Réf. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (N° Lexbase : L6065L7R)
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par David Deharbe, Avocat associé gérant, Green Law Avocats
le 15 Septembre 2021
Mots clés : environnement • sites et sols pollués
Cet article est issu d'un dossier spécial loi « climat et résilience » réalisé en collaboration avec le cabinet Green Law Avocats. Pour consulter le sommaire de ce numéro spécial, cliquez ici (N° Lexbase : N8772BYK).
La commission d'enquête sénatoriale sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols présidée par M. Laurent Lafon a été l’origine de de cinquante propositions articulées autour de six axes, dont le deuxième consiste à « introduire dans la législation française un véritable droit de la protection des sols » [1].
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, concrétise trois de ces propositions qui impliquaient la compétence du législateur en :
- mettant un terme aux asymétries entre le Code minier et le Code de l’environnement en matière de responsabilités des exploitants et de prévention des risques sanitaires et environnementaux (cf. art. 65) ;
- inscrivant dans la loi les principes généraux de la politique nationale de prévention et de gestion des risques sanitaires et écologiques associés aux sites et sols pollués (cf. art. 66) ;
- introduisant dans le Code de l’environnement une définition législative de la pollution des sols, comme elle existe pour l’eau et l’air (cf. art. 66).
Notre analyse se concentrera sur l’article 66 de la loi qui introduit dans le livre II du Code de l'environnement, complété par un nouveau titre IV ainsi rédigé « Titre IV Sols et sous-sols », comprenant un chapitre unique « Principes généraux de la protection des sols et des sous-sols » dont un nouvel article L. 214-1.
Cette disposition peut de prime abord sembler participer de la déclaration d’intention et d’un droit bavard dépourvu de portée normative. Il n’en est rien et il faut prendre la mesure de ce qui se joue avec entrée du « sol » comme objet de la « protection » que lui confère le Code de l’environnement.
I. Une base légale pour la méthodologie des sites et sols pollués.
Après l’avènement d’une politique sectorielle dans le domaine des déchets, de l’eau et de l’air, le Code de l’environnement inscrit enfin la police des sites et des sols pollués dans une politique nationale plus globale de protection des milieux qui « vise à prévenir et réduire la pollution des sols et des sous-sols et à assurer la gestion des pollutions existantes » (C. env. L. 214-1 al. 1er).
Nul doute : nous sommes à un haut niveau de généralité et en présence d’une volonté de définir une nouvelle politique publique lorsque le législateur lui assigne « une gestion équilibrée et durable des sols et sous-sols et [tenant] compte des adaptations nécessaires au changement climatique ». On retrouve ici la démarche retenue à l’occasion de la refonte de la loi sur l’eau en 1992.
Mais d’emblée on comprend une la méthodologie des sites et sols pollués trouve ainsi la base légale qui lui faisait cruellement défaut.
Ainsi, non seulement c'est par voie de circulaires que le ministre de l'Environnement a impulsé une politique de la réhabilitation des sites et sols pollués dès 1999 [2], mais, de surcroît, les circulaires ont été le support juridique d’une méthodologie d'identification des pollutions résiduelles et de leur traitement.
Sur ce point, il convient de rappeler que la méthodologie des sites et sols pollués avait été refondue par un texte de référence paru en 2007 : la circulaire du 8 février 2007, relative aux modalités de gestion et de réaménagement des sites pollués (N° Lexbase : L8853L7Z) [3]. Cette circulaire a instauré une nouvelle méthodologie sur la base du décret n° 2005-1170 du 13 septembre 2005 (aujourd’hui abrogé), méthodologie qui est applicable depuis le 1er juillet 2007.
Cette méthodologie demeure articulée autour d'un principe qui a guidé la politique de réhabilitation et de traitement des sites depuis la fin des années 1990 : l'usage des sites est le critère qui doit conditionner leur gestion.
Mais elle repose désormais sur une double démarche : l'Interprétation de l'état des milieux (IEM), qui vise à s'assurer que l'état des milieux est compatible avec des usages présents déjà fixés, et le plan de gestion, pour identifier les options de gestion pertinentes en cas de réhabilitation et d'affectation d'un site à de nouveaux usages. La publication de la circulaire du 8 février 2007 s'est accompagnée de la parution d'autres circulaires et de guides qui ont notamment permis de préciser les modalités de mise en œuvre de la nouvelle méthodologie dans les différents contextes de gestion d'un site :
- circulaire du 8 février 2007 relative aux installations classées – Prévention de la pollution des sols – Gestion des sols pollués (N° Lexbase : L0439HW8) [4];
- circulaire n° BPSPR/2005-371/LO du 8 février 2007, relative à la cessation d'activité d'une installation classée – Chaîne de responsabilité – Défaillance des responsables (N° Lexbase : L0438HW7) (cette circulaire a été abrogée et remplacée par une circulaire en date du 26 mai 2011 : V. infra) ;
- circulaire du 8 février 2007 relative à l'implantation sur des sols pollués d'établissements accueillant des populations sensibles (N° Lexbase : L0437HW4) [5].
