Réf. : CAA Paris, 8 juin 2021, n° 18PA03711 (N° Lexbase : A09614WI)
Lecture: 11 min
N8708BY8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fleur Chidaine, Responsable du service juridique de la société Exa, La Réunion
le 15 Septembre 2021
Mots-clés : entreprises • holding animatrice • déficits • agrément
La cour administrative d’appel de Paris s’est récemment prononcée sur la question du transfert des déficits dans le cadre des opérations de fusion et assimilées sur application de l’article 209 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6979LZI) (ci-après le « CGI »), et notamment dans une hypothèse où les déficits transférés provenaient d’une société holding animatrice.
Pour rappel, en principe, les déficits subis par la société apporteuse / absorbée antérieurement à l’opération de fusion ou assimilée ne sont pas déductibles des bénéfices ultérieurs de la société bénéficiaire des apports.
La société absorbante bénéficie toutefois de plein droit depuis la loi du 28 décembre 2018 [1] du transfert desdits déficits ainsi que des charges financières nettes non déduites et de la capacité de déduction des charges financières non déduites de la société absorbée lorsque leur montant cumulé est inférieur à 200 000 euros, à condition que la société absorbée ou assimilée n’ait pas cédé ou cessé d’exploiter l’activité ayant généré les déficits au cours de la période déficitaires, et que les déficits et intérêts transférés ne proviennent pas de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier.
En outre, le législateur a prévu la possibilité pour la société bénéficiaire des apports, en cas de fusion ou d’opération assimilée bénéficiant du régime de faveur, de déduire les déficits antérieurs non encore déduits subis par la société apporteuse sur agrément spécial. Cet agrément est de droit lorsque :
Ainsi, l’article 209, II du CGI prévoit qu’ « en cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de l’article 210 A, les déficits antérieurs et la fraction d’intérêts mentionnée au sixième alinéa du 1 du II de l’article 212 non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse sont transférés, sous réserve d’un agrément […] à la ou aux sociétés bénéficiaires des apports, et imputables sur ses ou leurs bénéfices ultérieurs dans les conditions prévues respectivement au troisième alinéa du I et au sixième alinéa du 1 du II de l’article 212 (N° Lexbase : L6215LUQ). L’agrément est délivré lorsque :
Les faits qui opposaient les contribuables, en l’occurrence la société Sopra Steria Groupe, à l’administration fiscale française se basaient sur la nature de la société et l’activité à l’origine des déficits transférés, dans la mesure où lesdits déficits avaient été générés par une société holding dans le cadre de prestations d’animation et de support au profit de filiales.
La société Sopra Group a absorbé, en septembre 2014, dans le cadre d’une opération de fusion absorption placée sous le bénéfice du régime de faveur de l’article 210 A du CGI, la société Groupe Steria et la filiale à 100 % de cette dernière avec effet rétroactif fiscal et comptable au 1er janvier 2014. Dans le cadre de cette opération, la société Sopra Group a sollicité, par courrier du 15 décembre 2014, un agrément pour le transfert des déficits reportables au 31 décembre 2013 de la société Groupe Steria à hauteur de 50 326 829 euros et des déficits ayant pour origine la société Steria d’un montant de 40 909 003 euros.
Par décision du 2 décembre 2015, le ministre de l’Action et des Comptes publics a accueilli partiellement la demande d’agrément à hauteur de 346 653 190 euros correspondant à une partie des déficits fiscaux antérieurement subis par la société Steria, et rejeté le surplus.
La société Sopra Group a présenté, par courrier du 3 février 2016, un recours gracieux tendant au réexamen de sa demande d’agrément. Le 3 février 2016, en l’absence de retour de l’administration, la société Sopra Group a saisi le tribunal administratif de Paris d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par jugement du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision d’acceptation partielle et enjoint au ministre de procéder au réexamen de la demande d’agrément de la société Sopra Steria Group. Le ministre de l’Action et des Comptes publics relève appel de ce jugement.
