La lettre juridique n°891 du 20 janvier 2022 : Procédure civile

[Panorama] Panorama 2021 des arrêts de la Cour de cassation en procédure civile (1ère partie)

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[Panorama] Panorama 2021 des arrêts de la Cour de cassation en procédure civile (1ère partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/77416437-panoramapanorama2021desarretsdelacourdecassationenprocedurecivile1erepartie
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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, directeur scientifique de la revue Lexbase Droit privé et de l’ouvrage de procédure civile.

le 07 Juillet 2023


Mots-clés : impartialité • prescription • représentation en justice • tentative de règlement amiable • exception de nullité • péremption d'instance • la communication électronique • la mise en état • mesure d’instruction in futurum

L’année 2021 a été très riche pour la procédure civile. La Cour de cassation a rendu un nombre considérable d’arrêts, donnant ainsi des précisions sur de nombreux aspects de la matière. Si la réforme de la procédure devant le tribunal judiciaire est encore trop récente pour trouver à s’appliquer fréquemment devant la Haute juridiction, un très grand nombre d’arrêts (environ un quart) portent sur la procédure devant la cour d’appel. Nous y consacrerons un second panorama. Cette première partie est donc dédiée à tous les grands thèmes de la procédure (à l’exception de l’appel). On y retrouve les sujets chers au processualiste : la prescription, la représentation, les exceptions, la péremption, la communication électronique, la mise en état. Un focus particulier sera proposé sur les mesures d’instruction de l’article 145 du Code de procédure civile, qui ont donné lieu cette année à des décisions marquantes.


 

Sommaire

I. Principes directeurs du procès : impartialité de la juridiction

- Cass. civ. 1, 1er décembre 2021, n° 20-17.892, F-D

II. Prescription

- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.316, FS-P+R+I

III. Représentation en justice

- Cass. Avis, 18 février 2021, n° 15001
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021, n° 21-70.018, FS-N
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021 n° 21-70.019, FS-N
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021n° 21-70.020, FS-N
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021n° 21-70.021, FS-N

IV. Préalable obligatoire de règlement amiable

- Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 20-14.106, F-P
- Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-12.303, F-B

V. Exception de nullité des actes de procédure

- Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 20-10.685, F-P+I

VI. Notifications, significations

- Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 19-24.170, F-B

V. Communication électronique

- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.522, F-P

VI. Mesures d’instruction in futurum

- Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 21-14.023, F-B
- Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.619, F-P+B+I
- Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-14.309, F-P
- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P
- Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 19-20.801, FS-P
- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-13.803, F-P
- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 20-15.673, F-P+I

VII. Péremption d’instance

- Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.800, F-D
- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.721, F-P +I
- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 19-16.222, F-P

VIII. Mise en état

- Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-16.216, F-P
- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-17.758, FS-P+I
- Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.689, F-P


I. Principes directeurs du procès : impartialité de la juridiction

  • Le défaut d’impartialité se cache dans les motifs de la décision - Cass. civ. 1, 1er décembre 2021, n° 20-17.892, F-D N° Lexbase : A21507ED

Voici un arrêt qui illustre le défaut d’impartialité subjective (ou personnelle) du juge. Dans cette affaire, l’arrêt rendu par la cour d’appel présentait les conclusions d’une partie sous un jour peu reluisant. La décision attaquée évoquait des écritures « excessivement non synthétiques et inutilement répétitives » et faisait référence au « fatras de développements de l'appelant ».

Cette motivation, pour le moins dénigrante à l’égard de l’appelant, a fait naître, pour la Cour de cassation, « un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction » et a provoqué la cassation de l’arrêt d’appel.

Ce type de motivation n’est pas sans rappeler celle qu’avait utilisée une juridiction de proximité. On se souvient des formules sans nuances qui avaient attiré les foudres de la Cour de cassation. Le juge de proximité avait alors jugé que la défenderesse était « pétris de malhonnêteté » et « dotée d'un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane ». Les termes avaient ainsi été qualifiés d’« injurieux et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité » par la deuxième chambre civile (Cass. civ.2, 14 septembre 2006, n° 04-20.524, FS-P+B N° Lexbase : A0226DRS.

On retient de ce nouvel arrêt que les motifs des décisions doivent, certes, qualifier les comportements des parties, mais en des termes juridiques et que le vocabulaire peu châtié des juges du fond peut conduire à une censure sur le fondement du défaut d’impartialité.

