Le Quotidien du 2 décembre 2021 : Bancaire

[Brèves] Fraude au virement : l’encadrement de la possibilité de contre-passation du banquier du bénéficiaire

Réf. : Cass. com., 24 novembre 2021, n° 20-10.044, F-D (N° Lexbase : A78277CU)

Lecture: 7 min

N9603BYC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Fraude au virement : l’encadrement de la possibilité de contre-passation du banquier du bénéficiaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/75013459-brevesfraudeauvirementlencadrementdelapossibilitedecontrepassationdubanquierdubeneficia
Copier

par Jérôme Lasserre Capdeville

le 01 Décembre 2021

► Sauf stipulations contractuelles contraires, lorsque le montant d’un virement a été remboursé au payeur par son prestataire de services de paiement en application de l'article L. 133-18 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5119LGP), serait-ce en raison de l’existence d'une fraude, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire, s’il a déjà inscrit le montant de ce virement au crédit du compte de son client, ne peut contre-passer l’opération sur le compte de celui-ci sans son autorisation, quand bien même il aurait lui-même restitué le montant du virement au prestataire de services de paiement du payeur.

Il résulte de l’article L. 133-18 du Code monétaire et financier, qu’en présence d’une opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur, le prestataire de services de paiement du payeur doit rembourser ce même payeur. En effet, aux termes de cet article : « En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu ».

Mais qu’advient-il pour le prestataire de services de paiement du bénéficiaire ? Ce dernier peut-il procéder à une contre-passation sur le compte du bénéficiaire ? Une décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient nous éclairer sur ce point.

Faits et procédure. En l’espèce, la société F., qui offre un service de cartes de paiement prépayées, était titulaire d’un compte dans les livres de la Société générale. Le 19 décembre 2012, ce compte avait été crédité de la somme de 6 300 euros en exécution d'un virement émis depuis un compte ouvert dans les livres de la société HSBC au nom de M. K. La société F. avait alors porté ce même montant, sous déduction d’une commission, au crédit de la carte prépayée d'un de ses clients.

Or, M. K. ayant contesté avoir autorisé le virement, s’estimant victime d'une fraude, et obtenu le remboursement de son montant par la société HSBC, celle-ci avait demandé le retour des fonds à la Société générale, qui en avait informé la société F. le 9 janvier 2013. Ayant restitué les fonds à HSBC, la Société générale avait procédé, le 22 avril 2013, en dépit de l’opposition de sa cliente, à la contre-passation de l’opération sur le compte de cette dernière.

La société F. avait alors assigné la Société générale en restitution de la somme ainsi débitée de son compte. La cour d’appel de Grenoble avait cependant, le 7 novembre 2019, rejeté la demande de restitution de la société F.. Celle-ci avait alors formé un pourvoi en cassation.

Moyens. Elle commençait par y rappeler qu’une banque qui, sans autorisation, débite le compte de son client qui aurait reçu un paiement indu réalise une opération de paiement non autorisée, l’obligeant à restitution. Elle considérait dès lors qu’en se bornant à retenir, pour écarter sa demande tendant à la restitution de la somme de 6 300 euros contre-passée par la Société générale, que l’ordre de virement dont avait bénéficié cette société était faux, et que le paiement reçu était par conséquent indu, tout en constatant que la société F. s’était opposée à la répétition, la cour d’appel aurait violé, ensemble, les articles 1937 (N° Lexbase : L2161ABN) du Code civil, L. 133-7 (N° Lexbase : L5648AIZ) et L. 133-18 du Code monétaire et financier.

Décision. Ce pourvoi se révèle utile, puisque la Haute juridiction casse la décision des juges grenoblois.

Elle débute sa décision en posant le principe suivant : « Sauf stipulations contractuelles contraires, lorsque le montant d'un virement a été remboursé au payeur par son prestataire de services de paiement en application de l'article L. 133-18 du Code monétaire et financier, serait-ce en raison de l'existence d'une fraude, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire, s'il a déjà inscrit le montant de ce virement au crédit du compte de son client, ne peut contre-passer l'opération sur le compte de celui-ci sans son autorisation, quand bien même il aurait lui-même restitué le montant du virement au prestataire de services de paiement du payeur ».

Elle note ensuite que pour rejeter la demande de la société F. tendant à la condamnation de la Société générale à lui restituer le montant du virement contre-passé sur son compte, la cour d’appel avait d’abord retenu que la Société générale justifiait du caractère frauduleux de l'ordre de virement qui, à défaut d’émaner du titulaire du compte émetteur, n’avait pu donner un caractère irrévocable au droit de la société F. sur le montant des fonds encaissés et inscrits au crédit de son compte et, ensuite, que la société F. ne démontrant l'existence d'aucun lien d'obligation entre elle et M. K., le virement était dépourvu de fondement, ce qui autorisait la Société générale à contre-passer l’opération sur le compte de sa cliente, malgré l’opposition de celle-ci, au titre de la répétition de l'indu.

La Cour de cassation en conclut alors qu’en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1937 du Code civil et L. 133-18 du Code monétaire et financier.

Observations. Cette solution est heureuse. Par son intermédiaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient clarifier une situation non expressément régie par les dispositions du Code monétaire et financier.

Par cette jurisprudence, on notera que la Haute juridiction rejoint la pratique appliquée, en matière d’opérations passées à distance à l’aide d’une carte bancaire, antérieurement à l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement (N° Lexbase : L4658IEA). En effet, il était admis que les banques puissent stipuler des clauses mettant à la charge des commerçants le remboursement des opérations ainsi contestées par leurs clients. Les banques se retournaient donc vers les e-commerçants afin de récupérer les sommes qu'elles avaient restituées, dans un premier temps, au titulaire de la carte, du moment que cette situation était envisagée dans la convention les unissant à ceux-ci. De telles clauses n’avaient d’ailleurs été jugées ni potestatives, ni abusives (CA Pau, 8 janvier 2007, n° 04/02285 N° Lexbase : A86143WX ; CCE, 2007, comm. 58, obs. A. Debet ; RD banc. fin., 2007, comm. 124, obs. E. Caprioli).

Il en va logiquement de même aujourd’hui, si une telle possibilité de contre-passation a été envisagée par le contrat unissant le prestataire de service de paiement du bénéficiaire de l’opération de paiement et ce même bénéficiaire. À défaut, en revanche, la contre-passation ne pourra logiquement pas être opérée.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le droit des opérations de paiement (cartes, virements, prélèvements), La contestation de l’opération non autorisée, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre Capdeville), Lexbase (N° Lexbase : E86503E4).

 

newsid:479603

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus