La lettre juridique n°876 du 9 septembre 2021 : Marchés publics

[Textes] La modification du régime juridique des accords-cadres : fin des commandes illimitées et des précisions à fournir aux candidats sur les quantités et/ou les valeurs estimées

Réf. : Décret n° 2021-1111 du 23 août 2021, modifiant les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité (N° Lexbase : L6131L79) ; CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, Simonsen & Weel A/S (N° Lexbase : A76564WH)

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[Textes] La modification du régime juridique des accords-cadres : fin des commandes illimitées et des précisions à fournir aux candidats sur les quantités et/ou les valeurs estimées. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72182294-texteslamodificationduregimejuridiquedesaccordscadresfindescommandesillimiteesetdespre
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par Thomas Gaspar, Avocat associé, Selas Charrel & Associés, Chargé d’enseignement à la faculté de droit de l’Université de Montpellier

le 09 Septembre 2021

 


Mots clés : accords-cadres • montant estimé • montant maximum

La CJUE a confirmé l’obligation pour les acheteurs d’avoir à indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur estimée des fournitures, services ou travaux à fournir en vertu d’un accord-cadre et affirmé l’obligation pour ces mêmes acheteurs d’en indiquer également la quantité et/ou la valeur maximale, obligeant le pouvoir réglementaire français à en tirer les conséquences.


 

Dans un arrêt du 17 juin 2021 [1], la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue encadrer, à plusieurs égards, le régime juridique des accords-cadres, en dépit pourtant de certaines dispositions de la Directive européenne 2014/24/UE du 26 février 2014 [2] qui avaient elles-mêmes été la source d’une refonte du régime des accords-cadres au sein de l’ordonnance du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS) et son décret d’application n° 2016-360 du 25 mars 2016, relatifs aux marchés publics (N° Lexbase : L3006K7H) [3].

Sous l’égide du principe d’égalité de traitement et de transparence des procédures, principes fondamentaux de la commande publique, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel des tribunaux danois, a confirmé d’une part, l’obligation pour les acheteurs d’avoir à indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur estimée des fournitures, services ou travaux à fournir en vertu d’un accord-cadre, laquelle émergeait déjà en jurisprudence nationale [4], et a affirmé d’autre part, l’obligation pour ces mêmes acheteurs d’en indiquer également la quantité et/ou la valeur maximale (I).

Ce faisant, et dès lors qu’une telle position remet en partie en cause le régime juridique de l’accord-cadre prévu par le Code de la commande publique, un décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 (N° Lexbase : L6131L79) est venu en tirer les conséquences en modifiant notamment les articles R. 2121-8 (N° Lexbase : L6369L7Z) et R. 2162-4 (N° Lexbase : L6370L73) du Code de la commande publique (II).

I. Les apports de l’arrêt « Simonsen & Weel A/S » sur les accords-cadres

Avant de revenir sur les apports et conséquences de l’arrêt « Simonsen & Weel A/S » (A), il est nécessaire de refaire un tour d’horizon pour comprendre très précisément ce qu’est l’accord-cadre et comment il s’utilise depuis l’ordonnance et le décret « marchés publics » entrés en vigueur le 1er avril 2016 (B).

A. L’accord-cadre et ses conditions d’utilisation depuis le 1er avril 2016

Historiquement, et presque dans un temps déjà loin, l’accord-cadre au sens littéral du terme était défini par l’article 1er du Code des marchés publics comme « le contrat conclu entre un des pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, ayant pour objet d'établir les termes régissant les marchés à passer au cours d'une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées ».

Son régime juridique et ses conditions d’utilisation étaient quant à eux définis au sein de l’article 76 rappelant la faculté de prévoir un minimum et/ou maximum en valeur et en quantité, précisant les modalités de conclusions des marchés passés sur son fondement en fonction du nombre d’opérateurs économiques titulaires, et encadrant sa durée à quatre ans maximum « sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur objet, ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure à quatre ans ».

L’exécution des marchés subséquents pouvant quant à elle se prolonger au-delà de cette durée sous réserve de ne pas méconnaître « l'obligation d'une remise en concurrence périodique des opérateurs économiques ».