II. Prescription

  • L’interruption de la prescription consécutive à une mesure d’instruction in futurum - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.316, FS-P+R+I N° Lexbase : A22954CY

La Cour de cassation a rendu le 14 janvier 2021 une importante décision, qui vient préciser les contours des actions interruptives de prescription lorsqu’une demande est formée à des fins probatoires avant tout procès. Cet arrêt est commenté par la Cour elle-même dans la lettre d’actualité de la deuxième chambre civile (n°2 juillet 2021), ce qui permet à cette dernière d’indiquer le sens de sa doctrine. Selon celle-ci, « seule la demande en justice, appelant l’adversaire, interrompt le délai de prescription ».

Ce principe est mis en œuvre dans l’arrêt commenté. En l’espèce, une société invoquant des faits de concurrence déloyale avait saisi le juge sur requête d’une demande de mesure d’instruction fondée sur l’article 145 Code de procédure civile. Une fois que la mesure a été exécutée, les documents ont été mis sous séquestre. Le requérant a alors assigné en référé l’entreprise concurrente pour voir ordonner la main levée du séquestre. La main levée a ainsi été ordonnée. La question se posait de savoir si l’une ou l’autre de ces actions avait interrompu le délai de prescription de l’action au fond.

La Cour de cassation répond à cette question en deux temps. Elle affirme qu’« une requête fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile, qui introduit une procédure non contradictoire, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9 ». Elle n’est donc pas interruptive de prescription. En revanche, « la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice (…) interrompt le délai de prescription de l'action au fond ».

La solution ainsi posée s’appuie sur deux raisonnements complémentaires. Le premier consiste à considérer que pour interrompre le délai de prescription de l’action, il faut attraire son adversaire en justice. Le caractère non contradictoire de la requête ne remplit pas ce critère, contrairement à l’action en référé. Le second raisonnement repose sur le lien que la Cour établit entre la demande à fin de mainlevée du séquestre et l’action au fond. La Haute juridiction affirme ainsi que la seconde est « virtuellement comprise » dans la première, puisque les deux actions poursuivent un objectif commun : en l’espèce, obtenir l’indemnisation d’un préjudice. C’est en raison de ce lien que l’action exercée pour obtenir une preuve interrompt la prescription de l’action au fond.

En conclusion, on retiendra que pour interrompre le délai de prescription, une requête sur le fondement de l’article 145 Code de procédure civile ne suffit pas. Il est nécessaire, soit d’agir directement en référé contre son futur adversaire au fond, soit de solliciter (toujours en référé) une main levée de séquestre à la suite de la mesure d’instruction qui aurait été obtenue sur requête.

III. Représentation en justice

Deux avis ont été rendus en 2021 à propos des nouvelles règles de représentation de l’administration et de leurs conséquences sur la communication à l’égard de ces personnes morales.

Le décret n° 2019-1333 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3 a posé le principe selon lequel les personnes morales de droit public (État, régions, départements communes, établissements publics) peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration. Cette dispense générale de représentation par avocat (CPC art. 761 in fine N° Lexbase : L8600LY8) subit la concurrence d’autres textes spéciaux, qui n’ont pas été supprimés en 2019, notamment la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H) qui prévoyait cette représentation par les agents uniquement dans les matières où la représentation par avocat était facultative (art. 2 de la loi).

L’enchevêtrement des textes et l’existence d’une loi qui semblait s’imposer face au décret du 11 décembre 2019 a conduit un juge à solliciter l’avis de la Cour de cassation pour préciser le domaine de la dispense de représentation des personnes morales de droit public.

La réponse de la Cour de cassation est claire (avis n° 15001). Cette dernière affirme que le législateur n’a pas envisagé de limiter la dispense de représentation au profit des personnes publiques et qu’il s’en déduit que la possibilité pour les personnes morales de droit public de se faire représenter par leurs agents s’applique même lorsque la représentation par avocat est obligatoire, à l’exclusion des dispositions particulières présentant un caractère dérogatoire.

Cette dispense a des conséquences sur la communication entre les avocats et les agents de ces administrations. Dans son avis n° 21-70.018, la Chambre commerciale détaille les deux régimes de communication applicables. Soit la personne morale de droit public est représentée par un fonctionnaire ou un agent. Les avocats des parties adverses doivent alors faire signifier leurs mémoires à l’administration par voie d’huissier. Soit l’administration choisit d’être représentée par un avocat (malgré la dispense). La communication se fait alors selon les règles applicables aux notifications entre avocats (notamment par la communication électronique lorsque celle-ci est obligatoire ou facultative).

