La lettre juridique n°528 du 23 mai 2013 : QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - Janvier à Mars 2013

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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

le 23 Mai 2013

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. Au cours de la période considérée, qui signe le troisième anniversaire de la QPC, le Conseil constitutionnel s'est penché sur des institutions législatives anciennes, notamment sur les règles d'imposition du tabac, qui remontent à 1629 avec la création d'un droit d'entrée (Cons. const., décision n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013 N° Lexbase : A8253I33), ou encore sur l'action en nullité d'un acte pour insanité d'esprit de son auteur (Cons. const., décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013 N° Lexbase : A2951I3P), dont la limitation trouve son origine dans le Code civil de 1804 et qui, depuis lors, n'a subi que des modifications rédactionnelles et de coordination. Les deux ont été jugées conformes à la Constitution. Même sort pour le droit de rétrocession en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique prévu à article L. 12-6 du Code du même nom (N° Lexbase : L2915HLK), qui précise les modalités de mise en oeuvre de ce "droit de remise" conféré à l'ancien propriétaire des biens expropriés lorsque l'expropriant n'a pas affecté le bien à la destination qui était initialement prévue et qui justifiait l'expropriation (Cons. const., décision n° 2012-292 QPC du 15 février 2013 N° Lexbase : A9638I74).

Plus retentissante est la décision portant sur l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) relative à l'organisation des cultes en Alsace-Moselle (Cons. const., décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88). Cet article prévoit la prise en charge par l'Etat du traitement des pasteurs des églises consistoriales. Au fond, le Conseil constitutionnel devait trancher la question de savoir si le principe constitutionnel de laïcité garanti par l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) comportait non seulement la liberté de conscience, la neutralité de l'Etat, l'égalité de traitement entre les cultes, mais aussi la règle de non-subventionnement de l'exercice des cultes et le principe de non-reconnaissance des cultes ; étant entendu qu'il fallait déterminer si ce dernier fait, ou non, interdiction à l'Etat de financer l'exercice du culte et si le principe de non-reconnaissance interdit aux pouvoirs publics d'accorder un statut ou un soutien public à des cultes déterminés.

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Une QPC ne peut être régulièrement dirigée que contre une "disposition législative", ce qui exclut la contestation de dispositions de nature réglementaire (à propos de dispositions sur l'aide juridique, voir Cass. QPC, 12 mars 2013, n° 12-90.073, F-D N° Lexbase : A5013KAW), ce qui est valable pour les dispositions d'une ordonnance n'ayant pas fait l'objet de ratification législative (à propos de dispositions du Code du sport, voir Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-86.537, F-D N° Lexbase : A5074I3C). A cet égard, avec une certaine rigueur, la Cour de cassation refuse de renvoyer une QPC qui "ne tend, sous le couvert d'une critique d'une disposition législative [...] qu'à contester la conformité à la Constitution des dispositions, de nature réglementaire" (Cass. QPC, 21 janvier 2013, n° 12-19.870, FS-P+B N° Lexbase : A9102I3I, Cass. QPC, 14 février 2013, n° 12-23.968, F-D N° Lexbase : A1549I8U). Cette position génère un angle mort du contentieux.

2 - Statut de l'interprétation/de l'application de la loi

Tout justiciable a le droit de contester via une QPC la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative. La contestation doit concerner la portée que donne à une disposition législative précise l'interprétation qu'en fait la juridiction suprême de l'un ou l'autre ordre. Une QPC dirigée contre "la jurisprudence de la Cour de cassation édictée dans [un] arrêt" ne vise aucune disposition législative et, aux yeux de la Cour de cassation, se borne à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte à la Constitution (Cass. QPC, 27 février 2013, n° 12-40.100, F-D N° Lexbase : A9974I8W).

