Réf. : Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 20-85.196, F-D N° Lexbase : A24567HG et n° 20-85.075, F-D N° Lexbase : A25547H3 ; Cass. crim., 5 janvier 2022, n° 21-80.638, F-D N° Lexbase : A80337HY ; Cass. crim., 12 janvier 2022, n° 21-80.866, F-D N° Lexbase : A52617IP
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par le Dr. Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille, Directeur du Master 2 « Lutte contre la criminalité financière et organisée » et du DESU « Risque pénal économique et conformité/compliance »
le 19 Décembre 2022
Mots-clés : confiscation • proportionnalité • motivation • produit de l’infraction • nue-propriété • clause d’inaliénabilité
Il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu.
La confiscation peut d’ailleurs porter sur la nue-propriété d’un bien nonobstant l’existence d’une clause d’inaliénabilité
Objet et motivation. Par quatre arrêts rendus entre le 15 décembre 2021 et le 12 janvier 2022, la Cour de cassation a rappelé les principes gouvernant le prononcé de la peine de confiscation. Tant concernant le bien confisqué que le fondement et la motivation de cette peine complémentaire, ces arrêts apportent des précisions utiles dans le champ d’un contentieux toujours plus nourri devant le juge de cassation…
I. Concernant l’objet de la confiscation, la Cour a affirmé que le juge peut, sur le fondement des articles 131-21, alinéa 6 N° Lexbase : L1285MAT, et 222-49 N° Lexbase : L6422ISN du Code pénal, prononcer la confiscation des droits réels de nue-propriété dont un tiers avait fait donation à la prévenue, et dont cette dernière était propriétaire, peu important les clauses d'exclusion de la communauté, et d'interdiction faite à la donataire d'aliéner ou d'hypothéquer la nue-propriété objet de la donation, qui assortissaient cette donation, et qui ne sont pas affectés par la confiscation [1].
Cette solution est d’importance en ce qu’elle vient tout d’abord confirmer la solution implicite formulée dans un arrêt rendu il y a quelques mois. La Cour a en effet estimé le 30 juin 2021 [2] qu’en cas de démembrement de la propriété, et à défaut de libre disposition, un bien ne pouvait être confisqué et être remis à l’État. En telle situation le juge pénal ne peut « ordonner que la seule confiscation des droits d'usufruit et non la confiscation en pleine propriété de ce bien, fût-ce en ordonnant la restitution aux nus-propriétaires des sommes représentant la valeur de leurs droits » (§ 33). Cette décision est donc complétée par l’arrêt en date du 15 décembre quant à la nue-propriété. Est en effet précisé que cet autre droit réel peut pareillement être confisqué. Comme l’explique la chambre criminelle, « cette confiscation, limitée à la seule nue-propriété […], n'a pas d'incidence sur le droit de propriété […] sur l'usufruit du bien, ce qui exclut toute atteinte à sa vie privée et familiale ».
Pour parvenir à cette solution, la Cour passe par le truchement de la propriété portant sur les droits réels démembrés. La seule propriété confisquée est celle portant, non sur le bien, mais sur les droits y afférents. Cette approche est judicieuse puisque la propriété est en effet un droit pouvant porter sur d’autres droits. Or, la confiscation consiste à priver une personne de son droit de propriété. Si cette propriété ne s’étend pas à tous les droits réels portant sur un bien alors, peut être placé sous main de justice le seul droit réel appartenant au condamné. Le bien ne peut quant à lui être appréhendé. Cette approche a le mérite d’éviter que la confiscation dépasse les droits du condamné (en punissant l’usufruitier ici innocent) et a comme inconvénient symétrique pour les autorités d’empêcher la remise du bien litigieux à l’État. Si l’indivision permet de jouir d’un droit de propriété complet sur une partie indéterminée d’un bien partagé, tel n’est pas le cas des démembrements. D’où un régime juridique différent permettant dans le premier cas de confisquer intégralement un bien indivis [3], mais empêchant, dans le champ des démembrements, d’appréhender intégralement le bien. Par cette décision, la Cour vient logiquement préciser le régime afférent à la nue-propriété en limitant le champ de la confiscation sans toutefois y faire obstacle (puisque l’abusus est appréhendé et remis à l’État). L’équilibre est ainsi préservé.
