Lexbase Social n°877 du 16 septembre 2021 : Santé et sécurité au travail

[Textes] Une démarche renforcée d’évaluation et de prévention des risques professionnels comme pierre angulaire d’une modernisation du document unique d’évaluation des risques

Réf. : Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B)

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N8720BYM

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[Textes] Une démarche renforcée d’évaluation et de prévention des risques professionnels comme pierre angulaire d’une modernisation du document unique d’évaluation des risques. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72233346-textesunedemarcherenforceedevaluationetdepreventiondesrisquesprofessionnelscommepierrea
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par Thomas Humbert, Avocat associé, cabinet BRL Avocats

le 15 Septembre 2021

 


Mots clés : loi « santé » • DUERP • évaluation des risques • prévention des risques • CSE • harcèlement sexuel

Cet article est issu du dossier spécial consacré à la loi « santé au travail », publié le 16 septembre 2021 dans la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8719BYL).


Plusieurs mois de débats parlementaires et une commission mixte paritaire auront été nécessaires pour trouver un accord sur les dispositions de la loi « santé » visant à renforcer la prévention en santé au travail, qui transcrit, à quelques exceptions et aménagements près, l’accord interprofessionnel du 9 décembre 2020.

Le texte retenu par la commission mixte paritaire a été discuté et voté au Sénat le 20 juillet 2021 et a été adopté par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2021. Promulguée le 2 août 2021, la loi a été publiée au Journal officiel le 3 août 2021 [1]. Les différentes dispositions de cette loi entreront en vigueur le 31 mars 2022, sauf mention spécifique d’une autre date.

Ce texte a pour ambition de moderniser le système de santé au travail existant en mettant notamment l’accent sur la prévention avec pour ambition de faire évoluer les pratiques des employeurs vers une culture de la « prévention primaire », en replaçant au cœur du dispositif l’élaboration et la mise à jour régulière du document unique d’évaluation des risques professionnels (« DUERP »).

Les sénateurs ont opéré une distinction entre les entreprises de plus ou moins 50 salariés pour la mise en œuvre de certaines obligations. L’enjeu est de savoir si ce nouveau texte, qui va encore alourdir les obligations administratives à la charge des employeurs ainsi que le formalisme des politiques de prévention en entreprise, sera à la hauteur des ambitions affichées dans le contexte économique actuel difficile couplé à une pénurie importante des professionnels de santé.

En préambule de l’analyse de ces nouvelles mesures, on relèvera que la loi réorganise la gouvernance de la santé au travail en renforçant le pilotage national au travers d’un comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), aux compétences étendues, est institué au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT). Ce comité national sera également épaulé par des comités régionaux de prévention et de santé au travail (CRPST).

Un dernier article, issu de la commission mixte paritaire, prévoit également les conditions de la fusion des agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) avec l'Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). Un décret doit intervenir avant 2023.

I. La mise à jour de la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail

Le législateur a profité de l’adoption de ce texte pour mettre à jour la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail en l’harmonisant avec celle du Code pénal. Cette définition est centrée sur les faits subis par la victime et non sur l’intention de l’agresseur.

Ainsi, l’article 1 de la loi met à jour l’article L. 1153-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8840ITL) afin de tenir compte des apports de la loi du 3 août 2018 [2]. Il précise que les propos ou comportements à connotation sexiste peuvent également caractériser des faits de harcèlement sexuel.

Toutefois, comme indiqué précédemment, l’apport principal de la nouvelle définition est qu’elle ne retient pas d’élément intentionnel pour constituer le harcèlement. Les propos ou comportements n’ont pas à être « imposés » à la victime, cette dernière doit seulement les avoir « subis ».

Dès lors, comme en matière de faute inexcusable devant les juridictions de Sécurité sociale, les juridictions prud’homales ne seront pas liées par les décisions rendues par le juge pénal. Le caractère non intentionnel de l’infraction permettra au juge prud’homal de constater le harcèlement sexuel même en cas de relaxe au pénal.

II. Un renforcement de la prévention des risques par le biais d’une modernisation du DUERP

Notre système de santé au travail s’est initialement construit sur la « réparation/sanction » plutôt que sur la « prévention » des risques professionnels.

Selon la dernière enquête du ministère du Travail, seuls 45 % des employeurs interrogés ont élaboré (ou réactualisé) un document unique d’évaluation des risques professionnels (« DUERP ») au cours des douze mois précédant l’enquête [3], et ce, en violation des dispositions légales applicables.