Encore faut-il, également, que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente. La détermination de l'existence d'une jurisprudence constante est sous la main de la juridiction suprême, et la Cour de cassation y porte un contrôle particulièrement restrictif. La Chambre commerciale juge "sans objet" une QPC dirigée contre l'article L. 643-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L3945HBQ) et la jurisprudence établie au visa de cet article, au motif qu'il n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante autorisant, sur le fondement de la disposition législative critiquée, la contestation d'opérations réalisées par le débiteur entre la clôture de sa liquidation judiciaire et la reprise de celle-ci (Cass. QPC, 29 janvier 2013, n° 12-40.089, F-D N° Lexbase : A6871I4A). La première chambre civile juge de même s'agissant de l'article 267-1 ancien du Code civil (N° Lexbase : L2836DZ3), compris comme permettant d'opposer une forclusion à la partie qui formule une demande devant le juge, sans que cette demande ait été soumise préalablement au notaire ainsi compris : "il n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées conduisant à opposer une forclusion à la partie qui formule une demande devant le juge, sans que cette demande ait été soumise préalablement au notaire" (Cass. QPC, 13 février 2013, n° 12-19.354, F-D N° Lexbase : A1551I8X).

Plus contestable et bien fragile est la solution rejetant une QPC au motif qu'elle "ne critique pas une interprétation jurisprudentielle constante, par la Cour de cassation, du texte visé, mais une méthode d'évaluation des biens expropriés que les juges du fond peuvent souverainement retenir" (Cass. QPC, 14 mars 2013, n° 12-24.995, FS-D N° Lexbase : A5012KAU). Etait ici contestée, au regard du droit de propriété, l'interprétation jurisprudentielle de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB) pour ce qui concerne les modalités d'évaluation de l'indemnité d'expropriation : d'une part, la jurisprudence évalue de manière constante les biens de rapport expropriés en appliquant la méthode de la comparaison et, d'autre part, les juridictions appliquent de manière constante un abattement forfaitaire (généralement de 40 %) sur la valeur des biens de rapport lorsqu'ils sont occupés, sans aucune relation avec la valeur vénale du bien qui n'a de valeur que s'il est occupé et sans aucun rapport avec les indemnités d'éviction allouées aux occupants. Sans entrer ici sur le fond, on discerne clairement que la question de la compensation intégrale est pourtant indissociable de ces interprétations.

3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

Une QPC qui tend aux mêmes fins que la question sur laquelle le Conseil constitutionnel a statué doit être rejetée (voir CAA Paris, 4ème ch., 12 février 2013, n° 10PA00941 N° Lexbase : A3007KBY, à rapprocher de Cons. const., décision n° 2011-143 QPC du 30 juin 2011 N° Lexbase : A5588HUI). Il en est de même, selon un principe désormais bien acquis, pour une QPC dirigée contre une disposition législative déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision QPC (voir CE 1° et 6° s-s-r., 20 février 2013, n° 345728, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB=A2739I8X) ]).

A propos de la disposition de l'ordonnance organique ne permettant pas que soit posée une QPC devant la cour d'assises, la Cour de cassation juge que "la nature organique de cette loi implique que sa conformité à la Constitution ait été préalablement vérifiée par le Conseil constitutionnel" (Cass. crim., 9 janvier 2013, n° 12-81.626, F-P+B+R N° Lexbase : A0796I3U). Cette solution est valable également devant le Conseil d'Etat.

Sans relever strictement de la condition du "déjà jugé", une précédente décision QPC peut en elle-même priver de sérieux une nouvelle question. Ainsi, la portée de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée avec effet immédiat par la décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1688GRX) s'étend à celles de ces dispositions qui, par les renvois qu'elles opéraient, réservaient aux seuls ressortissants de statut civil de droit local le bénéfice de l'allocation de reconnaissance allouée aux anciens membres des forces supplétives ayant servi en Algérie. Une QPC à l'encontre de ces dispositions est donc dépourvue d'objet : le refus d'accorder le bénéfice de l'allocation au motif que l'intéressé relevait du statut civil de droit commun est dépourvu de base légale (CE 1° et 6° s-s-r., 20 mars 2013, n° 345648, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8540KAK).

