La lettre juridique n°517 du 21 février 2013 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2013

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N5838BTE

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

le 21 Février 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, tous deux promis aux honneurs du Bulletin. Dans le premier rendu le 22 janvier 2013, et commenté Emmanuelle Le Corre-Broly, la Haute juridiction se prononce pour la première fois sur la question de savoir si l'associé d'une société de mandataire judiciaire, qui n'a pas été désigné par le juge afin de conduire cette mission pour laquelle la personne morale a été nommée, peut valablement représenter cette dernière pour l'accomplissement d'un acte relatif à cette mission, par exemple, la déclaration d'une créance dont est titulaire le débiteur liquidé. Dans le second commentaire de cette chronique, le Professeur La Corre nous livre ses observations sur un arrêt rendu le 5 février 2013 relatif à la compensation des créances lorsqu'est alléguée une confusion de patrimoines sans décision de justice étant intervenue en ce sens.
  • Déclaration de créance effectuée par un liquidateur et mandat de justice confié à une société de mandataires judiciaires (Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-29.028, F-P+B N° Lexbase : A8798I3A)

Si elles peuvent être exercées à titre individuel, les professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, le sont cependant plus fréquemment au sein de sociétés civiles professionnelles ou de sociétés d'exercice libéral. Lorsque le tribunal nomme une personne morale pour exercer les fonctions de mandataire judiciaire dans une procédure collective, il résulte des dispositions de l'article L. 812-2, III du Code de commerce (N° Lexbase : L3354IC9) que le tribunal désigne au sein de la personne morale une ou plusieurs personnes physiques "pour la représenter dans l'accomplissement du mandat qui lui est confié". L'article R. 814-83 du Code de commerce (N° Lexbase : L2005HZB) prévoit, pour sa part, que "le mandat de justice est exercé par la société d'administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire. Le juge désigne celui ou ceux des associés qui conduiront la mission au sein de la société et en son nom".

L'associé, qui n'a pas été désigné par le juge afin de conduire cette mission pour laquelle la personne morale a été nommée, peut-il valablement représenter cette dernière pour l'accomplissement d'un acte relatif à cette mission, par exemple, la déclaration d'une créance dont est titulaire le débiteur liquidé ?

Telle est la question, inédite à notre connaissance, portée devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation et tranchée par un arrêt rendu le 22 janvier 2013.

En l'espèce, une société civile professionnelle de mandataires judiciaires comprenant deux associés avait été désignée liquidateur d'une société. Conformément aux dispositions des articles L. 812-2, III et R. 814-83, l'un des deux associés avait été désigné pour suivre la procédure. Une déclaration de créance a été effectuée au passif d'un débiteur de la société liquidée. Cependant, cette déclaration n'avait pas été l'oeuvre de l'associé désigné par le tribunal pour représenter la personne morale dans l'accomplissement du mandat de justice mais celle de l'autre associé, lui-même représenté par un avocat.

Dans un premier temps, la créance avait été admise par le juge-commissaire, puis la déclaration de créance a été déclarée nulle par la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 29 septembre 2011) au motif que "la créance pouvait être régulièrement déclarée par celui des associés désigné pour suivre la procédure agissant implicitement ou explicitement pour le compte" de la personne morale nommée par le tribunal et que, "n'étant pas chargé de suivre la procédure", l'associé signataire de la déclaration de créance "ne pouvait déclarer la créance à titre personnel".

Un pourvoi avait alors été diligenté contre l'arrêt d'appel par la société civile professionnelle de mandataires judiciaires. Il y était soutenu que, dès lors que la déclaration avait été faite par un des membres de la société civile professionnelle désignée par le tribunal, celle-ci était régulière.

L'argumentation n'a cependant pas convaincu les Hauts magistrats qui ont rejeté le pourvoi en visant les articles L. 812-2, III et R. 814-83 dont il résulte qu'une société de mandataires judiciaires désignée en qualité de liquidateur est représentée, pour l'accomplissement de cette mission, par le ou les mandataires judiciaires associés nommés par le tribunal en application de ces textes.

Il en découle la solution selon laquelle la créance du débiteur liquidé ne peut être régulièrement déclarée que par celui des associés désigné pour suivre la procédure pour le compte de la société.

