Lexbase Social n°877 du 16 septembre 2021 : Santé et sécurité au travail

[Textes] Pour des services de santé au travail aux missions élargies, axées vers la prévention, et une meilleure coopération avec la santé publique : les SPST auront-ils les moyens de relever ce défi ?

Réf. : Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B)

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N8721BYN

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[Textes] Pour des services de santé au travail aux missions élargies, axées vers la prévention, et une meilleure coopération avec la santé publique : les SPST auront-ils les moyens de relever ce défi ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72233353-textespourdesservicesdesanteautravailauxmissionselargiesaxeesverslapreventionetunem
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par Solenne Moulinet, Avocat, cabinet BRL Avocats

le 14 Septembre 2021

 


Mots clés : loi « santé » • médecin du travail • médecin traitant• prévention des risques • service de santé au travail

Cet article est issu du dossier spécial consacré à la loi « santé au travail », publié le 16 septembre 2021 dans la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8719BYL).


Promulguée au cœur de l’été, la loi pour renforcer la prévention de la santé au travail, qui transpose l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020, ambitionne de placer la prévention au cœur de la politique de santé au travail.

L'objectif de cette loi, qui préconise notamment une réorganisation des services de santé au travail, est de rénover l'ensemble du système de prévention afin de favoriser la mise en œuvre d'une politique plus efficace et plus lisible de prévention des risques professionnels touchant l'ensemble des entreprises en particulier les plus petites d'entre elles.

Dans cette perspective, la loi dessine une évolution profonde des services de santé au travail, rebaptisés services de santé et de prévention au travail qui voient le nombre de leurs missions s’accroître et se restructurer, et leur gouvernance se rénover.

Confrontés depuis de nombreuses années à une crise des vocations chez les médecins du travail, les nouveaux SPST auront-ils les moyens de relever ce challenge ?

I. Un changement de nom symbolique et révélateur des nouvelles priorités des services de santé au travail

En application des dispositions de l’ANI du 9 décembre 2020, l’article 1er de la loi rebaptise les services de santé au travail, qu’ils soient autonomes, ou interentreprises, « services de santé et de prévention au travail ».

L’ajout du terme « prévention » dans la dénomination des services de santé au travail illustre la volonté des partenaires sociaux et du législateur, de mettre la « prévention primaire » au cœur de la mission des services de santé au travail.

Ce changement de nom interviendra à compter du 31 mars 2022.

II. Une offre de services renouvelée et restructurée

De manière plus concrète, et partant du constat que les prestations actuellement fournies par les services de santé au travail sont hétérogènes quantitativement comme qualitativement, la loi prévoit que les missions de ces SPST seront revues et structurées dans le cadre d’un « ensemble socle de services », pouvant être complété d’une « offre de services complémentaires ».

Cet ensemble « socle de services » doit couvrir l’intégralité des missions prévues en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel des travailleurs, et de prévention de la désinsertion professionnelle, un décret devant en préciser la liste et les modalités, qui seront préalablement définies par le comité national de prévention et de santé au travail [1].

L’ANI prévoit, au titre des missions de prévention primaire : la mise à jour régulière de la fiche d’entreprise, la réalisation d’études et d’actions en prévention primaire, les conseils aux entreprises, notamment pour la rédaction du DUERP et du plan d’action en résultant.

Les missions des SPSCT sont donc significativement étendues, avec :

  • l’aide aux entreprises, de manière pluridisciplinaire, pour l’évaluation et la prévention des risques professionnels ;
  • l’accompagnement des employeurs, des travailleurs, et de leurs représentants dans l’analyse de l’impact sur les conditions de santé et de sécurité des travailleurs de changements organisationnels importants dans l’entreprise ;
  • la participation à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage, des actions de sensibilisation aux bénéfices de la pratique sportive et des actions d’information et de sensibilisation aux situations de handicap au travail dans le cadre de la stratégie nationale de santé [2].

En parallèle, les rapporteurs de la loi soulignent le contexte de véritable crise démographique des médecins du travail, en révélant que la population des médecins du travail avait diminué de 10 % entre 2010 et 2016, et que 50 % de cette population doit partir à la retraite [3]. Sur ce point, les rapports s’accumulent sans pour autant trouver la solution permettant de résoudre cette épineuse question.

Les employeurs sont en effet nombreux à constater que les médecins du travail peinent à assurer le suivi individuel des salariés. Dans certaines régions, comme la Réunion, on ne compte actuellement que deux SST pour près d’un million d’habitants. C’est d’ailleurs dans ce contexte que le législateur a allégé le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs, en allongeant la périodicité des visites médicales d’aptitude.

Dans ce contexte, on peut se demander comment les SPST pourront absorber ces missions nouvelles.

Le problème d’attractivité de la profession de médecin du travail ne sera probablement pas résolu en leur permettant de prescrire, à titre d’expérimentation, des arrêts de travail [4], ou en leur donnant un rôle assez flou, d’alerte auprès du médecin traitant.

La loi prévoit en effet que, à titre expérimental et pour cinq ans, l’État pourra, par dérogation et dans trois régions volontaires, autoriser les médecins du travail à prescrire et, le cas échéant, renouveler un arrêt de travail, prescrire des soins, examens ou produits de santé strictement nécessaires à la prévention de l’altération de la santé du travailleur du fait de son travail ou à la promotion d’un état de santé compatible avec son maintien en emploi. Un décret devra prévoir les modalités de cette expérimentation.

On peut légitimement craindre les effets d’un tel brouillage de lignes entre médecin traitant et médecin du travail. Quel type d’arrêts de travail les médecins du travail seront-ils autorisés à prescrire ? Cela concernera-t-il des certificats médicaux initiaux d’accidents du travail ?