- circulaire 26 mai 2011, relative à la cessation d'activité d'une installation classée – chaîne de responsabilités – défaillance des responsables (N° Lexbase : L8852L7Y) [6].
Enfin, les textes méthodologiques de gestion des sites et sols pollués ont été mis à jour par la note du 19 avril 2017, relative aux sites et sols pollués [7]. Les annexes de la circulaire du 8 février 2007 ont été remplacées par un texte méthodologique et un document introductif sur les actions menées par les pouvoirs publics en la matière.
On peut regretter que le ministère ait cédé à la tentation de fixer la méthodologie de la remise en état au moyen de circulaires assurément impératives dans leurs dispositions, mais qui, faute d'être passées au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), sont très probablement illégales. En effet, on rappellera la différence qui existe entre les circulaires – censées ne pas pouvoir faire grief – et les textes réglementaires – qui font grief. Or le CSPRT est obligatoirement consulté sur tous les projets de textes relatifs à la nomenclature « Installations Classées » et aux projets d’arrêtés de prescriptions générales édictées pour les ICPE (v. C. env., art. R. 510-1). Finalement, le ministère ne semble pas avoir tiré les leçons d'un passé proche, où il a pourtant vu les instructions réglementaires illégales et intervenues dans le même domaine, mises en cause par les juges du fond [8].
Au demeurant, aucune de ces circulaires n’est juridiquement opposable à l’administration à défaut d’avoir été publiée dans les conditions prévues par l’article R. 312-3-1 du Code des relations entre le public et l’administration (N° Lexbase : Z76519Q8).
Nous sommes ainsi en présence d’un « droit souple », pas toujours obéi mais qui en pratique bénéficie de l’autorité de l’opinio juris, chère aux internationalistes. Ainsi, tous les acteurs s’y réfèrent pour donner à la méthodologie les apparats du droit, mais tous savent que les marges de manœuvre existent en la matière…
Ainsi, la nouvelle base légale ne suffira certainement pas à ne plus exposer la méthodologie au risque d’inapplication, voire de l’annulation contentieuse. Comme l’exprimait le rapport de la Commission d'enquête sénatoriale Lafon, cette méthodologie devrait être « validée par arrêté des ministres chargés de l’Environnement et de la Eanté ». Et par ailleurs, des dispositions règlementaires du Code de l’environnement pourraient renvoyer à cette méthodologie nationale de gestion la définition des « méthodes de diagnostic, de prévention, de traitement ou de réduction de la pollution des sols applicables respectivement aux différentes catégories d’installations classées » et la « typologie des « mesures de gestion de la pollution à mettre en place pour assurer la compatibilité entre l’état des sols et l’usage futur du site ».
En fait, ce qui se joue ici en filigrane pour la Direction générale de la prévention des risques et les ingénieurs des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement qui persistent à vouloir définir seuls les niveaux de pollution résiduels acceptables [9], c’est le risque d’une participation du public à l’élaboration de ce droit, certes éminemment technique, mais qui intéresse tout autant qu’il inquiète le riverain du site et sol pollué… quand il n’en est pas carrément l’habitant (par exemple, encore aujourd’hui en bassin minier et particulièrement sur les 650 hectares autour de l’ancienne usine de Métaleurop à Noyelles-Godault).
Car, bien évidemment, le jour où la méthodologie des sites et sols polluées aura une portée réglementaire elle ne pourra échapper à la consultation du public exigée par le Code de l’environnement à son article L. 123-19-1 (N° Lexbase : L8061K9G) et le Conseil constitutionnel [10].
Et cela nous amène à aborder le second apport de la légalisation de la politique de prévention des sites et sols pollués : l’énoncé par le législateur des « principes » auxquels cette politique doit se « conformer ».
II. Un droit des sites et sols pollués dotés de principes législatifs
D’emblée, on aura compris que le législateur ne s’est pas risqué à soumettre la nouvelle politique des sites et sols pollués au principe de participation. Était-ce surabondant ? Certainement pas et c’est tellement vrai que la première recommandation de la commission d'enquête sénatoriale Lafon demeure la suivante : « Consacrer en droit français un véritable droit à l’information du public sur les pollutions avérées ou suspectées des sites et sols et leurs effets sur la santé et l’environnement et prévoir la publication par Santé publique France des études épidémiologiques réalisées ».