La question de la prise en compte des changements de circonstances qui peut justifier le réexamen d'une disposition déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel est d'application souvent délicate. Elle connaît quelques précisions.

Le juge est amené à apprécier si un changement de circonstances de droit se caractérise au regard de la portée de modifications affectant le dispositif législatif examiné. Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé que tel n'est pas le cas avec l'ajout par le législateur de nouveaux éléments devant être pris en compte pour la création d'une zone de développement de l'éolien : la portée des dispositions relatives à la création de telles zones déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 (N° Lexbase : A1637DKT) ne se trouve pas affectée (CE 6° s-s., 30 janvier 2013, n° 363673, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4400I4Q).

La Cour de cassation reconnaît clairement que l'intervention d'une nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel peut constituer un changement de circonstances. Mais l'opération fait l'objet d'une interprétation stricte et semble exclue dès lors que les textes en cause sont rédigés de manière différente. C'est ainsi que la Chambre sociale vérifie que les vices relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012 (N° Lexbase : A5658IKR) (à propos du harcèlement sexuel) n'affectent pas les dispositions du Code du travail (à propos du harcèlement moral) déclarées conformes à la Constitution dans la décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 (N° Lexbase : A7587AXB) (Cass. soc., 1er mars 2013, n° 12-40.103, FS-P+B N° Lexbase : A9983I8A). Cette solution fait écho à une série d'arrêts rendus par la Chambre criminelle relevés dans notre précédente chronique (1).

4 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

Une disposition législative n'est pas applicable au litige au sens de l'article 23-4 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), si elle est sans influence sur la validité des dispositions réglementaires contestées. Si l'agression sexuelle fait partie des infractions pour lesquelles une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS) est prévue en cas de condamnation, l'éventuelle inconstitutionnalité de ce délit est jugé par le Conseil d'Etat sans influence sur les modalités d'inscription et de tenue de ce fichier, dans lequel sont, également, enregistrés les auteurs d'infractions autres que l'agression sexuelle (CE 1° et 6° s-s-r., 11 janvier 2013, n° 363463, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0872I3P). On peut, toutefois, se demander si cette solution ne méconnait pas, dans son principe, la possibilité dont dispose le Conseil constitutionnel de faire remonter les effets de sa décision jusqu'à la remise en cause de ce type de mention ou d'inscription (1).

Conformément au caractère abstrait du contrôle QPC, le Conseil d'Etat rappelle de façon constante que les conditions matérielles de mise en oeuvre de la disposition législative en litige ne peuvent utilement être invoquées pour contester sa constitutionnalité (CE 6° s-s., 30 janvier 2013, n° 363670, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4399I4P).

Quoi qu'en principe les deux opérations soient distinctes, l'appréciation de l'applicabilité de la disposition contestée n'est pas toujours déconnectée des moyens invoqués. Ces derniers permettent au juge de cibler le point d'article contesté, lequel peut ne pas être applicable au litige et emporter l'inapplicabilité des dispositions législatives dans leur ensemble (CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2013, n° 358751, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9096I3B).

Dans une affaire remarquable, le Conseil d'Etat a jugé que la décision du ministre chargé de l'Energie qui met en oeuvre les décisions du groupe de travail franco-allemand relatives au transport en Allemagne des déchets nucléaires traités en France a pour fondement l'accord franco-allemand et non les dispositions l'article L. 542-2-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L9624INR). En conséquence, ces dispositions législatives, bien qu'elles précisent les conditions dans lesquelles des combustibles usés ou des déchets radioactifs peuvent être introduits sur le territoire national, ne peuvent être regardées comme applicables au litige (CE 1° et 6° s-s-r., 8 mars 2013, n° 364462, inédits au recueil Lebon N° Lexbase : A3230I9I).

B - Normes constitutionnelles invocables

Dans sa décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013 (N° Lexbase : A2951I3P), le Conseil constitutionnel se penche précisément sur la conformité à la Constitution, et en particulier au droit à un recours juridictionnel effectif, des restrictions légales au droit d'agir en nullité d'un acte juridique. Il contrôle, notamment, les objectifs d'intérêt général poursuivis par le législateur et examine la portée des limitations et restrictions apportées par la loi, celles-ci devant être proportionnées à l'objectif poursuivi.