IV. Préalable obligatoire de règlement amiable

  • Les formalités que doit accomplir le demandeur pour satisfaire au préalable obligatoire de règlement amiable - Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 20-14.106, F-P [LXB=A80914P] - Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-12.303, F-B N° Lexbase : A21064YN

Depuis l’instauration du préalable obligatoire de règlement amiable, d’abord devant le tribunal d’instance (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle N° Lexbase : L1605LB3, puis aujourd’hui devant le tribunal judiciaire (pour les litiges dont le montant ne dépasse pas 5 000 euros ou portant sur un conflit de voisinage – CPC art. 750-1 N° Lexbase : L9295LTG), on se demandait quel était l’effort que devait fournir le demandeur pour justifier avoir accompli une tentative de règlement amiable. La question se posait particulièrement lorsque l’adversaire se dérobait à la sollicitation du demandeur en refusant d’y répondre. Après le décret du 11 décembre 2019, on a pu croire que le demandeur avait la possibilité de saisir le juge d’une requête à des fins de désignation d’un conciliateur (CPC art. 820 N° Lexbase : L5408L8S), mais le décret du 11 octobre 2021 a douché les espoirs des plaideurs, en précisant que la requête aux fins de conciliation est irrecevable lorsque la tentative préalable de règlement amiable est obligatoire.

Dans les deux arrêts du 15 avril et du 1er juillet 2021, la Cour de cassation semble admettre de façon assez souple la démonstration d’une tentative de règlement amiable par le demandeur. Ces arrêts concernent le régime antérieur à la création du tribunal judiciaire, mais ils sont riches en enseignement, car sur ce point, le droit applicable n’a pas changé.

Dans la première espèce, le demandeur avait mentionné dans sa demande en justice le fait qu’il avait envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord. Cette justification paraissait insuffisante pour la cour d’appel, mais l’arrêt est cassé pour manque de base légale. Cette cassation disciplinaire semble indiquer que la cour d’appel aurait dû retenir cette justification comme suffisante.

Dans la seconde espèce, la demanderesse faisait état dans ses écritures du recours à un médiateur de la consommation et elle ajoutait qu’elle avait été empêchée dans cette tentative en raison du comportement de son contradicteur. Une nouvelle fois, les juges du fond ont trouvé cette justification insuffisante. La cour d’appel a jugé que la demanderesse ne faisait pas la preuve du « respect du formalisme requis » (mais de quel formalisme parle-t-on puisque le code ne dit rien de ce formalisme ?). La Cour de cassation casse à nouveau pour manque de base légale. Ici encore, la cassation semble indiquer qu’une simple mention d’une tentative de saisine d’un médiateur de la consommation suffit à démontrer la recherche d’un règlement amiable.

Ainsi la Cour de cassation semble admettre qu’une simple mention précise de la tentative de règlement amiable, par une lettre adressée à son adversaire ou par une tentative de saisine d’une instance de conciliation suffit à rendre l’action en justice recevable.

V. Exception de nullité des actes de procédure

  • L’erreur dans la désignation du demandeur est un vice de forme - Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 20-10.685, F-P+I N° Lexbase : A81594EW

Cet arrêt montre que la Cour de cassation sait parfois appliquer le formalisme avec discernement. Dans cette espèce, la dénomination de la société défenderesse était erronée dans les actes de procédure (société « l’araignée sous la roche » à la place de « l’araignée de la roche »).

La cour d’appel avait cru voir dans cette irrégularité une « société inexistante dépourvue de la capacité d’ester en justice », marquant ainsi un vice de fond entraînant la nullité de la déclaration d’appel.

La Cour de cassation revient à plus de raison en affirmant que « l'erreur relative à la dénomination d'une partie n'affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu'un vice de forme ». La nullité de la déclaration d’appel était donc soumise à la preuve d’un grief causé au défendeur (grief inexistant en l’espèce).

VI. Notifications, significations

  • Signification à personne absente : l’huissier n’est pas tenu d’aller chercher la personne sur son lieu de travail - Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 19-24.170, F-B N° Lexbase : A90927D4

Voilà une décision utile, qui précise l’étendue des obligations de l’huissier, et par voie de conséquence, la régularité de la signification. Dans cette espèce, un huissier s’est présenté à l’adresse du destinataire de l’acte et, constatant son absence, a reçu confirmation auprès d’une personne présente que cette adresse était la bonne. L’arrêt n’est pas explicite à ce sujet, mais il semble que le destinataire se trouvait alors sur son lieu de travail. La question s’est donc posée de savoir si l’huissier avait l’obligation de se présenter sur ce lieu de travail pour tenter de signifier à personne.

