La lettre juridique n°902 du 14 avril 2022 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Exclusion du droit de préemption du locataire commercial en cas de cession globale de l’immeuble du bailleur en liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174, F+B N° Lexbase : A12757RN

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N1134BZZ

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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

le 13 Avril 2022

Mots-clés : bail commercial • procédures collectives • droit de préemption du preneur • ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de gré à gré de l’immeuble • vente de l’immeuble dans sa globalité • volonté du propriétaire bailleur de vendre l’immeuble (non) • vente faite d’autorité de justice (oui) • recours contre les ordonnances du juge-commissaire

Instauré par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 et codifié à l'article L. 145-46-1 du Code de commerce, le droit de préemption du locataire commercial a soulevé de nombreuses questions, malgré l'existence de débats parlementaires, notamment quant à son champ d’application. L’arrêt rendu le 23 mars 2022 par la Cour de cassation revient sur une précision importante à propos de la volonté de la personne à l’initiative de la vente pouvant déclencher ce droit. Effectivement, la Chambre commerciale précise que la vente de gré à gré d’un immeuble pour partie donné à bail commercial par un bailleur en liquidation judiciaire est faite d'autorité de justice et ne donne par conséquent pas lieu au droit de préemption ouvert au locataire. Elle en déduit donc que le locataire est irrecevable à former un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de l'immeuble dans la mesure où ses droits et obligations ne sont pas affectés par la décision puisqu’il n’a pas le droit de préempter.


 

1. Bien que cette décision ne soit pas totalement novatrice dans la solution qu’elle expose, elle mérite d’être soulignée en ce qu’elle tranche une difficulté relative à l’exclusion du droit de préemption entrevue par les commentateurs du droit des baux commerciaux [1]. Elle révèle, précisément dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le caractère central de la volonté du propriétaire bailleur dans la vente de l’immeuble donné à bail commercial pour déclencher le droit de préemption dont bénéficie le locataire d’un local à usage commercial ou artisanal.

2. Dans l’espèce en question, une société bailleresse propriétaire d’un immeuble pour partie loué à usage commercial est placée en liquidation judiciaire par un jugement rendu le 29 novembre 2017. Par une ordonnance du 7 mai 2019, le juge-commissaire a par la suite autorisé la vente de gré à gré de l’intégralité de l’immeuble de la société débitrice au profit d’une autre société, au prix de 720 000 euros, sans qu’aucun recours n'ait été formé contre cette ordonnance. Le notaire de cette dernière société, chargé de la rédaction de l'acte de cession, a notifié le projet de vente à la société locataire des locaux commerciaux situés au sein de l'immeuble, et l'a informée de l'existence à son profit d'un droit de préemption. La société preneuse a confirmé, le 6 juin 2019, l’exercice de ce droit. Par une requête du 4 novembre 2019, le liquidateur, exposant les difficultés causées par cette notification, tandis que le projet d'acte de vente préparé par le notaire stipulait une clause selon laquelle la vente portait sur un immeuble vendu dans sa globalité donné pour partie à bail commercial, ce qui constituait, selon le lui, « une exemption au droit de préférence du preneur commercial », en a saisi le juge-commissaire. Par une ordonnance du 18 décembre 2019, le juge-commissaire a rétracté l'ordonnance du 7 mai 2019, ordonné l'ouverture d'un nouvel appel d'offres pour l'acquisition de l'immeuble en précisant que la société locataire ne disposait pas d'un droit de préemption sur le bien objet de la cession, et ordonné la notification de la nouvelle ordonnance, notamment à la société locataire et au dirigeant de la société bailleresse. La société locataire a donc entendu contester l’ordonnance du juge-commissaire, souhaitant que la vente soit prononcée à son profit en vertu du droit de préemption tiré de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD.

