La lettre juridique n°528 du 23 mai 2013 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Doctrine administrative] Récupération de la TVA d'amont : nouvelles précisions doctrinales sur la prise en compte des produits financiers accessoires

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par David Chrétien, Avocat, Landwell

le 23 Mai 2013

Dans une affaire "Régie dauphinoise" du 11 juillet 1996 (1), la CJUE avait eu à connaître du régime de TVA applicable à un syndic immobilier et avait adopté une approche restrictive du concept de produits financiers accessoires, en considérant que, dans le domaine de la gestion immobilière, les produits financiers obtenus constituent "le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale taxable". Conséquence pratique, les droits à récupération de TVA supportée par les syndics immobiliers s'en trouvaient, malheureusement, dégradés.

L'administration fiscale avait "endossé" cette décision en la reprenant explicitement dans sa doctrine, mais l'avait cantonnée à son secteur économique de l'espèce, la gestion immobilière.

Dans le but, probablement, de faire une application plus large du concept de "prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale taxable" et, corrélativement, de réduire la portée du concept de produits financiers accessoires, l'administration a rapporté, à effet du 15 février 2013, cette doctrine. Avant d'examiner la portée pratique de cette modification doctrinale, commençons par rappeler le contexte technique et les enjeux se rapportant aux produits financiers, accessoires ou non, perçus par un redevable de la TVA.

I - Quelques rappels en matière de droit à déduction de la TVA d'amont

Au sein de la "mécanique" de calcul du droit à déduire la TVA, le coefficient de taxation est particulièrement en cause ici.

Rappelons que ce coefficient est destiné à refléter, mathématiquement, la règle selon laquelle seule la TVA grevant des biens ou des services utilisés aux fins d'opérations ouvrant droit à déduction peut être déduite (CGI Annexe II, art. 206 N° Lexbase : L4430IQ7).

Ce coefficient est au plus haut (i.e. égal à un) lorsqu'un bien ou un service grevé de TVA d'amont est correspondant à des opérations imposables et que ces dernières ouvrent entièrement droit à déduction.

Il est, en revanche, au plus bas (i.e. égal à zéro) -et interdit en conséquence toute récupération de la TVA d'amont- lorsque un bien ou un service grevé de TVA n'est pas utilisé pour des opérations imposables ou, encore, est utilisé pour des opérations certes imposables, mais pour lesquelles il est spécifiquement prévu qu'elles n'ouvrent pas droit à déduction.

Reste, enfin, le cas dans lequel un bien ou un service est utilisé, concurremment, pour la réalisation d'opérations imposables qui, pour certaines, ouvrent droit à déduction de la TVA, et pour d'autres qui ne présentent pas cette vertu. Dans ce cas, il y a alors lieu à donner une valeur précise au coefficient de taxation, entre zéro et un ; ce calcul est effectué par le biais d'un ratio prenant en compte, à son numérateur (N), le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction -notamment les opérations imposables- et, à son dénominateur (D), le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations imposables : ceci inclut le chiffre d'affaires correspondant aux opérations ouvrant droit à déduction (qui figure déjà en N), majoré du chiffre d'affaires correspondant aux opérations n'ouvrant pas droit à déduction (i.e., notamment, la plupart des opérations exonérées). Compte tenu de ces modalités mathématiques, ce ratio se dégrade à mesure qu'un redevable de la TVA réalise d'autant plus d'opérations exonérées de TVA, car ces dernières n'ouvrent pas droit à la récupération.

Un sort particulier est néanmoins réservé par l'article 206 de l'Annexe II au CGI à certains produits financiers -les produits financiers accessoires- perçus par le redevable de la TVA :

"III-3° il est fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent : [...]
b. Au produit des opérations immobilières et
financières accessoires exonérées de la TVA. Sont considérées comme accessoires les opérations qui présentent un lien avec l'activité principale de l'entreprise et dont la réalisation nécessite une utilisation limitée au maximum à 10 % des biens et des services grevés de TVA qu'elle a acquis [...]".