Ainsi, la procédure de remise en état de l’installation classée soumise à autorisation environnementale, même si elle implique un plan de gestion n’est soumise à aucune information du public et les mesures préfectorales prises sans aucune participation du public.
L’incompétence négative du législateur au regard des principes de l’article 7 de la Charte de l’environnement (N° Lexbase : L8859IUN) est criante…
Après les silences fâcheux, gageons que les principes ainsi consacrés sont hérités de la méthodologie des sites et sols pollués purement simplement légalisés par le nouvel article L. 214-1 :
« 1° La prévention et la remédiation des pollutions et la gestion des risques associés ;
2° La spécificité et la proportionnalité, impliquant une appréciation au cas par cas de la situation de chaque site ;
3° L'évaluation du risque fondée sur les usages du site, la connaissance des sources, vecteurs et cibles d'exposition et le respect de valeurs de gestion conformes aux objectifs nationaux de santé publique ».
Encore qu’il faille s’arrêter peut-être sur la consécration d’une politique publique qui n’aurait pas simplement pour objet de prévenir mais aussi de « remédier » aux pollutions effectives.
En effet, c’est bien l’État qui est débiteur de l’obligation de prévenir, au moyen de la police des sites et des sols pollués et de celle des ICPE, la pollution du sol.
Or, en imposant à celui-ci la remédiation on peut se demander si le législateur ne fonde pas encore un peu plus en droit la nouvelle obligation que le Conseil d’État a imposé à l'administration en présence de sites orphelins.
Dans un arrêt « Commune de Marennes » du 13 novembre 2019 [11], la Haute juridiction a estimé que :
« L’État peut, sans y être tenu, financer lui-même, avec le concours éventuel des collectivités territoriales, des opérations de dépollution au regard de l’usage pris en compte, dont il confie la réalisation à l’Ademe ou à un autre établissement public compétent ; mais qu’il a l’obligation de décontaminer lorsque la pollution d’un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l’environnement, en faisant usage de ses pouvoirs de police ».
C’est encore le dernier alinéa de l’article L. 214-1 du Code de l’environnement qui doit retenir l’attention.
En effet, si la police des sites et sols pollués instituée par la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY) a, après la jurisprudence, établi une hiérarchie des débiteurs de l’obligation de la remise en état, ce dernier alinéa de la disposition fixe les critères qui permettent de finaliser le contenu de l’obligation :
« La prévention et la remédiation de la pollution des sols comprennent des mesures destinées à atténuer les effets des processus de dégradation des sols, à mettre en sécurité des sites dont les sols présentent, en surface ou dans le substratum rocheux, des substances dangereuses et à remettre en état et assainir les sols dégradés de manière à leur restituer un niveau de fonctionnalité au moins compatible avec les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 (N° Lexbase : L6525L7S), au regard de leur utilisation effective et de leur utilisation future autorisée. Ces mesures tiennent compte de l'impact d'une exploitation humaine des sols sur la libération et la diffusion dans l'environnement de substances dangereuses présentes naturellement dans ces sols ».
[1] Sénat, session extraordinaire de 2019-2020, rapport n° 700 remis au Président du Sénat le 8 septembre 2020.
[2] Circulaire DPPR/SEI/BPSE/DE n° 99-408 du 9 juin 1999, relative aux inventaires historiques des sites industriels anciens.
[3] NOR : DEVP0700228C : BO min. Écologie n° 2007/15, 15 août 2007.
[4] NOR : DEVP0700228C : BO MEDAD n° 2007/13, 15 juill. 2007.
[5] NOR : DEVUP0700003C.
[6] NOR : DEVP1022286C : BO MEDDTL n° 2011/14, 10 août 2011.
[7] NOR DEVP1708766N : BO MEEM n°2017/8 du 10 mai 2017.
[8] TA Strasbourg, 18 mars 2005, n° 0203332 : annulation de la circulaire n° 02-437 du 2 juillet 2002.
[9] Cf. P. Lascoumes, L’éco-pouvoir, La découverte, 1995.
[10] Cons. const., décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 (N° Lexbase : A7387HYA).
[11] CE, n° 416860 (N° Lexbase : A4588ZYL), AJDA, 2019, p. 2339, Dr. env., 2020, p. 20, concl. L. Dutheillet de Lamothe, Dr. env., p. 27, obs. D. Deharbe.
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