La lettre juridique n°528 du 23 mai 2013 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2013

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N7106BTD

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

le 23 Mai 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts publiés au Bulletin rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 avril 2013. Dans le premier, commenté par le Professeur La Corre, la Haute juridiction consacre le principe de l'irrecevabilité de l'action paulienne du liquidateur à l'encontre d'une déclaration notariée d'insaisissabilité (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-16.035, F-P+B). Dans le second commentaire de cette chronique, Emmanuelle Le Corre-Broly revient sur un arrêt dans lequel la Cour apporte d'utiles précisions en matière de sûretés du financement des véhicules automobiles (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-13.690, F-P+B).
  • L'irrecevabilité de l'action paulienne du liquidateur à l'encontre d'une déclaration notariée d'insaisissabilité (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-16.035, F-P+B N° Lexbase : A6890KC8)

On sait que la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite loi pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), a permis au débiteur de déclarer insaisissables des immeubles non professionnels. L'insaisissabilité ne vaut que pour les créanciers professionnels dont la créance est née après la publication de la déclaration notariée d'insaisissabilité à la conservation des hypothèques ou au Livre foncier en Alsace-Moselle. Mention de la déclaration notariée d'insaisissabilité doit être faite lors de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Malgré le silence du texte sur son applicabilité en cas de procédure collective, celle-ci ne semble guère douteuse. Petit à petit, depuis 2011, la résistance de la déclaration notariée d'insaisissabilité à la procédure collective s'affirme (1). En témoigne un nouvel arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2013.

En 2009, Mme C. déclare par, acte notarié, insaisissables ses droits indivis dans un immeuble. Moins de 4 mois plus tard, s'ouvre son redressement judiciaire, converti quelques jours plus tard en liquidation judiciaire. Le liquidateur, logiquement choqué par la proximité de la déclaration notariée d'insaisissabilité par rapport à la date d'ouverture de la procédure collective, entend faire déclarer inopposable à la procédure collective la déclaration notariée, en agissant sur le fondement de la fraude paulienne.

La cour d'appel de Versailles a rejeté la demande présentée par le liquidateur en se fondant sur la considération selon laquelle seuls des créanciers auxquels la déclaration notariée serait opposable, auraient qualité pour agir sur le fondement de la fraude paulienne, non le liquidateur, qui défend l'intérêt collectif des créanciers et pas seulement le groupe de créanciers auxquels la déclaration notariée serait opposable (CA Versailles, 12 janvier 2012, n° 11/05495 N° Lexbase : A1634IAR). Le liquidateur décide de se pourvoir en cassation. Le pourvoi sera rejeté par la Cour de cassation, qui estime parfaitement fondée la solution énoncée par la cour d'appel : le liquidateur, faute de pouvoir prétendre agir dans l'intérêt collectif des créanciers, n'est pas recevable à exercer l'action paulienne.

C'est la première fois que la Cour de cassation est appelée à se prononcer sur la recevabilité de l'action paulienne émanant d'un liquidateur pour rendre inopposable à la procédure collective la déclaration notariée d'insaisissabilité. La solution est pour autant sans surprise.

En effet, par un précédent arrêt, commenté dans ces colonnes (2), la Cour de cassation a clairement refusé de reconnaître au liquidateur qualité pour contester l'efficacité de la déclaration notariée d'insaisissabilité, au motif que "le liquidateur ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers ; la déclaration d'insaisissabilité n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant; en conséquence, le liquidateur n'a pas qualité pour agir, dans l'intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité". L'article L. 622-20, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3879HBB) dispose que "le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers". Cette disposition de la procédure de sauvegarde, qui concerne la mission du mandataire judiciaire, nouvelle appellation du représentant des créanciers, est rendue applicable en redressement judiciaire par l'article L. 631-14, I (N° Lexbase : L2453IEL) et en liquidation judiciaire par l'article L. 641-4, alinéa 3 (N° Lexbase : L8861INI). L'intérêt collectif désigne "l'intérêt de la collectivité que constituent l'ensemble des créanciers" (3). Il se distingue de l'addition des intérêts individuels, dans la mesure où l'action tendant à la défense de cet intérêt collectif peut être entreprise contre l'un des créanciers, responsable d'un préjudice occasionné à la collectivité.