Coexistaient à ses côtés les marchés à bons de commande définis par l’article 77 du Code des marchés publics comme les « marchés conclus avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécutés au fur et à mesure de l'émission de bons de commande », que le Conseil d’État avait d’ailleurs rapidement requalifiés en affirmant qu’ils devaient « être regardés comme des accords-cadres au sens de la Directive » et plus largement du droit européen [5].

La Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, que nous avons transposée avec l’ordonnance et le décret « marchés publics » entrés en vigueur le 1er avril 2016, a en conséquence remis à plat le régime des accords-cadres [6], pour « en clarifier certains aspects », en affichant la volonté « d’octroyer davantage de souplesse aux pouvoirs adjudicateurs passant un marché en vertu d’un accord-cadre qui est conclu avec plusieurs opérateurs économiques et définit toutes les conditions » [7].

Le marché à bon de commande a donc disparu, pour ne laisser place qu’à l’accord-cadre, lui-même pouvant être exécuté soit par l’émission de bons de commande, soit par la conclusion de marchés subséquents, soit par un « mixte » des deux « à condition que l'acheteur identifie les prestations qui relèvent des différentes parties de l'accord-cadre » [8].

Le Code de la commande publique définit ainsi aujourd’hui trois types d’accords-cadres :

- l’accord-cadre qui « ne fixe pas toutes les stipulations contractuelles » ab initio et qui donnera lieu à la conclusion de marchés subséquents. Le but des marchés subséquents étant justement de venir définir les conditions d’exécution technique, administrative et financière de la prestation à exécuter ;

- l’accord-cadre qui « fixe toutes les stipulations contractuelles » ab initio, en l’occurrence les conditions techniques, administratives et financières propres à l’exécution des prestations objet de l’accord-cadre, et qui donnera lieu à l’émission de « simple » bons de commande ;

- l’accord-cadre mixte, dont une partie « ne fixe pas toutes les stipulations contractuelles » et devra être exécuté par la conclusion de marchés subséquents, et dont une autre partie bien définie « fixe toutes les stipulations contractuelles » et pourra être exécutée par l’émission de bon de commande.

Au-delà de leur mode d’exécution, les accords-cadres présentent des caractéristiques communes au nombre desquelles figurent, outre la possibilité d’être conclus avec un ou plusieurs opérateurs économiques, celle de pouvoir être conclu « 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; 3° Soit sans minimum ni maximum » [9].

Cette grande flexibilité laissée aux acheteurs de pouvoir borner, ou pas, en « plancher » ou en « plafond », la valeur ou les quantités de l’accord-cadre, correspondait à l’essence même de cette technique d’achat qui est un outil de planification (possibilité d’ajuster en cours de contrat la quantité et la fréquence des commandes en fonction des besoins), de simplification et d’accélération des commandes, et d’adaptation aux conditions du marché (possibilité de prendre en compte des conditions d’achat favorables pour les prix susceptibles de faire l’objet de variations importantes en cours d’exécution du contrat).

Concernant la fixation d’un minimum et/ou d’un maximum, le minimum présente l’avantage de pouvoir bénéficier d’économies d’échelle mais aussi l’inconvénient d’être engageant vis-à-vis du ou des titulaire(s) [10], là où le recours au maximum était principalement utilisé pour pouvoir recourir à la procédure adaptée voire, le cas échéant, à la procédure sans publicité ni mise en concurrence[11].

Si l’absence de fixation d’un maximum imposait à l’acheteur d’avoir recours à la procédure formalisée, il lui permettait de pouvoir commander, pendant la durée de l’accord-cadre, de manière quasi-illimitée les prestations objet de l’accord-cadre, et conséquemment de pouvoir faire face à des besoins exceptionnels et imprévisibles, sans craindre l’échéance du contrat en cas d’atteinte du maximum.

Une pratique, offrant de la souplesse aux acheteurs tout en étant encadrée par le régime des modifications de contrat, mais que la CJUE refuse de valider au visa des principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

B. La fin des commandes illimitées et l’information des candidats sur la valeur et/ou la quantité estimée des commandes prônées par la Cour de Justice de l’Union Européenne

Sans parler non plus de révolution dans les pratiques, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue mettre un coup de frein aux conditions d’utilisation des accords-cadres, en ce qui concerne notamment les quantités estimées et maximales.

