Réf. : CEDH, 7 septembre 2021, Req. 27516/14, M.P. c/ Portugal (N° Lexbase : A453243A)
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par Aude Lelouvier
le 08 Septembre 2021
► Bien que le droit au respect de la vie privée implique le droit au secret des correspondances, celui-ci ne saurait contrevenir au droit de bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter sa cause en justice ; c’est la raison pour laquelle, dès lors que des messages électroniques issus de l’ordinateur familial du couple sont produits en justice, cette production ne saurait constituer une violation du droit au respect de la vie privée puisqu’elle n’intervient qu’au cours de procédures civiles dont l’accès public est strictement restreint.
En l’espèce, l’affaire soumise à la Cour européenne des droits de l'Homme concernait un contentieux familial dégénérant en contentieux pénal. En effet, la requérante introduisait une requête devant la Cour dans la mesure où son ex-mari n’avait pas été condamné pénalement par les juridictions portugaises alors même que ce dernier avait produit, sans son consentement et à l’occasion d’une procédure de partage de l’autorité parentale et d’une procédure de divorce devant les juridictions civiles portugaises, des messages électroniques issus de l’ordinateur familial et relatant des échanges via des sites de rencontres.
Ainsi, la requérante considérait que l’absence de poursuites pénales par les juridictions portugaises à l’encontre de son ex-mari, alors même que celui-ci avait produit des messages électroniques issus de l’ordinateur familial sans son consentement, constituait une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), c’est-à-dire du droit au respect de la vie privée et conséquemment du droit au secret des correspondances.
La CEDH devait donc déterminer si la production par l’époux de messages électroniques émanant de l’ordinateur familial dans des procédures familiales portait atteinte au respect de la vie privée de son épouse ainsi qu’au secret des correspondances.
Si la Cour rappelle avant tout que l’article 8 de la CESDH entraîne l’obligation pour les États d’assurer le « respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux », et précisait surtout qu’il faut « garder à l’esprit que seules des défaillances suffisamment sérieuses dans la législation et la pratique, ainsi que dans leur application, [emportent] violation des obligations positives de l’État en vertu de l’article 8 » et que « la Cour ne saurait se substituer aux autorités internes dans l’appréciation des faits de la cause, elle ne saurait non plus statuer sur la responsabilité pénale de l’agresseur allégué ».
Ainsi, après avoir recentré le débat, la CEDH précise que son rôle ne consiste qu’à contrôler la mise en balance des intérêts en jeu, notamment lorsqu’un conflit surgit entre deux droits protégés par la CESDH comme cela est le cas en l’espèce. En effet, la CEDH devait donc vérifier que les intérêts de l’épouse et de l’époux étaient préservés en appréciant l’équilibre effectué par les juridictions internes entre le droit au respect de la vie privée de l’épouse et le droit de l’ex-époux de bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter sa cause.
En premier lieu, la Cour note que l’équilibre de chacun des époux avait été préservé dans la mesure où le cadre juridique existant au Portugal offrait à la requérante « une protection adéquate du droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance » puisque « le fait d’accéder au contenu de lettre ou de télécommunications sans le consentement des correspondants et le fait de divulguer le contenu ainsi obtenu sont sanctionnés pénalement » et que celle-ci a pu s’en prévaloir devant les juridictions pénales portugaises.
En second lieu, la CEDH souscrit à l’approche de la cour d’appel de Lisbonne concernant le versement des messages électroniques. Ainsi, elle estime « que dans une telle situation, l’ingérence dans la vie privée qui découle de la production de pareils éléments [les messages électroniques] doit se limiter, autant que faire se peut, au strict nécessaire ». La Cour ajoute alors que les effets sur la vie privée de la requérante ont été limités puisque « ces messages n’ont été divulgués que dans le cadre des procédures civiles » dont « l’accès du public aux dossiers […] est restreint ». En sus, « les messages n’ont pas été examinés concrètement, le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne n’ayant finalement pas statué sur le fond des demandes formulées par le mari ».
Par conséquent, la CEDH conclut que « les autorités nationales ont mis en balance les intérêts en jeu en respectant les critères qu’elle a établis dans sa jurisprudence ».
Cet arrêt constitue une illustration du traditionnel contrôle opéré par la Cour européenne des droits de l'Homme sur le respect de l’équilibre des intérêts en présence, mais invite à considérer que la production de messages électroniques au cours d’une procédure familiale ne saurait être sanctionnée dans la mesure où ce type de procédure n’est pas publique. Toutefois, la CEDH n’oublie pas d’en rappeler la limite puisque cette production doit se cantonner au strict nécessaire.
En tout état de cause, la Cour évince la problématique liée au caractère frauduleux de la production. Néanmoins, celle-ci note que « la cour d’appel de Lisbonne a considéré que [la requérante] avait donné à son mari un accès total à la messagerie qu’elle entretenait sur le site de rencontre et que, à partir de ce moment, ces messages faisaient partie de la vie privée du couple » et « estim[ait] que le raisonnement tenu par les autorités internes quant à l’accès mutuel à la correspondance des conjoints est sujet à caution, d’autant que tout porte à croire en l’espèce que le consentement finalement donné par la requérante à son mari est apparu dans un contexte conflictuel ». Par ailleurs, elle juge que « la conclusion à laquelle les juridictions internes ont abouti quant à l’accès même auxdits messages n’apparaît pas arbitraire au point de justifier que la CEDH substitue sa propre appréciation à la leur ».
Bien que cette problématique soit écartée par la Cour, il convient de noter que cette dernière critiquait la présomption selon laquelle, les époux se seraient donnés consentement à un accès total de leur messagerie dès lors qu’ils ont pu durant leur vie de couple s’accorder une certaine liberté d’accès aux contenus de leur messagerie électronique. Ainsi, le concept retenu par la cour d’appel de Lisbonne sur l’existence d’un « patrimoine moral commun du couple » impliquant « une autorisation tacite d’utiliser » les contenus de messageries électroniques, n’a pas obtenu d’écho auprès de la CEDH.
En outre, si la Cour n’a pas apporté de précision quant à la détermination du caractère frauduleux de messages électroniques issus d’un ordinateur familial, il peut être pertinent d’opérer un parallèle avec la jurisprudence des cours d’appel françaises. En effet, il a notamment été retenu par la cour d’appel de Lyon en 2011 (CA Lyon, 7 février 2011, n° 09/06238 N° Lexbase : A9713GWN) que « si l'ordinateur consulté est l'ordinateur familial sans code d'accès verrouillé, le juge considère que les preuves recueillies par un époux sont recevables, à moins que l'autre ne démontre qu'un moyen frauduleux a été utilisé pour accéder à son compte ». Finalement, la jurisprudence française se rapprocherait donc de la jurisprudence portugaise. Toutefois, si une présomption de libre accès est érigée quant à l’utilisation de l’ordinateur portable, il ne s’agit que d’une présomption simple laquelle peut être renversée chaque fois qu’un moyen frauduleux a été utilisé pour accéder au compte de l’époux.
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