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N6596BTH
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"
le 25 Mars 2014
1.1. Faute médicale
1.1.1. Fautes techniques
1.1.1.1.Geste chirurgical
Intérêt de la décision. Cet arrêt fournit une illustration de la sévérité de la jurisprudence à l'égard du chirurgien esthétique (1).
L'affaire. Un patient se plaignait des séquelles d'une chirurgie esthétique du ventre, singulièrement du caractère disgracieux des cicatrices.
Pour rejeter les demandes indemnitaires du patient, la cour d'appel avait, au vu du rapport d'expertise, considéré qu'il n'existait pas de geste médical ou chirurgical pour éviter la survenance d'un épanchement considéré comme une simple complication et non comme le résultat d'une faute commise par le chirurgien (CA Reims, 17 janvier 2012, n° 10/02282 N° Lexbase : A3425IBH).
La cassation. L'arrêt est cassé pour manque de base égale, au visa de l'article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), la Haute juridiction reprochant aux juges d'appel d'avoir ainsi statué sans rechercher, comme il leur était demandé, "si la nécrose cutanée à la jonction des cicatrices verticale et horizontale, complication connue pour les plasties abdominales dont elle avait constaté la survenance, n'aurait pas pu être évitée par un geste médical adapté".
Une faute révélée par le dommage. La sévérité de la Cour de cassation est ici extrême, ce qui ne surprendra pas lorsque l'on connaît son intransigeance avec les chirurgiens esthétiques. Elle considère en effet que la survenance de la nécrose dénoncée, qui constitue une complication connue, est susceptible d'être évitée par un geste chirurgical adapté, et qu'à défaut d'avoir établi que ce geste avait été envisagé, puis écarté par le praticien pour des raisons légitimes, la mise hors de cause de celui-ci ne peut valablement être prononcée.
En d'autres termes, la survenance d'un risque de complication connu laisse supposer qu'une faute a pu être causée par le choix d'une technique inadaptée, à charge pour le chirurgien, et les juges du fond, d'établir en quoi une autre technique à même d'éviter le dommage ne pouvait pas être envisagée dans l'espèce.
On le comprend aussitôt, l'application d'un régime de responsabilité médicale pour faute n'interdit pas au juge de recourir à la technique des présomptions pour renforcer la protection des patients, et la sévérité à l'égard de certains praticiens, comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre (2).
1.1.1.2. Responsabilité des dentistes et appareillages
Intérêt. Cet arrêt, très largement publié (FS-P+B+R+I), marque la fin d'une jurisprudence très favorable aux victimes qui consacrait l'existence d'une obligation de sécurité de résultat des dentistes lorsqu'était en cause la conception et la fourniture d'un appareillage dentaire.
L'affaire. La patiente, qui souffrait d'un déchaussement parodontal, avait été soignée à partir de 1998 par un chirurgien dentiste qui lui avait, le 27 décembre 2002, soumis un devis pour deux inlays et quatre couronnes inlays-core qu'il a mis en place entre mai et juillet 2003. Se plaignant de douleurs persistantes, la patiente a recherché sa responsabilité civile, mais a été déboutée par la cour d'appel de Paris qui a écarté toute faute du praticien (3).
Dans son pourvoi, le patient invoquait le bénéfice d'une obligation de sécurité de résultat, fondée sur le contrat de soins, en vertu de laquelle le médecin est tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre, une telle obligation, incluant la conception et la confection de cet appareillage.
Tel n'est pas l'avis de la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et confirme l'absence de faute, la cour d'appel de Paris "ayant constaté que les prestations [...], qui comprenaient la conception et la délivrance d'un appareillage, étaient opportunes, adaptées et nécessaires eu égard à la pathologie [...], que les soins avaient été dispensés dans les règles de l'art en fonction de la difficulté particulière du cas de la patiente et que les résultats obtenus correspondaient au pronostic qu'il était raisonnable d'envisager".
L'abandon de la jurisprudence relative à l'obligation de sécurité de résultat du dentiste concernant la conception des prothèses. Indiscutablement l'objet de la décision, et la large publicité qui l'accompagne (FS-P+B+R+I) démontrent la portée que la Haute juridiction entend conférer à la décision qui abandonne une jurisprudence classique.
