La lettre juridique n°529 du 30 mai 2013 : Éditorial

Secret de l'instruction et autres "fadettes"

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N7209BT8

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Secret de l'instruction et autres "fadettes". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8222126-secret-de-linstruction-et-autres-fadettes
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 [un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende] et 226-14 du Code pénal.

Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause".

A lire la presse quotidienne, a-t-on vu disposition plus violée que cet article 11 du Code de procédure pénale aux voeux pieux ?

Non seulement le principe du secret de l'enquête, comme celui du secret de l'instruction, portent en eux leur propre contrariété, en leur refusant le statut de principe universel, et prévoyant ainsi moult dérogations législatives ; mais le couperet tombe définitivement, lorsque la loi du 4 janvier 2010 protège définitivement le secret des sources des journalistes, étant entendu que les journalistes ne sont pas soumis au secret de l'instruction, car ils ne concourent pas à l'enquête en tant que telle, mais peuvent, tout au plus, être poursuivis pour recel de violation du secret de l'instruction.

Ainsi, la loi organise, elle-même, l'impunité de sa violation, sous l'égide des exigences démocratiques, obligeant nécessairement une liberté de la presse peu ou mal encadrée. Si, pour désavouer la requête de magistrats instructeurs réclamant la production des "fadettes" de journalistes, le procureur de Lille rappelait que "la protection du secret des sources des journalistes était une exigence démocratique, et la liberté de la presse le rempart de la démocratie", il est permis de s'interroger sur la nature du rempart érigé contre cette liberté qui, comme toute autre dégénérant en abus, nécessite contrôle et encadrement, sinon légaux, du moins déontologiques. Ce n'est pas le régime indemnitaire de la loi de 1881, déconnectée de tout principe afférent au régime de la responsabilité civile de droit commun, et dont les défaillances font la fortune de la presse people, qui peut véritablement contraindre les journalistes à plus de retenue sur la vie privée des uns, ou sur l'actualité judiciaire des autres...

Et, la Cour de cassation a beau juger que "l'atteinte portée au secret des sources des journalistes" doit être, le cas échéant, "justifiée par l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public", la mesure devant être "strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi", ce qui n'est pas le cas pour un simple délit de presse, on peine à savoir dans quelles circonstances, hormis les questions intéressant la sûreté nationale ou le risques d'atteinte à l'intégrité physique, une telle levée du secret des sources est-elle proportionnée, et donc autorisée.

Reste que fondamentalement, la vie d'un homme, sous le joug d'une instruction pour des faits graves et attentatoires à son honneur et à sa réputation, est ainsi livrée aux "canines", jadis fustigées par un Président meurtri, du cinquième pouvoir, pour que le public sache : quelle fréquence, quelles préférences et quelles partenaires enjouaient les divertissements sexuels d'un homme public que, déjà, tout accablait. Pour sûr, s'agissait-il, ici, d'une "exigence démocratique" et en rien de satisfaire l'appétence d'un lectorat avide de voyeurisme !

Et, comble du comble, le Parquet de requérir, ainsi, le renvoi en correctionnelle de ceux qui souhaitent, à tout le moins, protéger lesdits secrets professionnels, pour avoir requis les fameuses "fadettes" des journalistes... Le mieux est l'ennemi du bien...

Concrètement, l'on sait que la dépendance du Parquet viole, en continu, le secret de l'enquête et de l'instruction, l'élite politique étant informée des tenants d'une procédure dans les meilleurs délais, même si l'on jure qu'aucune instruction n'est désormais donnée ; et, bien entendu, les principes de l'article 11 du Code de procédure pénale n'ont de sens qu'au regard de la médiatisation éventuelle des détails de l'enquête ou de l'instruction. Alors, écrire, comme le fait la nouvelle Directrice du plus institutionnel des Quotidiens nationaux que "la protection des sources ne constitue pas un privilège, mais la pierre angulaire de la liberté de la presse'", citant en cela la Cour européenne des droits de l'Homme, et que "les journalistes ne sont pas tenus au secret de l'instruction", c'est indubitablement entériner le suicide d'un principe réduit désormais à peau de chagrin et qui, pourtant, est, lui, la "pierre angulaire" des droits de la défense -excusez du peu-, avec le concours non moins négligeable du principe du contradictoire.

Les journalistes n'étant pas soumis au fameux secret d'instruction et se croyant investis d'une mission d'informer sur les détails aussi scabreux soient-ils d'une enquête ou d'une instruction en cours, souvent au mépris de la présomption d'innocence ; le secret de leur source étant plus hermétique, étrangement, que celui des correspondances entre les avocats et leurs clients, au vu des multiples atteintes orchestrées par la loi, les pouvoirs publics et la jurisprudence ; et, de fait, ne pouvant savoir qui est l'auteur de la violation dont les fruits sont ainsi médiatisés ; on peine à croire que la seule infraction de recel suffit à garantir le respect démocratique de deux principes névralgiques de la procédure pénale.

Mais, dans la dictature de la transparence à tout crin, peut-il en être autrement ?

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