Dans l'arrêt du 13 mars 2012 (4), on a reproché à la Cour de cassation de confondre l'intérêt collectif avec la somme des intérêts individuels. Il n'en est rien. Il importe ici d'insister sur une confusion entretenue en doctrine entre la notion de droit de gage général, que détient le créancier quelconque sur son débiteur, et la notion de gage commun, qui évoque un gage accessible à tous les créanciers.

Ce gage commun est accessible à tous les créanciers, peu important que, en outre, ils se trouvent dans une situation particulière.  Ainsi, un créancier hypothécaire a accès au gage commun et, en outre, sur le prix de vente de l'immeuble, se trouve dans une situation particulière. Symétriquement, pour le créancier chirographaire, l'immeuble hypothéqué est un élément du gage commun. Il y a accès, s'il advient que, après désintéressement du créancier hypothécaire, le prix de vente de l'immeuble soit en partie réparti entre des créanciers chirographaires. De même, le créancier qui bénéfice d'une fiducie-sûreté, bien que se trouvant dans une situation particulière d'exclusivité sur les biens fiduciés, a accès au gage commun, s'il n'est pas désintéressé par le jeu de la fiducie-sûreté. Il faut donc comprendre que le gage commun n'est pas uniquement accessible à des créanciers ne se trouvant pas dans une situation particulière (5). En théorie, il est accessible à tous les créanciers. Dès lors que certains créanciers peuvent saisir un bien, alors que d'autres n'ont pas ce même droit, le bien en question ne peut être considéré comme étant un élément du gage commun.

S'il n'est pas contesté que le liquidateur représente les créanciers, dès lors qu'ils ont accès au gage général, il ne les représente plus lorsqu'il est question pour certains d'entre eux d'avoir accès à un gage, qui n'est pas le gage commun. Or les actions qui tendent à la défense de l'intérêt collectif des créanciers sont celles qui ont pour objet de protéger ou d'accroître le gage commun, ainsi que celles qui ont pour objet de distribuer autrement que cela résulte de la situation avant introduction de l'action, le produit du gage commun, par exemple en contestant le caractère hypothécaire d'une créance. Une action sans rapport avec le gage commun ne tend pas à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. Dès lors que certains créanciers n'ont accès ni à l'immeuble, objet de la déclaration notariée, ni au produit de sa vente, il faut bien admettre que l'immeuble ne fait pas partie du gage commun des créanciers et c'est pourquoi le liquidateur n'agirait pas dans l'intérêt collectif des créanciers s'il vendait l'immeuble objet de la déclaration notariée. L'affirmation de la Cour de cassation est donc parfaitement justifiée.

L'intérêt collectif ne peut être détaché du gage commun. Dès lors que l'action à exercer ne porte pas sur un élément du gage commun, elle ne peut être mise en oeuvre par le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers. Si un bien ne fait pas partie du gage commun, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers, qui agit pour assurer la protection, l'accroissement ou la mise en oeuvre du gage commun, n'a pas de droit sur ce bien. Autoriser cet organe à agir reviendrait à lui permettre d'assurer la défense d'un groupe de créanciers, ceux qui ont le droit de saisir le bien, et non plus celle de la collectivité des créanciers.  Or, affirme avec constance la Cour de cassation, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers ne peut agir pour assurer la défense de l'intérêt individuel d'un créancier (6). Il ne pourrait, par exemple, défendre individuellement un créancier dans le cadre de la vérification du passif (7).  Pas davantage, juge la Cour de cassation, le mandataire de justice ayant en charge la défense de l'intérêt collectif des créanciers, ne pourrait agir pour assurer la défense d'un groupe de créanciers (8). C'est ainsi qu'il ne peut agir en paiement contre le loueur d'un fonds de commerce donné en location-gérance, sur le fondement de l'article L. 144-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L5722AIR) instituant une solidarité du loueur du fonds avec le locataire-gérant, car cette solidarité n'a été instituée que dans le seul intérêt des créanciers disposant d'une créance nécessaire à l'exploitation du fonds (9).