On se rappellera, en effet, que la Cour de cassation avait eu antérieurement l'occasion d'affirmer que "le chirurgien-dentiste est, en vertu du contrat le liant à son patient, tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre, une telle obligation, incluant la conception et la confection de cet appareillage, étant de résultat" (4).
Portée de la solution. Dans cette affaire, la patiente était soignée pour une pathologie ancienne et invalidante. L'intervention du dentiste était indiscutablement de nature médicale et l'application du régime de la responsabilité pour faute de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique logique. Le reste était ici question d'appréciation des circonstances de l'espèce, et d'expertise médicale qui avait écarté toute faute du praticien.
Reste à déterminer la portée exacte de cette solution, notamment lorsque la mise en place de la prothèse ne répond pas à une véritable nécessité médicale mais aux souhaits esthétiques du patient, car, dans cette hypothèse, on pourrait considérer que le dentiste, fournisseur de la prothèse, s'oblige à délivrer une prestation conforme à ce à quoi il s'est engagé, et que s'il garantit un certain résultat il doit être responsable par le seul fait que ce résultat n'a pas été atteint.
Compte tenu de la publicité accordée à cette décision, il semble bien que l'application du régime de la responsabilité pour faute sera générale, sans que des distinctions selon les cas de figure ne soient envisagées. En l'absence de faute, la victime pourra bien tenter sa chance auprès de la solidarité nationale, mais l'on sait que les obstacles y sont nombreux, à commencer par le seuil de gravité qui, dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, n'était certainement pas atteint.
1.1.1.3. Surveillance
Intérêt. Cet arrêt est d'une importance capitale pour les victimes en ce qu'il consacre la notion de risque de la preuve lorsque celui qui détient un élément de preuve n'est pas en mesure de le fournir.
Les faits. Un enfant avait subi de graves lésions cérébrales lors de l'accouchement par césarienne. Le dossier médical révélait qu'aucun tracé retraçant le rythme cardiaque de l'enfant n'était disponible pendant six minutes avant l'accouchement, que le tracé des dix minutes suivantes révélait une arythmie certaine, puis était devenu pathologique, ce qui avait conduit la sage-femme à appeler immédiatement le gynécologue. L'ensemble de ces circonstances avait conduit la cour d'appel à écarter la faute médicale.
Cet arrêt est cassé, la Haute juridiction considérant "que, faute d'enregistrement du rythme foetal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d'apporter la preuve qu'au cours de cette période, n'était survenu aucun événement nécessitant l'intervention du médecin obstétricien".
Une solution pleinement justifiée. On sait que l'état des données acquises de la science impose une surveillance du rythme cardiaque du foetus afin de s'assurer que celui-ci n'est victime d'aucune souffrance pendant l'accouchement (6). En d'autres termes, l'utilisation du monitoring est une obligation professionnelle qui pèse sur le praticien, et il lui appartient, conformément aux dispositions de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), de démontrer qu'il s'est acquitté de cette obligation.
A partir du moment où certains tracés font défaut, le praticien est donc en faute.
Cette faute n'est pas nécessairement en relation avec le dommage ; mais pour s'en assurer, il est nécessaire d'établir que les autres éléments de surveillance mis en oeuvre étaient normaux, ce qui semble d'autant plus nécessaire dans cette affaire que les tracés concernant les minutes suivantes montraient que le foetus était en situation de souffrance, ce qui permettait logiquement de présumer que cette souffrance avait commencé avant ce tracé. La Cour de cassation avait, d'ailleurs, déjà eu recours à l'analyse de ces éléments complémentaires, en l'absence de tracés concernant une période litigieuse, pour condamner une clinique et censurer une cour d'appel qui s'était contentée de constater l'absence du tracé pour mettre hors de cause la clinique (7).
Un contexte probatoire favorable aux victimes. Cette décision s'inscrit ainsi dans le contexte plus large d'une utilisation des règles de preuve pour améliorer le sort réservé des victimes, qu'il s'agisse d'inverser purement et simplement la charge de la preuve, comme ce fut le cas en 1997 en matière d'obligation d'information (8), ou de favoriser les victimes de poussées de scléroses en plaques post vaccination anti-hépatite B (9). Dès lors qu'une technique médicale est nécessaire, alors le médecin doit établir qu'il l'a mise en oeuvre ; s'il n'y parvient pas, alors la faute sera présumée et il sera condamné s'il ne parvient pas à établir que le dommage ne peut être imputé à ce manquement, directement (pour les interventions) ou indirectement (pour les actes de surveillance).
