Le Quotidien du 3 janvier 2022 : Droit pénal général

[Jurisprudence] L’application de l’article 112-4 du Code pénal aux abrogations prononcées par le Conseil constitutionnel

Réf. : Cass. crim., 9 novembre 2021, n° 20-87.078 (N° Lexbase : A44987B9)

Lecture: 23 min

N9833BYT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L’application de l’article 112-4 du Code pénal aux abrogations prononcées par le Conseil constitutionnel. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/76052617-0
Copier

par Aurélie Cappello, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne Franche-Comté

le 30 Décembre 2021


Mots-clés : question prioritaire de constitutionnalité • application de la loi pénale dans le temps • application des décisions du Conseil constitutionnel dans le temps • article 112-4 du Code pénal • article 62 de la Constitution • abrogation de la loi • interprétation de la loi • revirement de jurisprudence • application dans le temps des revirements de jurisprudence • rétroactivité in mitius • interprétation stricte de la loi pénale.

Le 9 novembre 2021, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt remarquable tant en raison de la solution qu’il consacre que de la motivation qu’il expose. La Haute juridiction y affirme que l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal est applicable en cas d’abrogation de la loi par le Conseil constitutionnel.


 

Un individu avait été condamné à deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, du chef de recel d’apologie d’actes de terrorisme sur le fondement des articles 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS) et 421-2-5 (N° Lexbase : L8378I43) du Code pénal, pour avoir téléchargé et enregistré des documents et vidéos faisant une telle apologie.

Dans un arrêt du 7 janvier 2020, la Chambre criminelle avait validé cette condamnation considérant que « le fait de détenir, à la suite d’un téléchargement effectué en toute connaissance de cause, des fichiers caractérisant l’apologie d’actes de terrorisme » entrait dans les prévisions de ces dispositions légales [1].

Toutefois, dans une affaire distincte, un autre individu ayant également été condamné pour des faits similaires, avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) mettant en cause cette interprétation des dispositions en question. La Cour de cassation avait accepté de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel [2]. Celui-ci s’était prononcé le 19 juin 2020 et avait contredit la Cour : « Il résulte de tout ce qui précède que le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme porte à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée » ; par conséquent, les termes employés à l’article 421-2-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8378I43), « ne sauraient, sans méconnaître cette liberté, être interprétés comme réprimant un tel délit » [3]. Dès lors, le 1er décembre 2020, la Cour de cassation avait cassé l’arrêt ayant condamné ce second individu [4]. Restait alors à déterminer ce qu’il adviendrait du premier individu qui, bien que n’ayant pas soulevé la QPC, se trouvait dans une situation comparable et entendait lui aussi bénéficier de la décision du Conseil constitutionnel.

Pour y parvenir, il saisit la cour d’appel d’une requête en incident d’exécution sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7690LPI) estimant que la peine à laquelle il avait été condamné ne devait plus être exécutée au regard de l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN), selon lequel « la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale ». Les juges du fond ont fait droit à sa requête et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le procureur général : « les décisions du Conseil constitutionnel s’imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l’article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93), les déclarations de non-conformité ou les réserves d’interprétation qu’elles contiennent et qui ont pour effet qu’une infraction cesse, dans les délais, conditions et limites qu’elles fixent, d’être incriminée, doivent être regardées comme des lois pour l’application de l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN) ».

La Cour de cassation consacre donc l’application de l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN),  aux cas d’abrogation constitutionnelle de la loi. Autrement dit, elle considère que l’exécution de la peine doit cesser non seulement lorsque l’incrimination a été abrogée par une loi, comme le prévoit le texte, mais aussi lorsqu’elle a été abrogée par une décision du Conseil constitutionnel, comme dans le cas d’espèce. Cette solution doit être saluée d’abord parce qu’elle est conforme aux principes fondamentaux à valeur constitutionnelle (I), ensuite parce qu’elle invite à s’interroger sur l’application dans le temps des décisions juridictionnelles (II).

I. Une solution conforme aux principes fondamentaux

La solution retenue par la Cour de cassation est conforme à l’ensemble des principes fondamentaux susceptibles d’être invoqués dans le cadre de la question soulevée, qu’ils soient généraux, applicables à toutes les disciplines (A), ou propres au droit pénal (B).

