Réf. : Schedule 20 of Finance Bill 2012
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par Simon Ginesty, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine
le 11 Avril 2013
Et pourtant, à bien y regarder, est-ce vraiment surprenant ? Il faut ainsi rappeler qu'à l'heure de la globalisation, une grande majorité des profits est réalisée, non pas dans l'Etat où le siège de l'entreprise est situé, mais plus régulièrement à l'étranger (et notamment dans les pays émergents). Toutefois, grande est la tentation, pour certaines entreprises, de "forcer" le schéma naturel de localisation du profit, en établissant dans des territoires accueillants des centres de profits ne correspondant à aucune réalité économique.
Dès lors, les autorités fiscales ont mis en place un système général de lutte contre ce type d'optimisation fiscale, en introduisant dans leur arsenal législatif des dispositifs de "localisation du profit". L'idée sous-jacente est ainsi la suivante : réintégrer dans les bénéfices imposables d'une entreprise les revenus ou bénéfices correspondant à ceux réalisés par leurs filiales et établissements stables qui auraient été "indûment" soumis à un faible niveau d'imposition dans leur territoire de résidence.
En France, c'est l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L9422IT7) qui joue ce rôle de garde-fou (3). Ainsi, et par dérogation au principe général de territorialité de l'impôt sur les sociétés, défini par l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L0159IWS), le B de cet article dispose que les personnes morales établies en France seront également imposées sur leurs résultats bénéficiaires correspondant aux bénéfices réalisés par leurs filiales et établissements stables soumis à l'étranger à un régime fiscal privilégié.
Au Royaume-Uni, le système est un peu différent, dans la mesure où les revenus réalisés à l'étranger par une entreprise résidente du Royaume-Uni sont, par principe, assujettis à l'impôt dans ce pays (principe de l'impôt sur une base mondiale). Toutefois, l'immense majorité de ces profits est en réalité exonérée d'impôt britannique par le jeu des conventions internationales de lutte contre les doubles impositions. C'est pourquoi le législateur a introduit un système équivalent à l'article 209 B du CGI voici plusieurs années, connu sous le terme de "Controlled Foreign Companies" (ci-après, CFC). Toutefois, les nombreuses critiques de ce régime, quant à sa complexité, d'une part, mais aussi -et peut être surtout- à son incompatibilité avec les règles européennes, d'autre part, ont conduit le Gouvernement britannique à entreprendre une ambitieuse réforme de ce régime, applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2013, avec l'objectif affiché de faire du Royaume-Uni un territoire fiscalement accueillant.
Bien qu'intéressant, en premier lieu, les entreprises dont le siège se situe au Royaume-Uni, cette réforme concernera également toutes les filiales françaises de groupes anglais, ou même encore les filiales anglaises de groupes français, elles-mêmes détentrices de filiales. L'occasion nous est donc offerte de présenter un rapide aperçu de ce nouveau régime.
I - Controlled Foreign Companies : qu'es aquò ?
Comme son nom le laisse en partie supposer, un CFC est une entité qui :
Toutefois, l'un des points majeurs de la nouvelle législation sur les CFC a trait à l'inversion de la législation : en effet, et contrairement à la législation précédente, une entreprise étrangère n'est pas, par principe, considérée comme un CFC.
A - Une entité qui n'est pas résidente du Royaume-Uni
S'agissant de la résidence d'une entreprise, la réglementation relative aux CFC s'applique aux entités qui sont considérées, pour chaque exercice comptable, comme non-résidentes du Royaume-Uni, c'est-à-dire comme résidentes d'un autre territoire dans lequel elles sont redevables de l'impôt en raison de leur domicile, de leur résidence ou du lieu de leur direction effective.
On remarquera à cet égard que le terme de "territoire" inclut les juridictions qui ne disposent pas d'une entière souveraineté, telles que les Iles Anglo-Normandes (Jersey, Guernesey,...), mais non les Etats fédérés membre d'une Fédération (Etats-Unis, Allemagne,...) et que le terme "impôt" désigne une contribution dont la nature est similaire à l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés britannique (4).
Dans l'hypothèse où une entreprise doit être regardée comme résidente de deux ou plusieurs territoires selon ces critères, alors elle doit être considérée comme résidente du territoire :
- du lieu où sa direction effective est installée, ou bien si celui-ci ne peut être déterminé, du lieu où ses actifs sont les plus importants à la fin de la période concernée (évalués à la valeur de marché) ;
- si le premier point ne s'applique pas, du lieu expressément indiqué par ladite entreprise, ou à défaut d'une telle élection, du lieu déterminé par les autorités britanniques elles-mêmes (HMRC).
