à la présence de mérules. Face à un acquéreur ainsi averti, l’agent immobilier n’avait pas à déconseiller la vente sans un diagnostic spécial relatif à la mérule.
Dans une seconde affaire examinée le 5 janvier 2022 par la Cour suprême, l’agent immobilier agissait en entremise dans le cadre d’une sous-location. Il avait mis en relation le locataire d’un bien immobilier avec deux sociétés devenues sous-locataires. Lors de la négociation, l’agent avait transmis l’information donnée par le locataire à propos de la taxe foncière, en indiquant un montant de 563 euros. Quelques temps après, il s’est avéré que la taxe foncière était plutôt d’un montant de 12 000 euros ! Il se trouve que le bailleur ne récupérait pas le bon montant de taxe foncière auprès de son locataire, ce qui avait induit ce dernier en erreur. Les sous-locataires agissent en garantie contre l’agent immobilier, lui reprochant de n’avoir pas vérifié la réalité du montant de la taxe foncière. Sa responsabilité est néanmoins écartée, en considérant que son mandant n'avait pas connaissance lui-même du problème, tant que l'impôt foncier ne lui avait pas été réclamé pour le bon montant par son bailleur, de sorte que l'attention de l'agent immobilier ne pouvait pas être spécialement attirée sur son caractère éventuellement erroné.
4. Droit à commission face à l’attitude fautive de l’acquéreur (Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-13.619, F-D N° Lexbase : A18047KZ)
Aux termes de l'article 6 de la loi « Hoguet » précitée, aucune commission ne peut être perçue, en principe, avant la conclusion de la vente constatée dans un écrit contenant l’engagement des parties. En conséquence, si la promesse de vente est caduque, par exemple par la défaillance de la condition suspensive de prêt, l’agent immobilier ne peut prétendre obtenir le paiement de sa commission [4]. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venu tempérer ce principe [5], en affirmant que « l'acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l'avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice ».
Une affaire récente a été l’occasion de préciser ce dernier principe. En l’espèce, la vente n’avait pas abouti par suite d’un refus de prêt opposé au potentiel acquéreur. L’agence avait tenté d’obtenir le paiement de sa commission, en invoquant le comportement fautif de l’acquéreur. La cour d’appel rejette sa demande, en se fondant sur les dispositions de la promesse de vente, selon laquelle « l'indemnisation du mandataire pour le préjudice causé par la faute de l'acquéreur défaillant est subordonnée à ce que le vendeur ait lui-même agi, avec succès, devant le tribunal compétent aux fins de déclarer la condition suspensive du prêt réalisée » - ce qui n’était pas le cas en l’espèce (CA Reims, 22-11-2019, n° 18/02187 N° Lexbase : A4130Z3D). Le raisonnement encourt la censure de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 19 janvier 2022 : celle-ci considère que les textes régissant la responsabilité délictuelle sont d'ordre public, et que leur application ne peut être limitée ou neutralisée contractuellement par anticipation. Sur ce dernier point, la décision prend appui sur le principe général dégagé en droit des contrats, selon lequel il n’est pas possible de limiter contractuellement sa responsabilité délictuelle [6]. On aurait pu ajouter que l’agent immobilier n’est pas partie à la promesse de vente, et l’on ne voit pas comment ses stipulations en sa défaveur pourraient lui être opposables.
5. Opportunité économique et efficacité fiscale de l’opération (Cass. civ. 1, 2 février 2022, n° 20-14.296, F-D N° Lexbase : A52347LG)
Deux grandes idées se dégagent en matière de responsabilité notariale dans l’hypothèse de l’investissement malheureux.
D’une part, il est affirmé que le notaire n’est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher [7]. Ainsi, il a été jugé que, dans le cas d’une faillite du promoteur avant la réalisation des travaux, le notaire n'était pas tenu d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier qu'il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente [8].
D’autre part, il appartient au notaire, au titre de son devoir de conseil, d’alerter sur l’incertitude fiscale du projet du client [9]. Ainsi, dans le cas d’une donation en démembrement, faisant perdre le bénéfice du dispositif « Borloo neuf », car celui-ci requiert d’avoir la pleine propriété [10].