3. La cour d’appel [2] ne fait pas directement droit au recours formé par la société locataire, mais annule quand même l'ordonnance du 18 décembre 2019 pour excès de pouvoir, en considérant que le juge‑commissaire était dessaisi par le prononcé de l'ordonnance du 7 mai 2019 ayant ordonné la vente de l'immeuble, à l'égard de laquelle aucun appel, aucune opposition, tierce-opposition ou recours en révision n'avait été effectué, que le liquidateur ne pouvait faire juger la difficulté tenant à l'application du droit de préemption du locataire que par la voie de l'appel et que le juge-commissaire ne pouvait donc pas rétracter cette décision. Insatisfaite d’une telle solution, la société bailleresse, par l’intermédiaire de son mandataire, se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, elle reproche à la cour d’appel d’avoir annulé l'ordonnance du 18 décembre 2019 aux motifs que le recours contre les ordonnances du juge-commissaire n'est ouvert qu'aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés par ces décisions et que le droit de préemption dont dispose le locataire commercial ne s'applique pas à une vente intervenue dans le cadre de la réalisation des actifs d'un débiteur en liquidation judiciaire, si bien que le locataire n’avait pas la qualité requise pour former le recours en question. Ce faisant, la cour d’appel aurait violé les articles L. 145-46-1 et L. 642-18 du Code de commerce N° Lexbase : L7335IZP, ainsi que les articles 31 N° Lexbase : L1169H43 et 125 N° Lexbase : L1421H4E du Code de procédure civile. C’est précisément à cette justification que souscrit la Cour de cassation. En effet, la Chambre commerciale, après avoir confirmé la recevabilité du moyen de pur droit, en justifie le bien-fondé. Au visa des articles L. 145-46-1, L. 642-18 et R. 642-37-1 N° Lexbase : L0334INP du Code de commerce, elle affirme , d’une part, que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice, de sorte qu’il en résulte que les dispositions du premier texte visé, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et qu'une telle vente ne peut donc donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire commercial, et que le recours contre une ordonnance du juge-commissaire, qui doit être formé devant la cour d'appel, n'est ouvert qu'aux tiers dont les droits et obligations sont affectés par la décision. D’autre part, elle déclare que la cour d'appel a violé les textes sus-cités, dans la mesure où la vente de l'immeuble autorisée par le juge‑commissaire au titre des opérations de liquidation judiciaire de la société bailleresse ne pouvait donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par la société locataire et où les droits et obligations de celle-ci n'étaient pas affectés par l'ordonnance du 18 décembre 2019 contre laquelle elle n'était donc pas recevable à former un recours.

4. Si l’inapplicabilité du droit de préemption du locataire commercial soulève quelques interrogations (I), l’irrecevabilité du recours en annulation de l’ordonnance autorisant la vente judiciaire de l’immeuble fondée sur le défaut du droit de préférence apparait justifiée (II).

I. L’inapplicabilité du droit de préemption du locataire commercial en l’absence de volonté du propriétaire bailleur de vendre l’immeuble

5. Depuis la loi dite « Pinel » [3], qui a créé un droit de préemption au profit du locataire d’un local à usage commercial ou artisanal, ce droit est encadré par un texte d’une relative longueur et ponctué de nombreuses exceptions. Précisément, l'article L. 145-46-1, alinéa 1er, du Code de commerce énonce d’abord qu'il y a lieu à droit de préemption « lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci », ce qui suppose l’existence d’un local, d’une personne qui en soit propriétaire ainsi que d’une vente réalisée à l’initiative de ce propriétaire. Le dernier alinéa de l’article pose ensuite cinq exceptions à l’application du droit de préemption : en cas de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial ; de cession unique de locaux commerciaux distincts ; de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ; de cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ; de cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint. Il est encore possible de citer une exclusion qui provient de la mise en œuvre du droit de préemption institué aux chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du Code de l'urbanisme ou à l'occasion de l'aliénation d'un bien sur le fondement de l'article L. 213-11 du même code N° Lexbase : L4849MB9. Au-delà de ces conditions, le texte reste silencieux et n’envisage ni le cas de la vente par adjudication (amiable ou consécutive à une saisie immobilière) ni celui de la vente de gré à gré autorisée par le juge-commissaire dans une liquidation judiciaire [4]. C’est exactement sur cette question que la solution commentée se prononce en premier lieu.