L'abstraction requise par cette disposition est, en fait, asymétrique. En effet, les produits financiers concernés sont ceux qui, bénéficiant d'une exonération, sont non-imposables à la TVA ; cette seule caractéristique suffit à les exclure du numérateur (N) du coefficient de taxation et, corrélativement, à réduire ce coefficient, au détriment du redevable. Coté dénominateur (D), les dispositions précitées de l'article 206-III-3° de l'Annexe II au CGI, et l'exclusion qu'elles prévoient, produisent là tout leur effet utile en rejetant la prise en compte des produits financiers accessoires pour la détermination du montant des opérations imposables. Ce retraitement du dénominateur (D) permet de modérer la baisse du ratio de taxation, ce qui préserve, dans une certaine mesure, les droits à déduction de TVA d'un redevable (2).

En somme, lorsqu'un produit financier est accessoire pour un redevable de la TVA, les droits à récupération de cette taxe de ce dernier s'en trouvent accrus.

Qu'est-ce donc, alors, qu'un produit financier accessoire ? Et quelles ont été les solutions retenues pour procéder à cette qualification ?

II - Portée et élaboration progressive du concept de "produits financiers accessoires"

Les notions d'opérations financières accessoires et de produits financiers accessoires ne sont pas définies par la Directive TVA (3). Cette tâche a incombé au pouvoir réglementaire, ainsi qu'au juge de l'impôt.

Une étape notable dans ce processus est celle susmentionnée, l'arrêt "Régie Dauphinoise" du 11 juillet 1996. Comme indiqué, l'apport pratique de cette jurisprudence était assez circonscrit, puisque illustrant une situation de produits financiers non-accessoires ; par ailleurs, la solution ne semblait pas avoir de portée au-delà du cas d'espèce, i.e. les professionnels de la gestion immobilière.

La motivation retenue était néanmoins intéressante, puisque la Cour affirmait que des placements de fonds, provenant principalement des locataires et des co-propriétaires des immeubles, effectués par une entreprise de gestion desdits immeubles, ne peuvent pas être considérés comme accessoires car ils sont intimement liés, d'un point de vue fonctionnel, au métier de la gestion immobilière. Pour la Cour, les produits de placement qu'ils génèrent pour le syndic (des intérêts notamment) constituent le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise.

La seconde étape notable est, de nouveau, d'origine jurisprudentielle. Revirant, apparemment, sa jurisprudence antérieure, la CJUE a retenu, en 2004 (arrêt "EDM" (4)), cette fois que des opérations financières entrant dans le champ d'application de la TVA mais qui en sont exonérées doivent être considérées comme des opérations accessoires, dans la mesure où ces opérations n'impliquent qu'une utilisation très limitée de biens ou services pour lesquels la TVA est due. Le changement d'approche et de raisonnement est sensible, puisque l'appréciation du caractère accessoire d'une opération et des produits financiers correspondants dépend non plus du lien fonctionnel avec l'activité principale du redevable, mais de l'importance relative de biens ou services grevés de TVA qui ont en permis la genèse.

A la suite de cet arrêt, la situation juridique semblait "stabilisée", et la précédente jurisprudence "Régie Dauphinoise" pouvait, semblait-il, être considérée comme un arrêt d'espèce, valable au regard des seuls professionnels de la gestion immobilière.

Dans ce contexte, il a été considéré que les dispositions du CGI -son Annexe II, en fait- traitant de la définition des produits financiers accessoires n'étaient plus compatibles avec la nouvelle orientation jurisprudentielle donnée par la CJUE. Jusqu'alors, en effet, et depuis la transposition en droit français de l'article 19, point 2 de la Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 (N° Lexbase : L9279AU9) par l'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI (N° Lexbase : L2999HNE), il devait être fait abstraction, pour le calcul du ratio du droit à récupération de la TVA d'amont, du "produit des opérations immobilières et financières exonérées de la TVA et présentant un caractère accessoire par rapport à l'activité principale de l'entreprise, à la condition que ce produit représente au total 5 % au plus du montant du chiffre d'affaires total, toutes taxes comprises, du redevable". Deux conditions cumulatives ressortaient de ces dispositions :

  • il fallait que les opérations présentent un caractère accessoire par nature, c'est-à-dire qu'elles ne soient pas inhérentes à l'activité du contribuable (critère "qualitatif"),
  • et, en outre, il fallait que le produit de ces opérations financières n'excède pas 5 % du chiffre d'affaires total (critère "quantitatif").

