Réf. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (N° Lexbase : L6065L7R)
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par Sébastien Bécue, Avocat Of Counsel, Green Law Avocats
le 16 Septembre 2021
Mots clés : environnement • pénal
Cet article est issu d'un dossier spécial loi « climat et résilience » réalisé en collaboration avec le cabinet Green Law Avocats. Pour consulter le sommaire de ce numéro spécial, cliquez ici (N° Lexbase : N8772BYK).
Le titre « renforcer la protection judiciaire de l’environnement » de la loi « climat et résilience » s’inscrit dans un contexte particulier : le droit de l’environnement au sens large est d’ores et déjà sanctionné par un nombre très important d’infractions pénales – pas moins de 1 900 en vigueur, dont 400 contraventions de la première à la quatrième classe, infractions disséminées dans plusieurs codes (de l’environnement, rural et de la pêche maritime, forestier, minier, pénal, de l’énergie) [1].
On aurait pu espérer un toilettage de cet enchevêtrement peu lisible, qui ne favorise clairement pas l’efficacité de l’action pénale. Ce n’est pas la voie qu’a emprunté le législateur, qui s’est plutôt employé à renforcer la sanction pénale de faits qui étaient déjà réprimés par les textes, accentuant encore leur illisibilité. Surtout, on peut s’interroger, à la lecture des éléments de caractérisation des différentes infractions, sur la possibilité même qu’elles soient un jour appliquées par le juge pénal.
Deux innovations sont à noter :
- d’une part, l’aggravation des infractions fondées sur une méconnaissance des régimes de police environnementale ayant un impact écologique grave et durable (I) :
- et, d’autre part, la création d’infractions autonomes, dont le fameux « écocide », visant à sanctionner les « atteintes générales aux milieux physiques » (II).
I. L’aggravation de certaines infractions en cas d’impact grave et durable
L’article 279 de la loi s’attache à créer, à l’article L. 173-3-1 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L6471L7S), un nouveau système d’aggravation de certaines infractions, qui ont toutes pour point commun de viser des actions relatives à des activités soumises à un régime de police administrative de l’environnement : eau, installations classées, déchets, etc.
D’emblée, rappelons qu’il existe déjà un système d’aggravation de ces infractions, celui de l’article L. 173-3 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L7365IR9), qui prévoyait un renforcement des peines lorsqu’il est démontré que les faits constitutifs « ont porté gravement atteinte à la santé ou la sécurité des personnes ou provoqué une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l'air, du sol ou de l'eau ».
Pour que la nouvelle cause d’aggravation de l’article L. 173-3-1 du Code de l’environnement soit caractérisée, il doit être démontré que les faits constitutifs de l’infraction ont exposé « directement la faune, la flore ou la qualité de l'eau à un risque immédiat d'atteinte grave et durable », étant précisé que pour « être considérées comme durables », les atteintes doivent être « susceptibles de durer au moins sept ans ».
On s’interroge d’abord sur la raison ayant conduit le législateur à ne pas reprendre les termes prévus de l’article L. 173-3 et rappelés ci-dessus. D’une part, l’atteinte à la santé ou la sécurité des personnes est exclue, sans raison objective apparente. D’autre part, l’article L. 173-3 vise une « dégradation substantielle » alors que le nouvel article vise un « risque immédiat d’atteinte grave et durable » ; sans que la différence entre « substantielle » et « grave » ne soit exprimée. Et les peines prévues au nouvel article étant plus importantes que celles visées par l’ancien article, l’exposition, c’est-à-dire le risque d’atteinte, se trouve ainsi sanctionnée plus durement que l’atteinte, c’est-à-dire la réalisation du risque, elle-même…
Surtout, c’est le critère de durabilité de l’atteinte qui risque de vider de tout intérêt le dispositif. A la suite du Conseil d’État qui notait un « champ d’application limité » [2], la députée Esther le résumait ainsi très justement : « dans le cas du naufrage du pétrolier Erika en 1999, les experts ont estimé que le dommage n’avait pas duré plus de deux ans. Ainsi, l’une des plus grandes catastrophes écologiques de ces trente dernières années n’entrerait pas dans la définition de ce nouveau délit » [3].
Le praticien est dubitatif : à supposer que la durée soit atteinte, comment le prouver ? Faut-il attendre sept ans ? Quelle atteinte est espérée au bout de sept ans ? Etant donné que des travaux de remédiation auront évidemment été mise en œuvre entretemps… Ou alors doit-on tenir compte d’une atteinte « brute », c’est-à-dire sans tenir compte des travaux de remédiation ?