A. Les principes non spécifiques au droit pénal

C’est d’abord aux principes fondamentaux à dimension générale qu’il convient de confronter l’arrêt de la Chambre criminelle. Deux en particulier attirent l’attention, le premier étant cité par la Cour de cassation, le second étant invoqué par la cour d’appel.

L’application de l’article 112-4 du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN) se justifie, dans un premier temps, au regard du principe exposé à l’article 62, alinéa 3, de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93) : « les décisions du Conseil constitutionnel […] s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Comme le rappelle la Cour de cassation, cette règle concerne aussi bien « les déclarations de non-conformité » que « les réserves d’interprétation ». S’agissant des déclarations de non-conformité rendues dans le cadre d’une QPC, celles-ci emportent, en principe, en vertu de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution l’abrogation de la loi, ou, autrement dit, son annulation pour l’avenir.

S’agissant des réserves d’interprétation émises dans le même cadre, il n’en est pas fait mention à l’article 62. Mais, par extension, elles doivent être considérées comme applicables immédiatement à l’image des déclarations de non-conformité. Aucun mécanisme « n’est prévu pour contraindre les juridictions ordinaires à respecter l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel » [5]. Mais la « contrainte est remplacée par le principe de l’exécution volontaire » [6] auquel la Cour de cassation se soumet le plus souvent et auquel elle se soumet avec force dans l’arrêt commenté, allant jusqu’à citer l’article 62. En effet, c’est sous la forme d’une réserve d’interprétation émise au sujet de l’article 421-2-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8378I43), que le Conseil a considéré qu’une personne ayant téléchargé des contenus faisant l’apologie d’actes de terrorisme en toute connaissance de cause ne pouvait être condamnée au titre du recel d’apologie d’actes terroristes. La Cour de cassation lui donne ici plein effet : certes, aucune condamnation ne peut plus être prononcée sur ce fondement, mais encore les peines prononcées en cours d’exécution doivent cesser.

L’application de l’article 112-4 du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN), repose, dans un second temps, sur le principe constitutionnel d’égalité de tous devant la loi. Dans la jurisprudence du Conseil, ce principe impose de traiter également les personnes placées dans des situations identiques et permet de traiter différemment les personnes placées dans des situations différentes, mais à la condition que la différence de situation prise en compte soit « objective et rationnelle » et que la différence de traitement qui en résulte soit « adaptée, proportionnée et en rapport avec l’objet de la loi ». En l’espèce, des situations différentes et des traitements distincts peuvent sans aucun doute être relevés entre plusieurs personnes ayant toutes téléchargé des contenus faisant l’apologie d’actes de terrorisme : le requérant de l’espèce qui a été condamné au titre du recel et qui exécute sa peine, le requérant de l’autre espèce envisagée en amont qui a été condamné, qui a soulevé une QPC et dont la condamnation a été annulée, et bien d’autres individus encore qui ne seront pas jugés compte tenu de la décision du Conseil et qui n’exécuteront donc aucune peine.

Or, le traitement particulièrement sévère réservé au premier ne tient qu’à des considérations qui ne sont ni rationnelles, ni proportionnées : il n’a pas soulevé de QPC et sa condamnation est intervenue avant la décision du Conseil. En appliquant l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN), l’égalité est rétablie au moins en partie, au regard des outils traditionnels qu’offrent le droit pénal : sa condamnation devenue définitive demeure et ne peut être remise en cause, mais l’exécution de sa peine cesse.

B. Les principes propres au droit pénal

Si la solution retenue par la Cour de cassation est conforme aux principes constitutionnels à portée générale, elle est également conforme aux principes constitutionnels propres au droit pénal.

Le principe de nécessité des peines inscrit à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P) peut ici être invoqué. Il signifie que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », et impose, dans le prolongement, que le juge ne prononce que des peines strictement et évidemment nécessaires également. Dans la jurisprudence constitutionnelle, c’est d’ailleurs sur ce principe que repose la rétroactivité in mitius, c’est-à-dire, la règle selon laquelle les lois de fond plus douces doivent s’appliquer aux faits commis avant leur entrée en vigueur et non définitivement jugés. Selon le Conseil, « le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires » [7]. Il semble que, de la même manière, l’article 112-4, alinéa 2 du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN), permette au juge de faire cesser l’exécution d’une peine que le législateur ne considère plus nécessaire puisqu’il a abrogé le texte d’incrimination.