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur le principe de laïcité dans le cadre de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) et sur une disposition du droit cultuel alsacien-mosellan. Alors que la question a pu être débattue en doctrine, le Conseil a jugé que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit (n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88). On notera qu'à l'occasion de cette importante décision, le Conseil constitutionnel ne livre pas de définition limitative du principe constitutionnel de laïcité, mais énumère des règles essentielles qu'il impose et qui peuvent se concilier entre elles.

Par sa décision n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013 (N° Lexbase : A2952I3Q), le Conseil constitutionnel a utilement précisé sa jurisprudence relative au principe de non-cumul des poursuites, en jugeant que "le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou administrative en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions".

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Introduction de la requête

Lorsque le Bâtonnier de l'Ordre des avocats agit dans le cadre d'une mission d'auxiliaire de justice chargée de la protection des droits de la défense, comme c'est le cas lorsqu'il exerce les prérogatives qui lui sont données à l'occasion d'une perquisition dans un cabinet d'avocat, il n'est pas une partie et ne peut donc soulever un moyen d'inconstitutionnalité du texte appliqué (Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-90.063, F-D N° Lexbase : A5069I37).

De façon constante, un intervenant justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions présentées par une des parties au litige est susceptible d'intervenir au soutien d'une QPC soulevée par cette partie. Toutefois, il est jugé qu'un intervenant n'est pas recevable, eu égard aux conséquences susceptibles d'en résulter quant au règlement du litige tel que déterminé par les conclusions des parties, à soulever de sa propre initiative une QPC qui n'aurait pas été invoquée par l'une des parties (CE 2° et 7° s-s-r., 22 février 2013, n° 356245, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5336I87). Cette solution ne remet pas en cause la faculté pour un intervenant justifiant, en l'état du dossier, d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions présentées par une des parties au litige, d'intervenir au soutien d'une QPC soulevée par cette partie (CE 9° et 10° s-s-r., 26 janvier 2012, n° 353067, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4271IBS). Elle n'interdit pas non plus à une partie de se réapproprier, par mémoire distinct et motivé, une QPC qui aurait été initialement soulevée par un intervenant (CE 1° et 6° s-s-r., 14 avril 2010, n° 328937, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2624EZ9).

Le président de la Section du contentieux et les présidents de sous-section peuvent, lorsqu'ils sont saisis d'une requête manifestement irrecevable au sens du 4° de l'article R. 122-12 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5968IG7), juger par ordonnance prise sur le fondement de cet article qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel, au motif qu'elle n'est ni nouvelle ni sérieuse, une QPC portant sur la disposition législative dont résulte l'irrecevabilité manifeste de la requête (CE, 27 février 2013, n° 366323, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4425KDA).

2 - Présentation de la requête

Pour illustrer la rigueur de l'exigence du mémoire distinct et motivé que requiert la QPC, on mentionnera une série d'arrêts de la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 3ème ch., 7 février 2013, n° 12LY01919 N° Lexbase : A6093KDZ, n° 12LY01937 N° Lexbase : A6094KD3, n° 12LY01938 N° Lexbase : A6095KD4, n° 12LY01939 N° Lexbase : A6096KD7).

Ne peut constituer une QPC susceptible d'être examinée comme telle par le juge du renvoi un mémoire qui, soulevant une série de questions étrangères à la Constitution et sans formulation directe avec d'éventuelles difficultés constitutionnelles, est rédigé de telle façon qu'il s'apparente à demande en interprétation de la loi (Cass. QPC, 19 février 2013, n° 13-80.336, F-D N° Lexbase : A9980I87).