Mais la pratique est plus nuancée. En effet, les plaideurs tentent souvent, en se plaignant sur le volet fiscal, d’être en réalité indemnisé d’un investissement ruineux. Ainsi, dans le cas d’une résidence inachevée par le promoteur, les acquéreurs ont pu être indemnisés en invoquant le défaut d’information du notaire sur la nécessité de louer l’immeuble à usage de tourisme, pour bénéficier de l’avantage fiscal désiré [11].
C’est le même schéma qui se retrouve dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 2 février 2022. Le vendeur avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire, n’avait jamais payé son loyer, et n’avait jamais réalisées les prestations promises. L’acquéreur se trouvait donc face à un investissement malheureux, face auquel l’impossibilité de bénéficier de l’avantage fiscal désiré apparaissait une perte accessoire. C’est pourtant sur ce volet fiscal que les acquéreurs déçus tentent d’obtenir réparation du notaire, puisque l’inopportunité économique ne relève pas de la responsabilité notariale. En l’espèce les plaideurs arguaient que le notaire avait connaissance de l’objectif de défiscalisation, mais que nulle information à ce propos n’apparaissait dans son acte. Les informations adéquates sur la défiscalisation en résidence senior figuraient seulement dans le projet de bail commercial annexé à l’acte de vente. Mais la Cour de cassation ne les suit pas dans leur raisonnement, où il s’agit plus de réparer un préjudice économique que de réellement se plaindre d’un défaut de conseil fiscal. Aussi, juge-t-elle, en renvoyant à l’appréciation des juges du fond, que les acquéreurs avaient bien été informés des conditions légales permettant l'obtention des avantages fiscaux visés.
6. Faute du notaire et absence de préjudice (Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-11.837, F-D N° Lexbase : A80277HR)
La responsabilité du notaire relève de l’article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. Dit autrement, la responsabilité du notaire est de nature délictuelle [12]. Sa mise en jeu suppose donc une faute, un préjudice, et un lien de causalité entre les deux. En conséquence de quoi, le notaire peut être fautif, sans pour autant être responsable. Ainsi, une jurisprudence bien établie considère que, en cas d’annulation de la vente, l’obligation du vendeur de restituer le prix est une opération de justice commutative, et n’est pas en soi un préjudice réparable [13].
Une affaire récente vient illustrer encore cette idée. En l’espèce, une vente en viager avait été judiciairement annulée en appel, pour inexécution de ses obligations par l’acquéreur. Un notaire reçoit un acte de vente, à la demande du propriétaire apparent, peu après l’arrêt de cour d’appel, sans se soucier d’un éventuel pourvoi. Or, sur renvoi après cassation, la vente en viager initiale se voit maintenue. Et le vainqueur du procès agit alors en revendication contre l’occupant de son bien. La faute du notaire ayant reçu la vente n’est pas discutée. Mais l’acquéreur évincé échoue néanmoins à être indemnisé du notaire pour l’indemnité d’occupation qu’il doit verser au véritable propriétaire. Selon la Cour de cassation, l'indemnité d'occupation due au propriétaire par l'acquéreur évincé à la suite de l'annulation d'un contrat de vente est la contrepartie de l'occupation du bien et ne constitue pas un dommage ; de sorte que les demandes de dommages-intérêts formées à l'encontre du notaire devaient être écartées.
7. Garantie du notaire fautif pour les restitutions après nullité de l’acte (Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-15.194, F-D N° Lexbase : A50327QG)
La jurisprudence est désormais solidement établie autour de deux idées en cas de nullité d’un acte de vente découlant de la faute du notaire. D’une part, la restitution du prix après nullité n’est pas en soi un préjudice réparable, puisqu’il s’agit d’une opération de justice commutative où chacun est remis dans la situation antérieure à l’acte. D’autre part, le notaire dont la faute a contribué à la nullité de l’acte est garant subsidiaire de la restitution envers la partie qui en est créancière, en cas de défaillance avérée de celle qui en est débitrice [14].
Ce principe et son exception viennent d’être réaffirmés dans une espèce où la cour d’appel avait considéré que l’obligation du vendeur de restituer le prix n’était pas en lien direct avec la faute du vendeur ayant conduit à la nullité de la vente (CA Amiens, 6 février 2020, n° 16/05495 N° Lexbase : A53483DG).
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2022 vient toutefois apporter une précision bienvenue. Dans le cas d’un achat par un particulier, la nullité de la vente implique la nullité du prêt qui l’a financée (C. consom., art. L. 312-12). Selon la même logique que précédemment, il est alors décidé que les restitutions dues par la banque (intérêts et frais de dossier) à la suite de l'anéantissement du contrat de prêt ne constituent pas, en elles-mêmes, un préjudice réparable [15]. Mais dans l’espèce, l’acquéreur était un professionnel, et le prêt souscrit restait valable. La cour d’appel avait estimé que les intérêts du prêt, les frais de tenue de compte, l’assurance du prêt, les frais de constitution de dossier et de caution, étaient inhérents au risque de l'opération, et qu'ils n'étaient pas en lien direct avec les manquements du notaire. Cette solution entraîne la censure de la Cour de cassation, qui considère que les frais d’emprunt engagés par l'acquéreur avaient été exposés en pure perte, ce dont le notaire doit réparation.
8. Responsabilité du notaire pour erreur sur la fiscalité (Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-14.375, F-D N° Lexbase : A50907QL)
Là encore, même à supposer la faute du notaire, la responsabilité n’est pas systématique. En principe, le paiement de l’impôt dû n’est pas en soi un préjudice [16]. Mais le notaire est responsable de la perte de chance de s’exposer au paiement de cet impôt [17]. Si la règle se formule aisément, sa mise en œuvre pratique n’est pas évidente.
Ainsi, dans une affaire récente, où la mère avait donné l’usufruit à son fils, s’en réservant la nue-propriété. Le problème est que le notaire commet une erreur sur l’évaluation de l’usufruit. En effet, dans l’hypothèse où l’usufruitier donne son droit à l’enfant déjà nu-propriétaire, où lorsqu’il conserve l’usufruit à l’occasion d’une donation de nue-propriété, l’usufruit est évalué en fonction de l’âge du donateur (CGI, art. 669 N° Lexbase : L7730HLU). Mais si, comme dans l’espèce, la propriétaire donne seulement l’usufruit à son enfant, l’usufruit s’évalue en fonction de l’âge de celui sur la tête duquel il est constitué. Le notaire se méprend sur l’âge à retenir, et évalue l’usufruit donné à 50 % de la propriété (en fonction de l’âge de la donatrice), au lieu de 90 % (en fonction de l’âge du donataire). L’opération donnant lieu à un redressement fiscal, la donatrice agit en responsabilité contre le notaire. La cour d’appel estime que le donataire ne subit pas de préjudice, estimant, à tort, que l’enfant n’aura pas de droit de succession à acquitter lors du décès de sa mère (alors que la nue-propriété se retrouvera dans la succession). La cour d’appel considère, également, à raison cette fois, que la donation d’usufruit sort le bien de l’assiette de l’ISF, dans l’hypothèse où la donatrice y est assujettie.
Mais la Cour de cassation, par sa décision en date du 9 mars 2022, censure ce raisonnement, en considérant que cela ne suffit pas à démontrer que, en l'absence de faute du notaire, la donatrice n'aurait pas opté pour une solution fiscalement plus avantageuse. Ce qui est l’occasion de reformuler une solution de principe : le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable, sauf s'il est établi que, dûment informé ou conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.
9. Pourparlers et formation du contrat (Cass. civ. 3, 16 mars 2022, n° 21-10.586, F-D N° Lexbase : A88587Q7)
La jurisprudence ne cesse de fournir des illustrations de la distinction entre pourparlers – libres - et offre acceptée - qui contraint les parties. L'article 1112 du Code civil N° Lexbase : L1975LKD dispose que « l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ». Et l'article 1102 du Code civil N° Lexbase : L0823KZI précise que « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ». De l’autre côté, l'article 1113 du Code civil N° Lexbase : L0841KZ8 dispose que « le contrat est formé par la rencontre d'une l'offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ».
Dans une espèce récente, un couple avait proposé d'acquérir un bien immobilier sans avoir recours à un prêt, pour le prix de 735 000 euros. Les propriétaires avaient d’abord accepté cette offre ; avant de préciser ne pas donner suite, ayant trouvé un acquéreur plus offrant. La cour d’appel avait analysé la manœuvre comme une rupture – licite – de pourparlers (CA Paris, 4, 1, 20 novembre 2020, n° 18/21521 N° Lexbase : A319837L. Pour la Cour de cassation, au contraire, il s’agit d’une vente parfaite, avec accord sur la chose et sur le prix, dont le vendeur ne peut se dédire.
