La lettre juridique n°727 du 18 janvier 2018 : Magistrats

[Jurisprudence] Les magistrats du parquet, des subordonnés indépendants

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : A6818W4B)

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N2219BXH

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par Antoine Botton, Professeur à l'Université Toulouse I - Capitole, Co-directeur de l'Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle, IRDEIC - Centre d'excellence Jean Monnet

le 06 Septembre 2021

Dans cette décision du 8 décembre 2017 (1), le Conseil constitutionnel avait à juger d'une question transmise par le Conseil d'Etat, visant l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature N° Lexbase : L5336AGQ) aux termes duquel : "Les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre". Précisément, les requérants -l'Union syndicale des magistrats- reprochaient à cet article de placer les magistrats du Parquet "sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice" au mépris, selon eux, du principe de séparation des pouvoirs et de l'un de ses corollaires, celui d'indépendance de l'autorité judiciaire, d'une part, et des droits à un procès équitable et de la défense, d'autre part.

La question intervenait, il est vrai, dans un contexte particulier. Au niveau interne d'abord, il faut relever qu'au travers de certaines réformes et initiatives (2), le législateur actuel a justement souhaité garantir une certaine indépendance fonctionnelle au ministère public. Il n'en demeure pas moins que la réforme constitutionnelle de son statut (3) n'a pas abouti et ce, malgré deux rapports en ce sens sous l'ancienne mandature (4). Concernant le droit du Conseil de l'Europe ensuite, rappelons que la Cour européenne des droits de l'Homme, de jurisprudence constante, considère que le ministère public français n'est pas une "autorité judiciaire" au sens de la Convention, notamment du fait de son défaut d'indépendance (5). S'agissant enfin du droit de l'Union européenne, comment ne pas penser ici à la récente adoption du Règlement portant création d'un Parquet européen (6) ? La référence s'impose ici d'autant plus que le texte comprend des dispositions garantissant expressément aux membres de ce Parquet une indépendance à l'égard tant des institutions communautaires que des Etats membres (7).

Compte tenu de ce contexte, la réponse du Conseil constitutionnel à la question de l'Union syndicale des magistrats faisait nécessairement l'objet d'une attente particulière. Sans surprise toutefois (8) et au terme d'une motivation pour le moins elliptique, le juge constitutionnel déclare les dispositions attaquées conformes aux droits et principes constitutionnels invoqués par les requérants. Pour ce faire, il procède en deux temps : après avoir affirmé qu'il existe un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet (I), il juge que la subordination hiérarchique de ces derniers au Garde des Sceaux ne lui contrevient pas (II).

I - L'existence d'un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet

"Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du Parquet" (9). C'est ainsi que le Conseil conclut son rappel des "normes de référence", c'est-à-dire des dispositions constitutionnelles sur lesquelles va s'appuyer son contrôle. La formule est nette, qui tranche avec l'impression résultant justement de ce rappel.

En effet, hormis l'article 64 de la Constitution (N° Lexbase : L0893AHK) suivant lequel "Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire", aucune des dispositions constitutionnelles visées n'assure précisément une telle indépendance. A cet égard, le Conseil précise d'une part qu'"en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public", il revient au Gouvernement, en application de l'article 20 de la Constitution (N° Lexbase : L0846AHS), de déterminer et de conduire la politique de la Nation. D'autre part, après avoir assez maladroitement rappelé que l'article 64 de la Constitution garantit une inamovibilité aux seuls magistrats du siège, le juge constitutionnel reprend les termes de son article 65 (N° Lexbase : L0894AHL) suivant lesquels les décisions relatives à la nomination et à la discipline des magistrats du Parquet ne font l'objet que d'un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), relevant respectivement d'une compétence exclusive du Président de la République (10) et du Garde des Sceaux (11).