On comprend donc que le liquidateur ne peut saisir l'immeuble, objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité, lequel n'est pas un élément du gage commun, puisque, ce faisant, il ne défend pas l'intérêt collectif des créanciers. Dans cette même logique, le liquidateur ne peut davantage faire déclarer inopposable à la procédure collective la déclaration notariée d'insaisissabilité sur le fondement de l'action paulienne. Certes, l'action paulienne, selon la Cour de cassation, est ouverte non seulement aux créanciers victimes de la fraude, mais encore au liquidateur. Mais, en ce dernier cas, le liquidateur doit défendre un intérêt collectif. Il doit donc démontrer, pour que l'action paulienne soit recevable lorsqu'elle est engagée à son initiative, que l'acte frauduleux accompli par le créancier porte atteinte à l'intérêt collectif des créanciers, autrement dit que l'acte porte préjudice au gage commun.

Or, comme nous l'avons vu précédemment, dès lors que l'immeuble, objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité n'est pas un élément du gage commun, en ce qu'il est saisissable par certains, mais non par d'autres, l'action paulienne qui aurait pour objet de rendre inopposable l'acte accompli sur le bien qui n'est pas un élément du gage commun, ne peut être intentée par un organe ayant pour mission de défendre l'intérêt collectif des créanciers, lequel suppose que soit en cause la protection du gage commun. Observons d'ailleurs que l'action paulienne initiée par le liquidateur, en supposant un instant de raison qu'elle ait pu être déclarée recevable, aurait du être déclarée non fondée. L'action paulienne sanctionne en effet un débiteur qui s'emploie à soustraire aux poursuites de ses créanciers un ou plusieurs biens. En l'occurrence, il s'agirait de l'immeuble déclaré insaisissable.

Mais deux obstacles de fond s'élèvent contre la possibilité d'exercice, en notre matière, de l'action paulienne. Tout d'abord, la poursuite sur l'immeuble n'est pas impossible de la part de tous les créanciers, mais seulement de la part de certains d'entre eux. Ensuite, et surtout, ne peuvent agir sur le terrain de la fraude paulienne, que des créanciers dont le droit est né avant l'acte incriminé. Or, les créanciers qui sont privés du droit de saisir l'immeuble ont, par hypothèse, des créances nées après la déclaration notariée. Ainsi, que l'on se place sur le terrain de la recevabilité de l'action paulienne, ou sur celui de son bien-fondé, l'action du liquidateur était vouée à l'échec.

Observons au demeurant que le jeu des nullités de la période suspecte n'aurait pas davantage permis d'atteindre la déclaration notariée d'insaisissabilité pourtant effectuée quelques jours avant l'ouverture de la procédure et peut-être donc pendant la période suspecte.  Cette possibilité d'annuler sur le fondement des nullités de la période suspecte la déclaration notariée d'insaisissabilité ne peut être reconnue. En effet, la déclaration notariée ne correspond à aucun cas de nullité (10), même si le contraire a été jugé (11). Il a notamment été estimé qu'il ne s'agissait pas d'une mesure conservatoire (12).
De lege ferenda, on pourrait songer à créer un tel cas de nullité, car il peut paraître choquant, comme l'a justement pensé sur le terrain de la morale des affaires, le liquidateur en l'espèce, qu'un débiteur se ménage une insaisissabilité quelques jours avant l'ouverture de sa procédure collective.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Sûretés du financement des véhicules automobiles : quelques précisions (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-13.690, F-P+B N° Lexbase : A6975KCC)

Le gage portant sur le véhicule est une sûreté classiquement utilisée en matière de financement automobile. Lorsque le contrat de financement concerne un concessionnaire, professionnel de l'automobile, s'est développée une autre sûreté : le droit de rétention sur documents d'immatriculation. La constitution et l'opposabilité aux tiers de ces deux sûretés obéissent à des règles distinctes et leurs effets sont différents. Un récent arrêt rendu par la Chambre commerciale, dont l'importance est soulignée par la publication qui en sera faite au Bulletin, donne l'occasion de faire le point sur les situations respectives du créancier gagiste sur véhicule automobile et du rétenteur sur documents d'immatriculation.

