La lettre juridique n°891 du 20 janvier 2022 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] L’avocat sous la dépendance économique de son client

Réf. : Cass. civ. 2, 9 décembre 2021, n° 20-10.096, F-P+B N° Lexbase : A48147EZ

Lecture: 6 min

N9946BYZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L’avocat sous la dépendance économique de son client. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/77416524-commentedanslarubriquebavocatshonorairesbtitrenbspilavocatsousladependanceeconomiqued
Copier

par Jean-Pierre Depasse, Avocat au Barreau de Rennes, Président d’ANAFAGC

le 19 Janvier 2022


Mots-clés : commentaire • avocat • dépendance économique • honoraires • violences


 

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 décembre 2021 mérite une attention toute particulière en raison de l’analyse juridique conduite par la Cour régulatrice, confirmant celle des juges d’appel, mais aussi parce qu’elle reflète la fragilité économique à laquelle sont confrontés certains avocats.

Nous connaissions la caducité de la convention d’honoraires [1], la nullité de la convention d’honoraires du fait que la personne signataire de la convention n’était pas habilitée à prendre cet engagement [2], le vice du consentement lié à la contrainte morale exercée par l’avocat sur son client [3], mais nous avons en l’espèce, sans doute pour la première fois en tout cas au stade de la cassation, l’illustration d’une violence économique exercée par le client sur son avocat, plaçant ce dernier dans une situation de dépendance qui le prive de la possibilité de négocier librement le montant de ses honoraires.

Les faits méritent d’être rappelés succinctement : un avocat (Maître S) avait été chargé par l’AGS (délégation de l’UNEDIC de Saint-Denis de la Réunion) de la représenter devant le conseil de prud’hommes (plus de sept cents dossiers) et une convention d’honoraires avait été conclue sur une base forfaitaire de 300 euros HT par dossier. Cette convention a été exécutée. La procédure s’est poursuivie en appel, l’AGS ayant parfois la qualité d’appelante et parfois d’intimée. Des discussions s’engagèrent pour fixer le montant des honoraires pour la procédure d’appel. L’AGS « proposait » un honoraire forfaitaire de 90 000 euros HT, ce qui était accepté par l’avocat, mais uniquement à titre de provision, compte tenu de l’importance des diligences que générait le traitement de ces dossiers. L’AGS décidait alors de confier certains dossiers à un autre avocat qui, pour l’essentiel, reprenait l’argumentation précédemment développée par son confrère. C’est dans ce contexte que Maître S sollicitait la fixation de ses honoraires pour la procédure d’appel à un montant global de 350 000 euros tenant compte de la « provision » de 90 000 euros évoquée ci-dessus. Cette demande a été accueillie favorablement par le juge d’appel qui a annulé la convention d’honoraires et qui a donc fixé les horaires en application des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ.

Pour s’opposer à la demande de fixation d’honoraires de l’avocat, l’AGS soutenait que la profession d’avocat est une profession « libérale et indépendante » et que le serment de l’avocat l’empêche de se trouver en situation de dépendance économique à l’égard de son client.

Cette argumentation est écartée au visa de l’article 1111 du Code civil (N° Lexbase : L1199ABZ) dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 [4]. Selon cet ancien article 1111, « la violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite ». La jurisprudence avait transposé cette notion de violence, assimilable à un vice du consentement, au monde économique en la déclinant sous les notions de « contrainte économique » ou de « dépendance économique » [5].

Le nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016 a inscrit cette interprétation jurisprudentielle dans notre arsenal législatif. Selon l’article 1143 du Code civil N° Lexbase : L1977LKG, actuellement en vigueur, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son co-contractant, à son égard [6], obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

C’est cette définition qui est reprise dans l’arrêt du 9 décembre 2021, bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ne soit applicable à ce litige.

La notion de dépendance économique a été retenue du fait du volume du contentieux confié, du déséquilibre flagrant entre les diligences accomplies et les honoraires proposés (qui étaient inférieurs à ceux de l’aide juridictionnelle !) et des conséquences désastreuses sur la viabilité du cabinet de l’avocat concerné qui ne parvenait plus à payer son loyer ou à rémunérer sa secrétaire.

Il faut rappeler que cette notion de dépendance économique est bien connue des commercialistes puisqu’est sanctionné, dans un contrat commercial de production, de distribution ou de prestations de services, le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie », ce qui recouvre la notion de « déséquilibre significatif » entre les différents co-contractants dont certains abusent de leur position dominante [7].

Cet arrêt doit nourrir la réflexion des donneurs d’ordre de contentieux de masse qui placent certains avocats, notamment ceux qui exercent à titre individuel ou dans des petites structures, dans l’obligation de consentir des concessions disproportionnées au niveau de la rémunération de leurs prestations, cette absence de liberté pouvant parfois s’apparenter à une véritable situation de subordination.

 

[1] Notamment en cas de dessaisissement de l’avocat avant le terme de sa mission : Cass. civ. 2, 13 juin 2013, n° 12-21.300, F-D N° Lexbase : A5735KGI.

[2] Hypothèse d’une convention d’honoraires conclue au nom d’un mineur devant être approuvée par le juge des tutelles : Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 15-28.554, F-D (LXB=A3827SPG] ou encore récemment : Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-22.141, F-P N° Lexbase : A96844QQ.

[3] Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 96-20.647 N° Lexbase : A4725CK9.

[4] Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK.

[5] Cass. civ. 1, 30 mai 2000, n° 98-15242, publié au bulletin (N° Lexbase : A3653AUT) ou Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-12.932, FS-P N° Lexbase : A4275AYY.

[6] Ajout issu de l’article 5 de la loi du 20 avril 2018 (loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L0250LKH)

[7] Code de commerce, art. L. 442-1 N° Lexbase : L6216L8Q.

newsid:479946

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus