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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine
le 15 Décembre 2021
Mots-clés : pacte Dutreil • transmission • patrimoine • location meublée
L’activité de location meublée revêt une nature particulière. En effet, le Code général des impôts et le Code de commerce n’envisagent pas cette activité sous le même angle.
Pour le droit fiscal, l’activité de location meublée revêt une nature commerciale. À ce titre, en vertu de l’article 35 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3342LCR), les activités de location en meublé sont imposées dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
En revanche, l’article L.110-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1282IWE) ne vise pas l’activité de location en meublée au rang des activités commerciales.
On en déduit ainsi, a contrario, que l’activité de location en meublé est une activité civile.
Or, les articles 787 B (N° Lexbase : L5936LQW) et 787 C (N° Lexbase : L8958IQT) du Code général des impôts, traitant respectivement des cas de transmissions de parts de sociétés ou d’entreprises individuelles, définissent respectivement l’application du « pacte Dutreil », aux activités « industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou libérales ». Il convient de rappeler que « le pacte Dutreil » permet de bénéficier d’un abattement de 75% sur les droits de donation ou de succession.
Effectivement, les articles 787 B et 787 C du Code général des impôts visent les activités commerciales.
Cependant, ces articles ne procèdent pas à un renvoi à l’article 35 du Code général des impôts ou L.110-1 du Code de commerce.
Pour reprendre l’expression de Monsieur Frédéric Douet (Droit fiscal, n° 19-20, 7 mai 2015, n° 301), comment gérer « ce hiatus » entre le droit fiscal et le code de commerce.
Quelles sont les positions de l’administration fiscale (I) et de la jurisprudence (II) sur cette question ?
I. Une doctrine administrative réfractaire à l’application du pacte Dutreil
A. Une ancienne doctrine favorable mais discutée par certains auteurs
Les commentaires administratifs en vigueur jusqu’au 6 avril 2021, au BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 10 précisait : « Les biens susceptibles de bénéficier de l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit prévue à l'article 787 B du CGI sont les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Pour l’appréciation de la nature de ces activités, il convient de se reporter aux indications données dans la documentation y afférente dans le cadre de l'exonération des biens professionnels à l'impôt sur la fortune (BOI-PAT-ISF-30-30-10-10) ».
Ainsi, le périmètre d’éligibilité du pacte Dutreil était défini par renvoi à l’impôt sur la fortune immobilière.
Il s’agissait de la doctrine administrative relative à la notion de biens professionnels
Le paragraphe n° 180 du BOI-PAT-ISF-30-30-10-10 comprenait un ensemble d’indications visant le cas des locations en meublé exercées à titre professionnel.
Ainsi, étaient considérées comme professionnelles les activités de location en meublée qui remplissaient les conditions cumulatives suivantes :
On pouvait donc considérer, au moins par une majeure partie des auteurs et des praticiens, que l’activité de location meublée à titre professionnel était éligible au pacte Dutreil.
Cette lecture de la doctrine administrative a notamment été mise en avant par un certain nombre d’auteurs et de praticiens, avec des avis plus ou moins divergents (M. F. Douet - Droit fiscal, n° 19-20, 7 mai 2015, n° 301 ; J. Duhem, P. Danis, C. Goarant, P. Julien Saint-Amand, L. Benoudiz – Acte pratique et stratégie patrimoniale, n° 2, avril 2016, dossier 8).
B. Un repositionnement difficilement compréhensible
La nouvelle mouture de la doctrine administrative, qui a fait l’objet d’une consultation publique jusqu’au 6 juin 2021 est nettement plus restrictive quant au champ d’application du pacte Dutreil.
En effet, le paragraphe n° 15 du BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 (N° Lexbase : X6754ALQ) précise dorénavant :
« Sont ainsi exclues toutes les activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier, y compris celles mentionnées à l'article 34 du CGI ou à l'article 35 du CGI (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30, § 90, II). Tel est le cas notamment :
On constate ainsi que la nouvelle rédaction de la base BOFiP exclut les activités de location en meublé du champ d’application des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts.
Ce nouveau positionnement de la doctrine administrative, s’il devait perdurer, met ainsi à mal l’application du pacte Dutreil sur ce type d’activité.
