La lettre juridique n°891 du 20 janvier 2022 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La fixation de la date de cessation des paiements en cas d’arrêt de l’exécution provisoire et de réformation du jugement d’ouverture

Réf. : Cass. com., 12 janvier 2022, n° 20-16.394, F-B N° Lexbase : A01907IU

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N0082BZ3

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 20 Janvier 2022


Mots -clés : date de cessation des paiements • fixation • arrêt de l’exécution provisoire du jugement d’ouverture • réformation du jugement d’ouverture

En cas d’appel par le ministère public d’un jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire d’un débiteur, lequel est suspensif, et de réformation de ce jugement par un arrêt ouvrant le redressement judiciaire de ce débiteur, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieure de plus de 18 mois à la date de son arrêt, qui constitue la seule décision d’ouverture.


 

Nombreux sont les arrêts qui statuent sur la question de la fixation de la date de cessation de paiement. En revanche, rarement sont ceux qui ont à coordonner cette question avec celle des effets de l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement d’ouverture suivi de l’ouverture d’une nouvelle procédure collective. Les enseignements de l’arrêt commenté sont donc précieux.

En l’espèce, le 23 novembre 2016, le tribunal mixte de commerce de Cayenne, saisi en redressement judiciaire par un créancier, a ouvert la liquidation judiciaire simplifiée du débiteur. Le ministère public et le créancier assignant ont fait appel du jugement. La cour d’appel a, par arrêt du 10 février 2020 [1], réformé le jugement de liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, a ouvert le redressement judiciaire du débiteur, en fixant la date de cessation des paiements au 23 mai 2015.

Un pourvoi en cassation a été formé soulevant divers moyens dont seul le dernier sera l’objet de nos commentaires. Il était reproché à la cour d’appel d’avoir fixé ainsi la date de cessation des paiements à une date antérieure de plus de 18 mois par rapport à son arrêt par lequel, d’une part, elle avait réformé la décision d’ouverture et, statuant à nouveau, d’autre part, avait ouvert le redressement judiciaire.

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si, en présence d’un appel par le ministère public d’un jugement de liquidation judiciaire, de la réformation de ce jugement par la cour d’appel, cette dernière pouvait ou non fixer une date de cessation des paiements antérieurs de plus de 18 mois à l’arrêt par lequel elle ouvrait la procédure de redressement judiciaire.

À cette question, la Cour de cassation répond par la négative en énonçant que, « En cas d’appel par le ministère public d’un jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire d’un débiteur, lequel est suspensif, et de réformation de ce jugement par un arrêt ouvrant le redressement judiciaire de ce débiteur, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieurs de plus de 18 mois à la date de son arrêt, qui constitue la seule décision d’ouverture ».

Pour comprendre la portée de la décision, il faut rappeler certains principes.

Tout d’abord, en matière de procédure collective, le principe est que l’appel du ministère public est suspensif. L’article R. 661-1 alinéa 4, du Code de commerce N° Lexbase : L9250LTR prévoit qu’« en cas d’appel du ministère public d’un jugement mentionné aux articles L. 661-1 N° Lexbase : L9211L7B, à l’exception du jugement statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, L. 661-6 N° Lexbase : L2742LB8 et L. 661-11 N° Lexbase : L7348IZ8 du Code de commerce, l’exécution provisoire est arrêtée de plein droit à compter du jour de cet appel ». Par principe, et contrairement au droit commun de l’appel en matière de procédures collectives où la règle est l’exécution provisoire de droit, l’appel du ministère public est suspensif. Le texte de l’article R. 661-1, alinéa 4, du code excepte toutefois l’appel qu’il forme à l’encontre du jugement d’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire. La solution est justifiée par l’idée qu’il faut éviter tout retard dans le traitement des difficultés, lorsque l’heure est encore au sauvetage. Cette exception n’englobe pas le jugement d’ouverture de liquidation judiciaire. Par conséquent, en l’espèce, l’appel formé par le ministère public était bien suspensif. L’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire était donc indiscutable. Du fait de l’arrêt de l’exécution provisoire, tout se passe, par principe, comme si cette décision d’ouverture n’était pas intervenue.

Par la suite, comme elle en avait la possibilité, la cour d’appel, après avoir réformé le jugement ouvrant la liquidation judiciaire, statuant à nouveau, a pu valablement ouvrir un redressement judiciaire. Notons au passage qu’il s’agit là d’un cas de saisine d’office aux fins d’ouverture d’une procédure collective, autorisé par les textes. Il lui appartenait alors de fixer la date de cessation des paiements.

Sans doute n’était-il pas contestable en l’espèce que cette date de cessation des paiements était antérieure au jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire puisque le débiteur n’avait pas contesté l’ouverture de la liquidation judiciaire, reconnaissant par là-même qu’il était bien en état de cessation des paiements à cette date. Pour autant, était-il possible de raisonner par rapport au jugement d’ouverture initial de la procédure collective pour fixer, dans le cadre de la nouvelle procédure collective ouverte, la date de cessation des paiements ? La réponse ne pouvait être que négative.

En effet, parce que l’appel émanait notamment du ministère public, et qu’il portait sur le jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire, il était suspensif. L’exécution provisoire se trouvait donc stoppée de plein droit. Par conséquent tout se passait, en l’espèce, comme si la liquidation judiciaire n’avait jamais existé. En effet, l’arrêt d’exécution provisoire emporte effacement de la décision dont l’arrêt d’exécution provisoire est ordonné. Dès lors, lorsque la cour d’appel, après avoir réformé le jugement d’ouverture, statuant à nouveau, ouvre une nouvelle procédure collective, elle doit faire totale abstraction de l’ancienne procédure collective ouverte. Elle ne peut donc s’appuyer sur celle-ci pour envisager de remonter dans un délai de 18 mois par rapport à cette dernière la date de cessation des paiements. Elle est tenue par les termes de la loi qui lui interdisent de fixer une date de cessation des paiements plus de 18 mois antérieurement au jugement d’ouverture. C’est ce que précise l’alinéa 2 de l’article L. 631-8 du Code de commerce N° Lexbase : L7315IZX. Ce texte du redressement judiciaire est rendu applicable en liquidation judiciaire par le IV de l’article L. 641-1 du même code N° Lexbase : L9188L7G, qui précise que « La date de cessation des paiements est fixée dans les conditions prévues à l'article L. 631-8 ». Or le jugement d’ouverture initial est réputé ne plus exister du fait de l’arrêt de l’exécution provisoire suivi de la réformation de la décision d’ouverture. La cour d’appel était donc tenue de raisonner exclusivement par rapport à la seconde procédure collective ouverte, celle de redressement judiciaire, et ne pouvait fixer une date de cessation des paiements plus de 18 mois avant le jugement d’ouverture du redressement judiciaire qui était, comme le précise justement la Cour de cassation, la seule procédure collective ouverte. La solution ne peut donc être qu’approuvée.


[1] CA Cayenne, 10 février 2020, n° 16/00521 N° Lexbase : A23663ED.

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