6. Il découle de la lecture de l’article L. 145-46-1 précité que le droit de préemption peut être évincé pour deux raisons principales : soit parce que les exigences afférentes au local, à la propriété de celui-ci et à la volonté de le vendre ne sont pas remplies, soit parce qu’on se trouve en présence de cessions expressément exclues du champ d’application de ce droit. La seconde cause est d’apparence la plus simple et c’est d’ailleurs celle qui a été relevée par le liquidateur judiciaire pour saisir le juge-commissaire en vue de la rétractation de sa première ordonnance et qui a trait au fait qu'il s'agisse de la vente, dans sa globalité, d'un immeuble donné pour partie à bail commercial. Cette exception a été reprise par le bailleur dans son pourvoi, mais seulement dans la seconde partie de son moyen, pour contester l’annulation de la seconde ordonnance du juge-commissaire et écarter l’application du droit de préemption du locataire. Pourtant, ce n’est pas sur ce terrain que répond la Cour de cassation. Bien que cette exception génère de nombreuses interrogations, elle peut être utilisée lorsque deux exigences sont satisfaites : la cession doit être globale et l'immeuble doit comprendre des locaux commerciaux [5]. La première exigence implique que tout l'immeuble soit vendu et que le bien vendu soit plus vaste que l'assiette du bail. Le second critère vise le fait que l'immeuble doit contenir des locaux commerciaux (une seule exploitation commerciale étant normalement suffisante [6]), ce qui semble suggérer que l'immeuble doit comprendre aussi des locaux d'une autre nature. L’arrêt n’offre pas davantage de précisions quant à la composition de l’immeuble objet de la vente, ce qui permet difficilement d’apprécier la mise en œuvre effective de cette exception dans les faits d’espèce. Quoi qu’il en soit et bien que la Cour de cassation n’ait pas fait référence à cette exception, il s’agit bien d’une possibilité d’empêcher le jeu du droit de préemption du locataire commercial [7], de prime abord plus évidente que celle qui ressort d’une lecture interprétative et combinée des articles L. 145-46-1 et L. 642-18 du Code de commerce.

7. Malgré l’apparente simplicité de ce raisonnement, le demandeur au pourvoi a développé dans la première branche de son moyen un autre argument, plus hasardeux, pour remettre en question l’annulation de l’ordonnance du juge-commissaire : celui de l’inapplication du droit de préemption en cas de vente intervenue dans le cadre de la réalisation des actifs d'un débiteur en liquidation judiciaire. C’est cette voie que va suivre la Cour de cassation. Face au silence du Code de commerce, il y avait légitimement lieu de penser qu’aucune distinction ne soit à faire en fonction des modalités de la vente (adjudication ou vente de gré à gré autorisée). Partant, la doctrine prétend que l'adjudication amiable, qui est le résultat d'un choix du propriétaire, devrait relever du droit de préemption, alors que l'adjudication consécutive à une saisie immobilière devrait l’exclure, dans le sens où l'article L. 145-46-1, qui ne vise que le cas où le propriétaire envisage de vendre son local, paraît limiter le droit de préemption aux seules ventes volontaires [8]. À cet égard, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a refusé d'appliquer le droit de préemption tiré de l'article L. 145-46‑1 du Code de commerce à une vente judiciaire, spécifiquement une vente sur adjudication consécutive à une saisie immobilière, qui ne pouvait donc pas être considérée comme un acte volontaire [9]. De façon plus éloignée, il a également été jugé que la loi dite « Carrez » ne s'applique pas à une adjudication sur saisie, car le jugement d'adjudication ne constitue pas un « contrat réalisant ou constatant une vente » [10]. De même, le droit de préemption est exclu en l’absence de volonté de vendre du propriétaire [11]. De façon plus profonde, pour un auteur, le droit de préférence du locataire commercial devrait être maintenu en cas de cession isolée d’actif (adjudication amiable ou cession de gré à gré autorisée), car « il ne s’agit pas à proprement parler d’une aliénation forcée » et parce que la cession du bien immobilier répond au seul objectif « d’obtenir une somme avantageuse afin de faciliter l’apurement du passif du propriétaire », dont la réalisation est indifférente à la personnalité du cessionnaire [12]. Il n’existerait donc ici « aucune justification économique à la suppression de ces droits, lesquels doivent donc être maintenus » [13]. De surcroît, en considération du but même du droit de préemption institué par le statut des baux commerciaux, qui tend à assurer la stabilité du fonds de commerce et par là même la pérennité de l’activité économique [14], ce droit de préférence devrait être maintenu en cas de cession isolée d’actif. Si les deux derniers arguments nous paraissent convaincants, le premier est moins évident à saisir. Une vente autorisée, intervenant dans le cadre d’une procédure collective, est-elle vraiment voulue par le vendeur ? La réponse apparaît négative pour certains, eu égard à l’objectif même poursuivi par le droit des entreprises en difficulté, qui tend à venir en aide aux entreprises qui connaissent des difficultés pour assurer le paiement de leurs dettes, et qui dicte bien souvent le sort de l’actif [15]. Dans cette hypothèse, le propriétaire du bien « n'envisage » pas de vendre son bien, mais y est bel et bien contraint par les modalités de réalisation de l'actif exigées par le déroulement de la procédure collective. Toutefois, le curseur peut être positionné autrement pour laisser place à une autre vision qui se cristallise dans le fait que la vente de gré à gré est quand même sollicitée par le débiteur, ce qui marque un acte de volonté de vendre. Malgré l’intérêt de cette analyse, les Hauts conseillers ont jugé que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice et que le droit de préemption issu de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce ne lui est pas applicable. Même qualifiée de gré à gré, la vente de l’immeuble constitue manifestement bien une vente faite par autorité de justice au sens de l'article 1684 du Code civil N° Lexbase : L1794AB3 [16], de sorte que le droit de préemption du locataire ne peut lui être rattaché en l’absence de volition du propriétaire bailleur. Cette solution démontre que la volonté de vendre du propriétaire bailleur constitue un élément crucial pour déclencher le droit de préemption [17]. En tout état de cause, le droit de préemption aurait pu être éludé selon le premier fondement.

Les Hauts magistrats ne pouvaient ensuite qu’en déduire que le recours formé contre une ordonnance du juge-commissaire n'est pas ouvert au locataire non bénéficiaire d’un droit de préemption.

II. L’irrecevabilité du recours en annulation de l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de gré à gré en présence d’un locataire non bénéficiaire d’un droit de préemption

8. D’après l’article L. 642-37-1 du Code de commerce, les ordonnances du juge-commissaire en matière de cession d’actifs sont susceptibles d'un recours devant la cour d'appel [18]. En outre, il faut savoir que le droit d’exercer ce recours est ouvert non seulement aux parties à la décision prononcée par le juge-commissaire, mais également à toute personne dont les droits et obligations sont affectés par ladite ordonnance, dans les dix jours de sa communication ou notification. La Cour de cassation a posé ce principe au profit d'un tiers, en l'espèce un créancier inscrit sur l'immeuble cédé, de sorte que la cour d'appel peut se trouver directement saisie par un intéressé qui n'était pas partie à la procédure devant le juge-commissaire [19]. À ce titre, il a été jugé, dans le cas de la cession d'un bail portant sur un actif mobilier, tel qu'un contrat de location avec option d'achat, que le bailleur, dont les droits sont affectés par l'ordonnance du juge-commissaire, a pu former recours contre cette décision devant la cour d'appel [20]. De la même manière, en cas de cession d'un immeuble pendant la procédure de liquidation judiciaire, un tiers qui prétend avoir acquis le bien en question avant le jugement d'ouverture peut former un recours [21]. A contrario, la cession d'un contrat de licence à une société constituée au Luxembourg par une société en redressement judiciaire, en vue d'exploiter une activité d'édition, n'affecte les droits et obligations du garant du paiement des redevances que de manière indirecte, si bien qu’il en résulte que le recours prévu par l'article R. 621-21 du Code de commerce N° Lexbase : L9244LTK ne lui est pas ouvert [22]. C’est sur ces deux points que la solution analysée revient en second lieu.

