Le Quotidien du 3 mars 2022 : Avocats/Déontologie

[Brèves] La Robe se porte sans voile

Réf. : Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-20.185, FP-B+R N° Lexbase : A10547PQ

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N0632BZG

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par Marie Le Guerroué

le 03 Mars 2022

► Le conseil de l’Ordre d’un barreau peut interdire de porter, avec la robe d’avocat, tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique.

Faits et procédure. Le 24 juin 2019, le conseil de l’Ordre d’un barreau de Lille avait modifié son règlement intérieur en ajoutant au titre consacré aux « rapports avec les institutions » l’alinéa suivant : « L’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ». Une élève-avocate et son maître de stage, avocat, avaient chacun formé un recours contre cette délibération du conseil de l’Ordre.

Cour d’appel. Le 9 juillet 2020, la cour d’appel avait déclaré le recours de l’élève-avocate irrecevable, celle-ci n’étant pas encore avocate et n’ayant donc pas qualité à agir et rejeté la demande de son maître de stage de voir annuler cette délibération du conseil de l’Ordre (CA Douai, 9 juillet 2020, n° 19/05808 N° Lexbase : A94213RD ; lire à ce propos, F.-X. Berger, La robe d’avocat à l’épreuve de son temps, Lexbase Avocats, septembre 2020 N° Lexbase : N4369BYH).

Réponse de la Cour.

Sur la qualité à agir de l’élève-avocate. La Cour rappelle qu’il résulte des articles 31 du Code de procédure civile, 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ et 14, 15 et 62 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID que, d'une part, seul le procureur général ou un avocat s'estimant lésé dans ses intérêts professionnels peut déférer à la cour d'appel les délibérations ou décisions du conseil de l'Ordre, d'autre part, l'élève avocat dépend juridiquement de ce centre, de sorte que, s'agissant d'une action attitrée, celui-ci n'a pas qualité pour agir en contestation d'une délibération du conseil de l'Ordre d'un barreau. Après avoir relevé que la demanderesse n'était pas avocate, mais élève-avocate en formation, non encore titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, la cour d'appel en a, pour la Cour de cassation, exactement, déduit que celle-ci ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 15 du décret précité, en l'absence de justification d'un intérêt professionnel lésé, et que le serment prêté par les élèves avocats au début de leur formation n'était pas de nature à les assimiler à des avocats ni leur conférer la qualité exigée par ce texte. Ayant retenu que l’intéressée qui n'était pas soumise au port de la robe en sa qualité d'élève-avocate, ne pouvait se prévaloir d'une violation actuelle de ses droits et libertés reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel n'était pas, selon la Haute juridiction, tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante.

Sur la compétence du conseil de l’Ordre. La Cour rappelle, dans un second temps, que l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que les avocats sont des auxiliaires de justice, prêtent serment en ces termes : « Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession. Selon l'article 17 de la loi susvisée, le conseil de l'Ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession, sans préjudice des attributions dévolues au Conseil national des barreaux (CNB). Selon l'article 21-1, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession. En l'absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB, il entre, selon la Cour, dans les attributions d'un conseil de l'Ordre de réglementer le port et l'usage du costume de sa profession. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que les modalités du port et de l'usage du costume intéressaient l'exercice de la profession d'avocat et que le conseil de l'Ordre avait le pouvoir de modifier son règlement intérieur sur ce point.

Sur la restriction des libertés religieuse et d’expression. La Haute Cour rappelle qu’il résulte des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 N° Lexbase : L6813BHS, 9 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L6799BHB, et 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques N° Lexbase : L6816BHW que toute personne a droit, d'une part, à la liberté de pensée, de conscience et de religion, d'autre part, à la liberté d'expression et que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre, de la santé ou de la moralité publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Selon l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 précité, les avocats sont des auxiliaires de justice qui prêtent serment d'exercer leurs fonctions notamment avec indépendance et qui revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession, défini par l'arrêté des consuls du 2 nivôse an XI. Après avoir rappelé que les avocats sont des auxiliaires de justice qui, en assurant la défense des justiciables, concourent au service public de la justice, la cour d'appel a retenu que la volonté d'un barreau d'imposer à ses membres, lorsqu'ils se présentent devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme contribue à assurer l'égalité des avocats et, à travers celle-ci, l'égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable, qu'afin de protéger leurs droits et libertés, chaque avocat, dans l'exercice de ses fonctions de défense et de représentation, se doit d'effacer ce qui lui est personnel et que le port du costume de sa profession sans aucun signe distinctif est nécessaire pour témoigner de sa disponibilité à tout justiciable. La cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur l'article 3 précité et les usages de la profession, en a, selon les juges du droit, déduit à bon droit que l'interdiction édictée à l'article 9.6 du règlement intérieur du barreau de Lille, suffisamment précise en ce qu'elle s'appliquait au port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, était nécessaire afin de parvenir au but légitime poursuivi, à savoir protéger l'indépendance de l'avocat et assurer le droit à un procès équitable, mais était aussi, hors toute discrimination, adéquate et proportionnée à l'objectif recherché. Le moyen n'est donc, selon la Cour, pas fondé.

Rejet. Le rejet de la demande d’annulation de cette délibération du conseil de l’Ordre est donc confirmé.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La représentation en justice et défense, La qualité d'auxiliaire de justice de l'avocat N° Lexbase : E36293RT et ÉTUDE : La contestation des délibérations et des décisions du conseil de l'Ordre N° Lexbase : E33993RC, in La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase.

 

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