En réaction donc, et par décret du 26 décembre 2005, codifié successivement à l'article 212, puis 206 de l'Annexe II au CGI (5), les critères d'appréciation du critère accessoire des produits financiers ont été amendés pour désormais prendre en compte les seuls critères de "lien avec l'activité principale" cumulés à l''"utilisation limitée de biens et services grevés de TVA" (cette utilisation limitée est chiffrée à 10 % (6)).

Dans ses commentaires de ces nouvelles dispositions du CGI sur les droits à déduction de la TVA (7), et en vue de laisser le "champ libre" à ces nouveaux concepts, l'administration avait pris le soin de cantonner le critère, hérité du passé, du "prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise" aux activités des syndics immobiliers.

C'était sans compter avec une nouvelle évolution de la jurisprudence de la CJUE en 2009 qui, amenée à se prononcer sur la notion d'opérations immobilières accessoires (mais, cette fois, dans le cas d'une activité construction-vente d'immeubles n'impliquant pas le maniement de fonds ou la constitution de dépôts comparables à celui d'un syndic ou d'un professionnel de la gestion immobilière), a réutilisé le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire en le combinant à celui de l'importance relative des biens et services grevés de TVA. Elle retient, sur cette base, qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et services pour lesquels la TVA est due (8).

Lui emboîtant le pas dans une affaire intéressant de nouveau une société dont l'objet est la location, la gérance et l'exploitation de biens et droits immobiliers pour son propre compte et pour le compte de tiers, le Conseil d'Etat, dans un arrêt "SNC Ariane", a combiné à son tour les deux critères dans un considérant se réclamant explicitement des derniers arrêts de la CJUE et rédigé comme suit :

"Considérant qu'il résulte des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires C-306/94 Régie dauphinoise' le 11 juillet 1996, C-77/01 EDM' le 29 avril 2004, C-98/07 Nordania Finans et BG Factoring' le 6 mars 2008 et C-174/08 NCC Construction Danmark A/S' le 29 octobre 2009 qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire au sens des dispositions de l'article 19, paragraphe 2 de la 6ème Directive, si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due" (9).

Cet arrêt marquait donc une application possible du critère du "prolongement du lien direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable" à ce professionnel de la gestion immobilière mais, désormais, avec une alternative possible pour le critère quantitatif afférent à l'importance relative des biens et services grevés de TVA mis en oeuvre pour réaliser cette activité accessoire.

C'est ce dernier élément en date qui a amené l'administration fiscale à modifier derechef sa position et ses commentaires.

III - Portée de cette réforme doctrinale

L'administration fiscale rapporte en effet sa doctrine, qui limitait l'application de la notion de "prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable" à la seule profession de syndics immobiliers ou professionnels de la gestion immobilière.

Cette doctrine est rapportée à compter du 15 février 2013.

L'abandon de cette doctrine marque le "décantonnement" du concept du prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale taxable, réservé jusqu'alors aux professionnels de la gestion immobilière.

Pour ces derniers, en pratique, l'administration pourra se fonder sur sa nouvelle doctrine pour dénier plus facilement le caractère accessoire d'une opération et des produits financiers correspondants, en se fondant sur le critère du prolongement de l'activité principale ou, désormais, également sur l'importance des biens et services grevés de TVA mis en oeuvre pour réaliser cette activité accessoire. Les redevables auront beau jeu, en réaction, d'examiner dans quelle mesure leur assujettissement éventuel à la taxe sur les salaires s'en trouve allégé.