B - Une entité "contrôlée"
La notion de contrôle telle que définie par la législation anglaise regroupe les hypothèses suivantes (5) :
II - La détermination du profit réalisé par le CFC
A - Description générale (6)
Ce n'est que dans l'hypothèse où les profits (ou seulement une partie de ces profits, le cas échéant) réalisés par un CFC tombent dans l'une des cinq catégories de revenus établies par la nouvelle législation (7), sans en être exonérés, qu'ils seront alors réintégrés dans le revenu imposable de l'entreprise qui détient le CFC et soumis à une charge fiscale supplémentaire au Royaume-Uni. Ces catégories successives établissent donc un "tunnel" par lequel les profits réalisés par les filiales étrangères doivent circuler.
La détermination du profit imposable s'opère donc selon ce tableau.
B - Profits opérationnels (règle générale) (8)
Les profits d'exploitation réalisés par les CFC sont, par principe, exclus de la nouvelle législation.
Il n'en va différemment que dans l'hypothèse où l'une des trois conditions suivantes s'avérerait remplie :
Dans ces trois hypothèses, le profit afférent aux "fonctions humaines importantes pertinentes" exercées au Royaume-Uni et qui a été "artificiellement écarté" de l'impôt au Royaume-Uni, devra alors être réintégré (10).
Toutefois, et quand bien même l'une de ces trois conditions serait satisfaite, une entreprise ne serait pas soumise à la charge d'impôt correspondante au Royaume-Uni si elle est en mesure de démontrer que :
Enfin, et de manière similaire, les profits réalisés par un CFC ne seront pas réintégrés au Royaume-Uni si l'entreprise peut justifier cumulativement que :
C - Produits opérationnels (financiers) (11)
Dans l'hypothèse où une entité étrangère génèrerait des produits opérationnels de nature financière (c'est-à-dire essentiellement les établissements financiers et entités assimilées), seuls les produits financiers afférents aux apports réalisés par des entreprises du Royaume-Uni doivent être réintégrés dans les profits imposables de l'entreprise qui détient le CFC pour y être soumis à l'impôt sur les sociétés britannique.
En pratique, cette hypothèse vise donc les entités qui seraient créées par une entreprise du Royaume-Uni, avec des capitaux en provenance de ce pays, et qui exercerait une activité financière.
Toutefois, le texte réserve le cas où les apports peuvent être considérés comme "normaux", c'est-à-dire correspondant à des apports qui auraient été réalisés par des tiers dans des circonstances comparables. Dans ce cas, les profits correspondants sont exclus de toute réintégration au Royaume-Uni.
Par ailleurs, les entreprises qui exercent une activité de trésorerie (i.e. centre de trésorerie ou "cash-pool") ont la possibilité d'opter pour que leurs profits opérationnels financiers soient considérés comme des profits exceptionnels et donc de bénéficier d'une exonération à hauteur de 75 % des profits réalisés par le CFC (voir ci-dessous).
D - Profits exceptionnels (financiers)
Les produits exceptionnels (financiers) d'une entreprise sont, a priori, exclus de la réintégration d'impôt applicable aux CFC, du moins lorsque les produits afférents n'excèdent pas 5 % de leurs résultats opérationnels (12).
En outre, la nouvelle législation a introduit deux exonérations relatives aux prêts intra-groupes (13) :
Toutefois, ces exonérations sont exclues, dès lors que le prêt est effectué :
Enfin, ces exonérations ne sont possibles que si le CFC dispose de bureaux sur le territoire duquel il est installé.
E - La conséquence : une charge fiscale supplémentaire
Lorsque les conditions énoncées ci-dessus sont remplies, et sous réserve qu'aucune des nombreuses exonérations ne soient applicables (soit propres à chaque catégorie de revenus, soit de portée générale -voir infra-), l'entreprise devra alors s'acquitter d'une charge fiscale équivalente au montant de l'impôt sur les sociétés britannique normalement dû sur les profits réalisés par le CFC, à proportion de ses droits dans cette entreprise.
III - Exonérations
La nouvelle règlementation prévoit cinq types d'exonération ayant une portée générale : ainsi, dans ces cinq hypothèses, les profits générés par le CFC seront automatiquement -et définitivement- exonérés d'impôt au Royaume-Uni.
A - Taux d'imposition (14)
La première exonération de portée générale, et qui était auparavant l'une des conditions relative à la qualification même de CFC, a trait à son niveau d'imposition dans le territoire duquel il est situé.