9. Elle applique strictement le principe attaché à la qualité de la personne qui conteste une ordonnance rendue par le juge-commissaire et casse l'arrêt d'appel en ce qu'il annule pour excès de pouvoir l'ordonnance du 18 décembre 2019. Elle approuve l’argumentation du mandataire demandeur au pourvoi en cassation, qui n’entrait que subsidiairement dans les considérations retenues par la cour d’appel tenant à l’excès de pouvoir du mandataire et reposait principalement sur le défaut de qualité du locataire pour former un recours contre l'ordonnance du 18 décembre 2019. Si le locataire avait été bénéficiaire du droit de préemption prévu par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce et que celui-ci était affecté par l’ordonnance, l’excès de pouvoir résultant de la rétractation de la première ordonnance aurait peut-être pu être invoqué utilement pour annuler l'ordonnance du 18 décembre. En principe, une fois rendue, l’ordonnance du juge-commissaire revêt l’autorité de chose jugée, ce qui présume que le juge est dessaisi et ne saurait revenir sur sa décision [23]. A priori, il ne pourrait en aller autrement que pour une décision dont le caractère gracieux est indiscutable et dont la remise en cause n’est, elle-même, susceptible de soulever aucune contestation [24], ce qui ne semble pas être le cas dans l’affaire litigieuse. Outre cette hypothèse, l’ordonnance ne peut donc être remise en cause que par l’exercice d’une voie de recours. On aurait alors pu admettre que le juge-commissaire a commis un excès de pouvoir dès lors qu’il était dessaisi de son pouvoir dès le prononcé de la première ordonnance du 7 mai 2019 à l'égard de laquelle aucun recours n'avait été effectué et que le liquidateur ne pouvait faire juger la difficulté tenant à l'application du droit de préemption du locataire que par la voie de l'appel. Cependant, la difficulté ne se trouvait en réalité pas là, mais bel et bien dans le défaut de qualité pour former le recours. C’est pourquoi la Cour de cassation considère qu’en présence d’une vente de l'immeuble autorisée par le juge-commissaire au titre des opérations de liquidation judiciaire ne pouvant donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption, les droits et obligations du locataire n'étaient pas affectés par l'ordonnance du 18 décembre 2019 contre laquelle il n'était donc pas recevable à former un recours. C’est parce que le locataire n’a aucun droit de préemption qu’il ne peut former un quelconque recours contre l’ordonnance en cause. En d’autres termes, les droits et obligations du preneur ne pouvaient être affectés à proprement parler par l'ordonnance du juge puisque celui-ci était dans l’impossibilité d’exercer son droit de préférence.

10. Il s’en infère alors, assez logiquement selon nous, pour la Cour de cassation, statuant au fond conformément à l’article L. 411‑3, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L2546LBW, que le recours formé par la société locataire contre l'ordonnance du juge-commissaire est irrecevable et qu’il n'y a donc pas lieu à renvoi, en application de l’article susvisé et de l’article 627 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8428IRL.

 

[1] V. en ce sens : B.-H. Dumortier, Bail commercial. - Droits de préemption. - Droit de préemption des communes. - Droit de préemption du locataire commercial, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1455, février 2022, n° 69 ; F. Kendérian, Droit de préemption légal du preneur à bail commercial et procédures collectives : quelle articulation ?, RLDA, octobre 2016, n° 119, p. 44 ; F. Roussel, Ph. Viudès et B. Saintourens, Le droit de préférence du preneur à bail commercial : le nouvel article L. 145-46-1 du Code de commerce (1re partie), Rev. loyers, avril 2015, n° 956, p. 170 ; F. Planckeel, Le nouveau droit de préemption du locataire commercial, AJDI, septembre 2014, n° 9, p. 595 ; B.-H. Dumortier, Le domaine du droit de préemption du locataire commercial, AJDI, novembre 2015, n° 11, p. 759.

[2] CA Paris, 5-9, 2 juillet 2020.

[3] Loi n° 2014-626, du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises N° Lexbase : L4967I3D.

[4] F. Kenderian, préc. cit.

[5] B.-H. Dumortier, Bail commercial. - Droits de préemption. - Droit de préemption des communes. - Droit de préemption du locataire commercial, op. cit., n° 74.