La Cour de Justice était saisie sur renvoi préjudiciel des tribunaux danois, qui l’interrogeaient notamment sur le fait de savoir si « les principes d’égalité de traitement et de transparence (…) doivent-ils être interprétés en ce sens que l’avis de marché doit (…) contenir des informations sur la quantité estimée et/ou la valeur estimée des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre objet du marché [et] une quantité maximale et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre objet du marché, de sorte que l’accord-cadre en question aura épuisé ses effets lorsque cette limite sera atteinte ».

Elle fait tout d’abord un rappel exhaustif de l’état du droit européen, notamment des dispositions de la Directive 2014/24/UE relatives aux accords-cadres [12] et aux méthodes d’évaluation du besoin [13], et de celles du Règlement d’exécution (UE) 2015/1986 [14] et de la Directive 89/665/CEE [15].

Concernant la première interrogation relative à l’obligation d’indiquer un montant maximal en valeur ou en quantité, la Cour affirme sur cette base, consciente des règles européennes relatives aux accords-cadres, que « la seule interprétation littérale desdites dispositions n’est pas concluante aux fins de déterminer si un avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre » [16].

Pour en déduire que, si « certaines dispositions de la Directive 2014/24/UE, prises isolément, peuvent laisser entendre que le pouvoir adjudicateur dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre » [17], au visa des « principes d’égalité de traitement et de transparence », il ne « saurait être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre ».

Elle fonde son raisonnement sur l’article 5 la Directive qui précise que « pour les accords-cadres, la valeur à prendre en considération est la valeur maximale estimée hors TVA de l’ensemble des marchés publics envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre », qui l’avait d’ailleurs déjà conduit à juger que le pouvoir adjudicateur doit préciser le volume global dans lequel pourront s’inscrire les marchés subséquents [18], combiné au point 7 de la partie C de l’annexe V de la Directive 2014/24/UE et aux formulaires d’avis du Règlement 2015/1986 qui imposent au pouvoir adjudicateur d’indiquer dans l’avis la quantité ou la valeur des fournitures qui seront couvertes par l’accord-cadre pris dans sa globalité.

Le tout englobé par les principes fondamentaux d’égalités de traitement et de transparence qui impliquent « que toutes les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause » [19], la Cour estimant que l’indication de la quantité et/ou de la valeur estimée ainsi que la quantité et/ou la valeur maximale des produits à fournir « revêt une importance considérable pour un soumissionnaire, dès lors que c’est sur la base de cette estimation que celui-ci sera en mesure d’apprécier sa capacité à exécuter les obligations découlant de cet accord-cadre ».

Concernant la deuxième interrogation, relative cette fois-ci à l’obligation d’indiquer la quantité estimée et/ou la valeur estimée des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre, la Cour confirme cette obligation sur la base du même raisonnement.

Il résulte ainsi de cet arrêt une double obligation pour les acheteurs dans la préparation de leur accord-cadre :

- indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur estimée des produits/prestations à fournir en vertu de l’accord-cadre ;

- indiquer dans l’avis de marché la quantité et/ou la valeur maximale des produits/prestations à fournir en vertu de l’accord-cadre.

La première obligation était en réalité déjà connue en droit national puisque, même si le Code de la commande publique ne le précisait pas expressément dans ses dispositions relatives aux accords-cadres, le Conseil d’État avait récemment jugé que « doit figurer dans l'avis de marché, outre la « quantité ou étendue globale », une « estimation de la valeur totale des acquisitions pour l'ensemble de la durée de l'accord-cadre » [20].

Ce qui semble, au regard du principe de transparence, parfaitement logique dès lors qu’il est normal qu’un opérateur économique, souhaitant soumissionner à un accord-cadre qui ne comporte ni minimum ni maximum, puisse connaître les estimations de l’acheteur afin de savoir sur quoi il s’engage et, le cas échéant, avec qui, et sur la base de quelle offre.

