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par Virginie Pradel, Fiscaliste, Docteur en droit, Institut de recherche fiscale
le 17 Janvier 2022
Mots-clés : CJIP • fraude fiscale • corruption
La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) constitue l’une des deux procédures alternatives au procès pénal fiscal, aux côtés de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Après une brève présentation de cette « nouvelle » procédure, nous reviendrons sur la récente CJIP conclue avec la banque JP Morgan.
I. Présentation de la CJIP
La CJIP a été introduite par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique [1], dite loi « Sapin II » et son décret d’application du 27 avril 2017 [2]. Ses modalités ont été précisées par une circulaire en date du 31 janvier 2018 [3] et par une dépêche du 21 mars 2019 de la Direction des affaires criminelles et des Grâces (DACG) [4].
La CJIP a, en outre, fait l’objet de plusieurs modifications législatives. La première modification a été opérée par la loi du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude [5], puis par la loi relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée du 24 décembre 2020 [6].
Par ailleurs, la CJIP est également régie par les « lignes directrices relatives à la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public », adoptées conjointement le 27 juin 2019 par le Parquet national financier (PNF) et l’Agence française anticorruption (AFA) [en ligne].
Alors que la CRPC est ouverte non seulement aux personnes physiques et aux personnes morales, la CJIP ne peut s’appliquer qu’aux personnes morales ayant commis l’une ou plusieurs des infractions limitativement énumérées à l’article 41-1-2, I du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5527LZQ). Il s’agit notamment des délits de corruption et trafic d’influence ainsi que toute infraction connexe.
En matière de fiscalité, la loi Sapin II ne visait initialement que le blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 (N° Lexbase : L6015LMQ) (fraude fiscale) et 1743 (N° Lexbase : L3888IZZ) du CGI (infractions assimilées à la fraude fiscale, relatives à la comptabilité, à l’entremise pour le dépôt de valeurs ou l'encaissement de coupons à l'étranger ainsi qu’à la fourniture de renseignements en vue de l'obtention d'agréments ou d'une autorisation dans le cadre de dispositifs d'investissements, notamment en outre-mer).
La loi du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude fiscale, a élargi le champ d’application de ce dispositif aux délits de fraude fiscale et assimilés visés aux articles 1741 et 1743 du CGI, et non plus au seul blanchiment de ces délits.
💡 La première CJIP homologuée en 2017 portait sur un cas de blanchiment de fraude fiscale par la Banque HSBC Suisse, laquelle a reconnu les faits et accepté de payer une amende de 300 millions d’euros. Celle-ci représente près de 20 % des avoirs des clients soustraits à l’impôt (1,6 milliard d’euros). |
A. Les obligations pouvant résulter de la CJIP
Une CJIP est susceptible d'imposer trois sortes d'obligations à la personne morale :
Le montant de l’amende d'intérêt public versée au Trésor public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements.
La CJIP doit préciser la portée du principe non bis in idem en rappelant que le cumul des sanctions pénales et fiscales est admis sous réserve que le montant global des sanctions éventuellement appliquées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Le versement de l’amende peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an.
La personne morale peut, en outre, être contrainte de se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l'AFA, à un programme de compliance destiné à s'assurer de l'existence et de la mise en ouvre en son sein des mesures et procédures énumérées au II de l'article 131-39-2 du Code pénal (N° Lexbase : L7402LBR).
B. Les étapes de la CJIP
C’est au procureur de la République qu’il revient de prendre l’initiative de la CJIP dans le cadre d’une enquête préliminaire [7] ou d’une information judiciaire [8].
Le procureur de la République doit informer par tout moyen la victime, lorsqu'elle est identifiée, de sa décision de proposer la conclusion d'une CJIP à la personne morale mise en cause. Il fixe alors le délai dans lequel elle peut lui transmettre tout élément de nature à établir la réalité et l'étendue de son préjudice.
Le procureur de la République doit indiquer à la personne morale mise en cause la possibilité de se faire assister par un avocat et doit adresser à la personne morale une proposition de CJIP comportant les éléments suivants :
La proposition de CJIP est signée par le procureur de la République et, si la personne morale accepte, par ses représentants légaux, assistés le cas échéant de son avocat.
💡 Précisions : les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques. Ils sont informés, dès la proposition du procureur de la République, qu'ils peuvent se faire assister d'un avocat avant de donner leur accord à la proposition de convention. |
Le procureur de la République saisit ensuite par requête le président du tribunal judiciaire aux fins de validation en joignant la proposition de convention à la requête et informe de cette saisine la personne morale et, le cas échéant, la ou les victimes.
À l’issue de l'audition, en audience publique, de la personne morale mise en cause et de la victime assistées, le cas échéant, de leur avocat, le président du tribunal (ou le juge du tribunal judiciaire qu’il a lui-même désigné) prend la décision de valider ou non la proposition de convention, en vérifiant le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l'amende aux limites prévues par l’article 41-1-2 et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements.
