Réf. : Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B)
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par Matthieu Soisson, Avocat, cabinet BRL Avocats
le 14 Septembre 2021
Mots clés : loi « santé » • suivi médical • visite médicale • passeport formation • désinsertion professionnelle
Cet article est issu du dossier spécial consacré à la loi « santé au travail », publié le 16 septembre 2021 dans la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8719BYL).
La loi pour renforcer la prévention en santé au travail prévoit toute une série de mesures pour le suivi de la santé des travailleurs et la lutte contre la désinsertion professionnelle.
Les deux composantes sont d’ailleurs fréquemment liées : le suivi médical renforcé des travailleurs est, bien souvent, l’occasion de renforcer la lutte contre la désinsertion professionnelle.
L’analyse des nouvelles mesures prévues par la loi révèle des ambitions mesurées en la matière, mais réalistes.
I. La création d’une cellule dédiée à la prévention de la désinsertion professionnelle
Aujourd’hui, de nombreux acteurs interviennent en matière de prévention de la désinsertion professionnelle. Parmi eux, les services de santé au travail sont déjà explicitement chargés de cette mission [1].
Cependant, du fait d’une charge de travail déjà importante, essentiellement due à une pénurie d’effectifs, ces services s’acquittent de cette mission de manière très hétérogène.
Ainsi, conformément à ce qui était prévu dans l’ANI, le législateur a prévu la création, au sein de chaque service de prévention et de santé au travail, d’une cellule pluridisciplinaire de prévention de la désinsertion professionnelle.
Cette cellule aura pour objectif de permettre à des personnes dont les problèmes de santé ou le handicap restreignent l’aptitude professionnelle de rester en activité ou de la reprendre, soit par maintien dans l’emploi, soit par changement d’activité ou d’emploi [2].
À ce titre, la cellule sera chargée :
La cellule collaborera avec les professionnels de santé chargés des soins, mais aussi avec de nombreux services intervenant en matière d’insertion (l’assurance maladie et son service du contrôle médical, le service social des CARSAT, les acteurs chargés du dispositif d’emploi accompagné ou de la compensation du handicap, etc.).
La cellule sera animée et coordonnée par un médecin du travail ou par un membre de l’équipe pluridisciplinaire désigné par lui et qui agit sous sa responsabilité. Elle pourra être mutualisée entre plusieurs services de prévention et de santé au travail qui n’auraient pas la taille critique pour la mettre en place.
Quant à la composition de la cellule, elle devra être précisée dans le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, conformément à l’article L. 4622-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8072IQZ).
Il faut espérer que la mise en place de cette cellule permettra de mieux articuler l’action des services de prévention et de santé au travail en matière de prévention de la désinsertion professionnelle avec celle des autres acteurs locaux et pourra apporter aux situations individuelles des solutions personnalisées en privilégiant le maintien au poste avec son aménagement.
La prudence est toutefois de mise, dans la mesure où les services de santé sont déjà débordés et que les mesures visant à renforcer l’attractivité de la spécialité médicale « médecine et santé au travail » (la moins prisée des internes) ne devraient pas significativement changer la donne, au moins avant quelques années.
II. Le suivi des salariés exposés à des risques professionnels
Le suivi médical des travailleurs fait l’objet de modifications régulières de la part du législateur ou du pouvoir réglementaire.
Dernièrement, si les ambitions affichées étaient le renforcement du suivi médical des salariés (avec, il est vrai, quelques mesures allant en ce sens), les aménagements apportés s’inscrivaient plutôt dans un allégement de ce suivi avec, notamment, une augmentation de la périodicité des visites d’aptitude, celles-ci passant, pour la majorité des travailleurs, de 2 à 5 ans.
Cette fois-ci, la loi « santé au travail » est plutôt conforme aux ambitions affichées et s’inscrit dans un renforcement du suivi médical des travailleurs, par la création de nouveaux dispositifs, le renforcement de mesures existantes ou la cohérence apportée aux dispositifs en vigueur.