Le paragraphe-clef de la doctrine applicable en matière de droit à déduction de la TVA est, en effet, rédigé comme suit :

"210 Les opérations financières exonérées (il en est de même pour les produits des opérations immobilières) réalisées par une entreprise ne peuvent être qualifiées d'accessoires à l'activité principale de l'entreprise que si :
- d'une part, elles se distinguent de l'activité principale de l'entreprise et si, d'autre part, elles présentent un lien avec cette activité principale. Il en va ainsi, par exemple, des holdings mixtes qui, outre une activité industrielle, commerciale ou de services taxable, réalisent des opérations liées à la gestion financière du groupe ;
- et n'impliquent qu'une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et des services grevés de TVA acquis par le redevable
" (10).

En dehors du secteur de la gestion immobilière, les impacts pratiques d'une application plus vaste du concept du "prolongement de l'activité" reste encore à préciser et l'administration fiscale pourrait être à l'initiative de ce point de vue.

Notons néanmoins que le cas des holdings mixtes, notamment celles mettant en oeuvre une activité économique consistant à gérer la trésorerie de son groupe en parallèle de leur activité patrimoniale de détention de participations dans ses filiales, fait l'objet des précisions suscitées de la part de l'administration qui, pour l'heure, ne considère pas que l'activité de gestion de trésorerie constitue nécessairement le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité de holding pure ; les produits financiers générés par la gestion de trésorerie du groupe peuvent, dans ces conditions, bénéficier de la qualification de produits accessoires et être exclus du dénominateur du secteur correspondant au sein de la holding.

Précisons également que cette réforme de la doctrine administrative est accompagnée d'une autre portant sur les conditions posées en matière de constitution de secteurs distincts en cas d'activités financières et qui vise à une certaine cohérence avec le rôle accru que le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire est appelé à jouer. A cette fin, l'administration admet désormais que, lorsque la perception de produits financiers présente un caractère accessoire par rapport à l'activité principale de l'entreprise, mais qu'elle implique une utilisation supérieure à 10 % des biens et services grevés de TVA acquis par l'entreprise, le redevable peut constituer un secteur distinct d'activité regroupant l'ensemble des opérations financières en cause. Ceci constitue une véritable tolérance.

Dans la même veine, la doctrine administrative indique aussi que, lorsque des opérations financières réalisées par une société sont indissociables de son activité taxable, elles ne peuvent donner lieu à la constitution d'un secteur distinct d'activité (BOI-TVA-DED-20-10-20, n° 240 ; BOI-TVA-DED-20-20, n° 20 N° Lexbase : X6593ALR).


(1) CJCE, 11 juillet 1996, aff. C-306/94 (N° Lexbase : A7255AH8).
(2) Un bref exemple chiffré permet de s'en convaincre. Considérons le cas d'un redevable qui constate 20 000 euros de chiffre d'affaires, correspondant aux opérations imposables -dont 10 000 euros correspondant à des opérations n'ouvrant pas droit à récupération de la TVA- et qui constate également 3 000 euros de chiffre d'affaires correspondant à la définition fiscale de produits financiers accessoires. En présumant que ces produits financiers accessoires sont exonérés de TVA, le coefficient de taxation est de 0,41 [=(10-3) / (20-3)], en procédant au retraitement requis par l'article 206-III-3° de l'Annexe II au CGI ; il ne serait que de 0,35 [=(10-3) / 20] dans le cas inverse.
(3) L'article 174 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), est effectivement assez elliptique sur le sujet en disposant comme suit :
"[...]
2. Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, des montants suivants :[...]
b) le montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations accessoires immobilières et financières ;
[...]".
(4) CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01 (N° Lexbase : A9953DBA).
(5) Décret n° 2005-1648 du 26 décembre 2005, modifiant l'article 212 de l'Annexe II au CGI (N° Lexbase : L1921HEU).
(6) Cf. la citation de l'article 206 de l'Annexe II au CGI, ci-dessus.
(7) Instruction 3 A-1-06 du 10 janvier 2006 (N° Lexbase : X5217ADL), puis BOI-TVA-DED-20-10-20, n° 210 (N° Lexbase : X7625ALY).
(8) CJUE, 29 octobre 2009, aff. C-174/08 (N° Lexbase : A5607EMM).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 21 octobre 2011, n° 315469, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8317HYP).
(10) BOI-TVA-DED-20-10-20, n° 210, précité.

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