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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 27 Mars 2014
L'affaire "Cahuzac" a mis le feu aux poudres et a entraîné une réaction prompte, excessive pour certains, du Gouvernement en présentant, le 24 avril 2013, une panoplie de mesures d'assainissement de la vie publique visant notamment la transparence du patrimoine et des intérêts des membres du Gouvernement, des parlementaires, et des élus locaux. Et les avocats seraient directement impactés. En effet, l'article 2 du projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique crée de nouvelles incompatibilités avec le mandat parlementaire, en interdisant aux députés et aux sénateurs d'exercer une fonction de conseil. Et ceux qui exerceraient déjà une fonction de conseil disposeront d'un délai de six mois pour y mettre fin à compter de la publication de la loi. De même, il n'est pas possible pour les parlementaires d'exercer des fonctions au sein de sociétés ou d'entreprises dont une part substantielle de l'activité commerciale est entretenue avec l'administration. Et le conseil, l'avocat en a fait une partie de son métier... Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris avait réagi, dès avant la présentation du texte en Conseil des ministres, en adoptant une motion rappelant la déontologie propre à l'avocat : "Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris est heurté par les propos du Gouvernement mettant en cause les avocats. Il rappelle que les avocats constituent une profession unie construite autour d'un serment et d'une déontologie forte. La probité, l'indépendance, la prévention des conflits d'intérêts et des incompatibilités sont ancrés dans cette déontologie comme dans le serment des avocats. Le projet de rendre impossible aux avocats l'exercice d'un mandat parlementaire est proprement scandaleux et fait insulte à tous les membres du barreau. Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris s'opposera à toute atteinte à la profession et répondra sans faiblir aux attaques dont elle est injustement la cible".
De son coté, l'association des avocats lobbyistes (AAL) a, par le biais d'un communiqué de presse daté du 26 avril 2013, insisté sur le fait qu'il n'est pas acceptable que les avocats puissent être écartés de la représentation nationale au motif qu'ils seraient, plus que d'autres, amenés à exploiter de manière immorale, voire illégale, des situations de conflits d'intérêts inhérentes à la représentativité de la société civile au Parlement. Elle estime qu'il appartient en revanche aux professions concernées de déterminer si, et comment, leur exercice est compatible avec une fonction élective. A cet égard, elle rappelle que son règlement intérieur, auquel ses membres, avocats lobbyistes, se soumettent, leur interdit tout mandat électif propre, le cumul d'un tel mandat et d'une activité, même ponctuelle, de représentation d'intérêts privés (le lobbying) n'étant pas acceptable. Le même règlement prévoir par ailleurs que la présence éventuelle d'un élu d'une institution française ou supranationale dans le cabinet d'un membre de l'AAL interdit à ce dernier de pratiquer son activité de représentation d'intérêt auprès de cette institution. Enfin, l'association voit dans ce texte la stigmatisation implicite, mais évidente, d'une profession qui serait, plus qu'une autre, sujette à la pratique de trafic d'influence ; "une stigmatisation qui par ailleurs instaurerait une présomption de culpabilité envers une profession qui plus que les autres, plus en France que chez nos voisins, obéit à une déontologie stricte".
Projet de loi relatif à la consommation
Texte phare très attendu par la profession, le projet de loi relatif à la consommation, qui instaure l'action de groupe, a fait l'effet d'une douche froide chez les avocats les excluant de l'initiative et de la conduite de ces actions. Le 25 avril 2013, se tenait au barreau de Paris un colloque sur cet avant-projet -le projet a été présenté le 2 mai en Conseil des ministres-. Maître Haeri, membre du conseil de l'Ordre et organisateur de ce colloque, a décrit les grandes lignes du texte et exprimé la légitime préoccupation du barreau, puisque les avocats sont exclus de la représentation au profit des associations de consommateurs, qui n'ont pas la même déontologie que les avocats. Au cours du débat, de nombreuses prises de positions ont permis de souligner le caractère incohérent sur le plan processuel et légal du texte, qu'il s'agisse de la consécration de l'arrêt de règlement, de l'impossibilité matérielle de transiger au bénéfice des parties bénéficiaires mais non parties à la procédure, des problématiques de litispendance ou de l'absence d'avocats. Dans la foulée, l'Ordre des avocats au barreau de Paris a adopté la résolution suivante, à l'unanimité :
"Le conseil de l'Ordre de Paris a pris connaissance des dispositions de l'avant-projet de loi sur l'action de groupe, qui doit être prochainement présenté au Conseil des ministres. Le conseil de l'Ordre constate que l'avant-projet réserve le monopole de la représentation devant les futures juridictions spécialisées aux seules associations de consommateurs agréées, rompant ainsi l'égalité d'accès des justiciables à la justice. Cette disposition est incompréhensible eu égard au rôle des avocats qui sont les interlocuteurs légitimes et compétents pour accompagner les consommateurs dans la défense de leurs intérêts. Ce projet de loi inclut également des dispositions incohérentes sur le plan processuel, qui le vident de substance et de portée effective. Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris exprime sa forte opposition au projet tel qu'il est proposé. Il est prêt à présenter ses propositions d'amélioration".