10. Délai pour agir en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ? (Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B N° Lexbase : A42167HM)
L’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK prévoit que l’action en garantie des vices cachés doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Ce délai peut être interrompu par une demande en justice, jusqu'à l'extinction de l'instance (C. civ., art. 2242 N° Lexbase : L7180IA8). Mais se pose la question de savoir si ce délai est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès (C. civ., art. 2239 N° Lexbase : L7224IAS).
La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, vient de se prononcer sur la question. Dans cette affaire, un acte de vente annexe un diagnostic de l'installation d'assainissement non collectif, effectué par la Saur, qui la juge conforme. Après la vente, un nouveau diagnostic est fait, par Veolia, qui estime l’installation vétuste, incomplète et polluante. Un expert judiciaire est désigné, à la demande de l’acquéreur, par ordonnance de référé du 24 juillet 2013. Ce dernier dépose son rapport le 20 novembre 2015. Le 28 juin 2016, l’acquéreur assigne les vendeurs, le notaire, et la Saur, en résolution de la vente pour vices cachés. La cour d’appel rejette la demande comme tardive (CA Rennes, 15-09-2020, n° 18/04241 N° Lexbase : A72163TG). L’acquéreur, dans son pourvoi, invoque le bénéfice de l’article 2239 du Code civil, et la suspension du délai pendant la durée de l’expertise judiciaire. Par application littérale de l’article 2220 du Code civil N° Lexbase : L7188IAH, il a déjà été jugé que ce texte n’est pas applicable aux délais de forclusion [18].
Mais cela pose la question de la nature du délai pour agir en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ? Dans cette espèce, la Cour de cassation écarte la suspension pendant l’expertise judiciaire, et juge qu’il s’agit d’un délai de forclusion. En cela, elle renoue avec une décision antérieure, qui l’affirmait déjà [19]. Mais la jurisprudence semble toutefois hésitante sur le sujet, puisque d’autres décisions récentes avaient qualifié le délai de prescription [20].
11. Pollution et vices cachés (Cass. civ. 3, 19 janvier 2022, n° 21-10.073, F-D N° Lexbase : A19877KS)
Il existe actuellement un fort contentieux dans l’hypothèse de découverte par l’acquéreur d’une pollution sur le terrain acquis. Plusieurs décisions sont venues écarter, en cette hypothèse, la stipulation – classique – de non-garantie des vices cachés par le vendeur. Rappelons que l’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 pose le principe de la garantie des vices cachés par le vendeur. Ce texte est toutefois supplétif, et il est possible de stipuler une absence de garantie, si le vendeur n’est pas de mauvaise foi, et s’il n’est pas un professionnel de l’immobilier. S’agissant de ces questions de pollution, il faut toutefois tenir compte du texte de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement N° Lexbase : L9425IZ4. Ce dernier dispose : « Lorsqu'une installation soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation. […] À défaut, et si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la pollution, l'acheteur a le choix de demander la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la réhabilitation du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente. »
Sur cette base, la jurisprudence a pu sanctionner le vendeur, dans l’hypothèse où il avait alerté l’acquéreur sur la présence de trois cuves enterrées, alors qu’il y en avait en réalité six, avec une importante pollution aux métaux et hydrocarbures [21]. Même chose dans l’hypothèse de cuves enterrées qui se sont avérées fuyardes postérieurement à la vente, où la clause de non-garantie est écartée, car le vendeur était le dernier exploitant du garage automobile [22].
C’est une espèce similaire qui a été soumise à la Cour de cassation le 19 janvier 2022. Une société achète trois lots de lotissement à une commune. Lors de la construction des ateliers et bureaux projetés, sont mis à jour deux fosses en béton enfouies, d'une trentaine de mètres de long chacune, dont l'une contenait des tôles amiantées. L’acquéreur agit en garantie contre la commune. Celle-ci se défend en invoquant la clause de non-garantie des vices cachés stipulée dans la vente, et le fait qu’elle n’était pas tenue de faire des investigations sur le terrain vendu. Pourtant, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel, en retenant la garantie de la commune. En effet, le titre antérieur, entre la commune et la SNCF, précisait l’existence de fosses enterrées dans les parcelles cédées. Et, même si la commune ne les avait pas localisées, elle connaissait le risque à ce propos. De sorte que, à l’occasion de la revente, elle devait, soit effectuer des sondages suffisamment profonds pour déterminer où se trouvaient les fosses en cause soit, à défaut, informer ses futurs acquéreurs du risque potentiel. Sinon, la clause d’exclusion de garantie ne pouvait recevoir application, le vendeur ayant connaissance du vice.