Il nous semble qu’il aurait été plus simple de renvoyer à la notion de gravité telle que déjà définie aux articles R. 161-1 (N° Lexbase : L1281IE8) et suivants du Code de l’environnement, directement issue du droit européen : une méthodologie de l’appréciation de la gravité du risque y est proposée, par type d’atteinte…
Le seul point intéressant de ce nouveau dispositif nous semble être la possibilité de condamner l’auteur de l’infraction à une amende fondée sur « l'avantage tiré de la commission de l'infraction ». On notera que l’article 286 de la loi étend ce principe à un grand nombre d’infractions, ce qui pourrait s’avérer très utile lorsque l’amende est très inférieure au gain environnemental lié à la pollution, cas où le pollueur n’avait jusque-là finalement qu’à provisionner le risque d’amende.
Convaincus, pour les raisons précédemment évoquées, de l’inefficacité de ce nouveau dispositif en l’état, nous nous sommes néanmoins astreints, pour bien les comprendre, à récapituler les modifications apportées aux infractions existantes par l’article L. 173-3-1 du Code de l’environnement :
Infractions | Peine normale et source | Peine aggravée en cas d’atteinte grave à la santé ou à la sécurité des personnes ou de dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l'air, du sol ou de l'eau (C. env. art L. 173-3) | Peine aggravée en cas d’exposition directe de la faune la flore ou la qualité de l'eau à un risque immédiat d'atteinte grave et durable – d’au moins sept ans (C. env. art. L. 173-3-1, L. 541-46 et L. 1252-5) |
Action sans le bénéfice de l’un des titres suivants : | 1 an de prison et 75.000 euros d'amende (C. env., art. L. 173-1 I) | 3 ans de prison et 75 000 euros d'amende | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
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Réalisation d’une action soumise à autorisation, à enregistrement ou à déclaration, sans satisfaire aux prescriptions fixées par l'autorité administrative lors de l'accomplissement de cette formalité | Contravention de 5ème classe pour les ouvrages soumis à la loi sur l’eau (C. env., art. R. 216-12) | 2 ans de prison et 75 000 euros d'amende | |
Action en violation des décisions suivantes : | 2 ans de prison et 100 000 euros d'amende (C. env., art. L. 173-1 II) | 3 ans de prison et 75 000 euros d'amende | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
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Non-respect des obligations de remise en état ou mesures de surveillance après la cessation d’activité prises au titre des articles L. 171-7 de l'article L. 171-8 | 2 ans de prison et 100 000 euros d'amende (C. env., art. L. 173-1 III) | 3 ans de prison et 75 000 euros d'amende | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
Poursuite d’une action soumise à l’un des titres suivants sans se conformer à une mise en demeure prise au titre des articles L. 171-7 de l'article L. 171-8 | 1 an de prison et 15 000 euros d'amende (C. env., art. L. 173-2 I) | 3 ans de prison et 75 000 euros d'amende | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
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| 2 ans de prison et 100 000 euros d'amende (C. env.,art. L. 173-2 II) | 5 ans de prison et 300 000 euros d'amende | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
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Non-respect d’une mise en demeure en matière de police des déchets | 2 ans de prison et 75 000 euros d'amende (C. env., art. L. 541-45 I) | * | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
Infractions en matière de transport de marchandises dangereuses | 1 an de prison et 30 000 euros d'amende (C. env., art. L. 1252-5) | 5 ans de prison et 300 000 euros d'amende | 3 ans de prison et 250 000 euros d'amende, jusqu’au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction |
II. Les nouvelles infractions « d’atteintes générales aux milieux physiques »
La Convention citoyenne pour le climat concluait [4] à la nécessité de retenir deux nouvelles infractions :
- le crime d’écocide, défini comme « toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées » ;
- et le délit d’imprudence caractérisé d’écocide, défini comme « toute violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou un règlement ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaire ».
Ces infractions, tel que définies par la Convention, n’auraient probablement jamais trouvé à s’appliquer, du fait du caractère à la fois flou et exigeant de l’expression « dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires ».
Le législateur a revu ces infractions et les a introduites au sein d’un nouveau titre III dans le livre II du code de l’environnement, intitulé « Atteinte générale aux milieux physiques ». Il s’agit de deux nouvelles infractions, et d’une cause d’aggravation de ces infractions.
La première infraction a un champ d’application très large. Sont visés les faits suivants : « d'émettre dans l'air, de jeter, de déverser ou de laisser s'écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances dont l'action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune, à l'exception des dommages mentionnés aux articles L. 218-73 (N° Lexbase : L6480L77) [rejets en mer ou eaux salées] et L. 432-2 (N° Lexbase : L7874K9I) [destruction de la faune piscicole ou de son habitat], ou des modifications graves du régime normal d'alimentation en eau » (C. env., art. L. 231-1).
À première lecture, on pourrait croire que le législateur a décidé de généraliser à toutes les atteintes les dispositions de l’article L. 216-6 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L7875K9K), redoutables mais cantonnées aux seules pollutions des eaux, et dont le texte ci-dessus s’inspire clairement : « le fait de jeter, déverser ou laisser s'écouler dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou des substances quelconques dont l'action ou les réactions entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, à l'exception des dommages visés aux articles L. 218-73 et L. 432-2, ou des modifications significatives du régime normal d'alimentation en eau ou des limitations d'usage des zones de baignade ».