1.1.1.4. Naissance d'enfant handicapé
Contexte. Le législateur de 2002, soucieux de mettre un terme à la divergence de jurisprudence entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation dans le contexte des arrêts "Quarez" (CE, sect., 14 février 1997, n° 133238 N° Lexbase : A8308AD3, Rec. p. 44) et "Perruche" (Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701, N° Lexbase : A1704ATB, Bull. ass. plén., n° 9), et de rassurer les praticiens et leurs assureurs, a souhaité transférer à la solidarité nationale la prise en charge des enfants nés handicapés dans l'hypothèse où ce handicap n'est pas imputable à une faute médicale l'ayant directement provoqué. S'agissant précisément du dommage causé aux parents des enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse, seul un préjudice moral pourra être réparé et à condition que soit rapportée la preuve d'une "faute caractérisée".
Cette notion, pourtant présente notamment à l'article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY) depuis la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 (N° Lexbase : L0901AI9), a suscité de nombreuses interrogations, et on attendait que la Cour de cassation soit saisie pour déterminer si elle entendrait contrôler cette qualification, ce qui était vraisemblable compte tenu du contrôle exercé sur les autres fautes qualifiées, et quels critères seraient retenus pour encadrer le travail de qualification des juges du fond. C'est désormais chose faite avec cet arrêt.
Les faits. Une mère reprochait à deux médecins échographistes de n'avoir pas décelé, lors de trois examens, la malformation de l'avant-bras droit du foetus. La cour d'appel avait retenu l'existence d'une faute caractérisée et considéré que "les médecins s'étaient montrés négligents et trop hâtifs" (10).
Le demandeur tentait d'obtenir la cassation de cette décision en reprochant à la juridiction d'appel de n'avoir pas précisé "en quoi la mention dans le compte-rendu de l'échographie de l'existence de membres supérieurs du foetus dépassait la marge d'erreur habituelle d'appréciation pour un examen qui comporte une irréductible part d'aléa".
Le pourvoi est rejeté, et l'arrêt confirmé, la Cour de cassation considérant que la faute est caractérisée "par son intensité et son évidence".
Un obscur éclaircissement. Le moins que l'on puisse dire est que cette précision n'est guère éclairante, car rien n'est moins évident que... l'évidence ! Quant à la référence à l'intensité, elle n'indique pas, précisément, où doit se placer le curseur.
L'examen des arrêts d'appel rendus ces dernières années montre que les juges du fond n'ont pas cherché à placer le standard trop haut, de manière à ne pas pénaliser les victimes. Ont ainsi été retenues comme fautes caractérisées : le caractère catégorique des informations communiquées par le service spécialisé de l'hôpital et concluant à l'absence de tout risque de naissance anormale d'un nouvel enfant alors que l'étiologie du syndrome dont souffrait l'enfant précédent était demeurée inconnue (11) ; le fait pour un "médecin spécialisé dans la réalisation d'échographies obstétricales qui, lors d'un bilan morphologique de la 22ème semaine d'aménorrhée, a indiqué dans son rapport avoir vu une main ouverte, dénombré cinq doigts et constaté que le foetus était sans anomalie morphologique visible, alors que l'enfant est né avec un doigt à une main et trois à l'autre" (12) ; ou encore le fait pour un gynécologue de fournir à des parents dans le compte-rendu de l'échographie des déductions hâtives contraires à la réalité de la visualisation par le médecin (13). Les juges du fond ont pu justifier le recours à ce standard de la faute caractérisé par "la particulière difficulté de l'activité de diagnostic anténatal" (14), ce qui s'est traduit par la mise hors de cause de praticiens en présence d'erreurs excusables.