III. Agrément et certification des SPST

Conformément aux prévisions de l’ANI, les services de prévention et de santé au travail feront l’objet d’une procédure d’agrément par l’autorité administrative (ce qui est déjà le cas), doublée, dans le cas des SPSTI, d’une procédure de certification [5]. Cette procédure, réalisée par un organisme indépendant accrédité, visera à porter une appréciation sur le service à l’aide de référentiels et sur, notamment, la qualité et l’effectivité des services rendus dans le cadre de  l’offre socle de services, l’organisation et la continuité du service, la gestion financière, la tarification et son évolution.

La démarche de certification a notamment pour objet de « s’assurer que les petites entreprises sont correctement prises en charge par les SPSTI et à réduire le sentiment d’insatisfaction actuel d’une part importante des entreprises adhérant à un SPSTI » [6].

En cas de dysfonctionnement grave du service de SPSTI, une procédure d’injonction est prévue par la loi, incluant des mesures de réorganisation, mesures individuelles conservatoires, voire la mise en place d’une administration provisoire.

IV. Tarification des SPSTI

Le financement des services de santé au travail représente la somme d’1,5 milliard d’euros [7] par an à la charge des entreprises adhérentes, lesquelles sont assez critiques sur le système actuel de tarification des SST, très hérérogène. En effet, le rapport parlementaire note que les SSTI pratiquent des coûts moyens variant de 70 à 160 euros par an et par salarié, ces écarts paraissant peu justifiables. De fait, les retours des entreprises adhérentes aux questionnaires envoyés par la mission de l’IGAS de 2020 montrent que, pour l’ensemble des SSTI, 54 % des entreprises ayant répondu estiment que le montant des cotisations n’est pas justifié au regard des services rendus, ce taux variant entre 39 % et 70 % selon les SSTI concernés [8].

La démarche des signataires de l’ANI et du législateur est donc de prévoir une tarification cohérente avec l’offre de services des SPSTI, et plus transparente vis-à-vis des entreprises adhérentes.

Concernant les SPSTI, l’offre socle de services sera ainsi financée par une cotisation proportionnelle au nombre de travailleurs suivis comptant chacun pour une unité [9]. La loi prévoit aussi que le montant des cotisations et la grille tarifaire sont approuvés par l’assemblée générale du SPSTI, permettant ainsi aux entreprises adhérentes assistant aux assemblées générales de participer au débat sur les modalités de tarification du SPSTI.

V. Décloisonnement entre santé publique et santé au travail

Prenant acte de la césure historique entre santé publique et santé au travail, qui se sont développées séparément et parallèlement, la loi donne au médecin du travail un accès au dossier médical partagé, lui donnant la possibilité de le consulter et de l’alimenter [10].

La loi prévoit cependant le recueil du consentement exprès du travailleur concerné, qui doit également être préalablement informé des possibilités de restreindre l’accès au contenu de son dossier. Cette disposition a pour vocation de reconnecter la médecine de ville et la médecine du travail, conformément aux orientations de la stratégie nationale de santé 2018-2022.

Toutefois, comme le rappellent les rapporteurs de la proposition de loi, le dossier médical partagé ne concerne actuellement que 9,3 millions de patients, l’objectif étant de le généraliser avec pour cible 40 millions de DMP ouverts à fin 2022.

Réciproquement, la loi prévoit que le dossier médical en santé au travail puisse être consulté par les professionnels de santé participant à la prise en charge du travailleur, c’est-à-dire, principalement, par le médecin traitant.

Enfin, l’accès de l’employeur aux données du DMP reste strictement interdit par la loi : en cas de litige sur les avis, propositions, conclusions écrites, ou indications émises par le médecin du travail, l’article L. 4624-7 du Code du travail (N° Lexbase : L1790LRQ) prévoit que les éléments médicaux ayant fondé la décision du médecin du travail peuvent être notifiés au médecin désigné par l’employeur, à l’exception des données recueillies dans le dossier médical partagé, qui reste donc exclu du champ de connaissance de l’employeur et ce, même si les données du dossier médical partagé ont servi de fondement à l’avis du médecin du travail.

Même si, depuis le 1er janvier 2018, l'employeur peut avoir accès à certains éléments médicaux par l'intermédiaire du médecin qu'il désigne, on peut ici s'interroger sur le respect du principe du contradictoire et des droits de l'employeur, qui, dans un tel cas, pourra avoir un accès seulement partiel aux éléments motivant la position du médecin du travail.

*

Les objectifs de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail obéissent à une préoccupation légitime : donner aux services de prévention et de santé au travail des missions claires et orientées vers la prévention des risques.

Une meilleure communication des informations entre médecin du travail et médecin traitant va également dans le bon sens, pour une meilleure cohérence du suivi des travailleurs. Toutefois, l’employeur, qui a légitimement le droit de comprendre les raisons motivant les avis et préconisations du médecin du travail, n’aura potentiellement qu’un accès partiel et restreint à ces motivations.

Enfin, la loi pose aux SPST des objectifs ambitieux qui ne pourront être pleinement remplis qu’en résolvant le problème persistant du manque d’attractivité de la profession de médecin du travail et de pénurie de personnel.


[1] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 11.

[2] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 7.

[3] Rapport n° 3881 de Mmes Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail (p. 43) [en ligne].

[4] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 32.

[5] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 11.

[6] Rapport n° 3881 de Mmes Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail (p. 80) [en ligne].

[7] Accord national interprofessionnel du 9 décembre, pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail.

[8] D. Chaumel, B. Maurice, J.-Ph. Vinquant (membres de l’Inspection générale des affaires sociales), Évaluation des services de santé au travail interentreprises (SSTI), février 2020 [en ligne], cité dans le Rapport n° 3881 de Mmes Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, préc..

[9] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 13.

[10] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail, art. 15.

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