La lettre juridique n°517 du 21 février 2013 : Éditorial

Droit des pères divorcés : entre "orgueil et préjugé" et "raison et sentiment"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


A priori
, l'affaire des "pères perchés sur leurs grues" à Nantes présente tous les ressorts d'un drame familial suscitant l'émotion du public la plus vive et l'empathie facile face à une justice aveugle, quand elle n'est pas tout simplement taxée de sexiste. Et, les coups d'éclats à répétition de ces pères revendiquant l'exercice effectif de leur autorité parentale et un droit de visite permettant l'émancipation de leur relation paternelle montrent régulièrement le désarroi, sans doute réel, de ces hommes se sentant considérés comme des pères de "seconde zone".

Il est un fait certain, c'est que malgré l'égalité de droit "homme-femme" et de l'exercice de l'autorité parentale, malgré la neutralité de la loi relative au divorce, dans 80 % des cas, c'est à la mère qu'est confié l'enfant. Le phénomène est, toutefois, nouveau, puisque le "premier siècle" du divorce aura connu une domination paternelle sans partage, le père divorcé ayant toujours eu la garde l'enfant, confié le plus souvent, dans les faits, à des proches ou à des institutions pour leur éducation. Le rééquilibrage est plutôt récent (à l'échelle de l'Histoire de la famille), la "puissance paternelle" cédant face à "l'autorité parentale", par la loi du 4 juin 1970. Encore fallut-il attendre l'émergence du principe de "l'intérêt de l'enfant" pour l'emporter sur celui de la "faute conjugale", cette dernière déterminant, avant 1975, le plus souvent, la garde de l'enfant, pour que les juges, et c'est une réalité, accordent massivement la garde de l'enfant à la mère plutôt qu'au père.

Bien entendu, chaque drame familial est unique et une systématisation des souffrances et des frustrations paternelles s'avère parfaitement impudique, si ce n'est déplacée. Toutefois, on pourra gloser pendant des siècles sur les conséquences sociales du divorce, entre la fin des souffrances physiques et psychologiques, ou simplement d'une hypocrisie sociale, et la destruction légalisée de la cellule familiale, trois observations, au moins, doivent être formulées devant le spectacle médusant de ces pères accrochés dans les airs et revendiquant à coup de slogans et de SMS leurs droits élémentaires.

D'abord, la loi n'est pas inégalitaire, disposant de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, même en cas de divorce, sauf à ce que le juge prive l'un des deux parents de cette autorité. Et, celle du 4 mars 2002 permettant aux juges d'organiser la garde alternée de l'enfant a témoigné d'une volonté de rééquilibrage, cette fois en faveur des pères, dans l'exercice quotidien de leur rôle parental. Mais, prononcée dans seulement 15 % des cas, la garde alternée n'est pas le droit commun et peine à s'imposer pour des raisons sociales, pratiques et, parfois même, dans l'intérêt de l'enfant.

Ensuite, si dans 80 % des cas, c'est à la mère qu'est confié l'enfant, c'est aussi parce que, dans la grande majorité des situations en cause, le père n'y trouve rien à redire : soit qu'il ne se sente pas d'exercer son magistère paternel plus d'un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, soit qu'il ne puisse tout simplement pas résider dans la même ville que la mère, pour des raisons professionnelles ou de recomposition familiale. Il est inutile, également, de s'apesantir sur l'omnipotence matriarcale au sein du foyer, dont la conception profondément ancrée dans les mentalités remonte à la nuit des temps. Et, si la "puissance paternelle" niait ce rôle majeur exercé par les mères pendant des siècles, ce n'était que pour exhiber, à la face du monde, la faute de la femme, le plus souvent adultère, responsable du divorce et à qui toute autorité maternelle devait être ainsi déniée. Donc, sans être sexiste, les juges n'en demeurent pas moins pragmatiques, surtout lorsqu'il est question d'affaires familiales où le dogme n'a guère sa place face à l'intérêt supérieur de l'enfant. Il le confie à la garde de la mère, car c'est le plus souvent elle qui, dans les faits, souhaite et peut en assurer toutes les obligations et droits afférents.

Enfin, on ne saurait trop se méfier de l'émotion populaire ; en approfondissant quelque peu l'histoire de ces deux hommes agrippés à leurs grues, on apprendra que le premier, descendu quelques heures après son escalade, était accusé de violences conjugales et de maltraitance envers son enfant par son ex-femme, et que le second, ayant mis fin à son aventure aérienne après quarante-huit heures de revendications, n'en était pas à son premier coup de force, ayant été condamné pour soustraction d'enfant. L'exercice effectif du droit de visite n'est pas une histoire devant être prise à la légère, et le renforcement de la lutte internationale contre les enlèvements familiaux en est la démonstration la plus vive. Le déni de l'autorité paternelle dans les faits est une souffrance certaine à laquelle le droit, ou plus volontiers la médiation, doivent répondre. Mais, on ne peut pas dire que les derniers "oripeaux" médiatiques du combat pour le droit des pères soient de la meilleure représentativité qu'ils puissent être ; la soustraction d'enfant expliquant la sévérité de la décision de justice privant l'auteur de son autorité parentale.

Pour autant, tout cela s'avère parfaitement bien orchestré. Ni hasard, ni coïncidence ; a été enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale, le 24 octobre 2012, une proposition de loi visant à préserver l'autorité partagée et à privilégier la résidence alternée pour l'enfant en cas de séparation des parents. Ce n'est pas la première proposition de loi du genre, il s'agit du quatrième opus enregistré depuis 2009. Et, bien évidemment, chacun sait, désormais, que, dans les prochains jours, la ville de Nantes accueillera les revendications des associations favorisant ou protégeant l'exercice des droits paternels. Ce que l'on sait moins, en revanche, c'est que, si la proposition de loi n° 309 du 24 octobre 2012 vise, avant tout, à protéger "l'intérêt supérieur de l'enfant en lui garantissant une construction saine et équilibrée, reposant sur deux parents réellement présents", elle emporte la reconnaissance du "syndrome d'aliénation parentale", qui se caractérise par "l'instrumentalisation de l'enfant pour détruire les liens familiaux, au travers d'actions prenant la forme d'une dévalorisation constante du second parent", et provoquant "une cassure de la relation avec ce dernier". Or, si la multiplication de situations de mères ou de pères ayant perdu tout contact avec leur enfant à la suite d'une séparation de fait, de corps ou d'un divorce est une réalité, et si seulement 21,5 % des divorces sont prononcés par consentement mutuel, ce "syndrome" d'origine nord-américaine appartient, toutefois, à une liturgie dite "masculiniste". Et, par opposition au féminisme, le "masculinisme" entend réaffirmer la virilité de la cellule familiale et de la société dans son ensemble. Or, si l'on a vu qu'un rééquilibrage entre pères et mères est toujours souhaitable et qu'une médiation est toujours préférable, ancrer l'exercice parental conjoint dans une opposition dogmatique entre "féminisme" et "masculinisme" serait une erreur aux lourdes conséquences pour l'enfant. Et "être dissuasif à l'égard du parent qui prend le risque de rendre son enfant otage d'un conflit dont il est innocent", comme le suggèrent les motifs de la proposition de loi, s'avère des plus complexes.

"Un drame, le divorce ? Allons donc !... Pour bien divorcer, aujourd'hui, c'est facile - il suffit de s'adorer !" Mais à défaut, La première épouse pourra toujours préférer la médiation et le dialogue au conflit, aurait pu suggérer Françoise Chandernagor.

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