Dans l'espèce, ayant donné lieu à un arrêt du 23 avril 2013, un établissement de crédit avait accordé un contrat de financement de stock de véhicules à un concessionnaire déclaré quelques mois plus tard en redressement puis en liquidation judiciaires. Le créancier, qui avait régulièrement déclaré sa créance au passif, soutenait qu'il était non seulement titulaire d'un droit de rétention sur les documents d'immatriculation qui lui avaient été remis mais, en outre, qu'il était titulaire d'un gage sur les véhicules concernés. Il se prévalait de cette qualité au regard de la rédaction d'une clause du contrat de crédit qui stipulait que "en garantie des sommes dues par lui en vertu du présent contrat, l'emprunteur affecte en gage et nantissement (13) au profit du prêteur un certain nombre de véhicules, ainsi que les pièces et titres de circulation se rapportant à ces véhicules à hauteur de 100 % du montant de l'ouverture de crédit [...]".

L'existence d'un gage opposable à la procédure collective, était une question essentielle au regard des prérogatives accordées au gagiste sur véhicule automobile. En effet, en cas de vente par le liquidateur d'un bien constitué en gage, le droit de rétention du créancier gagiste est de plein droit reporté sur le prix (C. com., art. L. 642-20-1, al. 3 N° Lexbase : L3466ICD). Pour que tel soit le cas, la Chambre commerciale estime, très logiquement, qu'il faut que le gage soit opposable aux tiers, et donc au liquidateur judiciaire. Il s'agit là du premier intérêt que présente l'arrêt.  

La Chambre commerciale rappelle en outre que le droit de rétention sur documents d'immatriculation n'ouvre pas au rétenteur, en cas de vente du véhicule correspondant aux documents, le droit de bénéficier du jeu du report du droit de rétention sur le prix. Tel est le deuxième point souligné par l'arrêt rapporté.  L'opposabilité aux tiers d'un gage sur véhicule automobile, variété de gage sans dépossession effective du constituant, suppose nécessairement une publicité du gage. D'abord réglementé par une loi du 29 décembre 1934, puis par le décret du 30 septembre 1953 (décret n° 53-968 N° Lexbase : L5485DLQ), qui circonscrivait cette sûreté au cadre de l'achat à crédit (elle était essentiellement réservée au vendeur à crédit et au prêteur de deniers), le gage automobile a fait son entrée dans le Code civil. Les nouveaux articles 2351 (N° Lexbase : L1178HIH) à 2353 (N° Lexbase : L1180HIK) de ce code, issus de l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH), rendent cette sûreté utilisable par tout créancier (14).

Pour être opposable aux tiers, le gage sur véhicule automobile suppose nécessairement une publicité requise tant par le décret n° 53-968 du 30 septembre 1953 que par le nouvel article 2351 du Code civil qui énonce que le gage est opposable "par la déclaration qui en est faite à l'autorité administrative", en l'occurrence, la préfecture.  Dès lors qu'en l'espèce, le gage consenti par le débiteur n'avait fait l'objet d'aucune inscription sur le registre spécial prévu à cet effet, le gage ne pouvait pas être opposable aux tiers et donc au liquidateur judiciaire. En conséquence, aucun report du droit de rétention sur le prix ne pouvait intervenir au profit du créancier gagiste. Parallèlement, aucun report du droit de rétention sur le prix de vente des véhicules ne pouvait être attaché à l'exercice d'un droit de rétention sur les documents d'immatriculation. En effet, ainsi que la Chambre commerciale l'avait déjà jugé dans un arrêt du 8 juillet 2003 (15), la Cour de cassation rappelle que le droit de rétention sur documents d'immatriculation ne porte, précisément, que sur ceux-ci. Il ne porte en aucun cas sur les véhicules eux-mêmes. Puisque le droit de rétention ne porte que sur les documents et non les véhicules, la vente de ces derniers ne peut entraîner au profit du rétenteur des documents un quelconque report du droit de rétention sur le prix par le mécanisme de la subrogation réelle du prix à la chose.