De son côté, le Conseil national des barreaux, par la voix de son président Christian Charrière-Bournazel, a réagi en dénonçant "la suspicion que cette loi manifeste, une fois de plus, à l'égard de la profession d'avocat. La 'class action' sera réservée aux seules associations de consommateurs. Voici qu'apparaissent de nouveaux médiateurs entre les justiciables et leurs juges : les associations de consommateurs agréées. Cette démarche, qui revient à faire juge de l'opportunité d'une action une association et non pas le professionnel qu'est l'avocat, heurte de front l'honneur même de la profession". Il a rappelé que la profession ne pourra pas "tolérer cette nouvelle atteinte aux droits de chaque citoyen d'accéder à la justice comme il l'entend par le canal de l'avocat de son choix, sans aucun filtre régulateur". Et de conclure, "un Etat qui, comme la France aujourd'hui, semble vouloir multiplier les entraves à l'exercice de la profession d'avocat et au droit de chaque personne d'accéder au juge, de se faire assister et défendre par qui bon lui semble, prend des libertés dangereuses et inacceptables avec les principes démocratiques".
Enfin, Loïc Dusseau, membre du CNB, a annoncé, lors du colloque du 25 avril 2013, qu'un contre-projet de texte, contenant également une partie réglementaire, avait été rédigé au sein de la commission "Textes" du Conseil et devrait être soumis au vote lors de l'Assemblée générale du CNB des 24 et 25 mai prochains.
Projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi
Adopté définitivement par le Sénat le 14 mai 2013, le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi comporte des dispositions qui renforcent le rôle des experts-comptables dans les négociations avec les organisations syndicales. Et comme le relève l'Union des jeunes avocats, "les experts-comptables ont réussi, par un lobbying aussi discret qu'efficace, à faire insérer dans le projet de loi relative à la sécurisation de l'emploi (censée transposer le fameux Accord national sur l'emploi signé dans la douleur en janvier 2013), sans aucun débat sur ce point, plusieurs dispositions leur permettant d'intervenir comme conseils juridiques auprès des organisations syndicales. Le mélange des genres et le mépris pour les avocats s'instillent chaque jour davantage dans les rouages de l'Etat". En effet, le projet de loi prévoit, au sein d'un nouvel article L. 2323-7-1 que, chaque année le comité d'entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, définies par l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, à des contrats temporaires et à des stages. A cet égard, il peut se faire assister de l'expert-comptable de son choix en vue de l'examen des orientations stratégiques de l'entreprise. Et le comité contribue, sur son budget de fonctionnement, au financement de cette expertise à hauteur de 20 %, dans la limite du tiers de son budget annuel. L'article L. 2325 35 du Code du travail (N° Lexbase : L6236ISR), qui définit les missions de l'expert-comptable dans ses rapports avec le comité d'entreprise, est ainsi modifié afin de prendre en compte "l'examen des orientations stratégiques de l'entreprise".
Le futur article L. 5125-1 du Code du travail dispose également que l'expert-comptable peut être mandaté par le comité d'entreprise pour accompagner les organisations syndicales dans l'analyse du diagnostic et dans la négociation d'un accord de maintien de l'emploi cas de graves difficultés économiques conjoncturelles dans l'entreprise. .
Pour l'UJAn si la possibilité pour le comité d'entreprise de se faire assister d'un expert-comptable pour l'analyse du diagnostic économique en cas d'accord sur le maintien de l'emploi se conçoit assez bien, à l'image de l'assistance économique et financière dont le comité bénéficie de longue date dans le cadre des procédures de licenciement pour motif économique et des plans de sauvegarde de l'emploi, l'assistance accordée aux organisations syndicales, décidée par le comité d'entreprise, "dans la négociation" même des accords est manifestement très discutable. Elle étend le champ d'intervention des experts-comptables sur un terrain purement juridique puisque jamais auparavant les organisations syndicales n'ont bénéficié d'une assistance de quelque nature et jamais auparavant les représentants du personnel n'ont bénéficié d'une assistance à la négociation.
Et, dès lors que ledit expert-comptable, conseil des organisations syndicales pour la négociation, sera rémunéré par l'entreprise, il reste peu de doute, pour l'UJA, sur le choix que pourraient faire comités d'entreprise et organisations syndicales entre un professionnel du droit, à qui il faudrait payer des honoraires, et un professionnel du chiffre, qui ne coûterait rien... L'UJA estime donc que ce projet de loi crée donc purement et simplement des missions exclusivement juridiques réservées aux experts-comptables sans qu'un avocat ait quelque possibilité que ce soit de faire valoir sa compétence pour espérer convaincre les représentants du personnel d'avoir recours à ses services.
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