3 - Modalités d'examen de la question

On rappellera que les juridictions suprêmes, dans le cadre du second filtre, se prononcent sur le renvoi de la QPC telle qu'elle a été soulevée dans les mémoires distincts produits devant la juridiction qui l'a transmise. Les moyens soulevés pour la première fois sont jugés irrecevables, comme a fortiori ceux qui auraient été écartés par la juridiction de transmission (Cass. QPC, 20 mars 2013, FS-P+B, n° 12-40.104 N° Lexbase : A9043KA8 et 12-40.105 N° Lexbase : A9046KAB). En effet, le juge s'estime saisi dans la limite des dispositions dont la question de la conformité à la Constitution a fait l'objet de la transmission (CE 6° s-s., 6 février 2013, n° 363955, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4659I7P). Les requérants sont, eux aussi, liés par la question transmise. Ainsi, la Cour de cassation précise que les requérants ne peuvent modifier par voie de mémoire la question transmise (Cass. QPC, 22 janvier 2013, n° 12-90.065, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9110I3S).

On relèvera que, saisi d'une QPC portant sur la base légale de la décision dont la suspension est demandée au titre de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), le juge du référé suspension ne procède à son examen qu'après avoir réglé la question de l'urgence (solution implicite, voir CE 4° et 5° s-s-r., 27 février 2013, n° 364751, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6777I8I). La question de l'urgence n'est pas "plus" prioritaire, elle est plutôt préalable.

4 - Portée de la décision relative à la transmission et au renvoi de la question

Lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel estime qu'une requête est privée d'objet et prononce un non-lieu à statuer, la QPC à l'appui de cette requête n'a pas à être transmise. Ainsi juge le Conseil d'Etat en application des articles R. 222-1 (N° Lexbase : L2818HWB) et R. 771-8 (N° Lexbase : L5756IGB) du Code de justice administrative, tout en écartant le grief tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) développé à leur encontre (CE 9° et 10° s-s-r., 4 février 2013, n° 362163, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3274I7E).

B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation

L'appréciation du caractère sérieux de la question donne lieu à une jurisprudence trop volumineuse pour pouvoir être rapportée intégralement dans cette chronique. On soulignera deux difficultés transversales.

D'une part, l'appréciation du caractère sérieux par les juridictions du premier filtre s'avère parfois problématique. Il existe une tentation de confondre les deux niveaux de filtrage, au risque de ruiner "l'entonnoir du filtre" (2), comme l'illustre un jugement du tribunal de grande instance de Nice dans lequel le juge recherche un "motif sérieux de déclarer fondée la demande de QPC", là où devrait présider une approche purement négative tendant à vérifier si "la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux" en application de l'article 23-2 de l'ordonnance organique. Au cas d'espèce, le tribunal de grande instance estime que l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8928IU9), qui crée une procédure de retenue d'un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, ne constitue pas une entrave à l'exercice des droits de la défense, ces dispositions ayant pour objectif de rechercher des éléments sur une situation administrative et non de recueillir d'éventuels éléments concernant la commission d'une infraction. La QPC est donc clairement jugée comme dépourvue de caractère sérieux (TGI de Nice, 1er mars 2013, n° 79/2013).

D'autre part, l'appréciation du caractère sérieux par les cours suprêmes montre la tendance du juge du renvoi à se prononcer sur le fond de la constitutionnalité des dispositions contestées, en particulier lorsqu'est en cause le principe d'égalité (not., Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-86.753, F-D N° Lexbase : A9106I3N, Cass. QPC, 14 février 2013, n° 12-40.097, F-D N° Lexbase : A1552I8Y, Cass. QPC, 28 février 2013, n° 12-23.706, F-D N° Lexbase : A9978I83, CE 1° et 6° s-s-r., 13 février 2013, n° 363928, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5392I89, CE 1° et 6° s-s-r., 1er mars 2013, n° 364366, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9326I8W). De façon générale, cette immixtion s'observe lorsque le juge estime qu'il y a atteinte à un principe constitutionnel, tout en estimant que cette atteinte est justifiée (not., Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-86.591, F-D N° Lexbase : A5070I38, Cass. QPC, 12 février 2013, n° 12-90.072, F-D N° Lexbase : A4388I8Z) ou non disproportionnée. L'appréciation de la proportionnalité de l'atteinte conduit à des jurisprudences très intrusives dans l'office du Conseil constitutionnel (voir, Cass. QPC, 15 janvier 2013, n° 12-40.086, F-D N° Lexbase : A5072I3A, Cass. QPC, 5 février 2013, n° 12-90.069, F-D N° Lexbase : A1548I8T, Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-85.116 N° Lexbase : A9981I88, Cass. QPC, 6 février 2013, n° 12-90.071 N° Lexbase : A4389I83, Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-40.095, FS-P+B N° Lexbase : A4387I8Y), au point que la jurisprudence se trouve parfois auto-interprétée comme garantissant la proportionnalité de l'atteinte (Cass. QPC, 10 janvier 2013, n° 12-40.084, FS-P+B N° Lexbase : A0926I3P, Cass. QPC, 13 février 2013, n° 12-40.096, FS-P+B N° Lexbase : A1556I87). De même, le juge de renvoi s'estime abusivement compétent pour convoquer des principes constitutionnels dont l'existence ou le contenu n'est pas authentiquement affirmée (ainsi, à propos de "la protection renforcée de l'enfance", Cass. QPC, 22 janvier 2013, n° 12-90.065, F-P+B N° Lexbase : A9110I3S). Cette dernière affaire est d'autant plus critiquable au fond que la Cour y juge proportionnée à l'objectif, certes louable, de protection de l'enfance, une interdiction totale de l'implantation de commerces.

Sur le fond, on peut relever la réticence de la Cour de cassation à renvoyer des questions portant sur des aspects de procédure pénale (voir, s'agissant de la composition de la commission de l'application des peines réunie en milieu carcéral, Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-86.832, F-D N° Lexbase : A6596I7G, des dispositions qui confèrent au procureur de la république le pouvoir discrétionnaire de choisir le mode de poursuites, Cass. QPC, 6 mars 2013, n° 12-90.078, F-D N° Lexbase : A3243I9Y, des recours contre les arrêts incidents des cours d'assises, Cass. QPC, 6 mars 2013, n° 12-88.152, F-D N° Lexbase : A6011KAU ou de la notification du droit au recours contre les ordonnances, Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-84.957, F-D N° Lexbase : A9041KA4). On notera la même réticence concernant les griefs mettant en cause la clarté ou l'imprécision de la loi ou de notions qu'elle emploie, et le risque d'arbitraire que pourrait alors susciter le pouvoir d'appréciation ou d'interprétation du juge. La Chambre criminelle absorbe systématiquement la difficulté dans "l'office du juge pénal" (Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-82.627, F-D N° Lexbase : A0927I3Q, Cass. QPC, 29 janvier 2013, n° 12-90.070, F-D N° Lexbase : A6594I7D, Cass. QPC, 30 janvier 2013, n° 12-90.066, F-D N° Lexbase : A6869I48, Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-90.074, F-D N° Lexbase : A9977I8Z, Cass. QPC, 27 mars 2013, n° 12-84.784, F-D N° Lexbase : A3965KBH, Cass. QPC, 27 mars 2013, n° 12-85.115, F-P+B N° Lexbase : A3974KBS, et n° 12-84.189, F-D N° Lexbase : A3972KBQ, à rapprocher de Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-82.163, F-D N° Lexbase : A3967KBK, Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-85.617, F-D N° Lexbase : A3970KBN, Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-90.077, F-D N° Lexbase : A9036KAW).

On ne souligne sans doute pas assez que les décisions relatives à l'appréciation du renvoi par les juridictions suprêmes apportent parfois de précieuses précisions quant à l'interprétation de la loi, en particulier pour déterminer si le dispositif en cause relève du champ d'application du principe constitutionnel invoqué. Ainsi, en refusant de renvoyer une QPC fondée sur les principes constitutionnels régissant la matière répressive, on apprend que la décision de refuser, de suspendre ou de retirer un permis de visite ne constitue pas une sanction ayant le caractère de punition, mais une mesure de police administrative tendant à assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité au sein de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions (CE 1° et 6° s-s-r., 20 février 2013, n° 364081, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5342I8D).