[6] QE n° 98594 de M. Didier Quentin, JOANQ 30 août 2016, réponse publ. 6 décembre 2016 p. 10078, 14ème législature N° Lexbase : L7101LBM.

[7] Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 17-16.113, FS-P+B+I N° Lexbase : A9692XMW, Ch. Lebel, Lexbase Affaires, juin 2018, n° 557 N° Lexbase : N4658BXS ; Dalloz Actualité, 24 mai 2018, obs. Y. Rouquet ; D., 2018, p. 1070 ; AJDI, 2018, p. 605, obs. J.-P. Blatter ; ibid., p. 578, étude P. Viudès et F. Roussel ; RTD com., 2018, p. 605, obs. F. Kendérian. 

[8] B.-H. Dumortier, Bail commercial. - Droits de préemption. - Droit de préemption des communes. - Droit de préemption du locataire commercial, op. cit., n° 69.

[9] Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 17-16.113, préc.

[10] Cass. civ. 2, 3 octobre 2002, n° 00-18.395, FS-P+B+R N° Lexbase : A8995AZ8, AJDI 2003, p. 41, obs. Y. Rouquet.

[11] CA Bastia, 20 janvier 2016, n° 15/00833 N° Lexbase : A2441N48.

[12] F. Kendérian, Droit de préemption légal du preneur à bail commercial et procédures collectives : quelle articulation ?, op cit.

[13] Ibid.

[14] Ibid. ; v. aussi sur l’idée de pérennisation de l’activité économique : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A.-M. Luciani, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2021.

[15] B. Ferrari, Droit de préemption du preneur commercial et vente d'un immeuble en liquidation judiciaire, obs. sous Cass. com, 23 mars 2022, n° 20-19.174, Dalloz Actualité, 5 avril 2022.

[16] A. Lévi et alii, Lamy droit commercial, 2022, n° 4607 ; v. déjà en ce sens : Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-27.899, FS-P+B+I N° Lexbase : A9406WBY; Act. proc. coll., 2018, alerte 146, G. Blanc ; JCP G, 2017, act. 564, obs. A. Duméry ; B. Brignon, Lexbase Affaires, juin  2017, n° 514 N° Lexbase : N8918BW9 – Cass. civ. 3, 6 octobre 2010, n° 09-66.683, FS-P+B N° Lexbase : A3784GBR, D., 2010, p. 2429 – Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.185, FS-P+B N° Lexbase : A7317DCY, D., 2004, p. 2045.

[17] B. Ferrari, op. cit.

[18] A. Lévi et alii, Le Lamy droit commercial, op. cit., n° 5000 ; v. pour un récapitulatif des voies de recours concernant les principales décisions : ibid., n° 5005.

[19] Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-19.622, FS-P+B N° Lexbase : A0883RQR, D., 2016, p. 2245, note F. Arbellot ; Dr. et procéd., 2016, n° 4, p. 85, note F. Arbellot ; A. Cerati-Gauthier, Lexbase Affaires, juin 2016, n° 472 N° Lexbase : N3448BWM.

[20] Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-15.829, F-P+B+I N° Lexbase : A7595WS4.

[21] Cass. com., 3 avril 2019, n° 17-28.954, F-P+B N° Lexbase : A3232Y89, Bull. Joly Entrep. en diff., 2019, p. 46, note J. Théron ; Rev. proc. coll. 2019, n° 5, n° 129, note P. Cagnoli.   

[22] Cass. com., 29 mai 2019, n° 18-14.606, F-D N° Lexbase : A1043ZDY.

[23] IFPPC et Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce, Manuel théorique et pratique à l’usage des juges-commissaires, Traitement des procédures de sauvegarde, redressement judiciaire & liquidation judiciaire des entreprises, p. 32.

[24] Par exemple, il pourrait s’agir d’une ordonnance autorisant le liquidateur à « engager en tant que de besoin toute action appropriée » à l’encontre d’un tiers : Cass. com., 19 décembre 2000, n° 97-20.551, inédit N° Lexbase : A3232CXY.

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