En l’espèce, la société absorbée exerçait une activité de holding mixte qui comportait donc, outre la gestion de ses participations financières, des prestations relatives à la gestion des achats du groupe, à l’assistance juridique apportée aux filiales ou encore à la direction des systèmes d’information de celles-ci. L’administration fiscale soutenait notamment que les prestations précitées devant obligatoirement être rattachées aux filiales, elles ne pouvaient donc être source de déficits.
Après avoir rappelé les termes de l’article 209 II du CGI, la Cour administrative d’appel de Paris précise que :
► D’une part, l’article précité prévoit que, s’agissant des sociétés dont l’actif est principalement composé de participations financières, ce qui est le cas des sociétés holdings, le bénéfice du dispositif de transfert de déficit sur agrément n’est exclu que pour les seuls déficits provenant de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier de telles sociétés.
► La cour administrative d’appel ajoute à cet égard que « par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 16 août 2012 de finances rectificatives pour 2012 dont [ces dispositions] sont issues que l’intention du législateur était d’exclure les seules « holdings financières » et non l’ensemble de ces holdings, dans le but de limiter les possibilités d’exploitation des déficits à des fins d’optimisation fiscale et notamment de lutte contre le marché des déficits ».
► La cour administrative d’appel déduit de cette analyse que les dispositions litigieuses ne font dès lors « pas obstacle, par principe, à ce qu’une société holding puisse bénéficier de l’agrément prévu par cet article en vue d’imputer sur ses bénéfices ultérieurs les déficits antérieurs non encore déduits de la société absorbée dès lors que les déficits concernés ne proviennent pas d’une activité de gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier au sens de ce texte ».
► D’autre part, la cour administrative d’appel précise qu’une société holding animatrice (i.e. société ayant activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, de participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers) doit « être regardée comme exerçant une activité distincte de la gestion d’un patrimoine mobilier au sens des dispositions du d) du II de l’article 209 du CGI et qui n’est pas accessoire à une telle gestion ».
► De ce fait, la cour administrative d’appel conclue que les « déficits d’une société holding animatrice susceptibles de bénéficier de l’agrément prévu par les dispositions du II de l’article 209 du CGI ne se limitent pas aux seuls déficits provenant d’une activité opérationnelle distincte de son activité de gestion de ses filiales et réalisée au seul profit de clients tiers. Il s’ensuit que l’agrément prévu par ces dispositions ne pouvait être refusé à la société Sopra Steria Group au motif que, du seul fait de la nature de société holding de la société Groupe Steria, les déficits générés par son activité devaient être regardés comme provenant d’une activité de gestion de son patrimoine mobilier faute de résulter d’une activité exercée au profit de sociétés tierces à son groupe ».
Confirmant ainsi la position du tribunal administratif de Paris, la cour administrative d’appel rejette la requête du ministre de l’Action et des Comptes publics.
💡 Quel impact dans ma pratique ? la cour administrative d’appel vient ici confirmer la position précitée du Tribunal administratif de Paris incitant l’administration à distinguer, chez une société holding animatrice, ses activités de gestion de patrimoine mobilier et immobilier, exclues du bénéfice de l’agrément, de celles rattachables à son activité opérationnelle vis-à-vis de ses filiales ou de tiers. Les juges rappellent ainsi le texte de l’article 209 du CGI et l’esprit du législateur : il convient de vérifier, comme l’a rappelé le tribunal administratif de Paris, si les déficits proviennent en tout ou partie des activités d’animation et de prestations de services effectivement rendues par le holding à ses filiales. Si tel est le cas, l’exception prévue par l’article 209 du CGI empêchant le bénéfice de l’agrément pour les sociétés holdings financières ne trouve pas à s’appliquer. Il est donc primordial dans le cadre de ces opérations, en cas de demande d’agrément, d’être en mesure de ventiler les déficits générés par la société absorbée ou assimilée selon que ces derniers proviennent de la pure gestion de participation ou au contraire d’une activité opérationnelle, étant précisé que le simple fait d’être une société holding ne suffit pas, à lui seul, à exclure le bénéfice de l’agrément. |
[1] Loi n° 2018-1327, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019, art. 53 (N° Lexbase : L6297LNK).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:478708