Par extension, en tirant tous les enseignements pertinents de ces observations et en partant de la philosophie première du principe de nécessité des peines, il est possible d’affirmer que ce principe implique aussi que seules des peines strictement et évidemment nécessaires soient exécutées et que l’article 112-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L2044AMN), doit permettre au juge de faire cesser l’exécution d’une peine qui n’est plus nécessaire dans la mesure où le Conseil constitutionnel a abrogé le texte d’incrimination.

Plus délicate est sans doute la question de la conformité de la solution retenue au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Celui-ci impose au juge de s’en tenir à une interprétation qui demeure dans les limites légales fixées, sans les étendre ni les restreindre et qui exclut ainsi tout arbitraire dans la répression. On peut penser que ce principe n’est pas respecté en l’espèce. En effet, l’article 112-4, alinéa 2 du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN), prévoit que les peines en cours d’exécution cessent lorsqu’elles ont été prononcées pour un fait qui n’est plus une infraction pénale « en vertu d’une loi postérieure au jugement », non « en vertu d’une décision constitutionnelle postérieure au jugement ». La Cour de cassation procède ici à une interprétation par analogie puisqu’elle étend la loi à un cas qu’elle ne prévoit pas expressément mais qui est proche de celui qu’elle encadre. C’est d’ailleurs l’un des arguments invoqués par le pourvoi. Pour l’avocat général, seul le Conseil constitutionnel aurait pu donner à sa décision un tel effet, en assortissant sa réserve d’une « mention expresse tendant à remettre en cause […] les effets passés des condamnations prononcées ». Toutefois, cette conclusion est un peu hâtive dans la mesure où l’on enseigne traditionnellement que l’interprétation par analogie est admise lorsqu’elle est favorable au prévenu [8], comme c’est le cas en l’espèce. C’est d’ailleurs cette même logique qui explique le principe de la rétroactivité in mitius comme exception au principe de non-rétroactivité, le premier et le seul des deux à avoir été consacré à l’origine dès la fin du XVIIIème siècle. On précisera d’ailleurs que l’article 112-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L2044AMN), est plus ancien que la QPC si bien que le législateur, lors de sa rédaction, ne pouvait y intégrer l’hypothèse d’une abrogation de la loi par le Conseil constitutionnel [9].

            Admettre l’application de l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L2044AMN) aux peines prononcées pour un fait qui, en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel, n’a plus le caractère d’une infraction, est donc conforme aux principes fondamentaux énoncés. Mais, en réalité, il est à peine besoin d’invoquer ces principes tant le bon sens et la raison appellent cette solution. Comment pourrait-on, dans un État de droit, dire à un individu que sa peine repose sur une condamnation contraire à la Constitution et qu’aucune autre personne, pour les mêmes faits, ne pourra plus être condamnée, mais que lui devra exécuter sa peine et dormir en prison ?

II. La question de l’application dans le temps des décisions juridictionnelles

La solution retenue par la Cour de cassation soulève également la question, bien délicate, de l’application dans le temps des décisions juridictionnelles, qu’il s’agisse des décisions du Conseil constitutionnel (A) ou des arrêts de la Cour de cassation (B).

A. Les décisions du Conseil constitutionnel

L’application dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel rendues sur question prioritaire de constitutionnalité est envisagée à l’article 62, alinéa 2, de la Constitution. Lorsqu’une loi est déclarée inconstitutionnelle, elle est, en principe, abrogée à compter de la publication de la décision [10].