La Cour de cassation répond par la négative, en affirmant que l’absence de la personne destinataire de l’acte à son domicile caractérise l’impossibilité d’une remise à personne. L’huissier de justice constatant cette impossibilité pouvait donc se contenter de procéder à une signification à domicile. Elle précise que l’huissier n’avait ni l’obligation de se présenter à nouveau ni celle de procéder à une signification sur le lieu de travail.  

V. Communication électronique

  • La panne informatique au sein du cabinet d’avocat constitue bien une cause étrangère - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.522, F-P N° Lexbase : A54664UY

Les arrêts sur la cause étrangère, qui permettent à l’avocat de procéder à une communication sur support papier sont peu nombreux et parfois peu explicites. Ainsi, l’arrêt du 10 juin 2021 est heureux, en ce qu’il vient apporter une confirmation à une solution qui avait été esquissée par le passé (Cass com. 18 mai 2016, n° 14-17.909, F-D N° Lexbase : A0863RQZ ; Cass civ.2, 6 septembre 2018, n° 16-14.056, F-P+B N° Lexbase : A7227X33).

Dans l’espèce commentée, l’avocat d’une partie avait subi une panne informatique dans son cabinet d’avocat, qui avait suscité l’intervention durant trois jours d’un prestataire de service pour résoudre la difficulté. Durant cette période, l’avocat avait remis au greffe un acte sur support papier. La cour d’appel a considéré que cette remise était irrégulière, car l’avocat ne justifiait pas d’une panne de sa clé RPVA et qu’il aurait pu accéder au réseau par une autre poste informatique.

L’arrêt est cassé et la Cour de cassation reconnaît que la panne informatique frappant le cabinet d’avocat « rendait impossible la navigation sur internet et avait pour origine la défectuosité d’un câble réseau ». Elle caractérise ici la « cause étrangère » justifiant la remise sur support papier.

La solution est heureuse et elle dispense ainsi l’avocat touché par une panne informatique de l’obligation d’aller frapper à la porte d’un confrère pour accéder au réseau.

VI. Mesures d’instruction in futurum

  • Le contrôle étroit exercé par la Cour de cassation sur les motifs justifiant la mesure d’instruction sur requête.
  • L’introduction du contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les intérêts antinomiques en présence.

Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 21-14.023, F-B N° Lexbase : A06927BA - Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.619, F-P+B+I N° Lexbase : A593039I -Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-14.309, F-P N° Lexbase : A67934MK - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P N° Lexbase : A92944UR - Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 19-20.801, FS-P N° Lexbase : A24294EP - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-13.803, F-P N° Lexbase : A93684UI - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 20-15.673, F-P+I N° Lexbase : A23004C8

L’année 2021 a été l’occasion pour la Cour de cassation d’étoffer sensiblement le régime des mesures d’instruction in futurum. Certaines décisions sont de simples rappels, mais d’autres sont de véritables enrichissements de ce régime.

La Cour s’est d’abord penchée sur les motifs légitimes qui peuvent donner lieu à une telle mesure d’instruction avant le procès.

Elle a rappelé utilement que l’article 145 Code de procédure civile n’exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée (Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 21-14.023, F-B N° Lexbase : A06927BA). En effet, l’action en recherche de la preuve ne se confond pas avec l’action au fond. Elle se contente de la préparer. Il convient donc simplement de démontrer que la preuve recherchée est pertinente pour établir, plus tard, le bien-fondé de la demande. Toutefois, cette démonstration nécessite souvent d’apporter une forme de commencement de preuve (un adminicule oserait-on dire).

C’est toute la difficulté de l’objet du litige devant le juge de l’article 145 Code de procédure civile et la Cour de cassation adopte une attitude quelque peu ambiguë concernant l’étendue du contrôle qu’elle exerce sur des juridictions du fond. Elle rappelle ainsi que « l'appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond » (Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.619, F-P+B+I N° Lexbase : A593039I. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle validé la décision d’appel selon laquelle aucun des documents produits par le demandeur n’apportait la moindre consistance à ses soupçons de fautes de gestion. Le demandeur ne procédait que par déductions et affirmations. Il ne démontrait donc pas l’existence d’un litige plausible et crédible.