12. Rétractation de l’acquéreur par courrier électronique au notaire (Cass. civ. 3, 2 février 2022, n° 20-23.468, FS-D+B N° Lexbase : A14117LT)
Si la notification de l’avant-contrat de vente immobilière donne lieu à une jurisprudence régulière, il est plus rare de voir des arrêts sur l’exercice du droit de rétractation lui-même. Une récente décision de la Cour de cassation mérite donc d’être soulignée. D’une lecture rapide, l’arrêt semble permettre de se rétracter par un simple courriel au notaire. Mais la solution est plus nuancée : bien plutôt, c’est l’attestation du notaire d’avoir reçu le courriel de rétractation qui dispense l’acquéreur de notifier sa décision de manière plus formelle. Nous renvoyons, pour le surplus, à notre note plus développée déjà rédigée sur cet arrêt [23].
[1] Cass. com., 17 novembre 1980, n° 78-15.770, publié au bulletin N° Lexbase : A9161CHR.
[2] Cass. civ. 1 , 14 juin 1988, n° 86-17.375, publié au bulletin N° Lexbase : A2066AHY; Cass. civ. 1, 29 janvier 1991, n° 89-15.129, publié au bulletin N° Lexbase : A4559ACT ; Cass. civ. 1, 2 oct. 2001, n° 99-13.961, inédit au bulletin N° Lexbase : A1509AWS.
[3] Par ex., Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-24.381, F-P+B+I N° Lexbase : A9954Z7S.
[4] Cass. civ. 1, 14 mai 1962 : Bull. civ. I, n° 244
[5] Ass. plén., 9 mai 2008, n° 07-12.449 N° Lexbase : A4497D83.
[6] Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-13.407, F-D N° Lexbase : A8429WLR.
[7] M. Poumarède, Opportunité économique de l’opération et devoir de conseil et de mise en garde du notaire : JCP N 2012, n° 5, 1063.
[8] Cass. civ. 1, 26 septembre 2019, n° 18-21.402, F-D N° Lexbase : A0437ZQA.
[9] A. Labarian, La responsabilité professionnelle des notaires pour manquement à leur devoir de conseil en matière fiscale : Defrénois 2011, art. 39198. A.-V. Le Fur, La responsabilité dans les opérations immobilières de défiscalisation : JCP E 2017, 1611.
[10] Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-22.147, F-D N° Lexbase : A3468Z49.
[11] Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 18-21-919, F-D N° Lexbase : A47103AP.
[12] Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-25.424, F-D N° Lexbase : A1630IZE.
[13] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 10-26.790, F-D N° Lexbase : A1242IIT.
[14] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 10-26.790, précité ; Cass. civ. 3, 11 juillet 2019, n° 18-16.690, F-D N° Lexbase : A3354ZKG.
[15] Cass. civ. 1, 2 juillet 2014 n° 12-28.615, F-P+B N° Lexbase : A2611MTU.
[16] Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-13.014, F-D N° Lexbase : A4935I38.
[17] Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-25.973, FS-D N° Lexbase : A0297IXB.
[18] Cass. civ. 3, 3 juin 2015, n° 14-15.796, FS-P+B+I N° Lexbase : A9224NIH.
[19] Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-24.289, FS-D N° Lexbase : A9021SG9.
[20] Cass. civ. 3, 11 avril 2018, n° 17-14.091, F-D N° Lexbase : A1601XLU ;Cass. civ. 3, 8 décembre 2021, n° 20-21.439, FS-B N° Lexbase : A46227EW.
[21] Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-15.143, F-D N° Lexbase : A5926NTN.
[22] Cass. civ. 3, 29 juin 2017, n° 16-18.087, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7179WLH.
[23] E. Meiller, Rétractation de l’acquéreur immobilier par simple courriel au notaire, Lexbase Droit privé, n° 896, 3 mars 2022 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 79342838, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] R\u00e9tractation de l\u2019acqu\u00e9reur immobilier par simple courriel au notaire", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N0466BZB"}}.
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