Réf. : Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-13.631, F-P+B (N° Lexbase : A2809KBN)
Lecture: 11 min
N7245BTI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 30 Mai 2013
Elle casse ainsi l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 27 janvier 2011, précisant que la faute imputée aux époux investisseurs "n'aurait pu être commise en l'absence de celle de la société".
L'arrêt constitue donc une confirmation de la jurisprudence de 2008 qui avait consacré un revirement quant à l'analyse de la responsabilité du PSI, modifiant, notamment, ses conditions de mise en jeu (I). Ce dernier arrêt, toutefois, n'avait pas clairement posé les suites à donner au régime d'exonération applicable à l'intermédiaire, laissant ainsi ouvertes nombre d'interrogations auxquelles l'arrêt commenté ne permet qu'imparfaitement de répondre (II).
I - Les conditions de mise en jeu de la responsabilité du PSI
Se trouvait ainsi posée, incidemment, une question relative à la responsabilité du PSI. Cette question, toutefois, comportait deux volets distincts, figurant explicitement dans le visa. Le premier concernait la responsabilité spécifique du prestataire telle que résultant du non-respect des dispositions de l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier dans sa rédaction applicable avant le 1er novembre 2007 (A), le second, l'étendue de sa responsabilité contractuelle (B).
A - La responsabilité contractuelle du prestataire face aux règles professionnelles
La responsabilité du PSI est un domaine sensible, notamment dans le cadre des relations contractuelles que ce dernier entretient avec les investisseurs. Confronté à la complexité d'opérations dont le particulier mesure parfois mal les conséquences, le juge a dû modeler la responsabilité du professionnel afin d'accroître la sécurité de petits épargnants.
Ainsi qu'a pu le souligner un observateur avisé de l'évolution de la jurisprudence, Avocat général à la Cour de cassation, il s'est agi pour le juge, ces dernières années, de "s'adapter à l'évolution des comportements, notamment le dynamisme commercial des prestataires de services financiers qui ont déplacé l'épargne vers des produits plus sophistiqués, plus complexes et plus risqués mais aussi une plus grande autonomie des clients dans la gestion de leur épargne, notamment par l'accès à la bourse en ligne qui a fait apparaître un risque moins maîtrisé par le professionnel et mal mesuré par l'usager" (2).
A ce titre, les opérations sur le marché à terme (devenu depuis le service à règlement différé) constituaient un domaine particulièrement sensible de l'activité des PSI, ces intermédiaires étant confrontés à la difficulté que nombre d'investisseurs non expérimentés éprouvaient à mesurer les risques financiers encourus. Le juge du droit, ainsi, qui décidait, jusqu'à une période récente (3), que "l'obligation" de couverture était édictée dans l'intérêt de l'intermédiaire et de la sécurité du marché, va opérer un revirement de jurisprudence à l'occasion d'un arrêt du 26 février 2008 (4). Dès lors, la Chambre commerciale va imposer une nouvelle analyse, décidant que l'obligation de couverture est édictée tant dans l'intérêt de l'opérateur et de la sécurité du marché que dans celui du donneur d'ordre.
Cette solution, rapidement confirmée par les arrêts ultérieurs, devait, au surplus être immédiatement suivie de précisions concernant, cette fois -dans un domaine proche (une obligation de couverture était également en question)-, l'exonération du PSI. Dans un arrêt du 4 novembre 2008, commenté à l'époque dans ces colonnes (5), à propos de l'inexécution d'obligations liées à la réception-transmission d'ordres via internet, la Chambre commerciale décidera que le PSI ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en se retranchant derrière des impératifs techniques et, ce, au visa des articles 1147 du Code civil et ensemble, l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier (6).
B - Une responsabilité contractuelle fondée sur une obligation de résultat
Sous l'égide d'un tel visa, l'analyse de l'obligation renvoyait implicitement, à l'hypothèse de l'inexécution d'une obligation de résultat. L'article 1147 du Code civil établit, en effet, que "le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée".
Pour mémoire, on renverra à l'analyse de Demogue (7) qui, le premier, imposa une "distinction suivant l'objet de l'obligation, selon que l'obligation est de résultat ou de moyen. L'idée fondamentale consiste à examiner ce que le débiteur a promis, ce que le créancier peut raisonnablement attendre" (8). Cette distinction, particulièrement importante pour mesurer les conditions de mise en jeu de la responsabilité (la faute n'a pas à être démontrée pour les obligations de résultat), n'en est pas moins essentielle pour établir les causes de son exonération : en principe, le débiteur de l'obligation inexécutée ne peut se dégager par la démonstration de son absence de faute.