Sauf que non. Alors que la force de l’article L. 216-6 du Code de l’environnement réside dans le fait que la seule pollution des eaux permet de caractériser l’infraction, dans le cas de cette nouvelle infraction d’« atteinte générale », il existe un second critère : la pollution doit avoir été commise « en violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Ici aussi, on fait référence à des « obligations particulières », qui se trouvent dans ce domaine être les titres délivrés dans le cadre des polices administratives de l’environnement…
On note que cette expression est reprise de la définition de l’infraction de « mise en danger de la vie d’autrui », prévu à l’article 223-1 du Code pénal (N° Lexbase : L3399IQX). Or la Cour de cassation rappelle avec constance que ce n’est pas seulement l’existence d’une obligation prévue par la loi qui doit être démontrée, mais également le caractère délibéré de la violation de cette obligation par l’auteur des faits, ce qui est évidemment complexe et une cause régulière de cassation des condamnations prononcées [5]. Le praticien pourra en tout cas se référer à la jurisprudence déjà fournie sur cette notion.
La seconde infraction vise « le fait d'abandonner, de déposer ou de faire déposer des déchets, dans des conditions contraires au chapitre Ier du titre IV du livre V, et le fait de gérer des déchets, au sens de l'article L. 541-1-1 (N° Lexbase : L8113LZR), sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre fixées en application des articles L. 541-2 (N° Lexbase : L9592INL), L. 541-2-1 (N° Lexbase : L8107LXK), L. 541-7-2 (N° Lexbase : L8109LXM), L. 541-21-1 (N° Lexbase : L2202LWH) et L. 541-22 (N° Lexbase : L9610INA), lorsqu'ils provoquent une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l'air, du sol ou de l'eau ».
Il s’agit là encore clairement d’une infraction liée au non-respect d’une police administrative et on peut se demander si elle n’aurait pas été plus à sa place aux articles L. 173-1 et suivants, dont elle reprend d’ailleurs le vocabulaire, plutôt que dans ce titre consacré aux « atteintes générales aux milieux physiques ».
Enfin, la cause d’aggravation créée par le texte, qui permet de convertir l’infraction en ce fameux « écocide », est caractérisée par le fait que l’atteinte à l’environnement doit être cette fois « intentionnelle ». Nous ne nous étendrons pas sur ce point dès lors qu’il nous semble que cette cause d’aggravation est avant tout symbolique : les auteurs de pollutions environnementales ne sont généralement évidemment pas dans la volonté de polluer pour polluer, mais plutôt de prendre le risque de polluer ou de polluer dans un but autre, et le plus souvent économique.
***
Les solutions pour rendre plus aisée la caractérisation de ces nouvelles infractions semblent accessibles. Soit connecter les dispositions entre elles, en renvoyant, pour définir les éléments de caractérisation vers des définitions existantes, et en particulier celles issues du droit européen figurant aux article R. 161-1 et suivants du Code de l’environnement. Soit supprimer les exigences de durabilité et d’intentionnalité. Mais c’est à l’évidence volontairement, pour ne pas effrayer certains, que ces exigences ont été retenues.
Rappelons en tout état de cause qu’il y a aujourd’hui consensus chez les praticiens sur le fait que l’efficacité de la réponse pénale aux atteintes à l’environnement ne réside pas dans la force théorique des sanctions mais dans leur application effective. Les chiffres officiels sont parlants : parmi les 20 000 affaires traitées chaque année, soit moins 1 % de l’ensemble des condamnations pénales prononcées chaque année, 75 % font l’objet de mesures alternatives aux poursuites [6], une politique pénale encouragée de manière assumée par les circulaires ministérielles de politique pénale de l’environnement de 2015 et de 2021 [7], dont la lecture s’avère très intéressante.
Sur ce point, et plutôt que ces nouvelles infractions, le lecteur intéressé s’interrogera plutôt sur l’apport, qui nous semble autrement plus important, de la loi n° 2020-672 du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (N° Lexbase : L2698LZX), dont l’objet est d’offrir les moyens d’une véritable spécialisation des acteurs dans ce domaine très technique qu’est le droit de l’environnement. Reste qu’au-delà de cette spécialisation, un renforcement des moyens humains et financiers dédiés semble rester la condition sine qua non d’une politique pénale environnementale efficace.
[1] S. Bécue, D. Deharbe, Assurer le risque environnemental des entreprises, L'Argus de l'assurance.
[2] Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets, 10 février 2021, site du CE.
[3] Sénat, séance du 25 juin 2021, compte rendu intégral des débats.
[4] Convention citoyenne pour le climat, Légiférer sur le crime d'écocide.
[5] Voir par exemple Crim., 16 octobre 2007, n° 07-81.855, F-P+F (N° Lexbase : A4304DZG).
[6] Une justice pour l’environnement, Mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Inspection générale de la justice, oct. 2019, p. 55.
[7] Circulaire visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale, Légifrance.
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