Réf. : Cass. soc., 27 mars 2013, n° 12-20.369, FS-P+B (N° Lexbase : A2607KB8)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 18 Avril 2013
Résumé
Sous réserve de conventions ou accords collectifs comportant des clauses plus favorables, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, seul un délégué du personnel titulaire disposant d'un crédit d'heures à ce titre peut être désigné comme représentant de la section syndicale. |
Observations
I - L'ajout à la loi
Les textes légaux. A l'instar du délégué syndical (C. trav., L. 2143-3 N° Lexbase : L6224ISC), le représentant de la section syndicale ne peut être désigné que dans une entreprise ou un établissement de cinquante salariés et plus (C. trav., art. L. 2142-1-1 N° Lexbase : L6225ISD). Toutefois, l'article L. 2142-1-4 du Code du travail (N° Lexbase : L3806IBL) dispose que "dans les entreprises qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats non représentatifs dans l'entreprise qui constituent une section syndicale peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un délégué du personnel comme représentant de la section syndicale [...]".
Ce texte n'est évidemment pas sans rappeler l'article L. 2143-6 du même code (N° Lexbase : L3785IBS), dont on sait qu'il énonce une règle similaire à propos du délégué syndical. Il convient toutefois de relever que cette dernière disposition n'exige pas que le syndicat ait constitué une section syndicale pour pouvoir désigner un délégué du personnel en qualité de délégué syndical. Dans un arrêt déjà ancien, la Cour de cassation avait d'ailleurs pu décider que "les syndicats représentatifs peuvent désigner un délégué du personnel, pour la durée de son mandat, comme délégué syndical sans avoir à justifier de la constitution d'une section syndicale" (1). La loi du 20 août 2008 ayant clairement soumis la désignation d'un délégué syndical à la constitution d'une section syndicale, il n'est pas certain que cette solution soit encore d'actualité aujourd'hui. On comprendrait au demeurant difficilement que cette exigence soit retenue pour le représentant de la section syndicale et non pour le délégué syndical, nonobstant les termes de l'article L. 2143-6 (2).
Le problème soumis à la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté était cependant d'une autre nature. En l'espèce, dans une entreprise employant moins de cinquante salariés, un syndicat avait désigné un délégué du personnel suppléant en qualité de représentant de la section syndicale. A la suite d'une action en contestation exercée par l'employeur, les juges du fond avaient annulé cette désignation. Le syndicat reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors qu'aucune disposition législative n'interdit de procéder à la désignation d'un délégué du personnel suppléant.
Une solution attendue. La Cour de cassation rejette le pourvoi du syndicat. Après avoir affirmé que "sous réserve de conventions ou d'accords collectifs comportant des clauses plus favorables, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, seul un délégué du personnel titulaire disposant d'un crédit d'heures à ce titre peut être désigné comme représentant de la section syndicale", elle relève que le tribunal, qui a constaté que le salarié désigné, "était délégué du personnel suppléant, en a exactement déduit que, ne disposant pas d'un crédit d'heures, il ne pouvait être désigné en qualité de représentant de section syndicale".
Cette solution ne saurait surprendre. Il est certes vrai, ainsi que le soutenait le syndicat mandant dans son pourvoi, que la loi n'exige pas que le délégué du personnel soit titulaire. Il faut donc se rendre à l'évidence et constater que la Cour de cassation ajoute à la loi une condition qui n'y figure pas. Il faut néanmoins se souvenir qu'une solution identique est retenue, de longue date, par la Chambre sociale, relativement à la désignation d'un délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés (3). Ainsi qu'il a été relevé, "cette jurisprudence s'explique par le fait que seul le délégué du personnel titulaire dispose d'un crédit d'heures et paraît ainsi pouvoir exercer la mission de délégué syndical" (4).
Cette explication peut ne pas convaincre. En effet, si le fait de ne disposer d'aucune heure de délégation n'est certainement pas de nature à faciliter l'exercice d'un mandat de délégué syndical, elle ne le rend pas totalement impossible. Ainsi, l'article L. 2143-20 du Code du travail (N° Lexbase : L2212H9S) dispose que ce dernier peut, "tant durant ses heures de délégation qu'en dehors de [ses] heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de [sa] mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés". On comprend ainsi que la liberté de circulation du délégué syndical n'est pas, à proprement parler, liée au fait de bénéficier d'heures de délégation. Il faut, en outre, rappeler que, par application des dispositions de l'article L. 2142-1-1, alinéa 2, le représentant de la section syndicale bénéficie des mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l'exception du pouvoir de négocier des accords collectifs.
En d'autres termes, alors même qu'il ne bénéficie pas d'heures de délégation, un délégué du personnel suppléant n'est pas dans l'impossibilité matérielle totale d'assumer un mandat de délégué syndical ou de représentant de la section syndicale. Cela est d'autant plus vrai pour ce dernier, qui a surtout vocation à faire du prosélytisme, afin d'assurer le succès du syndicat mandant aux élections professionnelles.
II - Les atténuations jurisprudentielles
Les améliorations conventionnelles. Si la Cour de cassation exclut la possibilité de désigner un délégué du personnel suppléant en qualité de représentant de la section syndicale, c'est sous réserve "de conventions ou d'accords collectifs comportant des clauses plus favorables" (5). Ce renvoi aux normes conventionnelles plus favorables est pour le moins classique (6). On peut néanmoins s'interroger sur la marge de manoeuvre ainsi offerte aux partenaires sociaux.