Cette solution peut surprendre. Elle n'était en tout cas pas évidente.

Certains éléments auraient, en effet, pu militer en faveur de la régularité de la créance déclarée par n'importe lequel des associés de la personne morale nommée par le tribunal en qualité de mandataire judiciaire.

Tout d'abord, il résulte de l'article R. 814-84 du Code de commerce que dès lors qu'un administrateur judiciaire ou un mandataire judiciaire associé exerce au sein d'une société, il ne peut pas exercer sa profession à titre individuel ou en qualité de membre d'une autre société, quelle qu'en soit la forme. En conséquence, l'associé ayant déclaré la créance ne pouvait pas le faire à titre individuel et le faisait donc, nécessairement, en qualité d'associé de la société.

Ce constat est relayé par l'article R. 814-85 (N° Lexbase : L2007HZD), qui énonce que chaque mandataire judiciaire associé exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société.

Ensuite, une solution adoptée précédemment par la Chambre commerciale aurait pu, par analogie, conduire cette dernière à statuer différemment dans le cadre de l'arrêt rapporté.

En effet, dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt -non publié au bulletin- du 30 juin 2009 (1),un créancier avait adressé sa déclaration de créance à l'intention d'un mandataire de justice, membre d'une société civile professionnelle alors qu'un autre associé de cette SCP avait été désigné pour conduire la mission au sein de la société. La Chambre commerciale avait cependant considéré, aux termes d'un attendu qui mérite d'être reproduit, que la déclaration de créance était régulière : "Attendu, dès lors, qu'après avoir énoncé que le tribunal, en nommant M. [Z.] en qualité de représentant des créanciers de la société Comeback, avait nécessairement désigné la SCP [Y. Z.], seule habilitée à exercer le mandat, en précisant que M. [Z.] serait nominalement désigné pour conduire la mission au sein de la société civile professionnelle, l'arrêt en a exactement déduit que la déclaration de créance, expédiée dans le délai légal à l'adresse de la SCP titulaire du mandat, même faite à M. [Y.], était régulière, dès lors que ce dernier était membre de la société civile professionnelle à laquelle appartenait M. [Z.] et que cette déclaration avait été réceptionnée par la société civile professionnelle". Il semblait donc ressortir de cet arrêt que, dès lors que la déclaration de créance était adressée à l'un des membres de la SCP, il fallait considérer que la SCP avait valablement été saisie de la déclaration de créance.

Par analogie et symétriquement, dans l'hypothèse où, cette fois, ce n'est pas l'associé qui est destinataire de la déclaration de créance mais expéditeur de celle-ci, la solution aurait dû être identique : dès lors que l'auteur de la déclaration de créance est un associé de la société civile professionnelle nommée par le tribunal et que ce dernier ne peut exercer sa profession qu'au nom de la société (C. com., art. R. 614-85), la déclaration de créance aurait dû être jugée régulière, dès lors, du moins, que l'associé a, au regard du droit des sociétés, qualité pour représenter la société (aucune précision n'est donnée sur ce point dans l'arrêt).

Peu sensibles aux arguments de texte tirés des articles R. 814-84 et R. 814 85 du Code de commerce, les Hauts magistrats se sont focalisés sur les dispositions des articles L. 812-2, III et R. 814-83 pour approuver la cour d'appel d'avoir déclaré nulle la déclaration de créance, selon elle irrégulièrement déclarée par l'associé qui n'était pas chargé de conduire la mission au sein de la société nommée par le tribunal. Il semble qu'il faille en déduire que la représentativité statutaire de la société d'exercice libéral s'efface devant la représentativité décidée par le tribunal dans le cadre de l'exercice de la mission et donc de l'accomplissement du mandat confié à la société.

Les membres des professions du mandat de justice doivent impérativement prendre en considération l'enseignement de cet arrêt, dont l'évidente importance se trouve soulignée par une publication au Bulletin. Seule la ou les personnes physiques désignées par le tribunal au sein de la personne morale pourront la représenter dans l'accomplissement du mandat confié à la société. Seul celui ou ceux des associés désignés par le juge pourront conduire la mission au nom de la société et en son nom.