La situation du créancier rétenteur de documents d'immatriculation est donc bien différente de celle du gagiste sur véhicule automobile. En effet, dès lors que le créancier gagiste sur véhicule automobile a procédé à la formalité de publicité qu'est la déclaration du gage, il se voit délivrer un reçu par la délivrance duquel il est censé avoir conservé la possession du bien (C. civ. art. 2352 N° Lexbase : L1179HII). Ce système, que des éminents auteurs ont qualifié "d'extravagant" offre ainsi au créancier "plus qu'un gage sans dépossession : un gage avec dépossession fictive" (16). Le créancier rétenteur sur documents d'immatriculation, contrairement au créancier gagiste sur véhicule automobile, n'a pas de droit de rétention fictif sur le véhicule. Son droit de rétention autonome porte exclusivement sur les documents. La Chambre commerciale le rappelle ici très clairement : "attendu que le droit de rétention du prêteur sur les documents administratifs relatifs à des véhicules ne s'étend pas aux véhicules eux-mêmes et qu'il n'en résulte pas un droit pour le prêteur de se faire attribuer le produit de la vente de ces véhicules ; qu'ayant relevé que la société Financo s'était bornée dans ses écritures à soutenir que le droit de rétention qu'elle détenait sur les documents administratifs de circulation afférents aux véhicules devait être reporté sur le prix de vente, la cour d'appel, devant laquelle n'était pas allégué que le gage consenti par le débiteur sur ces mêmes véhicules avait fait l'objet d'une inscription sur le registre spécial prévu à cet effet, inscription qui seule le rendait opposable au liquidateur judiciaire du débiteur, en a exactement déduit [...] que ce droit ne pouvait être reporté sur le prix de vente de ces véhicules".

Se pose alors la question de l'intérêt -et donc de l'efficacité- du droit de rétention sur documents d'immatriculation en l'absence de prise parallèle d'un gage sur ses véhicules. Même si l'arrêt rapporté ne s'intéresse pas à cette question, elle germe immédiatement dans l'esprit du lecteur : mais à quoi peut donc servir le droit de rétention sur les documents d'immatriculation s'il ne permet pas au créancier de bénéficier du report du droit de rétention sur le prix ? Cette sûreté n'aurait-elle aucun intérêt ? Il ne faut surtout pas tirer de l'arrêt rapporté cette conclusion qui serait beaucoup trop hâtive. En cas de vente amiable du véhicule par le liquidateur, le droit de rétention sur les documents est opposable à l'acquéreur. Ce dernier se trouvera particulièrement gêné car, sans le précédent certificat d'immatriculation, et en application des dispositions des articles 1 D 1 et 10 de l'arrêté du 9 février 2009, relatif aux modalités d'immatriculation des véhicules (N° Lexbase : L7983IWL) (17), aucun nouveau certificat d'immatriculation ne pourra lui être délivrée. Or, ce certificat est indispensable pour faire circuler le véhicule... Ainsi, la vente amiable par le liquidateur du véhicule dont le certificat d'immatriculation est légitimement retenu aura presque nécessairement comme conséquence :

- soit la résolution de la vente à la demande de l'acquéreur pour défaut de délivrance d'un accessoire (certificat d'immatriculation) indispensable de la chose vendue ;

- soit le paiement du créancier par l'utilisation de la technique du retrait de la chose retenue contre paiement (C. com., art. L. 622-7, II N° Lexbase : L3389ICI et L 641-3 N° Lexbase : L3500ICM). Le juge-commissaire autoriserait alors le paiement d'une créance antérieure afin que le liquidateur récupère le certificat d'immatriculation, ce qui lui permettra, par la suite, de vendre le véhicule et d'en assurer la parfaite délivrance à l'acquéreur.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP


(1) Sur le détail de la question, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, 7ème éd., 2013/2014, n° 582.13, à paraître juin 2013.
(2) Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B (N° Lexbase : A8907IEM), nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2012 (1ère esp.), Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1549BTK) ; adde, D., 2012, Actu 807, note A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2012, comm. 105, note J. Vallansan ; BJE, mai 2012, comm. 88, p. 147, note L. Camensuli-Feuillard ; JCP éd. E, 2012, 1325, nos obs..
(3) F. Derrida F., P. Godé et J.-P. Sortais, avec la collab. d'A. Honorat, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 510.
(4) Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B, préc..
(5) Cpr. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., Lgdj, 2012, n° 512.
(6) Cass. com., 16 mars 1993, n° 90-20.188, publié (N° Lexbase : A6328ABY), Bull. civ. IV, n° 106, D., 1993, jur. 583, note F. Derrida, Rev. proc. coll., 1993, 424, n° 8, obs. B. Dureuil, Rev. proc. coll., 1993, 547, n° 1, obs. B. Soinne, JCP éd. E, 1993, I, 277, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, FS-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard.
(7) Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, F-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard ; CA Rennes, 8 novembre 1995, Rev. proc. coll., 1998, 160, n° 2, obs. B. Soinne.
(8) Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-15.099, publié (N° Lexbase : A1870ACA), Bull. civ. IV, n° 112, Rev. proc. coll., 1998, 158, no 1, obs. B. Soinne, Dr. sociétés, 1999, com. 103 ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, F-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2003, chron. 760, p. 853, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685, F-P+B (N° Lexbase : A8419DD8), Bull. civ. IV, n° 193 ; RTDCiv., 2005. 183-184, obs. R. Perrot ; D., 2004, AJ 3069, obs. A. Lienhard ; D., 2005, pan. 296, nos obs. ; RTDCom., 2005. 247, obs. B. Saintourens ; Act. proc. coll., 2004/20, n° 245, note C. Régnaut-Moutier ; LPA, 13 avril 2005, p. 4, obs. F.-X. Lucas ; Dr. et patr., 2005/4, p. 115, n° 3677, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Defrénois, 2005/11, p. 993, chron. 38177, n° 4, note D. Gibirila.
(9) Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685, préc. ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-18.567, F-D (N° Lexbase : A0035DMA), Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 40, obs. Ph. Roussel Galle.
(10) V. aussi, en ce sens, J. Vallansan, Act. proc. coll., 2011/18, comm. 279, note sous CA Metz, 1ère ch., 19 avril 2011, n° 10/1736 (N° Lexbase : A7241H7C) ; J.-CL. COM., C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsérié-Bon, fasc. 2510, [Nullités facultatives], éd. 2012, n° 29.
(11) CA Metz, 1ère ch., 19 avr. 2011, n° 10/1736, préc. et les obs. préc. de J. Vallansan.
(12) CA Nancy, ch. com., 23 mars 2011, n° 09/02695 (N° Lexbase : A1543HM4), JCP éd. E, 1368, note Ch. Lebel ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 113, note C. Lisanti.
(13) Remarquons que le terme est particulièrement mal choisi puisque, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH), le nantissement porte sur un bien incorporel, à la différence du gage qui porte, pour sa part, sur un bien meuble corporel.
(14) Sur les difficultés soulevées par l'entrée en vigueur de ces dispositions v. not. M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 9ème éd., n° 804 ; H. Matsopoulou, Lamy Droit des sûretés, étude 245, Gage automobile, n° 245-5
(15) Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-21.569, F-D (N° Lexbase : A0926C98) ; D., 2004, somm. comm. p. 55, obs. P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2003/19, n° 250.
(16) M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 9ème éd., n° 804.
(17) JORF n ° 0035 du 11 février 2009, p. 2402.

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