A. La prise en compte des polyexpositions
Ainsi en est-il tout d’abord de la prise en compte, à compter du 31 mars 2022 [3], des « situations de polyexpositions » pour l’application des règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des risques chimiques.
Cette précision est de bon sens dans la mesure où, dans la majorité des activités, les salariés sont exposés en même temps à des nuisances multiples. Ainsi, comme le note l’INRS [4], l’approche dite mono-nuisance ou mono-danger est rarement suffisante pour évaluer les risques professionnels réellement encourus par les salariés.
En effet, les effets des risques chimiques peuvent être indépendants les uns des autres ou bien interagir entre eux. Dans certains cas, il est même possible qu’ils se renforcent les uns les autres et que les effets de la polyexposition soient supérieurs à la somme des effets inhérents à chacune des expositions. Cette précision permettra donc de mieux tenir compte de la situation réelle de travail des salariés.
Une question demeure toutefois : si l’ajout des situations de polyexpositions est fait dans un article se trouvant dans chapitre intitulé « Mesures de prévention des risques chimiques », la nature des polyexpositions n’est pas expressément définie (le texte précise simplement : « …en tenant compte des situations de polyexpositions »).
Or, la polyexposition peut résulter de l’exposition à différentes substances chimiques, mais également de l’exposition à une ou des substances chimiques associée à une exposition à un risque non chimique (bruit/biologique/contraintes physiques/horaires atypiques).
Dès lors, est-ce qu’il s’agira de prendre en compte uniquement les polyexpositions à des risques chimiques ou bien les polyexpositions à un risque chimique et à un autre type de risque ?
En l’absence de précision du texte, il semble que ce soit la seconde hypothèse qui doive être retenue [5], mais il y aura nécessairement des débats sur ce point, que les juridictions ne manqueront pas de clarifier dans le cadre des contentieux qui naitront à cette occasion.
B. L’examen médical post-exposition ou de fin de carrière
La loi du 29 mars 2018, de ratification des ordonnances dites « Macron » [6] a instauré une visite médicale de fin de carrière pour certains travailleurs. Ainsi, les travailleurs bénéficiant ou ayant bénéficié d’un suivi individuel renforcé au titre de l’exposition à des risques particuliers, doivent être examinés, avant leur départ à la retraite, par le médecin du travail au cours d’une visite médicale [7].
Cet examen médical vise à établir une traçabilité et un état des lieux, à date, des expositions à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels [8] auxquels a été soumis le travailleur.
Si le médecin du travail constate une exposition du travailleur à certains risques dangereux, notamment chimiques, il peut mettre en place une surveillance post-professionnelle en lien avec le médecin traitant.
L’instauration de cette visite médicale de fin de carrière procédait d’une intention louable du législateur : ouvrir le bénéfice du suivi post-professionnel aux plus grands nombres de salariés concernés.
Cependant, en tant que telle, la mesure présentait au moins deux insuffisances :
Ce nouveau texte est donc venu améliorer le dispositif. Ainsi, à compter du 31 mars 2022, la visite médicale doit être réalisée par le médecin du travail dans les meilleurs délais après la cessation de l’exposition ou, en cas de maintien de l’exposition, en fin de carrière avant le départ à la retraite.
Aussi, désormais, le bénéfice de la surveillance post-exposition ne sera plus une faculté pour le médecin du travail : si celui-ci constate une exposition du salarié aux risques mentionnés, il devra systématiquement mettre en place ce suivi en lien avec le médecin traitant et également - nouveauté de la loi du 2 août 2021 - le médecin-conseil des organismes de Sécurité sociale.
Si cette évolution est salutaire, il reste cependant à espérer que les dispositions réglementaires nécessaires pour préciser les modalités de mise en œuvre de cette visite médicale élargie seront prises rapidement. Rien n’est moins sûr au regard du délai nécessaire pour que soient prises les mesures règlementaires permettant la mise en œuvre de la visite de fin de carrière. En effet, ce n’est que le 9 août 2021 que le décret relatif à la visite médicale des travailleurs avant leur départ à la retraite a été publié, soit trois ans après son instauration…
D’ailleurs, alors que le décret est publié postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail, il ne fait jamais mention de la visite médicale après cessation de l’exposition, ne renvoyant qu’à celle de fin de carrière : espérons que cette occasion manquée soit vite réparée.