Ainsi, dans l'hypothèse où, sur la période comptable concernée, le montant de l'impôt acquitté dans le territoire dont le CFC est résident à raison des profits réalisés (autres que les gains en capital) pour cette période est supérieure aux trois quarts de l'impôt anglais correspondant (c'est-à-dire l'impôt qu'aurait acquitté cette entreprise au Royaume-Uni sur de tels profits si elle était résidente de ce pays), alors l'exonération est acquise à l'entreprise.
Compte tenu du taux de l'impôt sur les sociétés au Royaume-Uni (soit 23 % actuellement, taux qui diminuera à 21 % à compter du 1er avril 2014 puis à 20 % à compter du 1er avril 2015), cela signifie que le CFC doit être soumis à un taux d'imposition au moins égal à 18 % pour que l'entreprise qui détient le CFC soit exonérée d'impôt au Royaume-Uni.
B - Montant du profit (15)
La deuxième exonération est relative au montant du profit généré par le CFC.
Ainsi, lorsque le bénéfice imposable du CFC est inférieur à 500 000 livres (pour les produits opérationnels), et 50 000 livres (pour les produits exceptionnels), aucune charge supplémentaire d'impôt n'est due par l'entreprise qui détient le CFC.
Il est à noter que, contrairement à la législation précédente, la nouvelle réglementation permet de déterminer le montant de ces profits par référence aux normes comptables locales et non plus uniquement par référence aux normes UK GAAP ou IFRS.
Par ailleurs, un dispositif particulier a été introduit pour circonscrire l'application de cette exonération en cas d'abus (notamment dans l'hypothèse où une entreprise créerait plusieurs CFC afin que chacun ne dispose pas d'un profit supérieur à ces seuils d'exonération).
C - Faible marge (16)
La nouvelle règlementation relative aux CFC a intégré une nouvelle exonération relative au taux de la marge générée par le CFC.
C'est ainsi que les profits générés par un CFC dont la marge n'excède pas 10 % de ses coûts opérationnels sont exclus du régime, et donc ne sont pas soumis à réintégration dans les bases de l'entreprise qui contrôle le CFC au Royaume-Uni.
Le taux de 10 % correspond ainsi au profit réalisé par le CFC par rapport à ses coûts opérationnels, à l'exception :
D - Territoire exclus (17)
Compte tenu des contraintes liées à la détention d'un CFC (contraintes fiscales, administratives,...), le législateur britannique a, depuis quelques années, indiqué que certains territoires devaient être écartés de la règlementation sur les CFC. Les autorités fiscales britanniques ont ainsi établi une liste de 94 pays pour lesquels une exonération générale de la règlementation sur les CFC s'applique.
Toutefois, et à l'inverse de la réglementation précédente, cette exonération est soumise à trois conditions :
E - Période d'exonération (18)
Enfin, la nouvelle règlementation prévoit que les règles relatives aux CFC ne sont pas applicables aux entreprises étrangères qui sont qualifiées de CFC pour la première fois au cours d'un exercice. En conséquence, aucune réintégration n'est à opérer au titre de ce premier exercice.
(1) Sur la définition de fraude fiscale, en comparaison au terme d'évasion fiscale ou d'optimisation fiscale, V. notamment, le Rapport établi par M. Eric Bocquet au nom de la Commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales du Sénat.
(2) V. Rapport de M. Bocquet précité. V. également Rapport OCDE (2013), Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Editions OCDE.
(3) En complément du principe général de l'abus de droit (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU) et de l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L3365IGQ), relatif aux transferts indirects de bénéfices. Cet article a fait l'objet de changements significatifs par la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ), portant tant sur son champ d'application que sur la charge de la preuve que doit rapporter la société française pour bénéficier d'une exonération.
(4) HMRC International Manual, INTM202050.
(5) Income and Corporation Taxes Act 1988, s 747(1) (2).
(6) Chapter 3 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(7) Pour des raisons de simplification, nous ne détaillerons pas les règles relatives aux entreprises d'assurance, ni aux produits financiers spécifiques (ces derniers concernent les établissements financiers qui ont choisi d'inclure les capitaux propres de leurs filiales pour les besoins du calcul de leur propre ratio en fonds propres -"solo consolidation waiver"-).
(8) Chapter 4 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(9) Cette terminologie fait expressément référence à celle utilisée pour la détermination des profits attribuables aux établissements stables dans les commentaires OCDE relatifs aux conventions fiscales (C(7)-6, n° 15 et suivants : "compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés").
(10) Même commentaire que note précédente (terminologie relative à l'identification des établissements stables).
(11) Chapter 6 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(12) Chapter 5 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(13) Chapter 9 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(14) Chapter 14 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(15) Chapter 12 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(16) Chapter 13 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(17) Chapter 11 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
(18) Chapter 10 of Schedule 20 of Finance Bill 2012.
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