Si bien que le Conseil infère le principe d'indépendance du Parquet de dispositions constitutionnelles en révélant manifestement la dépendance institutionnelle. Il s'agit là d'un premier paradoxe que la décision tente toutefois de ménager par une précision concernant cette indépendance : elle "doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et... elle n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège" (12). A en croire l'expression, l'indépendance constitutionnelle du Parquet serait donc à la fois relative et spécifique. Le premier de ces caractères laisse toutefois songeur : est-il possible pour une institution d'être à la fois dépendante et indépendante ? En d'autres termes, l'indépendance souffre-t-elle la relativité ? Il est vrai que pourrait être objectée à cette vision simpliste -ou de bon sens, suivant le point de vue- la possibilité théorique de distinguer entre deux formes d'indépendance, l'une institutionnelle, l'autre fonctionnelle. Dans cette perspective, la dépendance institutionnelle indéniable du Parquet n'empêcherait pas son autonomie de fonctionnement. Ainsi, semble l'entendre le Conseil constitutionnel lorsqu'il évoque, après avoir proclamé l'indépendance des magistrats du Parquet, "le libre exercice de leur action devant les juridictions" (13). Toutefois, quand bien même le suivrait-on dans cette démarche dichotomique, quel est le fondement constitutionnel de ce "libre exercice de leur action" par les magistrats du Parquet ? En effet, si la dépendance institutionnelle du Parquet ressort nettement des dispositions constitutionnelles sus-évoquées, rien de tel en revanche n'émerge s'agissant de son autonomie fonctionnelle. Aussi, en évoquant leur "libre exercice (d') action", le Conseil ne peut faire référence qu'aux articles du Code de procédure pénale et de l'ordonnance attaquée, qui assurent justement aux magistrats du Parquet une indépendance dans l'exercice de leur triple fonction de direction d'enquête (14), de déclenchement (15) et d'exercice (16) de l'action publique (17). Or, tous ces textes ont un point commun : ils n'ont aucune valeur constitutionnelle (18).

De sorte que le raisonnement mené par le Conseil nous semble devoir conduire à une conclusion inverse de la sienne. La Constitution -norme de contrôle- loin d'assurer une quelconque indépendance aux magistrats du Parquet, prévoit au contraire leur rattachement institutionnel à l'exécutif. Dès lors, ne faudrait-il pas plutôt y déceler un principe de dépendance à l'exécutif du Parquet ? La question est, convenons-en, provocatrice, qui peut faire l'objet de deux objections principales.

En premier lieu, si l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), siège du principe de séparation des pouvoirs, ne fait manifestement pas obstacle à l'existence d'un lien hiérarchique entre le Parquet et le pouvoir exécutif (19), ne prohibe-t-il pas néanmoins toute reconnaissance constitutionnelle de cette dépendance ? Il est a priori permis de le penser. Cela étant, l'affirmer nécessiterait de passer sous silence l'ambiguïté de l'adjectif "judiciaire". S'il s'attache à un organe, le Parquet, membre du corps "judiciaire", ne peut être alors envisagé, d'un point de vue constitutionnel, comme dépendant d'un autre pouvoir. Si, en revanche, l'adjectif est conçu -il est vrai, abusivement- comme un synonyme de "juridictionnel" et s'attache en conséquence à une fonction, il est alors notable que le Parquet n'en exerce aucune, du moins officiellement. Comme l'a lui-même reconnu le Conseil à propos du projet d'"injonction pénale", ancêtre de la composition, le Parquet n'est pas une autorité de jugement mais une autorité chargée de l'action publique (20). Par conséquent, si l'on confère un sens identique aux épithètes "judiciaire" et "juridictionnel" lorsqu'ils s'attachent à un "pouvoir" à séparer, il serait envisageable, pour le Conseil, de consacrer un principe de dépendance des magistrats du Parquet sans pour autant bafouer l'article 16 de la Déclaration de 1789. En effet, si cet article ne vise qu'à séparer le pouvoir juridictionnel des autres pouvoirs, il ne saurait alors concerner l'activité, par hypothèse (21), non-juridictionnelle du Parquet.

Dès lors, quelle définition retenir de l'adjectif "judiciaire" attaché à un pouvoir devant être séparé ? Si l'on s'en tient à la jurisprudence du Conseil, celle consistant à l'envisager tel un "pouvoir" de jugement. En effet, suivant une formule du Conseil, l'article 16 de la Déclaration "implique le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement" (22). Ainsi entendu, le principe constitutionnel des séparations des pouvoirs n'obvie alors en rien à la consécration de celui de dépendance des magistrats du Parquet, sauf, il est vrai, à leur reconnaître officiellement une fonction juridictionnelle qu'ils exerceraient déjà, selon certains auteurs (23), à titre officieux.