En cas d’abrogation, la loi sort de l’ordonnancement juridique, et, lorsqu’il s’agit d’un texte d’incrimination, aucune condamnation ne peut plus être prononcée sur son fondement, y compris pour des faits commis avant la publication de la décision. C’est bien ce que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises, par exemple au sujet du délit de harcèlement sexuel déclaré inconstitutionnel dans une décision du 4 mai 2012 [11]. C’est bien aussi la même règle qu’applique la Cour de cassation, y compris lorsque le Conseil ne l’a pas expressément affirmée. Ainsi en a-t-il été au sujet de la peine de publication et d’affichage du jugement de condamnation prévue par l’ancien article 1741, alinéa 4, du Code général des impôts et abrogée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 décembre 2010 [12]. Cela revient finalement à appliquer le régime de l’application dans le temps des lois de fond plus douces, soit la rétroactivité in mitius prévue à l’article 112-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2215AMY), aux décisions d’abrogation du Conseil constitutionnel. Ainsi, lorsqu’une loi abroge un texte d’incrimination, cette loi rétroagit, et lorsqu’une décision constitutionnelle abroge un texte d’incrimination, cette décision « rétroagit » également. Or, si le fait que l’abrogation soit l’œuvre du législateur ou du Conseil constitutionnel n’importe pas au regard de l’article 112-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2215AMY), il n’y a aucune raison de donner un quelconque effet à cette distinction au regard de l’article 112-4, alinéa 2, du même code. Ces deux dispositions ont pour objet d’éviter qu’une peine qui n’est plus nécessaire ne soit prononcée ou appliquée et se présentent comme des mesures favorables au prévenu.

Le Conseil constitutionnel ne s’oppose d’ailleurs pas à cette analogie et a même parfois saisi l’occasion de consacrer implicitement l’application de l’article 112-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L2044AMN), en cas d’abrogation d’un texte d’incrimination. C’est, en effet, ce qui ressort d’une décision du 7 juin 2013 dans laquelle le Conseil a déclaré l’article L. 3124-9, 4° du Code des transports (N° Lexbase : L0029IXD) contraire à la Constitution : « Considérant que la déclaration d’inconstitutionnalité […] prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ; que les peines définitivement prononcées avant cette date sur le fondement de cette disposition cessent de recevoir application » [13]. Il est toutefois regrettable que le Conseil constitutionnel ne prononce pas davantage cette solution et qu’il ne l’ait pas formulée dans la décision du 19 juin 2020 sur le problème qui nous occupe, ce qui aurait dissipé tout doute. Ceci est d’autant plus vrai que, dans l’affaire de l’espèce, aucune loi n’a été abrogée par une décision de non-conformité ; le Conseil a simplement « anéanti » l’interprétation jurisprudentielle d’une loi dans une réserve d’interprétation. Nous ne voyons dans cette spécificité aucune raison d’écarter l’application de l’article 112-4, alinéa 2, mais une telle précision par le juge constitutionnel lui-même aurait été la bienvenue.

B. Les arrêts de la Cour de cassation

Dans son arrêt, la Cour de cassation affirme que « les déclarations de non-conformité ou les réserves d’interprétation qu’elles contiennent […] doivent être regardées comme des lois pour l’application de l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal ». On peut se demander si cette affirmation n’a pas une portée plus générale, comme assimilant l’interprétation jurisprudentielle de la loi à la loi elle-même et, par conséquent, s’interroger sur l’application dans le temps des revirements de jurisprudence de la Cour de cassation.

L’idée d’assimiler l’interprétation jurisprudentielle de la loi à la loi n’est pas nouvelle et, depuis son entrée en vigueur, la QPC y invite fortement. D’abord, en l’espèce, la Cour assimile expressément la décision du Conseil et, plus spécifiquement la réserve d’interprétation qu’il a émise, à une loi. Ensuite, en l’espèce également, ce n’est pas une loi qui est abrogée mais une interprétation jurisprudentielle de la loi, plus précisément de l’article 421-2-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8378I43), qui est déclarée inconstitutionnelle. La Cour assimile donc l’interprétation de la disposition à la disposition elle-même. Enfin, et de manière plus générale, il est admis, depuis plusieurs années, que le contrôle de constitutionnalité a posteriori n’a pas vocation à porter exclusivement sur une disposition législative mais également sur l’interprétation constante qu’en livre la Cour de cassation. Ont ainsi par exemple été renvoyées au Conseil constitutionnel des QPC portant sur l’interprétation jurisprudentielle des articles 11 (N° Lexbase : L7022A4T) et 56 (N° Lexbase : L5530LZT) du Code de procédure pénale au sujet de la présence d’un journaliste au cours d’une perquisition [14] ou de l’article 7 du même code (N° Lexbase : L2666L4I) relativement au point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions continues [15]. De tout cela, il résulte que l’interprétation jurisprudentielle fait corps avec la loi et qu’elle peut être « regardée comme » une loi, au moins dans le cadre de la QPC.

Or, ces observations invitent nécessairement à s’interroger sur l’application dans le temps des revirements de jurisprudence. Ne devraient-ils pas suivre le régime de l’application dans le temps de la loi ? La question a souvent été mise en avant en doctrine et de nombreuses propositions ont été faites [16], sans qu’aucune n’ait véritablement était privilégiée. Pourtant, depuis quelques années, qui coïncident étrangement avec l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité et donc la possibilité pour le Conseil de moduler les effets dans le temps de ses décisions, la Cour de cassation semble vouloir elle aussi déterminer l’application temporelle de ses arrêts. C’est, par exemple, ce qu’elle a fait dans un arrêt du 25 novembre 2020 relativement à la responsabilité pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion : « cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne peut s’appliquer aux fusions antérieures à la présente décision sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique » [17]. C’est aussi ce que l’on retrouve dans un arrêt du 30 mai 2018 qui consacre l’obligation nouvelle de motivation des peines en matière contraventionnelle : « l’objectif, reconnu par le Conseil constitutionnel, d’une bonne administration de la justice, commande que la nouvelle interprétation […] donnée n’ait pas d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées à compter du présent arrêt » [18]. L’arrêt ici commenté s’inscrit dans la même logique et poursuit le chemin vers l’assimilation de l’interprétation jurisprudentielle à la loi et la modulation de ses effets dans le temps.

 

[1] Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-80.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5582Z9M); J. Perrot, Validité du recel d’apologie d’actes de terrorisme à l’aune de la liberté d’expression, Lexbase Pénal, janvier 2020 (N° Lexbase : N1825BYA) ; D. Roets, D., 2020, n° 5, p. 312 ; Y. Mayaud, Gaz. Pal., 2020, n° 7, p. 20 ; G. Beaussonie, JCP G, 2020, n° 12, p. 573.

[2] Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-86.706, F-D (N° Lexbase : A18073K7).

[3] Cons. const., décision n° 2020-845 QPC, du 19 juin 2020 (N° Lexbase : A85303NA) : Ph. Conte, Dr. pén., 2020, n° 9, p. 34 ; F. Malhière, Gaz. Pal, 2020, n° 39, p. 32 ; A. Gogorza, Recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme : rétablir l’ordre ne règle pas nécessairement le problème, Lexbase Pénal, juillet 2020 (N° Lexbase : N4051BYP). 

[4] Cass. crim., 1er décembre 2020, n° 19-86.706, F-D (N° Lexbase : A947238C); A. Léon, Recel d’apologie d’actes de terrorisme : la Cour de cassation applique la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, Lexbase Pénal, décembre 2020 (N° Lexbase : N5650BYW).

[5] A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, Pour une étude du droit pénal constitutionnel, LGDJ, Bibliothèque des sciences criminelles, Tome 58, 2014, p. 151.

[6] V. Bacquet-Bréhant, L’article 62 alinéa 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, contribution à l’étude de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, Tome 120, 2005, p. 217.

[7] Cons. const., décision n° 80-127 DC, du 20 janvier 1981 (N° Lexbase : A8028ACC).

[8] Voir, par exemple, J. Larguier, Ph. Conte, P. Maistre de Chambon, Droit pénal général, Dalloz, Mementos, 2018, p. 126 ; J-C. Saint-Pau, L’interprétation des lois – Beccaria et la jurisprudence moderne, RSC, 2015, n° 2, p. 273.

[9] Il a pourtant été invité à réfléchir à cette question par plusieurs auteurs. Voir, Par exemple, V. Tellier, Brèves réflexions sur la QPC en matière pénale, Gaz. Pal., 2010, n° 223-224, p. 6 ; A. Cappello, La constitutionnalisation du droit pénal, Pour une étude du droit pénal constitutionnel, op. cit., p. 204 ; Réflexions communes sur la QPC en matière pénale, Dr. pén., 2020, n° 11, p. 10.  

[10] On précisera que le Conseil constitutionnel peut choisir de reporter l’abrogation et peut remettre en cause les effets passés de la loi.

[11] Cons. const., décision n° 2012-240 QPC, 4 mai 2012, ; A. Lepage, JCP G, 2012, n° 23, p. 1094 ; G. Roujour de Boubée, D., 2012, n° 21, p. 1344 ; Y. Mayaud, RSC, 2012, n° 2, p. 380.

[12] Cass. crim., 16 mai 2012, n° 11-86.334, F-P+B (N° Lexbase : A3840INK) ; Cons. const., décision, n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010 (N° Lexbase : A7111GMC) ; A. Darsonville, Constitutions, 2011, n° 4, p. 531 ; J.-B. Perrier, AJ pénal, 2011, n° 2, p. 76 ; B. Bouloc, D., 2011, n° 13, p. 929.

[13] Cons. const., décision n° 2013-318 QPC, du 7 juin 2013 (N° Lexbase : A1525KGL) ; JH Robert, Dr. pén., 2013, n° 10, p. 40 ; R. Fraisse, Revue juridique de l’économie publique, 2013, n° 714, p. 27 ; A. Haquet, RFDA, 2015, n° 6, p. 1135. On peut également faire un rapprochement avec la décision du 16 septembre 2011 dans laquelle le Conseil constitutionnel abrogea la qualification de l’inceste : « À compter de (la date de publication de la décision), aucune condamnation ne peut retenir la qualification de crime ou de délit incestueux […] ; lorsque l’affaire a été définitivement jugée à cette date, la mention de cette qualification ne peut plus figurer au casier judiciaire » (Cons. const., décision n° 2011-163 QPC, du 16 septembre 2011 (N° Lexbase : A7447HX4) ; A. Lepage, JCP G, 2011, n° 43-44, p. 1930 ; J. Buisson, Procédures, 2011, n° 11, p. 26 ; M. Véron, Dr. pén., 2011, n° 11, p. 19).

[14] Cons. const., décision n° 2017-693 QPC, du 2 mars 2018 (N° Lexbase : A8169XEB) ; B. de Lamy, RSC, 2018, n° 4, p. 997 ; H. Leclerc, Légipresse, 2018, n° 360, p. 262.

[15] Cons. const., décision n° 2019-785 QPC, du 24 mai 2019 (N° Lexbase : A1992ZCR) ; J.-B. Perrier, D., 2019, n° 31, p. 1815 ; O. Cahn, LPA, 2020, n° 156, p. 18 ; S. Papillon, AJ pénal, 2019, n° 7-8, p. 398.

[16] Voir, par exemple, W. Dross, La jurisprudence est-elle seulement rétroactive ?, D., 2006, n° 7, p. 472 ; Ch. Radé, De la rétroactivité des revirements de jurisprudence, D., 2005, n° 15, p. 988 ; G. Marraud des Grottes, Pour ou contre la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, LPA, 2005, n° 21, p. 3 ; Groupe de travail présidé par N. Molfessis, Les revirements de jurisprudence, rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, Litec, Cour de cassation, 2005.

[17] Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I ([LXB=A551437]) : A. Léon, Revirement sur la fusion-absorpt on : la société absorbante peut désormais voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion, Lexbase Pénal, décembre 2020 (N° Lexbase : N5461BYW) ; Ph. Conte, Dr. pén., 2021, n° 1, p. 27 ; E. Dreyer, Gaz. Pal., 2021, n° 7, p. 52.

[18] Cass. crim., 30 mai 2018, n° 16-85.777 (N° Lexbase : A7130XPR) ; Ph. Collet, JCP G, 2018, n° 25, p. 1211 ; O. Bachelet, Gaz. pal., 2018, n° 23, p. 23 ; E. Bonis, Dr. pén., 2018, n° 7, p. 46.

newsid:479833

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.