Dans de nombreuses hypothèses d'ailleurs, le rejet des demandes présentées par les victimes est justifié non pas par le caractère non caractérisé de la faute, mais plus radicalement par l'absence pure et simple de toute faute au regard des conclusions du rapport d'expertise (15) ; il a ainsi été jugé que le gynécologue qui a eu un comportement négligent lors de l'examen échographique de la 32ème semaine d'aménorrhée ne commet pas cette faute dès lors que les membres du foetus étaient moins visibles à cette période, qu'il avait pris connaissance du rapport du précédent praticien et demandé, conscient de l'insuffisance des premiers examens, la réalisation d'un bilan morphologique plus complet (16) ; le médecin qui suit une grossesse avec attention et n'estime pas nécessaire de ne pas prescrire de sérologie de la rubéole (17) ; du fait de n'avoir pas prescrit d'amniocentèse à une mère en "l'absence de tout risque connu pour elle de donner naissance à un enfant atteint de trisomie 21, autre que celui lié à l'âge, ou de tout signe obstétrical" (18) ; "d'une agénésie de l'avant-bras droit et de la main droite non décelée par un radiologue et considéré par le juge comme constituant un aléa diagnostique lié à la faiblesse de l'examen échographique dans le dépistage des anomalies des membres inhérent à la technique utilisée et non à la compétence ou la négligence du médecin" (19). Dans des circonstances comparables, d'autres juridictions ont toutefois retenu la faute caractérisée (20). Il a également été jugé que "la circonstance [que la mère] n'a pas été informée du fait que cette amniocentèse pouvait également être réalisée en cas de risques faibles ne peut être regardée comme une faute caractérisée" (21).
Ces solutions ne devraient pas être remises en cause par la présente décision qui laisse aux juges du fond une marge de qualification importante.
1.1.1.5. Certificats médicaux
Contexte. Le médecin qui délivre un certificat médical doit, comme pour tous les actes professionnels qu'il exécute, se montrer extrêmement vigilent car s'il ne respecte pas les règles de l'art, il pourra voir sa responsabilité engagée s'il a ainsi causé un préjudice aux personnes dont il atteste l'état de santé. C'est ainsi qu'un médecin a été condamné pour avoir attesté (sans examen clinique) qu'une jeune fille, handicapée mentale, n'était plus vierge après une agression, entraînant la transformation d'une accusation d'attentat à la pudeur en viol (22), ou qu'un psychiatre a été condamné pour avoir signé un certificat d'internement sans avoir procédé à un examen de la personne (23). Les juges tiendront compte des exigences légales et réglementaires pour apprécier la validité des certificats délivrés (24).
L'affaire. Un couple avait été hospitalisé d'office en 1997 sur la foi de deux certificats médicaux litigieux qui avaient d'ailleurs conduit le juge administratif à annuler les deux arrêtés de placement. Ce couple avait par la suite poursuivi en responsabilité civile les établissements au sein desquels le praticien avait délivré les deux certificats médicaux, et avait obtenu gain de cause.
La solution. La condamnation prononcée en appel est confirmée par le rejet du pourvoi, la Haute juridiction ayant ici relevé que ces certificats étaient "non circonstanciés, ne démontrant pas la réalité de l'affection mentale qu'il citait ni les troubles en découlant qui auraient pu compromettre la sûreté des personnes".
1.1.2. Information
Intérêt de la décision. Cet arrêt fournit une illustration de la sévérité de la jurisprudence à l'égard du chirurgien esthétique, dans une affaire où était également discuté le choix de la technique opératoire (cf. supra).
L'affaire. Un patient se plaignait des séquelles esthétiques d'une chirurgie esthétique du ventre, singulièrement du caractère disgracieux des cicatrices, et reprochait au praticien de l'avoir mal informé sur ce risque.
Pour rejeter les demandes, la cour d'appel avait considéré, au vu des termes de la fiche d'acceptation des risques signée avant l'opération par le patient, que ce dernier avait reçu toute l'information nécessaire.
La cassation. Tel n'est pas le sentiment de la Cour de cassation qui reproche aux juges d'appel de n'avoir pas recherché si le praticien n'aurait pas pu "expliciter les risques précis de l'abdominoplastie, notamment par la remise d'une brochure exhaustive, telle que celle qui avait été remise [...] lors de la seconde intervention".
L'intérêt de la décision. Cette décision est particulièrement intéressante, à maints égards.
En premier lieu, elle rappelle que le chirurgien esthétique supporte une responsabilité plus étendue encore que les autres praticiens compte tenu de la finalité purement esthétique de l'acte envisagé. Si, en effet, l'obligation due par tout médecin doit porter sur "les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus" (C. santé publ., art. L. 1111-2, al. 1er N° Lexbase : L5232IEI), elle est, en matière esthétique, "totale" (25) et les condamnations sur ce fondement assez fréquentes (26). Voilà pourquoi il est possible de reprocher au médecin le défaut de remise d'une brochure "exhaustive", selon les propres termes de la Haute juridiction.