Pareille consécration ne se heurterait-elle pas, en second lieu, à la jurisprudence déjà rappelée de la Cour européenne des droits de l'Homme concernant le ministère public français (24) ? Nous ne le pensons pas. Bien au contraire, la reconnaissance constitutionnelle de la dépendance du Parquet aurait pour mérite de ne plus jurer avec le constat dressé par la Cour. Il convient surtout de rappeler ici que la position de la Cour ne remet nullement en cause le statut du ministère public français ; elle ne concerne que les prérogatives qui lui sont reconnues en matière d'arrestation et de détention avant jugement. En effet, elle veille exclusivement à ce que, conformément à l'article 5 § 3 de la Convention (N° Lexbase : L4786AQC), toute personne arrêtée ou détenue soit "aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". La Cour est donc tout à fait indifférente à l'institution, en elle-même, d'un Parquet dépendant et partial tant que celui-ci n'exerce pas les prérogatives d'une "autorité judiciaire" telle qu'elle l'entend.

Au terme de ces développements, l'affirmation d'un principe d'indépendance des magistrats du Parquet ne semble pas sans conteste ; la consécration d'un principe inverse, doté quant à lui de véritables fondements constitutionnels, disposant de l'avantage indéniable de priver d'intérêt la question de constitutionnalité ici posée au Conseil. Ce dernier a toutefois choisi d'ouvrir la "porte étroite" de son contrôle, pour mieux, il est vrai, la refermer brusquement au nez des requérants.

II - La conformité de la subordination hiérarchique des magistrats du Parquet

"Les dispositions contestées placent les magistrats du Parquet sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice". Par ce considérant lapidaire débute l'examen de constitutionnalité de l'article 5 de l'ordonnance de 1958, celui-ci semblant ainsi condamné sans avoir même été jugé. C'était sans compter le souci du Conseil de ménager quelque effet de surprise à ses lecteurs. Au terme d'un suspens relativement bref, compte tenu de la sécheresse de la motivation, le Conseil déclare effectivement cet article conforme à la Constitution, usant ainsi d'une recette bien connue des auteurs de romans policiers : celui que tout désigne comme coupable à la première page est, contre toute attente, reconnu innocent à la dernière. L'entre-deux est souvent de peu d'intérêt pour le lecteur de ces romans. Rien de tel cependant en l'occurrence, la motivation de la décision, bien que laconique, étant remarquable à deux égards : quant à la méthode de contrôle qu'elle révèle, d'une part, et quant à sa teneur, d'autre part.

Dans la décision commentée, le contrôle de constitutionnalité des dispositions attaquées tient principalement en celui de leur environnement juridique. En effet, au lieu de procéder à l'examen de l'article 5 de l'ordonnance de 1958 en lui-même, le Conseil opte pour un rappel de l'ensemble des normes infra-constitutionnelles relatives à l'indépendance des magistrats du Parquet. Précisément, il relève, dans un premier temps (25), toutes les dispositions légales marquant la dépendance de ces derniers au pouvoir exécutif : les règles de nomination et de discipline contenues dans l'ordonnance de 1958 (26) mais aussi celles prévues par le Code de procédure pénale en matière d'instructions générales de politique pénale émises par le garde des Sceaux (27).

Puis, dans un second temps, le Conseil mentionne les textes assurant, au contraire, une indépendance fonctionnelle aux magistrats du Parquet car prohibant toute instruction du Garde des Sceaux dans les affaires individuelles (28), garantissant une liberté de parole aux membres du ministère public (29), soumettant leur action au principe d'impartialité (30) ou encore leur permettant de décider librement de l'opportunité des poursuites (31).

Une fois rappelé leur contexte juridique, le Conseil juge alors que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe d'indépendance des magistrats du Parquet précédemment dégagé et ne contreviennent, au surplus, à aucun autre des droits et libertés garantis par la Constitution.

Sans évoquer pour l'heure la teneur et la valeur de l'argumentation, il convient ici de s'interroger sur la méthode choisie par le Conseil. Est-il effectivement concevable qu'un contrôle de constitutionnalité prenne la forme d'un inventaire, serait-il complet, de l'environnement juridique des dispositions contestées ? Ne devrait-il pas plutôt consister en une confrontation entre la norme de contrôle -le principe d'indépendance des magistrats du Parquet- et la norme contrôlée -l'article 5 de l'ordonnance de 1958- ? La démarche a certainement paru trop fruste au Conseil ; démarche qui aurait, au demeurant, fatalement conduit à la censure du texte. Il n'est pas ici question de revenir sur l'opportunité de tenir compte du contexte de la norme contrôlée ; celui-ci existe et en cela, ne peut être ignoré du Conseil. Mais tenir, comme dans la décision commentée, l'accessoire -le contexte- pour le principal- le texte- ne nous paraît pas davantage acceptable. Encore une fois, à supposer qu'il existe un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet (32), la norme infra-constitutionnelle organisant leur dépendance devrait, en toute logique et quel que soit son contexte, être censurée. En d'autres termes, si le contexte "éclaire" (33) le texte, il ne saurait l'éclipser, lui et son éventuelle inconstitutionnalité.

