Réf. : Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-25.580, FS-P+B (N° Lexbase : A2812KBR)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 11 Avril 2013
Résumé
Les dispositions de l'article 2 de la Convention n° 158 de l'OIT constituent des dispositions impératives au sens des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980. Est déraisonnable, au regard des exigences de la Convention n° 158 de l'OIT, une période d'essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an. |
I - La durée de la période d'essai des contrats de travail internationaux
La durée de la période d'essai est encadrée en droit français par plusieurs types de normes dont la prépondérance a varié avec le temps.
Longtemps, les conventions collectives de travail et la jurisprudence ont seules limité la durée des périodes d'essai (1). Les premières fixaient des durées maximales (2) auxquelles les contrats de travail ne pouvaient déroger qu'à la condition de prévoir des durées plus favorables au salarié donc plus courtes (3). La seconde invoquait parfois le concept de durée raisonnable d'essai, sans véritable soutien textuel, afin de limiter des périodes d'essai trop longues et dont on pouvait penser qu'elles constituaient un évincement frauduleux du droit du licenciement (4).
A la suite de l'adoption de l'ANI du 11 janvier 2008 et de la loi de modernisation du marché du travail qui l'a suivi (5), des durées maximales d'essai applicables de manière générale ont été introduites dans le Code du travail. Renouvellement compris, la durée de la période d'essai ne peut plus dépasser quatre mois pour un ouvrier ou un employé, six mois pour un technicien ou un agent de maîtrise, huit mois pour un cadre (6). Très clairement, l'article L. 1221-22 du Code du travail (N° Lexbase : L9030IAP) dispose que ces durées d'essai ont un caractère impératif : l'essai peut toujours comporter une durée plus courte mais ne peut excéder ces durées impératives (7).
Dernière étape de l'évolution, la Chambre sociale de la Cour de cassation a introduit, dans des affaires portant sur des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008 ou relevant de l'exception prévue à l'article L. 1221-22, 1° du Code du travail, une limitation supplémentaire tirée, comme autrefois, du caractère déraisonnable de certaines durées d'essai. La Chambre sociale s'appuie désormais sur un fondement textuel puisqu'elle a donné plein effet à la Convention n° 158 de l'OIT qui impose que la période d'essai, dérogeant au droit du licenciement, soit enserrée dans un délai raisonnable (8). Ainsi a-t-il été jugé à plusieurs reprises qu'un délai d'un an était déraisonnable (9) et même que, dans certains cas, une durée de six mois pouvait également ne pas respecter les prescriptions de la convention internationale (10).
Ces dispositions internationales spécifiques à la durée d'essai imposées par le juge français doivent-elles s'appliquer à une relation de travail comportant un élément d'extranéité et soumis à une loi étrangère ?
Lorsqu'une relation de travail comporte un élément d'extranéité, le juge prud'homal peut être amené à se demander quelle loi sera applicable à la relation. Dans le cadre de l'Union européenne, cette question est réglée depuis le 19 juin 1980 par la Convention de Rome aujourd'hui intégrée au droit dérivé par le Règlement communautaire de substitution n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit Règlement "Rome I" (11).
En principe, c'est la loi d'autonomie qui doit être appliquée, c'est-à-dire la loi choisie expressément ou tacitement par les parties (Convention de Rome, art. 3 § 1 ; Règlement "Rome I", art. 3 § 1). A défaut de choix exprès ou tacite, le juge détermine la loi applicable en recherchant la législation avec laquelle le contrat présente les liens les plus étroits sachant que, pour la relation de travail, l'article 6 de la Convention de Rome précise qu'il s'agit alors de "la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays" (12).
D'apparence simple, cette règle de conflit est cependant obscurcie par l'exigence de protection des salariés et de préservation des lois impératives qui seraient applicables si aucun choix n'avait été effectué par les parties (13). Ces lois impératives peuvent toujours être invoquées devant la juridiction saisie puisque l'article 6 § 1 de la Convention de Rome, repris presque à l'identique par l'article 8 § 1 du Règlement "Rome I", dispose que "dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article".
Si la détermination de la loi applicable faute de choix ne paraît pas présenter de trop grandes difficultés, il en va probablement autrement de l'identification des lois impératives visées par les textes internationaux. La Convention et le Règlement disposent l'un comme l'autre qu'il s'agit des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ou par contrat, ce qui semble recouvrir l'ensemble des règles d'ordre public de la législation en cause (14).
Il s'agira, bien évidemment, de l'ensemble des règles d'ordre public absolu pour lesquelles aucune dérogation n'est envisageable (15). A cela s'ajoute les dispositions dont l'objet est d'assurer une protection minimale des salariés comme, par exemple, la réglementation des congés payés (16) ou des heures supplémentaires (17).