En deuxième lieu, le caractère suffisant de l'information en matière médicale ne s'apprécie pas uniquement sur un plan quantitatif (communiquer au patient l'ensemble éléments concernant les risques auxquels il est exposé), mais aussi sur un plan qualitatif, ce qui est logique puisque l'information doit lui permettre de se décider en pleine connaissance de cause (27).
Enfin, la solution montre que le mieux est parfois l'ennemi du bien, la Cour de cassation relève que le médecin avait fourni, lors de la seconde opération, une information plus complète au patient sur les risques esthétiques, établissant ainsi, à son corps défendant, que la première information était insuffisante !
Intérêt. Cette affaire présente un intérêt moins parce qu'elle confirme les termes de l'arrêt "Seurt" (28) qu'en raison des faits de dopage au centre du litige.
L'affaire. Un coureur cycliste avait été convaincu de dopage pendant le Tour de France et licencié par son employeur. Il s'en était alors pris à son médecin qu'il accusait de lui avoir prescrit des médicaments anti hémorroïdaires sans s'assurer que ces derniers n'étaient pas inscrits sur la liste des produits dopants interdits.
La décision. L'argument est tout d'abord écarté car, selon la Cour de cassation, le licenciement avait été justifié par son comportement général dans cette affaire, et notamment par le fait qu'il n'avait pas informé le médecin de l'équipe qu'il s'était fait prescrire par son médecin personnel les produits litigieux. Le coureur ne pouvait donc s'en prendre qu'à lui-même s'agissant des dommages professionnels consécutifs à son licenciement.
Mais s'agissant de la violation de l'obligation d'information de son médecin personnel, la Cour de cassation rappelle les termes de sa jurisprudence dégagée en 2010 dans l'arrêt "Seurt" (préc.) aux termes de laquelle "le non-respect du devoir d'information [...] cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation".
1.2. Produits de santé
Intérêt. Cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle une règle qu'on aurait trop facilement tendance à méconnaître, celle de la prescription des actions en responsabilité à l'égard d'un commerçant régie par l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7242IAH) qui s'applique largement, y compris lorsque l'acte de commerce est la vente d'un médicament et que l'acheteur est également une victime d'un produit de santé.
L'affaire. Une jeune femme, atteinte de poliomyélite après avoir absorbé trois doses de vaccin fabriqué par la société Pasteur Mérieux en 1974, avait assigné en responsabilité civile la société Sanofi Pasteur, venant au droit de la société Pasteur Mérieux, en mars 2004. La cour d'appel avait refusé de faire application de la prescription décennale de l'article L. 110-4 du Code de commerce, dont se prévalait le laboratoire pour obtenir la fin de non-recevoir tiré de la prescription de l'action, "en l'absence de contrat de vente entre les parties".
Ce seul motif exposait la décision à la cassation car il est de jurisprudence constante que l'article L. 110-4 du Code de commerce s'applique indifféremment à toutes les actions en responsabilité engagées contre un commerçant, peu important le fondement de l'action (29).
Une solution justifiée. La solution est donc juridiquement parfaitement justifiée. Reste à préciser que celle-ci ne préjuge pas de l'application de délais de prescriptions plus courts, comme celui issu de la Directive du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), transposée par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX), qui a ramené à 3 ans la prescription des actions engagées contre le producteur (C. civ., art. 1386-17 N° Lexbase : L1510ABK) et à 10 ans la période de garantie, à compter de la mise en circulation du produit intervenue postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi (C. civ., art. 1386-16 N° Lexbase : L1509ABI).
2. Dommage
Contexte. La Cour de cassation a inventé le "préjudice spécifique de contamination" pour décrire, et indemniser, les souffrances éprouvées par les victimes contaminées par le virus du sida et contraintes de vivre avec la crainte permanente de développer la maladie proprement dite (31), puis l'a également reconnu pour les victimes par le virus de l'hépatite C en réparation des "souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires et [...] les perturbations et craintes endurées toujours latentes" (32). Il s'agit ici de la souffrance psychologique des victimes qui craignent légitimement pour leur "espérance de vie", les "souffrances à venir", "le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle, et les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis" (33). En revanche, ce préjudice n'inclut pas le "préjudice à caractère personnel du déficit fonctionnel, lorsqu'il existe" (34), ni "le préjudice indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire, s'agissant des troubles éprouvés avant la déclaration de la maladie" (35).
