La lettre juridique n°528 du 23 mai 2013 : Éditorial

Les mariés de l'An II* ... Et les divorcés de l'An III

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 10 avril 2013 a retenu notre attention en ce qu'il établissait que l'homosexualité du mari constituait un grief justifiant le prononcé du divorce à ses torts exclusifs. La solution n'est pas nouvelle à vrai dire ; le 6 juillet 2012, la cour d'appel de Dijon avait également statué en ce sens. Toutefois, depuis lors, la loi relative au mariage pour tous et prévoyant l'extension du mariage aux couples homosexuels, validée par les Sages du Conseil constitutionnel, a été publiée au Journal officiel. Et, il est évident que la lecture de l'arrêt parisien, comme celui de Dijon, prend une tout autre saveur ; sans faire "monter la mayonnaise", la "moutarde pourrait bien monter au nez" de certains...

D'abord, autant le dire tout de suite, on ne peut être que mal à l'aise avec les tenants et la formulation de ce type d'arrêt. Bien entendu, si l'homosexualité n'est pas intrinsèquement une faute, les magistrats se sentent obligés de considérer que l'orientation sexuelle de l'un des conjoints puisse être extrinsèquement fautive, en ce qu'elle constitue une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune et justifiant le prononcé du divorce aux torts du conjoint, ici, homosexuel. Sous le chapeau de l'article 242 du Code civil, les juges estimeront le coming out tantôt "outrageant", tantôt "irrespectueux" à l'égard de l'autre conjoint. La formulation judiciaire est plutôt maladroite comme le soulignait, dans nos colonnes, le Professeur Adeline Gouttenoire, à propos de l'arrêt dijonnais. Car si le fait "d'entretenir une relation avec un autre homme présente un caractère particulièrement outrageant pour son épouse par le mépris que ce comportement manifeste vis-à-vis de la loyauté, de la confiance et de la dignité conjugales [,] en quoi, en effet, le fait que la relation soit homosexuelle est-elle plus 'outrageante' que si elle avait été hétérosexuelle ? En quoi le fait que le mari entretienne une relation avec un homme plutôt qu'avec une femme porte davantage atteinte à la loyauté, la confiance et la dignité conjugales ?"

Et, c'est cette question que le "mariage pour tous" va inexorablement exacerber. Transposant une telle solution dans le cadre d'un divorce d'un couple homosexuel, on peut imaginer, dès lors, que l'hétérosexualité révélée de l'un des conjoints constituera, donc, une faute, pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées. On imagine aisément la stupéfaction des opposants à l'extension du mariage à tous les couples et la réaction des tenants de la "ligne dure" contre le mariage dit "gay". Expliquer à nos "anciens" que l'hétérosexualité puisse être, même extrinsèquement, une faute, quand il s'agit, parfois encore, de leur rappeler que l'homosexualité n'en est pas intrinsèquement une, voilà qui nourrira des débats familiaux sans doute encore houleux... Finalement, dans une société qui tente de supprimer toute référence à l'orientation sexuelle dans ses rapports sociaux et, désormais, familiaux, qui l'érige même en discrimination condamnable, on peut s'étonner que celle-ci puisse encore être invoquée à l'appui d'une demande en divorce, dans le but clairement exposé d'obtenir quelques subsides complémentaires.

Aussi, plus fondamentalement, on comprend qu'il sera désormais difficile d'exhorter "l'outrage" lié à l'orientation sexuelle nouvelle ou révélée, du fait d'une atteinte à une certaine espérance légitime à entretenir des relations sexuelles conjugales que l'on qualifiera de "compatibles" -pardonnez la facilité linguistique- pour obtenir de manière plus évidente, voire systématique, le divorce aux torts exclusifs de l'autre conjoint, quand il s'agira, alors, de plaider la violation de l'article 242 du Code civil du fait d'un "bon vieil" adultère. On notera toutefois que, dans ce cas, l'orientation sexuelle nouvelle ou révélée du conjoint devra avoir entraîné un "passage à l'acte" ; car, sans constatation et preuve de l'adultère, la faute sera difficile à établir et l'on risquerait d'entrer alors dans les méandres sordides de l'exposé des pratiques sexuelles du couple en instance de divorce ; charge à chacun de prouver le caractère consenti ou non de ces pratiques en question...-. Et, l'on se demande, dès lors, si le mariage doit continuer à supposer même l'entretien de relations sexuelles : d'abord, parce que l'enfantement n'en sera plus le but implicite, ensuite parce que la morale sexuelle n'existe pas, enfin, parce que l'asexualité n'est pas nécessairement incompatible avec les droits et devoirs principaux conjugaux.

Enfin, l'arrêt du 10 avril 2013 souligne une autre question : celle des "mariages blancs", non dans le but exclusif d'obtenir la nationalité du conjoint, mais dans celui avoué de "permettre de cacher son orientation sexuelle à sa famille". L'argument invoqué par le mari "fautif" a de quoi surprendre de prime abord, mais il a le mérite de replacer le débat actuel dans son contexte. L'extension du mariage pour tous n'empêchera ni les a priori, ni les brimades, ni les contrariétés sociales et familiales. L'heure est, encore, à la pédagogie sur la liberté de choix de son orientation sexuelle, quand un mariage en constitue, en fait et uniquement, la "cerise sur le gâteau". L'arrêt parisien ne manquera pas non plus de retenir l'attention de ceux qui s'opposent au "mariage pour tous", y voyant, entre autres, un appel d'air aux mariages de complaisance.

Non, décidément, comme Nicolas et Charlotte*, il vaudra bien mieux rester mariés et devenir prince d'Empire, que de demander le divorce sous la Révolution...


* Faisant, ici, référence au film éponyme de Jean-Paul Rappeneau, qui réunissait à l'écran, en 1971, Jean-Paul Belmondo (Nicolas Philibert) et Marlène Jobert (Charlotte Philibert) ; et à la deuxième année du quinquennat présidentiel.

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