De fait, les mesures d’instruction in futurum occupent aujourd’hui un terrain très spécifique : celui des litiges entre entreprises. Ce type de mesures est ainsi susceptible d’être détourné de sa finalité première, pour être utilisé comme un moyen d’intrusion dans les secrets d’affaires d’un concurrent. C’est pour cette raison que, malgré l’affirmation d’un pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation exerce, en réalité, un contrôle assez étroit sur la mesure en exigeant que la recherche demandée soit guidée par la nécessité de l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-14.309, F-P N° Lexbase : A67934MK. Ces intérêts antinomiques au droit à la preuve sont désormais bien connus. Pour les personnes physiques, il s’agit essentiellement du droit au respect de la vie privée. Pour les personnes morales, il s’agit en général du secret des affaires, et parfois plus particulièrement du secret bancaire. L’arrêt précité du 4 mars 2021 est ainsi le premier à imposer l’examen de la balance « droit à la preuve / intérêts antinomiques » dans le domaine de l’article 145 Code de procédure civile. Dans cette espèce, la société sud radio cherchait à connaître les modalités de la mesure des audiences par la société Médiamétrie. Elle demandait en justice la production des questionnaires utilisés pour les études de parts d’audience des radios. La cour d’appel avait considéré que la mesure d'instruction ordonnée visait, sous couvert de vérification des conditions de mesure d'audience, à la détermination de la méthodologie mise en œuvre par la société Médiamétrie. En d’autres termes, la demande de preuve n’était pas utile à un procès, mais elle constituait une intrusion dans les secrets d’affaires de la société Médiamétrie. Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation ne se contente pas de renvoyer l’appréciation de cette situation aux juges du fond, elle affirme que « la cour d'appel, fais[ait] ainsi ressortir que la mesure ordonnée n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et était disproportionnée aux intérêts antinomiques en présence ». En d’autres termes, elle exerce un véritable contrôle sur cette balance.

Ce contrôle étroit se vérifie à propos d’un arrêt rendu quelques mois plus tard (Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P N° Lexbase : A92944UR). L’action portait sur des actes de concurrence déloyale et le demandeur souhaitait accéder à des messages stockés sur le système informatique de plusieurs entreprises en utilisant des mots-clés (Google, accord, entente, salarié, avis, LinkedIn) et les noms et prénoms de salariés prétendument débauchés par ces entreprises. La cour d’appel avait fait droit à cette demande, estimant que l’ordonnance sur requête ne ciblait pas des documents personnels ou couverts par le secret professionnel. Cette appréciation est cassée pour manque de base légale. La Cour de cassation reproche aux juges du fond de n’avoir pas fait ressortir précisément en quoi cette recherche par des mots-clés génériques étaient suffisamment circonscrite dans le temps et dans l’objet. Les juges du fond se voient encore reprocher de ne pas avoir explicité en quoi l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et proportionnée au but poursuivi.

Cet arrêt montre l’étroitesse du contrôle exercé par la Cour de cassation. En effet, la décision de la cour d’appel était particulièrement motivée au regard des critères posés par la Cour de cassation. En filigrane, c’est bien une mauvaise appréciation de la situation de fait par les juges du fond qui est censurée sur le terrain du défaut de base légale. La Cour de cassation estime qu’une recherche de documents (des messages) au moyen de mots-clés génériques ne cible pas suffisamment l’objet des preuves à atteindre et crée une disproportion entre l’atteinte au secret des affaires et les nécessités du droit à la preuve du demandeur.

À travers ce contrôle, la Cour de cassation manifeste sa volonté de ne pas transformer l’article 145 CPC en procédure de discovery à la française et d’interdire ce que les juristes américains appellent une fishing expedition (une partie à la pêche aux informations chez le concurrent).

L’autre question qui a beaucoup agité la Cour de cassation est celle du régime de la procédure sur requête. On sait qu’une mesure d’instruction in futurum peut être recherchée soit en référé (en assignant celui qui détient la preuve), soit par requête. Il est de jurisprudence constante que la voie de l’ordonnance sur requête est soumise à la condition que les circonstances exigent les mesures probatoires ne soient pas prises contradictoirement (Cass. civ. 2, 30 janvier 2003, n° 01-01.128, FS-P+B N° Lexbase : A8355A49). Dans un arrêt du 21 janvier 2021 (n° 19-20.801, FS-P N° Lexbase : A24294EP), la troisième chambre civile rappelle que cette condition doit être contrôlée d’office par le juge saisi de la demande en rétractation d’une ordonnance sur requête. Ce contrôle s’impose même lorsque la personne concernée par la mesure d’instruction est un tiers à la procédure initiale et que la requête ne préjudicie pas à ses intérêts. L’effet de surprise est souvent le motif qui justifie la requête. Toutefois, une simple mention de cet effet de surprise est insuffisante. Le juge saisi doit ainsi caractériser, en fait, les circonstances qui justifient de déroger au contradictoire (Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-18.895, F-P+B (N° Lexbase : A1513MST). L’appréciation de ces circonstances fait, encore ici, l’objet d’un contrôle très serré. Ainsi, dans une espèce où une société de gestion de garanties soupçonnait un couple d’organiser frauduleusement son insolvabilité et avait sollicité une mesure d’instruction sur requête, la deuxième chambre civile relève dans l’arrêt d’appel les faits qui justifiait de procéder à une mesure non contradictoire. Plus précisément, elle juge que le demandeur avait exposé « de façon détaillée dans sa requête » le contexte qui laissait craindre une intention frauduleuse, le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise (Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-13.803, F-P N° Lexbase : A93684UI). L’arrêt d’appel est alors cassé pour violation de la loi, ce qui montre que c’est bien la manière dont les juges du fond ont apprécié la situation factuelle qui est contrôlée ici et censurée.