Ajoutons quelques remarques relatives à l'hypothèse de la désignation de deux co-liquidateurs, comme cela est pratiqué dans certains dossiers importants. La Cour de cassation a jugé que lorsque le tribunal désigne plusieurs mandataires judiciaires ou plusieurs liquidateurs, la répartition des tâches leur incombant personnellement reste indifférente pour le créancier, qui peut donc valablement envoyer sa déclaration de créance à n'importe lequel d'entre eux. Le mandataire judiciaire ou le liquidateur ayant seul qualité pour recevoir les déclarations de créance, la précision de la mission confiée à chacun des mandataires reste sans incidence sur la fonction dont est légalement investi cet organe (2).

Compte tenu de la solution posée par la Cour de cassation dans le présent arrêt, on peut penser que les solutions suivantes seraient dégagées dans l'hypothèse où l'un des liquidateurs déclarerait la créance détenue par le débiteur.

Si les liquidateurs n'ont pas reçu de mission particulière, chacun d'eux aura qualité pour déclarer la créance. Peu importe à cet égard que les deux co-liquidateurs nommés appartiennent à une seule et même société ou soient dans des structures différentes.

Si le tribunal a fixé une mission précise pour chacun des deux co-liquidateurs, seul celui ayant reçu qualité pour représenter en justice le débiteur pourra valablement déclarer la créance détenue par ce dernier, peu importe à cet égard que des deux co-liquidateurs appartiennent ou non à une même société civile professionnelle ou d'exercice libéral.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

  • Compensation et patrimoines confondus sans décision de justice (Cass. com., 5 février 2013, n° 12-12.808, F-P+B N° Lexbase : A6298I7E)

Par le double paiement qu'elle opère, la compensation est un mode extinctif des obligations réciproques, à concurrence de la plus faible.

Dans le cadre des procédures collectives de paiement, la compensation est une technique particulièrement attractive pour le créancier, constituant pour lui une véritable garantie. Elle lui évite, en effet, de décaisser au profit de la personne sous procédure collective, des espèces sonnantes et trébuchantes en contrepartie d'un paiement qu'elle va recevoir, de la part de cette même personne, en "monnaie de faillite", c'est-à-dire, pour un créancier chirographaire, "en monnaie de singe". On comprend donc l'acharnement des créanciers à prétendre, dans le cadre d'une procédure collective, au jeu de la compensation, qui va leur permettre à concurrence de leur dette, si celle-ci est au moins égale à leur créance, tout à la fois de faire l'économie d'un paiement et tout à la fois d'être payés.

La compensation, qu'elle soit légale, judiciaire ou conventionnelle, ne peut intervenir qu'entre deux personnes identiquement créancières et débitrices. La compensation n'est pas une opération à trois personnes, contrairement à la cession ou à la délégation de créance. La solution a déjà été posée en jurisprudence. Ainsi, a-t-il pu être jugé que la compensation ne joue qu'entre débiteur et créancier identiques et non point entre une banque et diverses sociétés d'un groupe qui avaient décidé de concentrer sur un compte unique le débit résultant de l'utilisation d'un découvert autorisé (3). De même, il a été jugé que la compensation ne peut jouer entre des créances détenues par une société sur la société sous procédure collective et une créance détenue par cette dernière sur autre société, fut-elle du même groupe. Ainsi, il a pu être jugé que la compensation ne pouvait jouer entre une créance détenue par l'adhérent sur son affactureur et des créances d'un fournisseur sur l'adhérent (4).

Pour tourner la difficulté liée à l'obligation d'existence de créances et dettes réciproques entre deux personnes, les plaideurs, en l'espèce, avait cru devoir recourir à la confusion des patrimoines.

Une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) et son gérant, M. H., étaient adhérents d'une société coopérative. La coopérative détenait une créance à l'égard de l'EARL et était débitrice d'une certaine somme envers le gérant. L'EARL et son gérant avaient tous deux été placés en liquidation judiciaire, par deux jugements distincts. La coopérative entendait compenser sa dette envers M. H, le gérant, et sa créance détenue sur l'EARL. Consciente qu'elle n'était pas en position de créancière et de débitrice à l'égard de la même personne, la coopérative a soutenu qu'il existait entre l'EARL et son gérant, M. H, une confusion des patrimoines. Ainsi, il n'existait plus qu'une seule masse active et passive constituée de l'EARL et du gérant. Cette unité de masse active et passive emportait la conséquence que la coopérative se retrouvait débitrice de l'ensemble constitué par l'EARL et son gérant. Symétriquement, elle se retrouvait créancière de cette même masse active et passive.

Voilà qui était parfaitement analysée. En effet, la Cour de cassation considère que l'extension sur le fondement de la fictivité ou de la confusion des patrimoines emporte création d'une procédure collective unique avec patrimoine commun et masse active et passive unique (5). Les actifs et le passif de la personne à laquelle la procédure est étendue sont réunis aux actifs et au passif de la seule procédure ouverte (6). Le recours à la notion d'indivision pour rendre compte de la solution est exclu (7), puisqu'il n'y a pas plusieurs, mais bien un seul patrimoine (8).

De cette unicité de masse active et passive, il est tiré de multiples conséquences. Ainsi a-t-il été jugé que si la procédure du débiteur est étendue à une caution, il s'opère une confusion de droit, du fait de la réunion dans la même personne des qualités de créancier et de débiteur, qui emporte extinction du cautionnement pour ne laisser subsister que la dette principale (9).

Il était donc soutenu, d'une manière irréprochable sur le terrain juridique, que l'extension d'une procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité pouvait rendre créancière du débiteur une personne qui lui était initialement étrangère.

Mais encore fallait-il qu'il y ait confusion des patrimoines. Le droit de la personnalité juridique commande, par principe, que toute personne soit titulaire d'un patrimoine et d'un seul. Le patrimoine d'une personne est en outre distinct de celui d'une autre personne. En outre, l'autonomie d'une personne morale par rapport à son dirigeant interdit par principe de faire produire des effets juridiques du patrimoine de l'un sur le patrimoine de l'autre.

Par les effets particulièrement dérogatoires au droit de la personnalité juridique qu'elle emporte, l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ne peut exister que si un jugement intervient en ce sens.

Le principe "pas d'extension sans jugement" peut être affirmé. Il justifie, en l'espèce, que les conséquences classiquement tirées de l'extension, à savoir la possibilité de création d'une masse active et passive unique entre les deux personnes à patrimoines confondus justifiant le jeu de la compensation légale, aient été écartées.

Pour ce faire, la Cour de cassation se fonde sur l'autorité de la décision ayant ouvert à l'encontre de M. H, le gérant de l'EARL, une procédure distincte de celle ouverte contre l'EARL. Là où il y a procédure distincte, il ne peut y avoir confusion des patrimoines. Dès lors, la condition de réciprocité entre la créance et la dette ne pouvait exister et, par voie de conséquence, il n'y avait pas place au jeu de la compensation.

Il reste à indiquer au plaideur qu'il aurait pu organiser les conditions de ce jeu en agissant lui-même en extension. Certes, l'on sait que le créancier est dépourvu de qualité à agir en extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines. La Cour de cassation a énoncé, dans un arrêt de principe (10), qu'un créancier ne peut agir en extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité. La solution a ensuite été reproduite (11). Même si la Cour de cassation n'a pas été explicite sur le fondement de cette dénégation de qualité à agir, l'idée de défense de l'intérêt collectif des créanciers appartenant exclusivement au représentant des créanciers semble justifier la solution.

La loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150GHT) conduit à un changement de solution. Si le créancier, en cette qualité, ne dispose toujours pas du pouvoir d'agir aux fins d'extension sur le fondement de la fictivité ou de la confusion des patrimoines, en revanche, la solution est modifiée pour le contrôleur. Le rôle nouveau dévolu au contrôleur, qui l'autorise à agir afin de défendre l'intérêt collectif des créanciers si le mandataire judiciaire n'agit pas, conduit à permettre de lui reconnaître la possibilité d'agir en extension (12) sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité, en cas de carence du mandataire judiciaire préalablement mis en demeure d'agir. Cette suggestion doctrinale a été suivie par une juridiction du fond (13).