Il demeure qu'en dehors de la clarté apparente du visa, l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier, tel qu'applicable à l'époque (le même fondement que l'espèce examinée aujourd'hui), semblait établir, à l'inverse, qu'une obligation de moyens pesait sur le PSI. Le texte disposait, en effet, que le prestataire : "est tenu d'exercer son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, au mieux des intérêts de ses clients et de l'intégrité du marché, ainsi que de se conformer à toutes les réglementations applicables [...]". La rédaction du texte semblait imposer, de la sorte, des obligations assez lâches, s'appuyant, au surplus, sur des termes qui fixent, en théorie, l'étendue de l'obligation de moyens, en référence au standard du "bon père de famille" qui délimite, dans ce cas précis, l'appréciation de la faute.
Nous avions déjà eu l'occasion de souligner cette contradiction entre les deux textes servant de support à la décision : l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier et sa référence conjointe ("ensemble" précisait l'arrêt) à l'article 1147 du Code civil. La doctrine, sur ce point, était demeurée prudente se contentant de constater que, selon des termes consacrés, la Cour de cassation avait, par ce moyen, fait entrer la réglementation professionnelle (déontologique en l'espèce ?) "dans le champ contractuel" (9). Pour autant, ce glissement de la réglementation au champ du contrat ne permettait pas d'expliquer la contradiction textuelle entre, d'une part, la prudence ("le soin") et la diligence qui renvoient à l'obligation de moyens traditionnellement attachée à l'article 1137 du Code civil (N° Lexbase : L1237ABG) et, d'autre part, la référence paradoxale à l'article 1147. Sans doute faut-il y voir, à notre sens, la manifestation des limites inhérentes à l'utilisation du droit commun des contrats et à son inadaptation aux opérations boursières. Si le recours aux dispositions du Code civil semble, en effet, indispensable car il permet de replacer le droit des marchés financiers dans une grille d'analyse intelligible (10), il n'en offre pas moins que des justifications parcellaires qui souvent doivent s'effacer devant les impératifs de sécurité des transactions.
II - Les incertitudes quant à l'exonération de la responsabilité
Ainsi dépourvus du prisme d'analyse qu'offre le droit commun, les acteurs des marchés risquent de ne pas pouvoir prétendre à la sécurité juridique constamment appelée de leurs voeux. Le PSI, confronté au respect d'une obligation de résultat depuis l'arrêt de 2008, n'est pas encore fixé sur les causes d'exonération qui lui seraient possible d'invoquer (A) et l'espèce commentée en renvoyant, apparemment, à la seule question de la causalité (B) ne semble pas permettre d'approfondir la réflexion sur la question.
A - L'hypothèse de l'exonération de l'obligation de résultat par la preuve de l'absence de faute
La question, épineuse, du régime d'exonération applicable à la responsabilité contractuelle du PSI avait déjà été soulevée, à propos de l'arrêt du 4 novembre 2008 (11). Nous avions pu souligner, à cette époque, que le revirement jurisprudentiel ne paraissait pas achevé, dans le sens où la rédaction de l'arrêt laissait la voie ouverte à un éventuel élargissement des causes d'exonération du débiteur de l'obligation de résultat. La conjonction, en effet, d'un texte renvoyant à des "obligations" professionnelles suggérant l'existence d'une obligation de moyens et d'un autre, l'article 1147 du Code civil qui signale l'existence d'une obligations de résultat, pouvait laisser penser que le PSI se trouvait débiteur d'une obligation de résultat "allégée" (12), dont il aurait pu "se dégager en se contentant de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis de faute" (13).
Cette interprétation de l'arrêt de 2008 aurait permis, nous semblait-il, de conserver toute sa cohérence à l'évolution jurisprudentielle. D'abord, quant à la résolution du paradoxe -apparent- contenu dans son visa et, ensuite, quant au respect de la rédaction choisie par le juge du droit, qui semblait alors laisser la porte ouverte à un large champ d'exonération. En effet, dans l'espèce de 2008, la Chambre commerciale n'avait fait que poser le principe de l'existence d'une obligation de résultat du PSI. La question de l'existence ou non d'une obligation allégée, quand bien même l'investisseur avait manifestement commis des fautes dans l'affaire en cause, n'y était pas tranchée.
L'arrêt du 26 mars 2013 aurait, ainsi, pu donner l'occasion, compte tenu des faits de l'espèce, d'apporter des précisions sur le régime d'exonération. Le comportement des époux, qui n'avaient pas reconstitué la couverture en dépit des rappels réitérés du PSI, pouvait, en effet, être considéré comme fautif. Si l'obligation de résultat était "allégée", l'intermédiaire aurait, alors, sans doute pu s'exonérer, partiellement au moins, pour la partie de la faute incombant à son cocontractant.
Telle n'est cependant pas l'analyse du juge du droit qui relève bien la faute des époux investisseurs mais précise que cette dernière n'aurait pu "être commise en l'absence de celle de la société" (14).