Lorsque la requête est ordonnée, les difficultés procédurales ne sont pas terminées, comme en témoigne un arrêt qui porte sur la nature des documents qui doivent être communiqués au destinataire de la demande de preuve (Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 20-15.673, F-P+I N° Lexbase : A23004C8). L’article 495 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6612H7Z précise sommairement à propos de la procédure d’ordonnance sur requête qu’une copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. Dans l’arrêt commenté, le moyen du pourvoi reprochait à la cour d’appel de n’avoir pas tenu compte du fait que les pièces qui avaient justifié la requête n’avaient pas été communiquées, ce qui empêchait le destinataire de la requête d’évaluer l’opportunité d’un recours. La Cour de cassation s’en tient à une interprétation littérale du texte précité, en précisant que seule une copie de la requête et de l’ordonnance est exigée « à l’exclusion des pièces invoquées à l’appui de la requête ».

VII. Péremption d’instance

La péremption d’instance demeure un incident fréquent qui suscite un important contentieux devant la Cour de cassation, tant ses conséquences sont lourdes pour les parties (anéantissement des actes accomplis, nécessité de réintroduire une instance, risque de la prescription).

  • La décision d’ordonner une expertise n’entraîne pas, par elle-même, la suspension du délai de péremption - Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.800, F-D N° Lexbase : A00384KM

La réalisation d’une expertise au cours de l’instance au fond crée une situation délicate pour les parties, car cette mesure probatoire suspend le temps du procès. En effet, les parties sont dans l’attente des résultats de l’expertise pour effectuer de nouvelles diligences, et en particulier pour conclure au regard du rapport de l’expert. Durant cette période, il est difficile d’exiger des parties qu’elles réalisent des diligences, ce d’autant plus qu’elles ne sont pas maîtres de la durée de l’expertise. Pourtant, l’arrêt commenté rappelle que les parties doivent se méfier des effets indésirables d’une mesure d’instruction qui s’éternise. En l’espèce, une mesure d’expertise avait été ordonnée avant dire droit par le tribunal de commerce et le rapport n’avait été déposé que quatre ans plus tard. Le délai de péremption de deux ans était donc largement écoulé. La question qui se posait était donc de savoir si le jugement avant dire droit avait suspendu ce délai, puisque les parties n’avaient rien d’autre à faire qu’à attendre les résultats de l’expertise. La Cour de cassation répond par la négative. Elle affirme que le jugement ordonnant l’expertise n’emportait pas, par lui-même, sursis à statuer et n’entraînait pas la suspension du délai de péremption. Elle ajoute que la radiation de l’affaire dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise n’exonère pas les parties de leur obligation d’accomplir des diligences pour continuer l’instance.

Cette solution est sévère à l’égard des parties et il convient de se demander quelles sont leurs options pour éviter que le délai ne coure contre leur gré. La première solution se trouve dans la décision commentée. Lorsqu’une expertise est ordonnée, il est possible de demander au juge de prononcer le sursis à statuer. La décision de sursis suspend le cours de l’instance jusqu’à la survenance de l’évènement qu’elle détermine (par exemple le dépôt du rapport de l’expert, CPC art. 378) et, dans ce cas précis, le délai de péremption ne court plus, car la suspension de l’instance est définie par rapport à la survenance d’un évènement déterminé (CPC art. 392). Le sursis est donc une arme efficace, qui suspend le cours du délai de péremption et dispense les parties de toute diligence. En revanche, lorsque le sursis n’a pas été prononcé, les parties sont tenues d’accomplir des diligences. Elles peuvent le faire en adressant des lettres à l’expert, qui manifestent leur intention de ne pas abandonner la procédure en cours (Cass, civ. 2, 15 octobre 1975, n°74-11.078, protestations exprimées auprès de l’expert et mise en demeure de celui-ci de déposer son rapport). La demande de sursis au cours de l’opération d’expertise est également interruptive du délai de péremption (Cass. civ. 2, 11 septembre 2003, n°01-12.331).