Une première avancée notable s’est dessinée à l’occasion de la création du dispositif de pénibilité au travail dans le cadre de la réforme des retraites. En effet, à cette occasion, le législateur a fait expressément référence aux situations d’exposition à des facteurs de risques professionnels « au-delà de certains seuils, appréciés après application des mesures de protection collective et individuelle » [4].

De facto, la prévention a alors commencé à supplanter la réparation dans la mesure où le législateur a privilégié la mise en œuvre de moyens efficaces de protection permettant aux employeurs vertueux d’échapper aux sanctions attachées au dispositif de réparation de la pénibilité ; seule l’exposition résiduelle étant concernée.

La loi santé vient confirmer cette approche préventive demandée aux employeurs en imposant des actions de prévention intégrées dans un DUERP modernisé.

A. Un DUERP modernisé et régulièrement actualisé au cœur de la politique de prévention

Les contours actuels du DUERP sont modifiés par la création d’un nouvel article L. 4321-3-1 du Code du travail qui prévoit notamment que :

« I.- Le document unique d'évaluation des risques professionnels répertorie l'ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions.

II.- L'employeur transcrit et met à jour dans le document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3. »

Le législateur réaffirme donc l’obligation pour les employeurs de mettre en place un DUERP et surtout de l’actualiser régulièrement en conservant les différentes versions au fil du temps. Pour mémoire, l’absence d’élaboration ou de mise à jour de DUERP est pénalement sanctionnée [5].

B. Distinction des actions à mettre en œuvre entre les entreprises de plus ou moins 50 salariés

Le nouvel article L.4121-3-1, III distingue les actions à mettre en œuvre en fonction de l’effectif de l’entreprise avec un seuil fixé à 50 salariés.

Les entreprises de 50 salariés et plus doivent établir un programme annuel de prévention des risques détaillé qui :

  • fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l'année à venir, qui comprennent les mesures de prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels ainsi que, pour chaque mesure, ses conditions d'exécution, des indicateurs de résultat et l'estimation de son coût ;
  • identifie les ressources de l'entreprise pouvant être mobilisées ;
  • comprend un calendrier de mise en œuvre.

Afin d’éviter un formalisme trop grand qui aurait nui à l’effectivité de la mesure, les entreprises de moins de 50 salariés devront uniquement consigner dans le DUERP une liste des actions de prévention.

Toutefois, il est illusoire de penser que les PME de 50 salariés et plus absorberont sans difficulté l’élaboration d’un programme annuel de prévention des risques professionnels avec un tel niveau de détails (indicateurs de résultat et estimation des coûts) accompagné d’un calendrier de mise en œuvre.

C. Un DUERP dématérialisé conservé pendant 40 ans

Le législateur a prévu la création d’un portail numérique sur lequel le DUERP ainsi que ses mises à jour, feront l’objet d’un dépôt dématérialisé (administré par un organisme géré par les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel). La confidentialité des données est bien évidemment respectée.

Cette obligation de dépôt dématérialisé sera applicable à compter du 1er juillet 2023 pour les entreprises d'au moins 150 salariés, et au 1er juillet 2024 pour toutes les autres entreprises.

Le paragraphe V de l’article L. 4121-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4414L7M) prévoit que l’accès à ces documents sera facilité pour les travailleurs, anciens comme actuels et les personnes ou instances qui ont un intérêt à y avoir accès. Les modalités de conservation et de mise à disposition du document ainsi que la liste des personnes et instances sont fixées par décret en Conseil d'État (à paraître).

Cette disposition impose aux employeurs de veiller à la plus grande vigilance dans la rédaction de leur DUERP qui ne manquera pas d’être utilisé par les salariés ou leurs représentants, notamment dans les procédures en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur ou devant les juridictions prud’homales pour caractériser un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. À travers cette disposition, la charge de la preuve d’un éventuel manquement à une obligation de sécurité de l’employeur sera donc facilitée pour les salariés.

Il convient, en outre, de relever que le défaut d’élaboration et/ou de mise à jour du DUERP est constitutif en soi d’une infraction pénale et qu’il n’est donc pas à exclure que les inspections du travail utilisent également ce portail numérique afin de recueillir des éléments de preuve.

Cela d’autant plus que la durée de conservation du DUERP par l’employeur ne peut être inférieure à quarante ans.

III. Une contribution renforcée du CSE (CSSCT) à l’élaboration du DUERP

L’ambition du législateur est de recentrer le document unique sur son objectif principal, l’évaluation des risques, et de faire en sorte que toutes les entreprises se l’approprient pleinement, quelle que soit leur taille notamment par le biais des représentants du personnel. En effet, si l’évaluation des risques transcrite dans le DUERP relève toujours de la responsabilité de l’employeur, la loi acte désormais que le CSE « est consulté sur le DUERP et sur ses mises à jour ».