La décision du président du tribunal, qui est notifiée à la personne morale mise en cause et, le cas échéant, à la victime, n'est pas susceptible de recours.
En cas de validation par le président du tribunal du recours à cette procédure, la personne morale mise en cause dispose, à compter du jour de la validation, d'un délai de dix jours pour exercer son droit de rétractation, ce qui a pour effet d’entraîner la caducité de la proposition. À défaut de rétractation, les obligations que la convention comporte sont mises à exécution.
C. Les avantages de la CJIP
La CJIP présente plusieurs avantages pour la personne morale mise en cause :
La CJIP présente également l’avantage pour l’État de défendre les intérêts des contribuables français face aux stratégies extraterritoriales d’autres pays tels que les États-Unis.
Le site de l’AFA recense pour l’heure moins d’une quinzaine de CJIP qui intéressent des entreprises françaises, mais également des entreprises étrangères telles que Bank of China, Google France et Google Ireland, HSBC private bank (Suisse) SA, etc.
III. Illustrations : la CJIP récemment conclue par la banque JP Morgan
Pour rappel, le 22 juin 2012, la DGFiP a déposé des plaintes pour fraude fiscale à l’encontre de plusieurs dirigeants de la société Wendel. Il leur était reproché une minoration de leurs déclarations à l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2007 dans la mesure où à partir de 2004, des cadres dirigeants du groupe Wendel ont procédé à une opération d’apport de titres suivi de leur rachat-annulation par la compagnie de l’Audon qui a dégagé une plus-value placée sous le régime du sursis d’imposition prévu aux articles 150-0 B (N° Lexbase : L3216LC4) et 150-0 D (N° Lexbase : L2206LYD) du CGI.
La banque JP Morgan a octroyé des prêts à certains cadres dirigeants leur permettant de disposer des liquidités nécessaires à l’acquisition des titres. L’administration fiscale a remis en cause I’opération d’apport et de rachat-annulation sur le fondement de l’abus de droit [9], estimant que cette opération avait eu pour seule finalité de permettre aux cadres dirigeants de Wendel, en interposant des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession des titres tout en restant détenteurs des titres de la société reçus en échange de l’apport.
Le montant global des impositions éludées s’agissant des treize cadres dirigeants de la société Wendel s’élève à plus de 78 millions d’euros.
Selon l’administration fiscale, la banque JP Morgan, tout en étant écartée de la plupart des discussions relatives aux développements du schéma et du bénéfice fiscal de celle-ci, était informée de l’existence d’un risque de remise en cause par l’administration fiscale sur la base de l’abus de droit et avait d’ailleurs posé certaines conditions de nature à éviter la révélation des objectifs réels de l’opération.
Le PNF a saisi un juge d’instruction le 26 avril 2021 afin qu’il soit statué sur les faits de complicité de fraude fiscale susceptibles d’avoir été commis par la banque JP Morgan.
Sur requête du ministère public, le juge d’instruction a communiqué le 21 juillet 2021 la procédure au procureur national financier aux fins de mise en œuvre d’une CJIP.
La banque JP Morgan et le PNF ont signé une CJIP le 2 septembre 2021 qui prévoit que la banque doit s’acquitter d’une amende d’intérêt public de 25 millions d’euros dans un délai de trente jours calendaires.
Cette CJIP relative à un cas de complicité de fraude fiscale permet à l’administration fiscale d’obtenir une réparation substantielle tout en évitant une procédure longue et coûteuse.
Une autre CJIP en matière de fraude fiscale a été signée le 20 juin 2019 entre la société Carmignac Gestion et le PNF (consultable sur le site de l’AFA) [en ligne].
[1] Loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (N° Lexbase : L6482LBP).
[2] Décret n° 2017-660, du 27 avril 2017, relatif à la convention judiciaire d'intérêt public et au cautionnement judiciaire (N° Lexbase : L0758LES).
[3] Circulaire du 31 janvier 2018, relative à la présentation et la mise en œuvre des dispositions pénales prévues par la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, n° NOR : JUSD1802971C (N° Lexbase : L4045LIN).
[4] Dépêche 2019/F/0419/FA1, du 21 mars 2019, de présentation et des modalités d'échanges entre les parquets et l’Agence française anticorruption.
[5] Loi n° 2018-898, du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR).
[6] Loi n° 2020-1672, du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (N° Lexbase : L2698LZX).
[7] L’article 41-1-2 du Code de procédure pénale prévoit que, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale ayant commis un ou plusieurs des délits susmentionnés ou des infractions connexes, de conclure une CJIP.
[8] L’article 180-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5534LZY) offre au juge d’instruction qui serait saisi de faits qualifiés constituant un des délits mentionnés à l’article 41-1-2 la possibilité, à la demande ou avec l'accord du procureur de la République, de prononcer, par ordonnance, la transmission de la procédure au procureur de la République aux fins de conclure une CJIP.
[9] LPF, art. L. 64 (N° Lexbase : L9266LNI).
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