  • L’exécution même partielle de la décision de première instance interrompt le délai de péremption de l’instance d’appel - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.721, F-P +I N° Lexbase : A23014C9

L’interruption du délai de péremption est encore le sujet de l’arrêt rendu le 14 janvier 2021. Il s’agissait cette fois d’une difficulté liée à l’exécution de la décision de première instance. Dans cette situation, l’affaire peut être radiée du rôle jusqu’à exécution (CPC, nouv. art. 524 N° Lexbase : L9293LTD). La question se pose de savoir si la partie condamnée en première instance n’exécute la décision que partiellement. Le rétablissement de l’affaire n’est pas ordonné, mais la partie procède bien à une diligence. La Cour de cassation affirme ainsi que « tout acte d'exécution significative de cette décision manifeste la volonté non équivoque de l'exécuter et constitue, par conséquent, une diligence interrompant le délai de péremption de l'instance d'appel ». Elle en déduit que l’interruption du délai résulte d’une exécution partielle, pourvu qu’elle soit significative (voir dans le même sens, Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n°19-25.100 à propos du paiement de dommages-intérêts à l’exclusion des intérêts).

  • Le jugement acquiert force de chose jugée au moment de la décision constatant la péremption d’instance - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 19-16.222, F-P N° Lexbase : A92534UA

Dans cette décision, la Cour de cassation a abordé les conséquences de la péremption d’instance sur la date d’acquisition de la force de chose jugée du jugement frappé d’appel. Le débat devant la haute juridiction portait sur le point de savoir si la péremption de l’instance en cause d’appel conférait au jugement la force exécutoire au jour de la péremption ou plutôt, de façon rétroactive, au jour des dernières diligences accomplies entre les parties. Dans cette espèce, ces deux dates étaient séparées par dix années. La Cour de cassation tranche cette question en retenant que le jugement n'acquiert force de chose jugée qu’au moment où la décision qui constate la péremption d’instance acquiert autorité de la chose jugée.

VIII. Mise en état

  • Le juge de la mise (JME) en état ne dispose pas du pouvoir d’écarter les pièces des débats.
  • Le juge de la mise en état qui écarte une pièce des débats commet un excès de pouvoir qui peut donner lieu à un appel-nullité immédiat.
  • L’autorité de la chose jugée des décisions du juge de la mise en état s’impose même à la cour d’appel qui ne peut statuer sur une exception déjà tranchée par le JME.
  • La formation de jugement saisie d’une demande de révocation de l’ordonnance de clôture est tenue de répondre à cette demande.

Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-16.216 , F-P N° Lexbase : A66884MN - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-17.758, FS-P+I N° Lexbase : A22964CZ - Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.689, F-P N° Lexbase : A67074MD

Trois décisions relatives à la mise en état ont marqué l’année 2021.

La première fait écho à une solution déjà posée devant la cour d’appel (Cass. avis, 21 janvier 2013, n° 1300003 (N° Lexbase : A8266I3K). La Cour de cassation juge qu’aucune disposition du Code de procédure civile ne confère au juge de la mise en état le pouvoir d’écarter du débat une pièce produite par une partie. C’est donc le tribunal judiciaire (la formation de jugement) qui détient le pouvoir exclusif d’écarter des pièces des débats (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-16.216, F-P N° Lexbase : A66884MN). Pour justifier sa décision, la Cour de cassation énonce que les attributions du juge de la mise en état sont limitativement énumérées. En effet, le Code de procédure civile lui confère la mission de veiller à la ponctualité de la communication des pièces. Le juge peut encore exercer les pouvoirs relatifs à l’obtention et à la production des pièces. Mais dans une lecture stricte du code, la deuxième chambre civile considère qu’aucune de ces attributions ne lui permet de sanctionner une partie en écartant une pièce.

La solution est rendue sous l’empire du droit applicable avant 2020 devant le tribunal de grande instance, mais les textes réformés par le décret du 11 décembre 2019 n’ont rien changé sur ce point. Elle est donc applicable au tribunal judiciaire.

Dans la même décision, la Cour de cassation répond à une question connexe qui semble revêtir une grande importance. En effet, en l’espèce, la partie dont la pièce a été écartée a formé un appel contre l’ordonnance du juge de la mise en état. Cet appel a été déclaré irrecevable au motif que la décision attaquée était insusceptible d’un recours immédiat. Elle ajoute que l’appel aurait été recevable s’il s’était agi d’un appel-nullité fondé sur l’excès de pouvoir du juge. Or, pour la cour d’appel, le juge de la mise en état ne s’était pas attribué un pouvoir qu’il n’avait pas, mais il avait éventuellement exercé une compétence qu’il n’avait pas.

La deuxième chambre civile censure cette argumentation. Elle affirme de façon laconique que la cour d’appel a « consacré la méconnaissance par le juge de la mise en état de l’étendue de ses pouvoirs ». On en déduit que l’appel-nullité était immédiatement recevable.

Toutefois, le motif de l’arrêt de cassation laisse perplexe. En effet, la Cour de cassation ne dit rien de la distinction entre l’incompétence et l’excès de pouvoir. Elle semble même fondre les deux dans un même moule. Pourtant, le Code de procédure civile évoque bien les compétences du juge de la mise en état et non ses pouvoirs (CPC art. 789 N° Lexbase : L9322LTG). Est-ce à dire qu’un juge qui exerce une compétence qu’il n’a pas commet nécessairement un excès de pouvoir ? Comment dès lors, distinguer la voie de l’exception d’incompétence et celle de l’appel-nullité pour excès de pouvoir ? Sur ce point, la décision commentée ne laisse que des interrogations.

Cet arrêt doit être mis en perspective avec une autre décision rendue à propos du juge de l’exécution (Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 19-20.281, F-P N° Lexbase : A81344PX). La Cour de cassation y affirme que le juge de l’exécution est compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'exécution forcée et par conséquent qu’il « n’entre pas dans ses attributions » de se prononcer sur une demande de dommage-intérêts contre le créancier saisissant. Elle en déduit que « le juge de l'exécution ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci » et que ce défaut de pouvoir constitue une fin de non-recevoir qui peut être proposée en tout état de cause.

Une nouvelle fois, dans cet arrêt, la confusion entre l’incompétence (matérielle) et le défaut de pouvoir est troublante et les conséquences quant au régime de la sanction (exception de procédure ou fin de non-recevoir) mériterait certainement de plus amples éclaircissements de la part de la Cour de cassation. En effet, s’il s’agit d’une question de compétence, les parties peuvent soulever une exception d’incompétence et former un appel sur la compétence. En revanche, s’il s’agit d’un excès de pouvoir, la demande excédant le pouvoir du juge est sanctionnée par une fin de non-recevoir et à la décision peut faire l’objet d’un appel nullité.

Plus simple est la solution émanant de l’arrêt du 14 janvier 2021 (Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-17.758, FS-P+I N° Lexbase : A22964CZ), qui porte sur l’étendue de l’autorité de la chose jugée des décisions du juge de la mise en état. En l’espèce, une exception d’incompétence territoriale avait été soulevée devant le juge de la mise en état, lequel avait jugé le tribunal compétent. Cette décision n’avait fait l’objet d’aucun appel et la procédure avait suivi son cours d’abord devant la formation de jugement, puis devant la cour d’appel saisie d’un appel sur le fond. Devant la cour d’appel, l’appelant a soulevé une nouvelle fois l’exception d’incompétence. La cour d’appel a fait droit à cette exception, a déclaré le tribunal incompétent et infirmé le jugement dans toutes ses dispositions.

En prenant cette décision, la cour d’appel a porté atteinte à l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du JME. En effet, la Cour de cassation rappelle que la cour d’appel, comme le tribunal (en l’espèce il s’agissait du tribunal de grande instance), ne peut statuer sur une question déjà tranchée par le juge de la mise en état. Or, la décision du JME n’avait fait l’objet d’aucun recours. Dès lors, l’exception de procédure était irrecevable devant la cour d’appel et cette dernière aurait dû relever d’office cette fin de non-recevoir.

Dans cette affaire, l’erreur de l’appelant était d’avoir attendu la procédure d’appel pour soulever un nouvelle fois une exception qui avait été rejetée, alors qu’il aurait dû interjeter un appel immédiat contre la décision du JME en se fondant sur l’article 795 (nouveau) du Code de procédure civile (appel immédiat contre les décisions qui statuent sur une exception de procédure).

Une dernière décision intéressante concerne la demande de révocation de l’ordonnance de clôture (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.689, F-P N° Lexbase : A67074MD). Cette demande est formée par voie de conclusions, soit devant le JME (avant l’audience de plaidoiries), soit devant la formation de jugement. Formées nécessairement après la clôture de l’instruction, ces conclusions sont recevables et saisissent la juridiction à laquelle elles sont adressées. La Cour de cassation affirme ainsi qu’il appartient au juge saisi de répondre à cette demande de révocation, fût-ce pour la rejeter. Elle casse ainsi l’arrêt qui avait négligé ou ignoré la demande dont elle était saisie et s’était contenté de statuer au fond.

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