La lettre juridique n°517 du 21 février 2013 : Couple - Mariage

[Projet, proposition, rapport législatif] La réforme du mariage et de quelques autres questions : deuxième étape, le vote de l'Assemblée nationale

Réf. : Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, le 12 février 2013

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

le 21 Mars 2013

Après un marathon émaillé d'incidents qui n'ont pas fait honneur au législateur français, les députés ont adopté en première lecture le texte ouvrant le mariage et l'adoption aux personnes de même sexe, le 12 février 2013. D'après le rapport rendu par l'INSEE le 14 février 2013, intitulé "Le couple dans tous ses états", cette réforme pourrait concerner 200 000 personnes qui, aujourd'hui, sont en couple avec une personne de même sexe. Parmi ces personnes, 43 % sont pacsées, cette proportion atteignant 55 % après 35 ans ; environ 10 % d'entre elles, généralement des femmes, déclarent vivre au moins une partie du temps avec un enfant, généralement né avant l'union actuelle. Le texte voté par l'Assemblée nationale répond incontestablement aux attentes de ces couples concernant leur accès à un statut juridique identique à celui des couples hétérosexuels, comme le prévoyait le projet de loi présenté en novembre en Conseil des ministres (1). Il tire, en outre, les conséquences de l'accès des couples de même sexe au mariage et à l'adoption. Mais le texte contient également des modifications du droit de la famille qui ne s'inscrivent pas dans cet objectif et qui étendent la réforme à de nouvelles questions.

I - L'accès des couples de même sexe au mariage et à l'adoption

Mariage homosexuel. Le texte reprend à l'identique le nouvel article 143 du Code civil contenu dans le projet de loi en vertu duquel "Le mariage est contracté par deux personnes de même sexe ou de sexe différent". Cet article constitue évidemment la disposition majeure de la réforme qui permet à la France de se classer parmi les pays qui admettent l'accès au mariage des couples homosexuels.

Droit international privé. Les dispositions du texte, relatives au droit international privé, ont été modifiées par rapport au projet de loi. En effet, alors que celui-ci permettait le mariage en France de deux personnes de même sexe alors que leur loi personnelle ne permet pas le mariage homosexuel sans restriction, l'article 202-1, alinéa 2, permet uniquement un tel mariage lorsque "pour au moins une des deux personnes soit la loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet". Le critère de rattachement de la résidence d'un au moins des époux, qui s'ajoute à celui de la loi personnelle, paraît plus conforme aux législations des autres Etats, notamment européens, sur cette question. Ainsi, ne pourront se marier en France que les couples de même sexe dont l'un des membres est français ou dont l'un des membres réside en France.

Mariage de Français à l'étranger. L'article 1er bis D (nouveau) du texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit l'hypothèse dans laquelle un couple homosexuel, dont l'un au moins des membres est français, réside dans un pays dans lequel la célébration du mariage entre personnes de même sexe est impossible (même par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises). Ce couple pourra venir se marier en France dans la commune de naissance ou de dernière résidence de l'un des futurs époux ou de l'un de ses parents, ou grands-parents ou, à défaut, dans la commune de leur choix.

Mariage antérieur. Le texte voté par l'Assemblée nationale reprend les dispositions du projet de loi qui prévoyait que les mariages contractés entre personnes du même sexe avant l'entrée en vigueur de la loi et conformes aux exigences relatives à l'âge matrimonial, au consentement, à l'absence de mariage antérieur, ou aux empêchements à mariage, seront rétroactivement validés, sous réserve même si la loi ne le précise de ne pas contredire une décision judiciaire ayant acquis autorité de la chose jugée.

Adoption et autres effets du mariage. En n'intégrant aucune disposition qui limiterait certains effets du mariage aux époux de même sexe, le texte permet aux couples mariés de même sexe de bénéficier de tous les effets du mariage et notamment de la possibilité d'adopter un enfant ensemble en vertu de l'article 343 du Code civil (N° Lexbase : L2848AB4). Cette dernière question a fait l'objet d'un amendement qui limitait l'accès à l'adoption aux couples hétérosexuels et qui a été rejeté par les députés (2).

PMA. L'amendement n° 2705 présenté par des députés écologistes prévoyant que la procréation médicalement assistée pourrait également avoir "pour objet de répondre à la demande parentale d'un couple de femmes" a également été rejeté. La réforme prévue par l'Assemblée nationale ne devrait pas permettre l'instauration d'une filiation d'un enfant à l'égard de deux personnes de même sexe en dehors de l'adoption. Les couples de femmes pourront continuer à avoir recours à l'insémination avec tiers donneur à l'étranger, l'enfant étant alors rattaché à sa mère biologique. Si le couple est marié, l'épouse de cette dernière pourra alors adopter l'enfant. Il serait sans doute plus simple et plus opportun d'autoriser les femmes à accéder, de manière individuelle, à la PMA en France, mais en maintenant le rattachement primaire de l'enfant à la seule mère biologique, l'adoption de l'enfant par l'autre membre du couple étant possible par la suite dans le cadre du mariage. Une telle solution serait très différente de celle prévue par l'amendement qui semblait viser un rattachement immédiat de l'enfant aux deux femmes comme conséquence de la demande commune de PMA.