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut ainsi relever que le Conseil constitutionnel a admis les interventions volontaires de trois sociétés dans la suite des questions relatives à la rémunération pour copie privée (Cons. const., décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013 N° Lexbase : A1221I3M), de sociétés de tabac et d'allumettes (Cons. const., décision n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013 N° Lexbase : A8253I33), ou encore de l'UNEDIC (Cons. const., décision n° 2013-299 QPC du 28 mars 2013 N° Lexbase : A0763KBU). On mentionnera tout particulièrement, compte tenu de leur ampleur, quatre séries d'observations en intervention (dont celles de l'association République sans Concordat, de l'Institut du droit local alsacien-mosellan, de présidents de consistoires, et de l'archevêque de Strasbourg...) dans l'affaire relative au traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements d'Alsace-Moselle (Cons. const., décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88).

En revanche, le Conseil constitutionnel a estimé que l'association "Confédération française du commerce et de gros interentreprises et du commerce international" (CGI), qui a déposé une intervention dans l'affaire n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 (N° Lexbase : A0762KBT), n'a pas justifié d'un "intérêt spécial" à présenter des observations conformément à l'article 6 du règlement du 4 février 2010. Son intervention n'a, dès lors, pas été admise. Ce refus d'admission, après avoir été précisé dès le premier considérant de la décision, est mentionné expressément dans son dispositif. Il semble, toutefois, postérieur à la clôture de l'instruction car l'intervenant a présenté des observations orales lors de l'audience publique (ce qui n'est pourtant pas possible sans y avoir été dûment autorisé...).

2 - Procédure orale

Dans l'affaire n° 2012-293/294/295/296 QPC du 8 février 2013 (N° Lexbase : A5794I7Q), le greffe du Conseil constitutionnel a notifié la décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013 (N° Lexbase : A1221I3M) aux requérants, les informant de ce qu'à la suite de cette décision, compte tenu de l'identité de disposition contestée, le Conseil constitutionnel envisageait de statuer sans appeler ces affaires à une audience publique. Le requérant ne s'y est pas opposé, comme il aurait pu le faire, sans grand intérêt toutefois, d'autant plus que la disposition en cause a été censurée par le Conseil constitutionnel. La procédure est ainsi parvenue à son terme sans audience publique.

3 - Composition du Conseil constitutionnel

On retiendra que l'audience publique du 19 mars 2013 (Cons. const., décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 N° Lexbase : A0762KBT) s'est déroulée en présence des nouveaux membres du Conseil constitutionnel : Mme Claire Bazy Malaurie (déjà membre depuis trois ans), Nicole Belloubet, Nicole Maestracci, nommées en février respectivement par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, et le Président de la République.

B - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

Le bénéfice de l'abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel peut se trouver circonscrite afin de tenir compte de modifications rétroactives introduites par la loi (3). Cette solution trouve une illustration inédite dans l'affaire n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013.


(1) Cons. const., décisions n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011 (N° Lexbase : A7447HX4) (la mention selon laquelle le crime ou le délit présente un caractère "incestueux" ne peut plus figurer au casier judiciaire et doit ainsi être retirée), n° 2011-211 QPC du 27 janvier 2012 (N° Lexbase : A4116IB3), (tous les condamnés ayant été radiés sur les listes électorales peuvent demander leur réinscription sur ces listes), à rapprocher déjà de Cons. const., décisions n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 (N° Lexbase : A8020EYP) et n° 2011-222 QPC du 17 février 2012 (N° Lexbase : A5831ICX).
(2) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 151 et s. et n° 307 et s..
(3) Sur le sujet dans son ensemble, voir nos obs., Les effets dans le temps des décisions QPC. Le Conseil constitutionnel, 'maître du temps' ? Le législateur, bouche du Conseil constitutionnel ?, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 40.

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