Ainsi, en l'espèce, le créancier, avant d'invoquer la compensation, aurait dû se faire désigner contrôleur dans la liquidation judiciaire de l'EARL. Ensuite, il aurait pu mettre en demeure le liquidateur de l'EARL d'agir en extension de procédure à l'encontre du gérant M. H. S'il avait obtenu gain de cause, il aurait pu invoquer la compensation légale.

Mais rassurons ce plaideur. Il n'est pas sûr pour autant qu'il aurait obtenu gain de cause. Si un jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines était intervenu, une autre question n'aurait pas manqué de se poser. Aurait-il pu invoquer une compensation légale, laquelle suppose la réunion des conditions d'exigibilité, de certitude et de liquidité des créances réciproques au jour du jugement d'ouverture ? La question se pose dans la mesure où la Cour de cassation, à plusieurs reprises, a affirmé que le jugement d'extension n'avait pas d'effet rétroactif. Il n'y aura opposabilité de la situation aux créanciers de la structure à laquelle la procédure a été étendue qu'à compter du jugement d'extension. L'opposabilité n'est pas rétroactive. La Cour de cassation affirme ainsi que nonobstant l'unicité de procédure, le jugement la prononçant ne rétroagit pas au jour du jugement initial d'ouverture (14).

Dès lors, si l'ouverture de la procédure contre l'une des deux personnes, en l'occurrence l'EARL, intervient avant le jugement d'extension, la condition de réciprocité nécessaire au jeu de la compensation légale n'existe pas au jour du jugement d'ouverture.