Il en va d’ailleurs de l’appréciation des conditions de participation (i.e des capacités) qu’il appartient à l’acheteur d’indiquer et vérifier en application de l’article R. 2142-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L2501LR3), puisqu’il semble difficile de reprocher à un candidat un défaut de capacité technique, professionnelle ou financière, si l’acheteur ne lui a pas lui-même indiqué quel est le volume estimé des prestations sur la durée du contrat.

La deuxième l’était moins, et même n’existait pas, tantôt au visa du Code de la commande publique faisant – depuis toujours – de l’indication d’un maximum une simple faculté, tantôt au regard de la jurisprudence la plus récente du Conseil d’État estimant qu’il « résulte de ces dispositions que l'acheteur public n'est pas tenu de fixer un montant maximum pour l'accord-cadre qu'il entend conclure » [21].

L’absence d’obligation de fixer un maximum était une garantie de souplesse pour l’acheteur, préférant s’astreindre à une procédure formalisée plutôt que de plafonner son accord-cadre et risquer en cas d’évolution du besoin de se retrouver bloquer, et ce d’autant plus que, sur certains types de prestations, le maximum de commande sur 4 ans est parfois difficilement déterminable.

Elle était, à l’inverse, idéologiquement un peu problématique, non pas tant au visa de la transparence (dès lors que le candidat connaît l’estimation en valeur ou en quantité), mais plutôt au regard du principe posé à l’article R. 2162-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L3897LR4) qui prévoit que « les acheteurs ne peuvent recourir aux accords-cadres de manière abusive ou aux fins d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence », risquant au passage d’engendrer une utilisation du régime désormais assez favorable des modifications de contrat [22] pour y intégrer de nouvelles prestations, sans parallèlement n’être lié par aucun plafond, le seuil de 50 % - pour chaque modification – prévus par les articles R. 2194-2 (N° Lexbase : L3558LR9) et R. 2194-5 (N° Lexbase : L4268LRI) devenant au demeurant impossible à apprécier.

La CJUE le souligne d’ailleurs dans son arrêt en indiquant qu’une « interprétation extensive de l’obligation de définir la valeur ou la quantité maximale estimée couverte par l’accord-cadre serait également susceptible, d’une part, de priver d’effet utile la règle (…) selon laquelle les marchés fondés sur l’accord-cadre ne peuvent en aucun cas entraîner des modifications substantielles des termes fixés dans ledit accord-cadre, et, d’autre part, de caractériser une utilisation abusive ou une utilisation visant à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence, telle que visée au considérant 61 de ladite Directive ».

En conclusion, la solution apportée par la Cour, si elle constitue évidemment une limite dans la souplesse qu’offrait aux acheteurs le régime juridique d’utilisation de la technique d’achat qu’est l’accord-cadre, peut se justifier par les risques de dérives engendrés par l’absence d’indication d’un maximum, tantôt quant à l’utilisation abusive des accords-cadres, tantôt quant à la transparence des procédures et aux informations essentielles dont doivent nécessairement bénéficier les opérateurs économiques candidats.

II. Les conséquences engendrées par l’arrêt « Simonsen & Weel A/S » sur le droit national

Le législateur n’a pas tardé à tirer les conséquences de cet arrêt allant à l’encontre de règles existant de longue date dans notre droit de la commande publique, avec la publication du décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 (A). Bien qu’on en comprenne les raisons, son application différée au 1er janvier 2022 laisse planer quelques incertitudes juridiques (B).

A. Les modifications apportées au code de la commande publique par le décret du 23 août 2021

L’origine de ce décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 ne réside pas uniquement dans la survenance de l’arrêt « Simonsens », puisqu’il comporte un certain nombre d’autres modifications qui étaient d’ores et déjà prévues pour les marchés de la défense et de la sécurité.

Quoiqu’il en soit, ce décret comporte un article 2 au sein d’un chapitre intitulé « Dispositions relatives aux accords-cadres » qui modifie respectivement les articles R. 2121-8 [23] et R. 2162-4 [24] du Code de la commande publique.