On comprend mal ce retournement de position, dans la mesure où comme l’indique Monsieur François Fruleux (Acte pratique et stratégie patrimoniale, avril 2021, n° 2), l’administration fiscale avait déjà eu l’occasion d’accepter l’application du pacte Dutreil à ce type d’activité. En effet, l’avis rendu par Commission des Abus de droit fiscal du 6 novembre 2015 permettait de nourrir de nombreux espoirs (CADF, avis n° 2015-07 à 2015-09, 6 novembre 2015, p. 6 ; La revue fiscale du patrimoine, juin 2016, n° 6).
Ce nouveau positionnement crée ainsi une disparité entre le traitement au niveau de l’IFI et le pacte Dutreil. Cela contribue à rajouter des difficultés à un dispositif qui se complexifie au fil des années.
Ce positionnement de l’administration fiscale n’en demeure pas moins étonnant, surtout au vu de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble.
II. Une jurisprudence rare et hostile en apparence
A. La cour d’appel de Grenoble refuse l’application du pacte Dutreil
La cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 11 mai 2021 n° 19/01583 N° Lexbase : A46784RP) a rendu un arrêt concernant le pacte Dutreil et l’activité de location meublée le 11 mai 2021.
Dans cette affaire, Madame A avait plusieurs biens :
Madame A a exercé jusqu’en 2010 l’activité de loueur en meublé professionnel. En 2011, l’exploitation de cette activité a été confiée à la SARL Manaau.
Lors du décès de Madame A, ses enfants ont hérité de ses biens, dont le chalet donné en location.
Il a été fait application de l’article 787 C du Code général des impôts sur celui-ci.
L’administration fiscale a remis en cause l’application de l’article 787 C du Code général des impôts.
La cour d’appel de Grenoble indique :
« En conséquence, pour bénéficier du régime d’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit de ces dispositions, il faut que l’entreprise individuelle soit détenue par le défunt, exploitée par ce dernier et que les biens affectés en cause soient affectés à cette entreprise.
Il est constant qu’à compter de 2011, Madame A a confié en 2011 la gestion de son activité de loueur professionnel de meublés à la SARL MANAAU.
Le tribunal qui a omis de vérifier la première condition d’exercice d’une activité individuelle, a mal appliqué les dispositions de l’article 787 C du Code général des impôts à la situation de fait.
Ainsi, faute pour Madame A d’avoir, à la date de son décès, exercé une entreprise individuelle à laquelle étaient affectés les biens transmis par succession, Mesdames X et B-A ne peuvent bénéficier de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit de l’article 787 C du Code général des impôts ».
La cour d’appel refuse ainsi de l’article 787 C du Code général des impôts.
Faut-il pour autant en conclure que la jurisprudence considère purement et simplement que le pacte Dutreil ne s’applique pas à l’activité de location meublée.
B. Un rejet aux apparences trompeuses ?
Incontestablement, l’arrêt rendu par la cour d’appel Grenoble rejette l’application du pacte Dutreil dans ce contexte.
Cependant, il est intéressant de constater que la cour d’appel motive l’arrêt eu égard aux conditions d’application de l’article 787 C du Code général des impôts et non de son champ d’application.
En effet, le raisonnement de la cour d’appel est bâti sur l’absence d’exercice d’une activité individuelle, à savoir la condition visée au a de l’article 787 C du Code général des impôts.
La cour d’appel accepte donc de vérifier les conditions d’application de ce dispositif. En l’acceptant, elle considère implicitement, mais nécessairement que l’activité de location meublée est dans le champ d’application de l’article 787 C du Code général des impôts.
À défaut, elle aurait pu adopter le même positionnement que la nouvelle doctrine administrative, considérant que l’activité de location meublée est hors champ, ce qui lui aurait évité de s’interroger sur les conditions d’application de l’article 787 C du Code général des impôts.
On peut se demander si le traitement aurait été le même en cas d’apport de l’entreprise individuelle à la SARL par Madame A, suivi du transfert des parts.
On peut effectivement se demander si une telle situation n’aurait pas été plus favorable.
Ainsi, même si la nouvelle rédaction de la base BOFiP apporte une précision, il n’est pas certain que le débat soit définitivement tranché.
En espérant que la version définitive de la base BOFiP revienne sur ce positionnement.
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