III. La visite médicale de mi-carrière
Il est également créé une visite médicale de mi-carrière, qui doit être organisée au cours de l’année du quarante-cinquième anniversaire du travailleur, sauf lorsqu’un accord de branche prévoit une échéance différente.
Il est précisé que cet examen médical peut être anticipé et organisé conjointement avec une autre visite médicale lorsque le travailleur doit être examiné par le médecin du travail deux ans avant l'échéance prévue. Le Sénat a souhaité préciser les missions assignées à cette visite afin de ne pas multiplier les visites et les sollicitations des services de santé au travail.
Ainsi, le futur article L. 4624-2-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4506L7Z) prévoit que l’examen médical vise à :
Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le travailleur et l'employeur, des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur.
Par ailleurs, le législateur, anticipant les difficultés de disponibilité des médecins du travail [9], a prévu que la visite médicale de mi-carrière peut être réalisée par un infirmier de santé au travail exerçant en pratique avancée. Pour autant, l’infirmier ne pourra pas proposer les mesures d’aménagement : il devra, s'il l'estime nécessaire, orienter sans délai le travailleur vers le médecin du travail à cette fin.
Cette visite de mi-carrière constitue, compte tenu de ses objectifs, notamment sur les risques de désinsertion professionnelle, une véritable nouveauté par rapport aux visites d’information et de prévention classiques, dont l’objet était essentiellement de vérifier l’aptitude du salarié à son poste de travail [10].
Cette nouvelle visite de mi-carrière n’est tout de même pas sans poser quelques questions.
Déjà sur l’âge de la visite : pourquoi avoir fixé la visite en fonction de l’âge du salarié et non de son expérience professionnelle ?
Quid, dans ces conditions, des salariés qui auraient commencé à travailler très tôt ou plus tard, ou qui auraient effectué un changement de carrière ? Cette visite pourrait ne pas constituer pour eux une visite de « mi-carrière », mais au contraire être trop tardive ou trop anticipée.
Ensuite, sur ses conséquences : que pourra concrètement décider le médecin du travail s’il constate, par exemple, un risque de désinsertion professionnelle du salarié ? Un changement de poste alors même que le salarié resterait médicalement apte à celui-ci ? Aussi, dans un tel cas, est-ce que l’avis du médecin du travail pourra être contesté ? La question se pose sérieusement, puisque la contestation ouverte à l’heure actuelle ne peut porter que sur des considérations médicales, ce qui ne sera pas le cas de mesures préconisées au regard d’un risque de désinsertion professionnelle.
Il y a là un risque de voir les employeurs soumis à l’avis du médecin du travail, sans aucun recours possible.
IV. Le rendez-vous de liaison
La loi du 2 août 2021 crée également un rendez-vous de liaison entre le salarié absent et l’employeur, en associant le service de prévention de santé au travail, pour les arrêts supérieurs à une durée qui sera ultérieurement fixée par décret, consécutifs à un accident ou une maladie (d’origine ou non professionnelle) [11].
L’entretien a pour objet d’informer le salarié qu’il peut bénéficier d’un examen de pré-reprise, de mesures d’aménagement du poste et du temps de travail, ainsi que d’actions de prévention de désinsertion.
Le rendez-vous est organisé à l’initiative de l’employeur ou du salarié, ce dernier devant être informé préalablement qu’il peut en solliciter la tenue. Le salarié peut refuser cet entretien, sans conséquence pour lui.
Compte tenu de son objet, l’entretien peut évidemment se tenir pendant la période d’arrêt de travail.
La création de ce rendez-vous de liaison n’appelle que peu de commentaires : certains employeurs réalisaient déjà un tel rendez-vous, et la loi vient donc pour eux simplement encadrer une pratique existante ; pour les autres, il s’agit d’une étape supplémentaire avant la reprise d’un salarié absent, mais relativement peu contraignante.