Quant aux sources de ces lois impératives, il convient ici de ne pas retenir une conception formelle mais matérielle de la loi. Peuvent être considérées comme des "lois" impératives les textes législatifs mais aussi les règlements et des conventions collectives de travail (18) au contraire des usages qui semblent exclus de cette qualification (19). Peut-on considérer que les dispositions issues de textes internationaux ou européens constituent, dans les Etats membres, des lois impératives qui doivent donc primer la loi d'autonomie ? Si la question est très discutée s'agissant des règles issues du droit de l'Union, qu'il s'agisse des traités ou du droit dérivé directement applicable (20), elle semble inédite s'agissant des conventions internationales et, spécialement, des conventions de l'Organisation internationale du travail.
Un salarié avait été engagé par une société irlandaise par contrat à durée déterminée d'une durée de trois ans comportant une période d'essai de six mois renouvelable une fois dans la limite de douze mois. Alors que l'intégralité de la relation devait être exécutée en France, le contrat de travail, rédigé en langue anglaise, était soumis à la législation irlandaise. Près de neuf mois après le début de la relation contractuelle, l'employeur rompait la période d'essai.
Le salarié saisit les juridictions françaises de diverses demandes parmi lesquelles il réclamait la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée et contestait la rupture du contrat de travail. La cour d'appel fit droit à sa demande de requalification mais rejeta l'ensemble des autres demandes (21).
Le salarié forma un pourvoi en cassation, un seul de ses moyens étant retenu par la Chambre sociale qui casse l'arrêt d'appel au visa des articles 3 et 6 de la Convention de Rome, applicables aux faits de l'espèce, des "principes posés par la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail" et de la dérogation prévue par l'article 2 § 2b qui permet d'exclure le droit du licenciement dans les Etats membres durant une période d'essai à condition que celle-ci comporte une durée raisonnable. La Chambre sociale juge que "pendant l'intégralité de la durée de la relation contractuelle, le contrat de travail avait été exécuté en France" et "que les dispositions de l'article 2 de la Convention n° 158 de l'OIT constituent des dispositions impératives et qu'est déraisonnable, au regard des exigences de ce texte, une période d'essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an" si bien que la cour d'appel avait violé les textes visés.
II - L'application audacieuse des dispositions de la Convention n° 158 de l'OIT aux contrats de travail internationaux
La solution apportée par la Chambre sociale est relativement innovante même si elle n'est pas tout à fait surprenante.
Innovante car c'est à notre connaissance la première fois qu'une convention internationale est qualifiée de loi impérative au sens de la Convention de Rome. Cette prise de position peut aisément être justifiée.
D'abord parce les conventions internationales s'intègrent, par l'effet de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9Q), à l'ordre interne français si bien que la Convention n° 158 de l'OIT peut être pleinement considérée comme un texte applicable en France. A cela s'ajoute, d'ailleurs, que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble accepter, depuis 2006, l'entière applicabilité directe de cette convention en droit interne (22).
Ensuite parce que les "principes" de la Convention n° 158 de l'OIT répondent aux caractéristiques des lois impératives. Leur caractère d'ordre public ne fait aucun doute puisqu'il a déjà été jugé que les contrats -des accords collectifs plus précisément- ne pouvaient déroger au caractère raisonnable imposé à la durée de la période d'essai. Mieux, on peut penser que le législateur est lui-même tenu de ces dispositions auxquelles il ne saurait plus aujourd'hui déroger (23).
Logique donc, cette qualification pose cependant un problème d'un point de vue chronologique.
En effet, jusqu'à présent, la Convention n° 158 de l'OIT n'était pas explicitement considérée comme relevant des lois impératives applicables en France au-delà de la loi d'autonomie choisie par les parties. Au moment des faits, l'employeur irlandais ne pouvait donc suspecter son application (24).
Le problème posé par la rétroactivité des revirements de jurisprudence et, plus globalement, des règles prétoriennes elles-mêmes, peut donc désormais, par l'effet de la Convention de Rome, déborder nos frontières. La remarque est d'autant plus significative que l'Irlande n'a pas ratifié la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. En combinant la Convention de Rome et la Convention n° 158 de l'OIT, la Chambre sociale de la Cour de cassation réussit le tour de force d'imposer à une entreprise irlandaise d'appliquer un engagement international auquel son Etat n'est pas partie !
Décision
Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-25.580, FS-P+B, sur le premier moyen (N° Lexbase : A2812KBR) Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 18 novembre 2010, n° 09/03843 (N° Lexbase : A7726GKD) Textes visés : Convention de Rome, art. 3 et art. 6 (N° Lexbase : L6798BHA) ; Convention n° 158 de l'OIT sur le licenciement, art. 2 § 2 b (N° Lexbase : L0963AII) Mots-clés : contrat de travail international, période d'essai, durée raisonnable, Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail Liens base : (N° Lexbase : E5177EXZ) ; (N° Lexbase : E8899ESE) |
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