Il ne fait aucun doute que la norme conventionnelle doit recevoir application lorsqu'elle stipule la possibilité de désigner un délégué du personnel suppléant en qualité de représentant de la section syndicale en octroyant à ce dernier, et à ce titre, des heures de délégation. Il doit également en aller de même lorsque la convention collective octroie des heures de délégation à un délégué du personnel suppléant, en cette qualité, tout en prévoyant qu'il peut être désigné représentant de la section syndicale. L'incertitude naît, en revanche, lorsque la norme conventionnelle se borne à octroyer des heures de délégation aux délégués du personnel suppléants, sans prévoir qu'ils peuvent assumer un mandat de représentant de la section syndicale.
A dire vrai, l'incertitude n'est ici que relative. A suivre la jurisprudence de la Cour de cassation, seul importe le fait que le salarié puisse disposer d'heures de délégation pour exercer son mandat. L'arrêt sous examen est en ce sens, la Cour de cassation relevant que le tribunal, "qui a constaté que M. X était délégué du personnel suppléant, en a exactement déduit que, ne disposant pas d'un crédit d'heures, il ne pouvait être désigné en qualité de représentant de section syndicale" (nous soulignons). On peut donc penser qu'il aurait suffi que le tribunal constate que le salarié disposait d'un crédit d'heures, à un titre quelconque, pour que la désignation soit validée.
Cela étant admis, il reste encore à évoquer le cas dans lequel la convention collective se borne à énoncer qu'un délégué du personnel suppléant peut être désigné en qualité de représentant de la section syndicale, sans lui octroyer la moindre heure de délégation. Il faut ici se demander si l'on est en présence d'une "clause plus favorable". A notre sens, une réponse négative doit être apportée à cette question, au regard, à nouveau, de la justification de la jurisprudence de la Cour de cassation. Allant au-delà de la loi, celle-ci n'interdit pas purement et simplement à un délégué du personnel suppléant d'être représentant de la section syndicale, auquel cas la stipulation conventionnelle serait plus favorable. Elle ne lui permet pas d'assumer un tel mandat uniquement lorsqu'il ne dispose pas, à un titre quelconque, d'heures de délégation. A cet égard, la stipulation n'est donc pas plus favorable que la loi ou, plus exactement, que la loi telle qu'interprétée par la Cour de cassation.
Les atténuations prétoriennes. En l'absence de stipulations conventionnelles plus favorables, il est au moins une situation dans laquelle un délégué du personnel suppléant pourra, très certainement, être désigné en qualité de représentant de la section syndicale. Il résulte de l'article L. 2314-30 du Code du travail (N° Lexbase : L2657H9B), que lorsque un délégué du personnel titulaire cesse momentanément ses fonctions, pour une cause quelconque, il est remplacé par un délégué suppléant, dont le dernier alinéa du texte précité nous dit qu'il "devient titulaire jusqu'au retour de celui qu'il remplace [...]".
Tirant toutes les conséquences de ce texte, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt en date du 20 juin 2012, que "le délégué du personnel suppléant assurant ce remplacement peut, pour la durée de celui-ci, être désigné comme délégué syndical" (7). Il ne fait guère de doute que cette solution doit être transposée à la désignation d'un représentant de la section syndicale.
(1) Cass. soc., 12 décembre 1990, n° 88-60.671, publié (N° Lexbase : A1593AAA), Bull. civ. V, n° 666.
(2) Cela étant, dans la mesure où cette solution ne facilite pas l'implantation syndicale dans l'entreprise, la Cour de cassation pourrait s'en tenir à une stricte lecture de l'article L. 2143-6 pour maintenir sa solution.
(3) Cass. soc., 30 octobre 2001, n° 00-60.313, publié (N° Lexbase : A9899AWK), Bull. civ. V, n° 336 ; Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-42.269, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A4840EAI), Bull. civ. V, n° 184 ; RDT, 2009, p. 51, note F. Signoretto.
(4) M.-L. Morin, L. Pécaut-Rivolier, Y. Struillou, Le guide des élections professionnelles, Dalloz, 2ème édition, 2011, n° 412.93.
(5) La même solution s'applique aux délégués syndicaux. V., en ce sens, l'arrêt préc. du 24 septembre 2008.
(6) Seuls les conventions et accords collectifs étant visés, il n'appartient pas à un usage ou un engagement unilatéral de l'employeur de faire de même.
(7) Cass. soc., 20 juin 2012, n° 11-61.176, FS-P+B (N° Lexbase : A4910IPK).
Décision
Cass. soc., 27 mars 2013, n° 12-20.369, FS-P+B (N° Lexbase : A2607KB8) Rejet, TI Saint-Etienne (contentieux des élections professionnelles), 24 mai 2012 Texte concerné : C. trav., art. L. 2142-1-4 (N° Lexbase : L3806IBL) Mots-clés : représentant de la section syndicale, conditions de désignation, effectif de l'entreprise, délégué du personnel suppléant Liens base : (N° Lexbase : E6025EXG) |
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