V. Les visites de pré-reprise et de reprise
Toujours dans l’optique de renforcement du suivi médical des salariés, et notamment des salariés absents, la loi du 2 août 2021 est venue consacrer, au niveau législatif, la visite de pré-reprise, qui était antérieurement inscrite dans la partie réglementaire du Code du travail.
À cette occasion, quelques évolutions ont été apportées par le législateur.
Tout d’abord, ce qui ne change pas, c’est que la visite de pré-reprise est organisée pour le salarié en arrêt de travail depuis un certain temps, temps qui n’a pas encore été fixé par la loi, mais qui devrait rester à trois mois, si l’on s’en tient au rapport de l’Assemblée nationale.
Aussi, l’objectif de cette visite est toujours de mettre en place les mesures d’aménagements et d’adaptation éventuellement nécessaires à la reprise du salarié à son poste de travail.
La légère évolution, c’est que, désormais, outre le salarié, le médecin traitant ou les services médicaux de l’assurance maladie, le médecin du travail pourra lui aussi demander l’organisation de cette visite dès lors que le retour du travailleur à son poste est anticipé.
Aussi, dernière nouveauté : l’employeur devra informer le salarié de la possibilité pour celui-ci de solliciter cet examen de pré-reprise.
La loi du 2 août 2021 est venue faire de même pour la visite de reprise, dont les modalités ont été transférées de la partie réglementaire du Code du travail à la partie législative : ainsi, après un congé de maternité ou une absence au travail justifiée par une incapacité résultant de maladie ou d'accident et répondant à des conditions fixées par décret, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise par un médecin du travail dans un délai déterminé par décret.
A priori, à la lecture, là encore du rapport de l’Assemblée nationale, les délais antérieurs devraient être conservés, à savoir une absence d’au moins trente jours pour déclencher la nécessité d’organiser la visite de reprise et une saisine du service de prévention et de santé au travail dès connaissance de la fin de l’arrêt de travail ou, au plus tard, dans les huit jours qui suivent la reprise du travail.
VI. Autres mesures
Trois dernières nouvelles dispositions peuvent être encore signalées dans le cadre du renforcement du suivi des travailleurs :
*
En définitive, en matière de suivi des travailleurs et de lutte contre la désinsertion professionnelle, la loi du 2 août 2021 ne crée pas de rupture et n’introduit pas de nouvelles mesures significativement contraignantes pour les employeurs. Elle s’inscrit véritablement dans une logique d’amélioration des dispositifs existants et d’accroissement de la cohérence des mesures en vigueur.
Les ambitions affichées sont donc mesurées, ce qui devrait autoriser une certaine confiance dans la mise en œuvre en pratique des nouvelles dispositions au sein des entreprises et des services de prévention et de santé au travail.
Et pourtant, la prudence reste de mise, la loi n’apportant que des réponses très partielles à la pénurie des effectifs des services de prévention et de santé au travail. Déjà très largement débordés, ces services auront, en l’état, des difficultés évidentes à absorber les nouvelles tâches qui leur sont confiées.
[1] C. trav., art. L. 4622-2, al. 2 (N° Lexbase : L7345LHI).
[2] C. trav., futur art. L. 4622-8-1 (N° Lexbase : L4744L7T).
[3] C. trav., art. L. 4412-1 (N° Lexbase : L5893H97).
[5] « Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer ».
[6] Loi n° 2018-217, du 29 mars 2018, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340, du 15 septembre 2017, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (N° Lexbase : L9253LIK).
[7] C. trav., art. L. 4624-2-1 (N° Lexbase : L1389LKN).
[8] Ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8033LGM).
[9] En 2016, près de 80 postes étaient non pourvus, et la spécialité se classait dernière à l'issue des épreuves classantes nationales en 2016.
[10] C. trav., art. R. 4624-11 (N° Lexbase : L2277LCC).
[11] C. trav., futur art. L. 1226-1-3 (N° Lexbase : L4434L7D).
[12] Loi du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 23.
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