Impuissance de la clause d’inaliénabilité. L’arrêt présente également un intérêt quant à l’efficience des charges grevant un bien donné. Ces clauses, plus ou moins fréquentes en pratique, sont certes impératives inter partes sous réserve de l’application de l’article 900 du Code civil N° Lexbase : L0040HP8. En revanche, affirme la Cour, elles sont impuissantes à faire échec à une sanction pénale telle que la confiscation : la cour d’appel pouvait ainsi, sur le fondement des articles 131-21, alinéa 6, et 222-49 du Code pénal, prononcer la confiscation des droits réels de nue-propriété « peu important les clauses d'exclusion de la communauté, et d'interdiction faite à la donataire d'aliéner ou d'hypothéquer la nue-propriété objet de la donation, qui assortissaient cette donation, et qui ne sont pas affectés par la confiscation ».
La solution est heureuse tant il serait aisé de faire échec à une décision de la puissance publique par une simple clause de confort éventuellement destinée à paralyser une confiscation. Observons à ce titre que la prévalence du droit pénal sur le droit civil des biens n’est évidemment pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et plus précisément au droit au respect des biens. La juridiction strasbourgeoise a en effet eu l’occasion de préciser que :
« toute atteinte au droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux de l’individu. S’agissant en particulier des ingérences qui, comme en l’espèce, relèvent du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, lequel prévoit spécialement le « droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général [...] », la Cour a précisé qu’il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé et que les États disposent à cet égard d’une ample marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause » [4].
Cette marge d’appréciation permet évidemment à la confiscation de ne pas être neutralisée par une cause d’inaliénabilité qui s’impose au donataire mais ne s’oppose pas à l’État usant du jus peniendi.
II. La motivation des peines a pris un tour particulier depuis le 1er février 2017 [5] et encore davantage avec la décision QPC du Conseil constitutionnel en date du 2 mars 2018 [6]. La peine complémentaire de confiscation n’échappe évidemment pas à ce mouvement. La Chambre criminelle a ainsi rappelé qu’il résulte des articles 131-21 et 132-1 N° Lexbase : L9834I3M du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC qu'il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu. La Cour doit pouvoir vérifier que la chose est bien confiscable [7]. Il en résulte qu’en ne précisant pas à quel titre des sommes saisies ont été confisquées, une cour d'appel ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les exigences de motivation rappelées ci-dessus ont été respectées, et n'a donc pas justifié sa décision [8]. Il en va évidemment de même lorsqu’une cour d’appel se contente d’affirmer, en guise de motivation, « qu'il convient de confirmer la confiscation du second bien immobilier, telle que prononcée par le tribunal correctionnel » [9].
Ce jugeant, la Cour ne fait que répéter l’exigence formulée le 27 juin 2018 [10] et depuis répétée à l’envi [11] par la Chambre criminelle. Les principes ici formulés confineraient presque à l’évidence s’il n’était régulièrement utile de les rappeler ! Cette motivation en droit est à ce point nécessaire qu’elle s’impose également lorsqu’est prononcée la confiscation du produit de l’infraction. Or on sait que la loi du 23 mars 2019 [12] a consacré l’idée selon laquelle la confiscation n’a pas à être motivée quand elle porte sur l’objet ou le produit du délit. L’article 485-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7241LPU dispose en effet que : « En cas de condamnation […] la motivation doit également porter sur le choix de la peine au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du Code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction ». Et l’article 365-1 N° Lexbase : L1472MAR comporte une disposition similaire en matière criminelle.
Pour autant la Cour n’a pas hésité à affirmer que « si la cour d'assises n'a pas à préciser les raisons qui la conduisent à ordonner la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction, elle doit néanmoins énumérer les objets dont elle ordonne la confiscation et indiquer, pour chacun d'eux, s'ils constituent l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, afin de mettre la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision, et d'apprécier, le cas échéant, son caractère proportionné » [13].