Tout d’abord, le deuxième alinéa de l’article R. 2121-8 du Code qui prévoyait que « lorsque l'accord-cadre ne fixe pas de maximum, sa valeur estimée est réputée excéder les seuils de procédure formalisée » est supprimé.

Désormais, dès lors que la fixation d’un maximum est imposée, il n’y aura plus de procédure formalisée par défaut…de maximum. C’est le maximum indiqué qui, au-dessus ou en dessous des seuils de procédure formalisée, de publicité obligatoire, voire de procédure sans publicité ni mise en concurrence, déterminera la procédure applicable.

Ensuite, l’article R. 2162-4 est logiquement lui aussi modifié, avec la suppression du 3° qui permettait que l’accord-cadre soit conclu « soit sans minimum ni maximum », et le remplacement du 2° qui indiquait avant « soit avec seulement un minimum ou un maximum » pour préciser désormais « soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité ».

Aucune conséquence particulière n’est directement tirée de l’autre apport de l’arrêt relatif à l’indication de la valeur et/ou des quantités estimées à fournir pendant la durée de l’accord-cadre, certainement parce que ce principe résulte déjà d’autres dispositions du Code et a au demeurant déjà été rappelé par le Conseil d’État [25].

Désormais, l’absence d’indication d’un montant maximum par l’acheteur lors de la passation d’un accord-cadre constituera un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui pourra, accompagné de la violation du principe de transparence, engendrer l’annulation de la procédure si le candidat évincé démontre que cette absence d’indication du montant maximal a été de nature à le léser directement ou indirectement [26].

L’attitude du requérant, qui se serait abstenu d’interroger l’acheteur ou de formuler des objections sur ce point, ou encore la circonstance que tous les candidats ont été placés dans la même situation, sera certainement prise en considération dans l’appréciation de sa lésion [27].

L’on peut penser que « la lésion » sera souvent caractérisée, dès lors que la Cour affirme que « l’indication par le pouvoir adjudicateur de la quantité et/ou de la valeur estimée ainsi que d’une quantité et/ou d’une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre revêt une importance considérable pour un soumissionnaire, dès lors que c’est sur la base de cette estimation que celui-ci sera en mesure d’apprécier sa capacité à exécuter les obligations découlant de cet accord-cadre ».

Pour autant, la Cour affirme aussi, sur la troisième question préjudicielle relative aux sanctions et notamment celle de l’absence d’effets du contrat, « qu’il serait disproportionné d’étendre l’application de cette disposition à une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle les régions ont publié un avis de marché et rendu accessible le cahier des charges sans mentionner, dans cet avis ou ce cahier des charges, la quantité estimée et/ou la valeur estimée, et la quantité maximale et/ou la valeur maximale des produits à fournir en vertu de cet accord-cadre », notamment parce que « le manquement du pouvoir adjudicateur à son obligation de mentionner l’étendue d’un accord-cadre est, dans un tel cas, suffisamment perceptible pour pouvoir être décelé par un opérateur économique qui entendait soumissionner et qui devait, de ce fait, être considéré comme étant averti ».

Une manière d’indiquer que le requérant doit se manifester sur les difficultés rencontrées du fait de l’absence de maximum, si ce défaut d’information est de nature à rendre la formalisation de son offre plus compliquée.

Les débats contentieux à venir sur ce manquement se cristalliseront en conséquence plus sur son impact pour le requérant lors de la remise de son offre et de son attitude lors de la soumission à l’accord-cadre, que sur le manquement lui-même.

B. L’application différée au 1er janvier 2022 des modifications apportées au Code de la commande publique

Le législateur a toutefois prévu une application différée pour l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, le décret indiquant en notice qu’il « tire les conséquences de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 juin 2021, ‘Simonsen & Weel A/S, aff. C-23/20’ (…). Ainsi, le décret supprime, à compter du 1er janvier 2022, la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum ».

Cette application différée se comprend très probablement par l’objectif de sécurité juridique souhaité par le législateur, puisqu’une application immédiate conduirait à des annulations multiples des procédures de passation actuellement en cours.

Le Conseil d’État a d’ailleurs lui-même l’habitude de différer dans le temps l’application de certaines de ses décisions en matière de commande publique et de contentieux contractuel, au nom de l’impératif de sécurité juridique [28].