Il apparait évident que la crise sanitaire a placé au cœur des préoccupations la gestion des risques professionnels et donc leur évaluation, leur retranscription dans le DUERP et les mesures à mettre en œuvre (en respectant les recommandations des pouvoirs publics). Cette épidémie de Covid-19 a été un catalyseur vers une amplification du rôle du CSE dans la démarche d'actualisation des risques et de consultation sur la mise à jour du document unique.

L’esprit de la loi rejoint ainsi les compétences attachées au CSE et à la CSSCT telles que définies dans le Code du travail et conforte ainsi la position de plusieurs magistrats qui s’est illustrée dans plusieurs décisions récentes [6]. Dans une affaire très médiatisée concernant la société Amazon, la cour d’appel de Versailles a jugé qu’il appartenait à l’employeur de « consulter le CSE central dans le cadre de l’évaluation des risques - comprenant la modification du DUER -, puis la mise en œuvre des mesures appropriées, sans pour autant ignorer les CSE d’établissements lesquels, dans le cadre de cette démarche d’évaluation, devaient être consultés et associés en leur qualité de représentants des salariés, étant rappelé que le comité social et économique a pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail » [7].

Toutefois, si cette volonté du législateur d’une « co-construction » de l’évaluation des risques est louable, en pratique cela risque bien d’engendrer un formalisme et une lourdeur administrative pour les employeurs… et de créer d’éventuelles divergences d’appréciation avec les représentants du personnel.

La loi précise enfin qu’à compter de son entrée en vigueur, le 31 mars 2022, tous les membres du CSE bénéficient de cinq jours de formation santé, sécurité et conditions de travail [8]. En cas de renouvellement de leur mandat, ils ont droit à trois jours supplémentaires de formation, avec une bonification à cinq jours pour les membres de la CSSCT. Le financement de cette formation est pris en charge par l’employeur.

*

Le recul de ces vingt dernières années sur la gestion des risques professionnels en entreprise conduit à se féliciter d’une telle modernisation du système de santé par le législateur centré sur la prévention des risques au lieu et place d’une réparation / sanction.

Les données statistiques et l’analyse des causes liées à la survenance de sinistres professionnels illustrent parfaitement la nécessité de développer et d’amplifier une culture de prévention des risques en entreprise.

Toutefois, l’adoption de ces nouvelles dispositions engendra une augmentation du formalisme déjà « asphyxiant » à la charge des employeurs. Ceux-ci devront désormais « coconstruire » leur évaluation des risques et leur DUERP avec les représentants du personnel ce qui risque d’engendrer des divergences d’appréciation. Sans compter les risques juridiques induits par la mise à disposition de ces documents aux salariés (et anciens salariés), pendant une durée minimum de quarante ans, au moyen d’un portail numérique et leur utilisation dans différents types de contentieux...


[1] Loi n° 2021-1018, du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail (N° Lexbase : L4000L7B).

[2] Loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (N° Lexbase : L6141LLZ).

[3] DARES, La prévention des risques professionnels en 2016, juin 2019, n° 029 [en ligne].

[4] Réforme sur les retraites issue de la loi n° 2014-40, du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (N° Lexbase : L2496IZH), modifiée par la loi n° 2015-994, du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite loi « Rebsamen » (C. trav., art. L. 4161-1 N° Lexbase : L8033LGM).

[5] C. trav., art. R. 4741-1 (N° Lexbase : L3068IAU) : contraventions de cinquième classe, soit 1 500 euros d’amende pour une personne physique et quintuplée pour la personne morale. Ces peines sont doublées en cas de récidive.

[6] Jurisprudence « covidienne » rendue en avril et mai 2020 (TJ Lille, ord. réf., 24 avril 2020, n° 20/00395 N° Lexbase : A32283L7 ; TJ Le Havre, ord. réf., 7 mai 2020, n° 20/00143 N° Lexbase : A32313LA ; TJ Lyon, ord. réf., 11 mai 2020, n° 20/00593 N° Lexbase : A63163LI) et les questions/réponses du ministère du Travail publiées sur son site internet.

[7] CA Versailles, 24 avril 2020, n° 20/01993 (N° Lexbase : A99883K7).

[8] C. trav., art. L. 2315-18 (N° Lexbase : L0336LME).

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