Préjudice et ressenti. Reste à déterminer dans quelle mesure le juge doit rechercher si la victime a réellement souffert, et dans quelle mesure.
Dans un arrêt non publié rendu en 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation avait censuré une cour d'appel qui avait refusé d'indemniser une victime contaminée de ce chef de préjudice, sous prétexte que son "état de santé [...] n'a pas justifié, à ce jour, de traitement spécifique, lourd et invalidant [...] qu'il ne s'est pas aggravé, et est au contraire stationnaire [et] que s'il est avéré que sur le plan médical, il existe de multiples évolutions possibles de la maladie, le risque d'aggravation et d'évolution défavorable est incertain, les progrès constants de la recherche permettant d'augurer de la découverte de traitements adaptés et efficaces". L'arrêt d'appel avait été cassé, pour manque de base légale, les juges d'appel se voyant reprocher de n'avoir pas recherché si la victime "n'éprouvait pas des craintes et des perturbations liées à cette contamination, de nature à caractériser un préjudice spécifique de contamination, et alors que ce préjudice peut être justifié par les souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires et par les perturbations et craintes éprouvées toujours latentes".
Cet arrêt était intéressant car il démontrait que la Haute juridiction n'écartait pas par principe la possibilité qu'une personne contaminée puisse ne pas éprouver de souffrances, mais imposait aux juges du fond d'observer les données concrètes de l'affaire pour parvenir à pareille conclusion (36).
Intérêt de la décision. C'est ce qui ressort cette fois-ci très nettement de l'arrêt rendu le 22 novembre 2012 dans une affaire où la personne contaminée avait été volontairement tenue pendant 25 ans dans l'ignorance de sa contamination par le VIH et le VHC. L'ONIAM avait considéré, dans ces conditions, qu'il n'y avait aucun préjudice spécifique de contamination, tout comme la cour d'appel de Paris d'ailleurs, et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation leur donne ici raison, après avoir affirmé "que le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination". En d'autres termes, il ne saurait y avoir de souffrance morale à indemniser s'il n'y a pas de conscience de la situation dans laquelle la contamination place la personne contaminée.
Une solution sensée. L'argumentation semble imparable car la souffrance psychologique suppose nécessairement la conscience de son état, et ne se rattache pas à la catégorie des lésions objectives, telles les lésions corporelles.
Elle détonne pourtant avec ce qui avait été jugé jadis s'agissant des préjudices des victimes dites en état végétatif pour qui la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait refusé de limiter la liste des préjudices réparables sous prétexte qu'elles n'étaient pas conscientes de leur état et qu'elles ne pouvaient donc souffrir : "l'état végétatif d'une personne humaine n'excluant aucun chef d'indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments", y compris le préjudice esthétique et d'agrément (37).
La Chambre criminelle avait elle aussi, à la même période, considéré que "l'indemnisation d'un dommage n'est pas fonction de la représentation que s'en fait la victime mais de sa constatation par le juge et de son évaluation objective", et indemnisé un adolescent plongé dans un coma végétatif de préjudices de souffrances, d'agrément et esthétique (38).
En 2010, toutefois, la Chambre criminelle avait refusé de considérer qu'une victime dans le coma puisse réclamer le droit d'être indemnisée d'une quelconque "douleur éprouvée en raison de la perte de son espérance de vie", les juges du fond pouvant parfaitement écarter cette indemnisation, à défaut de conscience avérée (39).
Il semble bien que le temps où la Cour de cassation se fondait implicitement sur le principe d'égalité de traitement soit révolu, ce qui est logique car, au regard de la nature des préjudices réparant des souffrances, qu'elles soient d'ailleurs physiques ou psychiques, elles ne se trouvent pas placées dans la même situation selon qu'elles ont conscience ou non de leur état.
Cette décision pourrait bien entraîner dans son sillage d'autres préjudices parfois qualifiés d'existentiels (40) et concernant le préjudice d'anxiété des victimes notamment de l'amiante (41), ou d'impréparation pour les victimes confrontées à la réalisation d'un événement normalement imprévisible alors qu'elle aurait dû être informé qu'il pouvait se produire (42).
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