Mais cette nouvelle obligation ne résulte pas d’une décision du Conseil d’État qui en aurait différé l’application, mais bien d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendu sur renvoi préjudiciel au visa d’une règlementation européenne (la Directive européenne 2014/24/UE), qui nous est par principe applicable.

Á ce titre, le renvoi préjudiciel est la procédure par laquelle les juges nationaux se tournent vers la Cour de justice pour demander de préciser un point d'interprétation du droit de l'Union, afin de leur permettre, entre autres, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation nationale.

Sur cette procédure, la Cour de justice ne rend par un avis, mais bien un arrêt motivé de sorte que, non seulement la juridiction nationale qui l’a saisie est liée par cet arrêt, mais également toutes les juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème identique.

Aussi, malgré l’application différée des modifications du Code de la commande publique, il y a fort à penser que les accords-cadres lancés sans montant maximum ne résistent pas au juge des référés, pas tant au visa d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par le Code de la commande publique, mais au visa d’un manquement aux obligations imposées par la Directive 2014/24/UE.

C’est en ce sens que des juridictions nationales ont déjà prononcé des annulations de procédure de passation au regard de l’interprétation donnée par l’arrêt « Simonsens » [29], y compris postérieurement au décret du 23 août 2021 [30] qui a pourtant souhaité différer en droit national l’application de ses impacts.

Le juge des référés du tribunal administratif de Lille a en effet récemment affirmé qu’un « accord-cadre doit indiquer une valeur ou une quantité maximale dans le cadre la procédure de passation du marché public, un tel principe étant applicable en l’espèce nonobstant la circonstance que le décret du 23 août 2021 modifiant les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité et intervenu notamment afin de tirer les conséquences de la décision précitée de la Cour de justice de l'Union européenne n’a prévu l’entrée en vigueur des dispositions de son article 2 portant suppression de la possibilité de conclure un accord-cadre sans mention d’une valeur maximale qu’à compter du 1er janvier 2022 ».

Pour conclure donc, application différée ou pas, il est impératif de prendre d’ores et déjà en considération les apports de l’arrêt « Simonsens » et d’indiquer, pour tous les accords-cadres lancés ou à lancer, un montant maximum. Pour les procédures en cours et dont la date limite de remise des offres n’est pas intervenue, nous recommandons vivement de modifier le dossier de consultation en ce sens et de proroger le délai de remise des offres.

Quel impact dans ma pratique ?

Les acheteurs ont l’obligation d’indiquer en valeur et/ou en quantité, le montant estimé des accords-cadres.

Les acheteurs ont désormais l’obligation d’indiquer également, en valeur ou en quantité, le montant maximal de l’accord-cadre.

Nous recommandons une application immédiate pour les consultations à lancer, indépendamment de l’application différée du décret du 23 août 2021

Nous recommandons, pour les consultations déjà lancées mais dont la date limite de remise des offres n’est pas intervenue, de modifier le dossier de consultation en ce sens et de proroger la date limite de remise des offres.

S’agissant de la fixation du maximum, il sera opportun de se laisser une certaine marge pour ne pas se retrouver bloquer en cours d’exécution en raison de l’évolution du besoin durant les quatre années à venir, quitte à fixer un maximum au-dessus du seuil de procédure formalisé quand bien même l’estimation et le maximum envisagé seraient inférieurs au seuil.


[1] CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, Simonsen & Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark.

[2] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la Directive 2004/18/CE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE (N° Lexbase : L8592IZA).

[3] Article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS) ; décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, art. 21-III, 78 à 80.

[4] CE, 12 juin 2019, n° 427397 (N° Lexbase : A2216ZES).

[5] CE, 8 août 2008, n° 309136 (N° Lexbase : A0746EAU) ; voir également QE n° 05527 de M. Bernard Piras, réponse publ. 2 juillet 2009 p. 1676, (N° Lexbase : L8476KLI).

[6] Le régime des accords-cadres est défini à l’article 33 de la Directive 2014/24/UE.

[7] Voir en ce sens les considérants n°s 60 à 62 de la Directive 2014/24/UE.