L’affaire est entendue : si le choix de recourir à la confiscation du produit de l’infraction n’a pas à être motivé, cette peine doit toutefois être légalement motivée. Seules les raisons qui conduisent la juridiction à ordonner la confiscation n’ont pas à être expliquées. En revanche, et fort heureusement, la confiscation du produit de l’infraction n’échappe ni au principe de légalité ni au contrôle opéré par la Cour de cassation. On comprend donc, aux termes de toutes ces décisions, que la confiscation du produit de l’infraction échappe simplement à l’exigence de motivation au regard de la proportionnalité. Proportionnalité éventuellement éludée s’il s’agit de priver le délinquant des fruits de son délit comme un mantra moderne le précise, eût-il été écrit dans la langue de Cicéron : « nemo ex delicto consequatur emolumentum ».
Doit-on en déduire que la motivation quant au choix de confisquer s’apparente à un contrôle de proportionnalité ? C’est en réalité l’inverse qui est vrai comme en témoigne un arrêt rendu le 5 janvier 2022 : le contrôle de proportionnalité consiste à apprécier la pertinence factuelle de la peine de confiscation prononcée.
III. Concernant le contrôle de proportionnalité, la Cour a ainsi estimé le 5 janvier 2022 que la confiscation d’un immeuble n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect de la vie privée et familiale [14]. En l’espèce, un couple avait formé des pourvois contre un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui, après décision devenue définitive sur la culpabilité de Monsieur des chefs d'infraction à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et non-justification de ressources, et de Madame pour non-justification de ressources, a ordonné la confiscation des parts indivises de chacun sur un immeuble. Plus précisément, ils estimaient que sans mieux s'expliquer sur la proportionnalité de la peine au regard de leur situation personnelle et notamment sur le point de savoir si les ressources et les revenus dont ils disposaient présentaient un caractère suffisant pour leur permettre de se procurer un toit et d'élever dans des conditions décentes leurs deux enfants mineurs, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale.
Or, observe la Cour de cassation, les juges du fond ont constaté que les demandeurs avaient acquis une maison pour la somme de 220 000 euros, alors qu'ils disposaient, chaque mois, de 1 500 euros de ressources déclarées pour 1 400 euros de charges. Ils y ont fait procéder, pour un montant de 70 000 euros, à des travaux, comprenant des finitions soignées, ainsi que la réalisation d'une extension de quarante mètres carrés et la construction d'une piscine, ce qui a apporté à ce bien une plus-value de 130 000 euros. Ils ont fait immatriculer un véhicule presque neuf, acquis des bijoux et des vêtements de marque, sont partis en voyage à l'étranger et passé des fins de semaine en France, sans que leurs ressources avouées, même en tenant compte d'aides financières de leur famille, sous forme de virements bancaires, aient pu expliquer l'origine de leurs dépenses. La cour d’appel avait ajouté que même si l'immeuble en cause constituait la résidence principale du couple, parent de deux enfants, la peine de la confiscation paraissait proportionnée, au vu des éléments de la procédure, qui a mis en évidence l'importance des sommes d'origine occulte qui ont été investies.
Selon la Chambre criminelle, « en l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, la cour d'appel a justifié sa décision ». Cette solution a de quoi étonner [15] dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité. La motivation de la cour d’appel permettait certes d’appréhender la gravité des faits et, en un sens, la personnalité des prévenus. Et en cela, cette motivation est en tout point conforme aux exigences formulées à l’article 132-1, alinéa 3 du Code pénal N° Lexbase : L9834I3M. Or, le contrôle de proportionnalité consiste « à vérifier concrètement que l’application d’une règle de droit interne ne conduit pas à porter une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti par une convention internationale ou par une norme nationale au regard du but légitime poursuivi par cette règle » [16]. Difficile d’imaginer que la motivation de la cour d’appel s’apparente, de près comme de loin, à un tel contrôle… Ce qui démontre derechef [17] que le contrôle de proportionnalité demeure des plus superficiels en ce qu’il confine à une simple motivation au regard des faits et des circonstances de commission sans évaluation réelle de l’atteinte à un droit fondamental. Avec cette précision que si cette motivation factuelle fait défaut alors la cassation s’imposera [18].