B - Une solution d'espèce fondée sur une analyse de la causalité
Il est à se demander, à la lecture attentive de l'arrêt si le visa de l'article 1147 du Code civil n'emporte pas, en définitive, une double signification. Si, en référence aux travaux de Demogue, le renvoi à cette disposition du Code civil signale aujourd'hui l'existence d'une obligation de résultat à la charge du débiteur, il convient de souligner que cette lecture, qui nous apparaît désormais classique, n'est que le fruit d'une interprétation tardive du Code civil. Bien avant l'analyse de Demogue, l'article 1147 a servi de base à un autre raisonnement : la transposition du régime de responsabilité civile à celui de la responsabilité contractuelle. A ce titre, les dispositions ayant servi de fondement à cette transposition ont permis d'établir qu'à l'instar du régime de responsabilité expressément prévu à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), l'inexécution d'obligations conventionnelles n'entraînait la responsabilité du débiteur de l'obligation inexécutée du contrat qu'au constat de la réunion d'une faute, d'un dommage, ou d'un lien de causalité, ce dernier ressortant assez distinctement des dispositions de l'article 1151 du même code (N° Lexbase : L1252ABY) (15).
Dans l'espèce commentée, la question de l'exonération se trouve donc éludée, contournée apparemment -mais sur ce point la prudence doit encore rester de mise- par les exigences de mise en oeuvre des principes de la causalité. En substance, le juge du droit se contente de relever, sans rechercher de cause d'exonération, que la faute des époux était bien établie mais qu'elle n'avait été rendue possible qu'en raison de l'existence de celle, antérieure, du PSI.
L'arrêt se fonde, de la sorte, sur la théorie de la causalité adéquate, dite également générique, celle qui postule que la relation est à rechercher dans la cause prépondérante, celle sans laquelle il est "évident que l'effet ne se serait pas produit" (16). En l'espèce, l'absence de liquidation des positions par le PSI avait certainement eu pour conséquence de dégrader les positions des époux investisseurs. Ainsi, le préjudice était né de l'absence de liquidation, incontestablement assimilable à une faute née du non-respect de la réglementation, ce qui rendait le PSI responsable du dommage.
L'hypothétique existence d'une obligation de résultat allégée ne sera pas, cette fois encore, véritablement tranchée. On peut douter, d'ailleurs, qu'en dépit d'un fondement textuel qui renvoie (faute ?) explicitement au seul soin et à la diligence (l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier), la solution consistant à admettre l'exonération du PSI par la preuve de l'absence de faute puisse emporter l'adhésion du juge du droit. Là où des intérêts majeurs sont en jeu, à savoir ceux de l'opérateur, de la sécurité du marché et du donneur d'ordre, nul doute que les Hauts magistrats ne se décident, en définitive, pour une limitation drastique des causes d'exonération du professionnel.
(1) Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Muck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., 2007, n° 49.
(2) R. Bonhomme, Responsabilité et gestion du risque financier, RDBF, n° 6, novembre 2010, étude 31, n° 4.
(3) Cass. com., 8 juillet 2003 , n° 00-18.941, F-P+B+I (N° Lexbase : A0884C9M), Bull. civ. IV, n° 118 ; F. Leplat, Obligation de couverture et responsabilité de l'intermédiaire, Lexbase Hebdo n° 83 du 28 août 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8492AAR).
(4) Cass. com., 26 février 2008, n° 07-10.761, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A0700D73).
(5) Cass. com., 4 novembre 2008, n° 07-21.481, F-P+B+I (N° Lexbase : A1577EBZ) ; nos obs., Il pèse sur le prestataire de services d'investissement une obligation de résultat quant à la mise en oeuvre des systèmes électroniques de transmission d'ordres, Lexbase Hebdo n° 328 du 27 novembre 2008 - édition privée (N° Lexbase : N7631BH4).
(6) En l'espèce, l'accès direct de l'investisseur aux services boursiers via internet ne pouvait exonérer le PSI d'exiger la couverture des opérations.
(7) Demogue, Traité des obligations, tome V, n° 1237.
(8) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 577.
(9) En ce sens : R. Bonhomme, Responsabilité et gestion du risque financier, préc., n° 33.
(10) Cf. dans des domaines proches, la mise en oeuvre du droit commun des contrats à travers des justifications fondées sur le régime du mandat et ou de l'erreur : A.-C. Muller, Inexécution d'une obligation professionnelle, sanction civile, RDBF, mars 2012, comm. 66.
(11) nos obs. in Lexbase Hebdo n° 328 du 27 novembre 2008 - édition privée, préc. note 5.
(12) G. Viney, La responsabilité : conditions, LGDJ, 1982, n° 534, p. 640.
(13) F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 580.
(14) L'effet de cette décision, en définitive semble correspondre à la logique qui présidait à l'arrêt du 4 novembre 2008 qui refusait au PSI la faculté de se retrancher derrière des impératifs techniques pour s'exonérer de sa responsabilité.
(15) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 592.
(16) Ibid, op. cit., loc. cit.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:437245