[8] Le régime de l’accord-cadre étant désormais défini aux articles L. 2125-1 (N° Lexbase : L7085LQH) et R. 2162-1 à R. 2161-14 du Code de la commande publique.

[9] Article R. 2162-4 du Code de la commande publique dans sa version antérieure au décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 (N° Lexbase : L6131L79).

[10] CE, 10 octobre 2018, n° 410501 (N° Lexbase : A7023YET).

[11] L’article R. 2121-8 du Code de la commande publique indiquant que « pour les accords-cadres et les systèmes d'acquisition dynamiques définis à l'article L. 2125-1, la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur maximale estimée de l'ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre pendant la durée totale de l'accord-cadre ou du système d'acquisition dynamique ». A fortiori les accords-cadres conclus sans maximum doivent obligatoirement être passés sous la forme d’une procédure formalisée.

[12] Considérants n°s 59 à 62 et article 33 de la Directive 2014/24/UE relatifs aux accords-cadres ; art. 18, relatif aux principes fondamentaux de la passation des marchés et 72, relatif aux modifications de contrat.

[13] Article 5 de la Directive 2014/24/UE : « Pour les accords-cadres et pour les systèmes d’acquisition dynamiques, la valeur à prendre en considération est la valeur maximale estimée hors [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] de l’ensemble des marchés envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre ou du système d’acquisition dynamique ».

[14] Règlement (UE) n° 2015/1986 de la Commission du 11 novembre 2015, établissant les formulaires standard pour la publication d’avis dans le cadre de la passation de marchés publics et abrogeant le Règlement (UE) n° 842/2011 (N° Lexbase : L2755KQ4).

[15] Directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la Directive 2014/23.

[16] CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, cons. n° 53.

[17] CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, cons. n°s 49 et 54.

[18] CJUE, 19 décembre 2018, aff. C‑216/17, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice (N° Lexbase : A0692YR3).

[19] CJUE, 7 avril 2016, aff. C-324/14, Partner Apelski Dariusz (N° Lexbase : A7193RBZ) ; CJUE, 4 mai 2017, aff. C-387/14, Esaprojekt sp. z o.o. c/ Województwo Łódzkie (N° Lexbase : A9959WBH) ; CJUE, 19 décembre 2018, aff. C‑216/17, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice (N° Lexbase : A0692YR3).

[20] CE, 12 juin 2019, n° 427397 (N° Lexbase : A2216ZES).

[21] Ibid.

[22]CCP, art. R. 2194-1 (N° Lexbase : L4270LRL) à R. 2194-10.

[23] CCP, art. R. 2121-8 dans sa version postérieure au décret du 23 août 2021 : « Pour les accords-cadres et les systèmes d'acquisition dynamiques définis à l'article L. 2125-1, la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur maximale estimée de l'ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre pendant la durée totale de l'accord-cadre ou du système d'acquisition dynamique ».

[24] CCP, art. R. 2162-4 dans sa version postérieure au décret du 23 août 2021 : « Les accords-cadres peuvent être conclus : 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; 2° Soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité ».

[25] CE, 12 juin 2019, n° 427397, préc.

[26] CE, 3 octobre 2008, n° 305420 (N° Lexbase : A5971EAE).

[27] En ce sens : CE, 3 juin 2009, n° 319103 (N° Lexbase : A7243EHQ) ; CE, 8 juillet 2009, n° 318187 (N° Lexbase : A7147EIK) ; TUE, 4 octobre 2018, aff. T-914/16, Proof IT SIA (N° Lexbase : A6125YEL) ; CJUE, 12 mars 2015,  aff. C-538-13, Vigilot Ltd (N° Lexbase : A6883NDB).

[28] Voir en ce sens : CE, Ass., 11 mai 2004, n° 255886 (N° Lexbase : A1829DCQ) ; CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545 (N° Lexbase : A4715DXW) ; CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994 (N° Lexbase : A6449MIP) ;

[29] TA Bordeaux, 23 août 2021, n° 2103959 (N° Lexbase : A011543N).

[30] TA Lille, 27 août 2021, n° 2106335.

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