II - Les dispositions consécutives

Discrimination. L'un des apports du texte voté par l'Assemblée nationale réside dans un nouvel article L. 1132-3-2 du Code du travail qui dispose que "Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionné à l'article L. 1132-1 pour avoir refusé une mutation géographique dans un Etat incriminant l'homosexualité, s'il est marié ou lié par un pacte de solidarité à une personne de même sexe".

Age du mariage. Comme le prévoyait le projet de loi, la formulation de l'article 144 du Code civil (N° Lexbase : L1380HIX) relatif à l'âge du mariage a été modifié pour faire disparaître la référence à "l'homme et à la femme" et dispose que "Le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus" ; il en va de même des dispositions relatives aux empêchements à mariage qui ont été étendus pour tenir compte des empêchements entre personnes de même sexe (par exemple un oncle et un neveu).

Nom de l'enfant. Le contenu des dispositions relatives au nom de famille attribué à l'enfant est identique à celui que prévoyait le projet de loi, c'est-à-dire qu'en l'absence de déclaration conjointe des parents choisissant le nom de l'enfant, il sera attribué à celui-ci les noms de ses deux parents accolés, dans l'ordre alphabétique, à la place du nom du père prévu par la loi actuelle. Mais le domaine d'application de la règle a été considérablement élargi. En effet, alors que le projet de loi appliquait cette règle supplétive aux seuls enfants adoptés, le texte voté par l'Assemblée nationale l'applique à tous les enfants puisqu'il modifie directement l'article 311-21 du Code civil (N° Lexbase : L8864G98). Par ailleurs, la règle est applicable aux enfants adoptés par un couple et à l'adoption de l'enfant du conjoint (C. civ., art 357 N° Lexbase : L6485DIZ). La portée de cette modification serait considérable si l'on tient compte du fait que très peu de parents choisissent aujourd'hui le nom de leur enfant. La grande majorité des enfants continuent à porter le nom de leur père en vertu de l'actuelle règle supplétive de l'article 311-21. Si le texte est définitivement voté, la primauté du nom du père disparaîtra probablement, à moins qu'une majorité de couples le choisissent par déclaration conjointe. Il est fort probable que la nouvelle règle entraîne un changement significatif dans l'attribution du nom et qu'une majorité d'enfants porte dans l'avenir un double nom.

Dispositions de coordination. Une modification majeure est intervenue depuis le projet de loi présenté le 7 novembre 2012. Alors qu'il était au départ prévu de changer la formulation des textes pour faire disparaître l'expression "père et mère" au profit de celle de parent, la loi votée par l'Assemblée nationale ne procède pas à une telle neutralisation. La formulation des dispositions du livre du Code civil relatif aux personnes reste la même (3) mais un nouvel article 6-1 du Code civil prévoit qu'elles s'appliquent, à l'exception du titre relatif à la filiation "aux parents de même sexe, lorsqu'elles font référence aux père et mère, aux aïeuls de même sexe lorsqu'elles font référence aux aïeul et aïeule, au conjoint survivant d'un couple de personnes de même sexe lorsqu'elles font référence aux veuf et veuve". La même règle s'applique en vertu d'un nouvel article 718 du Code civil au troisième titre de ce code. L'article 4 bis de la loi contient une règle similaire pour l'ensemble des dispositions législatives hors Code civil. Ces dispositions générales constituent des règles interprétatives qui permettent de maintenir, pour des raisons symboliques, la référence aux père et mère, tout en permettant leur application aux couples de même sexe. On notera l'exclusion des dispositions relatives à la filiation charnelle, qui met en exergue le cantonnement de la réforme au mariage et à l'adoption.

En revanche, les termes de mari et femme sont remplacés par l'expression "d'époux" dans les articles 75 (N° Lexbase : L6646IM4) et 108 (N° Lexbase : L1093AB4) du Code civil et les termes de beau-père et belle-mère par l'expression "beaux-parents" dans l'article 206 (N° Lexbase : L2271ABQ).

Allocation de remplacement. Le texte voté par l'Assemblée nationale reprend les dispositions du projet relatif aux indemnités, allocations ou congés liés à l'adoption d'un enfant. Un nouvel article 13 bis adapte également le régime de l'allocation de remplacement du Code rural et de la pêche maritime aux hypothèses d'adoption par un couple de même sexe en supprimant toute référence à une parenté sexuée.

III - Les dispositions additionnelles

Caractère républicain du mariage. Les députés ont ressenti le besoin de préciser dans l'article 165 du Code civil que le mariage donnera lieu à une célébration non seulement publique mais aussi républicaine devant l'officier d'état civil...

Lieu du mariage. L'article 74 du Code civil (N° Lexbase : L3235ABG) a été modifié par l'Assemblée nationale alors que le projet de loi ne le prévoyait pas, pour permettre aux époux de se marier dans la commune où réside l'un de leur parent, consacrant ainsi un usage familial souvent pratiqué par les futurs mariés qui souhaitent célébrer leurs noces dans le berceau familial de l'un d'eux.