Ainsi, par quelque bout que l'on prenne l'affaire, le dossier semblait bien mal embarqué. Il n'est pas si facile -et heureusement- de contourner une règle d'ordre public du droit des entreprises en difficulté, telle celle de l'interdiction du paiement des créances antérieures...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-13.680, F-D (N° Lexbase : A5815EI9), Gaz. proc. coll., 2009/4, 2ème partie, p. 26, nos obs..
(2) Cass. com., 21 mars 2006, n° 05-11.439, F-D (N° Lexbase : A8062DNW), RTDCom., 2006, 910, n° 1, obs. A. Martin-Serf, Gaz. proc. coll., 2006/3, p. 35, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 21 mars 2006, six arrêts, n° 05-11.440, FD (N° Lexbase : A8063DNX) n° 05-11-441, F-D (N° Lexbase : A8064DNY), n° 05-11.442, F-D (N° Lexbase : A8065DNZ), n° 05-11.443, F-D (N° Lexbase : A8066DN3), n°05-11.513, F-D (N° Lexbase : A8067DN4) et n° 05-11.514, F-D (N° Lexbase : A8068DN7), RD banc. et fin., mai-juin 2006, p. 25, n° 108, note F.-X.Lucas ; Cass. com., 30 mai 2006, n° 05-14.248, F-P+B (N° Lexbase : A7610DPK), Bull. civ. IV, n° 131, D., 2006, AJ 1683, obs. A. Lienhard, RTDCom., 2006. 910, n° 1, obs. A. Martin-Serf, JCP éd. E, 2006, chron. 2331, p. 1534, n° 10, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 16 janvier 2007, n° 05-15.912, F-D (N° Lexbase : A6162DTE) ; Cass. com., 27 mars 2007, n° 05-20.574, F-D (N° Lexbase : A7951DUZ) ; Cass. com., 24 avril 2007, n° 05-20.280, F-D (N° Lexbase : A0198DWA).
(3) CA Versailles, 13éme ch., 12 mars 1998, BSD c/Me Chavanne de Dalmassy, ès qual. liquidateur Soldy.
(4) Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-12.472 F-D (N° Lexbase : A5764DKP), Gaz. proc. coll., 2006/1, p. 36, obs. R. Bonhomme ; CA Versailles, 13ème ch., 13 février 2003, n° 01/05236; (N° Lexbase : A2304C99), Gaz. Pal., 18-19 juillet 2003, somm. 16, LPA, 17 mai 2004, n° 98, p. 12, note J.-P. Sortais.
(5) Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-15.715, F-D (N° Lexbase : A5851EIK), Gaz. proc. coll., 2009/4, 2ème partie, p. 5, note Fl. Reille ; Dr. sociétés, nov. 2009, comm. 209, p. 28, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., 2010/2, comm. 45, p. 40, note B. Saintourens.
(6) Pour la fictivité, v. Cass. com., 8 novembre 1988, n° 87-11.233, inédit (N° Lexbase : A9128CPR), D., 1989, somm. 372, obs. A. Honorat ; Rev. sociétés, 1990. 71 ; RJ com., 1989, 236, obs. Ch. Gallet. Pour la confusion des patrimoines, v. Cass. com., 17 février 1998, n° 97-13.098, publié (N° Lexbase : A2965ACS), Bull. civ. IV, n° 58 ; LPA, 12 juin 1998, n° 70, p. 22, note B. Soinne.
(7) Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-15.715, F-D, préc. et les obs. préc. note 5.
(8) Cass. civ. 1, 13 février 2001, n° 98-16.109 (N° Lexbase : A5417A4E), Dr. sociétés, 2001, comm. 112, obs. J.-P. Legros ; adde J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2165, [Exploitation en commun et confusion des patrimoines], 2006, n° 65.
(9) Cass. com., 17 février 2009, n° 07-16.558, F-P+B (N° Lexbase : A2593EDE), Bull. civ. IV, n° 23 ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 17, n° 1 note Fl. Reille ; Act. proc. coll., 2009/6, n° 96, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2009, 1644, n° 13, obs. Ph. Simler ; JCP éd. E, 2009, chron. 1814, n° 15, note M. Cabrillac ; Dr. et patr., septembre 2009, n° 184, p. 110, note C. Saint-Alary-Houin ; Rev. proc. coll., 2009/5, p. 39, § 102, note B. Saintourens ; RTDCom., 2009, 615, no 4, obs. A. Martin-Serf.
(10) Cass. com., 15 mai 2001, n° 98-14.560, publié (N° Lexbase : A4413ATM), Bull. civ. IV, n° 91 ; D., 2001, AJ 1949, obs. A. Lienhard ; D., 2001, somm. 3425, obs. A. Honorat ; Act. proc. coll., 2001/12, n° 148 ; Bull. Joly Sociétés, 2001, 979, n° 223, obs. Ph. Pétel.
(11) Cass. com., 19 février 2002, n° 99-12.776, F-D (N° Lexbase : A0234AYC).
(12) Rapport Xavier de Roux, n° 2095, p. 186. Adde J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2165, [Exploitation en commun et confusion des patrimoines], 2006, n° 49 ; Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 493 ; Ph. Roussel Galle, Les contrôleurs, gardiens de l'intérêt collectif, Gaz. Pal., n° sp. 9-10 septembre 2005, p. 3 et s., sp. p. 5, n° 14 ; P. Cagnoli, La qualité pour agir, questions procédurales, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 209 et s., sp. p. 210 ; F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., Lgdj, 2012, n° 330 ; D. Gibirila, Droit des entreprises en difficulté, Defrénois, 2009, n° 224 ; J. Vallansan, P. Cagnoli et L. Fin-Langer, Difficultés des entreprises - Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 6ème éd., 2012, p. 60.
(13) CA Paris, Pôle 5, 8e ch., 1er mars 2011, no 10/19932 (N° Lexbase : A2997G9U), Act. proc. coll., 2011/11, comm. 164.
(14) Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-12.552, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4622DDK), Bull. civ. IV, n° 170 ; D., 2004, AJ 2651, obs. A. Lienhard ; D., 2005, pan. 292, obs. P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2005, chron. 31, p. 25, n° 1, obs. Ph. Pétel ; Bull. Joly Sociétés, 2005/1, § 3, p. 34, note F.-X.Lucas ; RJ com., 2005/1, p. 70, note J.-P. Sortais ; Rev. sociétés, 2005, 459, note D. Robine ; Defrénois, 2005/11, p. 983, chron. 38177, n° 1, note D. Gibirila ; Dr. et proc., 2005/2, p. 87, note P.-M. Le Corre ; nos obs. également, L'absence de rétroactivité de l'unicité de masse passive et active du jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, Lexbase Hebdo n° 139 du 21 octobre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3159ABM).

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