Au demeurant, cet arrêt confirme en creux que la proportionnalité d’une confiscation [19] peut être appréciée à l’aune du droit au respect de la vie privée et familiale et non seulement à la lueur du droit au respect des biens.
[1] Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 20-85.196, F-D N° Lexbase : A24567HG.
[2] Cass. crim. 30 juin 2021, n° 20-83.355, FS-B N° Lexbase : A20844YT. V. nos obs., Panorama de droit pénal des affaires, Lexbase Pénal, novembre 2021, § 7 N° Lexbase : N9509BYT.
[3] V. Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 18-84.619, FS-P+B+I, §9 N° Lexbase : A16713T3 ; Cass. crim., 3 novembre 2016, n° 15-85.751, FS-P+B N° Lexbase : A9164SE7).
[4] CEDH, 4 novembre 2014, Req. n° 28457/10, Aboufadda c/ France, § 22 N° Lexbase : A2571M4Y. V. également CEDH 16 septembre 2021, Req. n° 15572/17, Zlatimir Djordjević c/ France, § 27 N° Lexbase : A27977AT.
[5] Cass. crim., 1er février 2017, trois arrêts, n° 15-83.984, FP-P+B+I N° Lexbase : A7002TAL, n° 15-85.199, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A7004TAN et n° 15-84.511, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A7003TAM. V. J.-B. Thierry, La consécration de la motivation des peines correctionnelles, Lexbase Droit privé, 2 mars 2017, n° 689 N° Lexbase : N6845BWG.
[6] Cons. const., décision n° 2017-694 QPC, du 2 mars 2018, spé. § 8 N° Lexbase : A8170XEC.
[7] Cass. crim., 20 novembre 2019, n° 18-86.781, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0130Z39. V. nos obs., Panorama de droit pénal des affaires (2019), Lexbase Pénal, décembre 2019, § 31 N° Lexbase : N1586BYE.
[8] V. également Cass. crim., 5 janvier 2022, n° 21-80.638, F-D, § 15 et s. N° Lexbase : A80337HY.
[9] Cass. crim., 12 janvier 2022, n° 21-80.866, F-D, § 12 N° Lexbase : A52617IP.
[10] Cass. crim., 27 juin 2018, n° 16-87.009, FP-P+B N° Lexbase : A5508XXB.
[11] La formule se retrouve dans plus de 30 décisions rendues par la Chambre criminelle au 19 janvier 2022.
[12] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.
[13] Cass. crim., 20 octobre 2021, n° 21-80.637, F-D, §14 N° Lexbase : A01037A3. V. déjà Cass. crim., 16 décembre 2020, n° 19-87.622, FS-P+B+I N° Lexbase : A06794AE.
[14] Cass. crim., 5 janvier 2022, n° 21-80.638, F-D N° Lexbase : A80337HY.
[15] Sans être évidemment nouvelle. Pour une appréciation confinant à la motivation classique v. déjà Cass. crim., 24 mai 2016, n° 15-81.287, F-D N° Lexbase : A0178RRZ.
[16] P. Chauvin, Gaz. Pal., 6 décembre 2016, n° 43.
[17] V. déjà Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 15-85.136, FS-P+B+I N° Lexbase : A9697SNH. V. N. Catelan, La Chambre criminelle livre un vade-mecum de la confiscation, Lexbase Droit privé, 9 février 2017, n° 687 N° Lexbase : N6594BW7.
[18] V. ainsi Cass. crim., 8 mars 2017, n° 15-87.422, FS-P+B N° Lexbase : A4469T3W.
[19] Pour la saisie v. déjà Cass. crim., 15 mars 2017, n° 16-80.801, FS-P+B N° Lexbase : A2640UCR.
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