Nom de l'adopté. Reprenant le projet de loi, l'article 3 de la loi prévoit que l'adoption simple ne confère le nom de l'adoptant, ajouté au nom de l'adopté, qu'avec le consentement de celui-ci s'il est majeur. Par ailleurs, dans le cadre de l'adoption de l'enfant du conjoint, l'adoptant pourra demander à ce que l'adopté conserve son nom d'origine. Cette nouvelle possibilité correspond à une demande de la pratique, nombre d'enfants adoptés par leur beau-père ou belle-mère alors qu'ils ont atteint un certain âge, ne souhaitant pas être contraints de changer de nom.

Un certain nombre de dispositions prévoit les modalités de changement de nom de l'enfant faisant l'objet d'une adoption simple par un couple, et notamment lorsque les membres de celui portent eux-mêmes un double nom. On retrouve alors un même système de choix par les adoptants et à défaut de désignation du nom par référence à l'ordre alphabétique.

Adoption de l'enfant du conjoint qui l'a lui-même adopté. L'adoption de l'enfant du conjoint a fait l'objet de dispositions nouvelles, issues d'amendements émanant de la Commission des lois et de la Commission des affaires sociales, et destinées à faciliter la consécration du lien existant entre un enfant et l'époux de son parent adoptif. En effet, si l'enfant a initialement été adopté par une personne célibataire, laquelle vient ensuite à se marier, l'adoption par l'époux de l'enfant de son conjoint n'est aujourd'hui pas expressément prévue. Le texte voté par l'Assemblée nationale permet, lorsqu'une personne mariée a adopté seule un enfant sous la forme plénière ou simple, que celui-ci soit ensuite adopté par l'époux de l'adoptant. L'article 345-1 du Code civil permettrait ainsi que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint soit admise "lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce conjoint" ; de même, l'article 360 du Code civil permet que l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière ou d'une adoption simple puisse faire l'objet d'une adoption simple de la part du conjoint de l'adoptant.

Exercice de l'autorité parentale par les parents adoptifs. C'est une modification conséquente que prévoit l'article 1er ter de la loi telle que votée par l'Assemblée nationale en première lecture, et qui a été adopté par la Commission des lois. Il s'agirait d'inverser le principe relatif à l'exercice de l'autorité parentale en cas d'adoption de l'enfant du conjoint dans le but de faciliter l'exercice en commun dans cette hypothèse. Alors qu'actuellement cette adoption n'entraîne un exercice en commun de l'autorité parentale qu'en cas de déclaration conjointe du parent biologique et de l'adoptant, un nouvel article 365, alinéa 2, disposerait qu'en cas d'adoption conjointe "l'autorité parentale appartient concurremment à l'adoptant et à son conjoint, lesquels l'exercent en commun". La portée de l'adoption de l'enfant du conjoint, lorsqu'il est mineur, en serait fortement augmentée puisque l'adoptant obtiendrait de plein droit l'exercice de l'autorité parentale. Si les titulaires de l'autorité parentale ne souhaitent pas l'exercer conjointement, ils pourront cependant saisir le juge aux affaires familiales dans les conditions de droit commun et notamment faire homologuer une convention en ce sens.

Droit de visite du tiers ayant résidé avec l'enfant. L'Assemblée nationale s'est emparée de la question du beau-parent en prévoyant dans un article 373-3 alinéa 2 du Code civil que "le juge peut, si tel est l'intérêt de l'enfant, prendre des mesures permettant de garantir le maintien des relations personnes de l'enfant avec le tiers qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs et stables". Il s'agit de consacrer un droit de visite au profit d'un nouveau tiers privilégié, qui vient s'ajouter aux grands-parents. Toutefois, le texte reste plus général puisqu'il vise le maintien des relations personnelles ; c'est sans doute la raison pour laquelle il n'a pas été intégré dans l'article 371-4 où il aurait cependant occupé une meilleure place. On notera que la simple qualité d'époux ou de concubin d'un parent de l'enfant ne bénéficiera pas de ce droit et qu'il faudra prouver l'effectivité des relations affectives du beau-parent avec l'enfant ainsi que la réalité de sa participation à sa prise en charge. Cette disposition a, semble-t-il, été prévue afin d'apporter une réponse aux situations dans lesquelles l'adoption de l'enfant du conjoint n'est pas possible ou n'a pas été envisagée par le couple avant sa séparation, mais où un maintien des liens entre un enfant et son parent social doit être recherché dans l'intérêt de cet enfant.


(1) Cf. nos obs., L'accès des couples homosexuels au mariage et à l'adoption : première étape, Lexbase Hebdo n° 505 du 15 novembre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4458BTB).
(2) L'amendement n°4526 proposait "A l'article 343 du Code civil, les mots : "deux époux" sont remplacés par les mots : "un mari et une femme" pour limiter les cas d'adoption des couples mariés aux seuls couples hétérosexuels.
(3) Sauf dans l'article 601 du Code civil (N° Lexbase : L3188ABP), relatif à l'usufruit.

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