Il convient par ailleurs de noter que la méthode usitée est révélatrice d'un phénomène déjà identifié de pénalisation du contrôle de constitutionnalité ou, si l'on préfère, d'émergence d'un droit constitutionnel pénal (34). Si, comme l'indique prudemment le commentaire officiel de sa décision (35), le Conseil n'a pas ici "constitutionnalisé" les dispositions du Code de procédure pénale, il n'en a pas moins tiré l'essence de son contrôle tant celui-ci s'est axé, répétons-le, sur le contexte normatif de la loi attaquée.

- Au-delà de la méthode qui y préside, la motivation marque d'emblée par une brièveté qui tranche avec le souci récent d'une autre Haute juridiction d'enrichir précisément ses explications (36). Surtout, l'argumentation brève de cette décision de conformité tient principalement dans la mise en exergue, par le Conseil, de dispositions législatives "éclairant" le texte attaqué d'une lumière constitutionnellement flatteuse puisque révélant l'autonomie fonctionnelle du Parquet. Prises une à une ou dans leur ensemble, ces "garanties" peinent cependant à justifier le sens de la décision.

En premier lieu, le Conseil rappelle que le ministre de la Justice ne peut plus, depuis une loi du 25 juillet 2013 (37) et suivant l'article 30 du Code de procédure pénale, adresser aux magistrats du Parquet des instructions dans les affaires individuelles. Si l'évolution est notable car symbolique, comment toutefois ne pas la relativiser au vu du maintien des instructions générales de politique pénale (38) ? En effet, si dans les affaires les plus sensibles, l'autonomie fonctionnelle du Parquet semble ainsi garantie, il faut néanmoins remarquer que dans l'essentiel de leur activité de poursuites, les magistrats du Parquet doivent, en vertu des articles 39-1 (N° Lexbase : L4929IXT) et 39-2 (N° Lexbase : L4923IXM) du Code de procédure pénale, suivre les instructions du pouvoir exécutif. Ainsi ramenée au petit nombre d'affaires -seraient-elles importantes- dans lesquelles elle peut s'exercer, l'indépendance fonctionnelle du Parquet paraît alors telle qu'elle est : résiduelle.

En deuxième lieu, la décision fait mention à deux reprises de la liberté de parole des magistrats du Parquet, garantie à la fois par l'article 33 du Code de procédure pénale et l'article 5 in fine de l'ordonnance du 22 décembre 1958. S'il est vrai que la "plume est serve mais la parole est libre", il convient toutefois de noter que, dans notre procédure pénale moderne, la première s'exprime davantage que la seconde. Pour s'en convaincre, il suffit de relever qu'en matière correctionnelle, les procédures avec audience contradictoire, où la libre parole du Parquet peut précisément s'exercer, constituent un mode minoritaire de réponse pénale. D'une part, pour l'année 2016, environ 42, 5 % des affaires poursuivables ont fait l'objet d'une alternative aux poursuites (39). D'autre part, toujours en 2016, 49 % des affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel ont donné lieu à des procédures sans audience contradictoire (40). Si à cela on ajoute que l'activité du ministère public ne se résume pas à l'exercice de l'action publique devant une juridiction, il appert alors assez nettement que cette liberté, de parole en l'occurrence, est là encore, sinon anecdotique, du moins limitée.

En troisième lieu, le Conseil s'appuie sur les articles 31 (N° Lexbase : L4927IXR) et 39-3 du Code de procédure pénale qui, introduits par deux lois récentes (41), exigent du ministère public qu'il fasse preuve d'impartialité dans l'exercice de l'action publique, pour le premier, et dans la direction d'enquête, pour le second. S'il s'agit là encore d'avancées remarquables, en quoi sont-elles cependant opérantes dans un débat relatif à l'indépendance du Parquet ? Si les notions ont un sens, l'impartialité ne garantit l'indépendance d'une autorité qu'à l'égard des parties, ce qui permet traditionnellement de la distinguer de l'indépendance stricto sensu s'exerçant, quant à elle, vis-à-vis des autres pouvoirs (42). Or, la question posée concernant justement cette seule indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif, on perçoit dès lors mal la pertinence du rappel de textes assurant son autonomie à l'endroit des parties.

En quatrième et dernier lieu, le Conseil mentionne, à la fin de son inventaire justificatif, l'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7457LBS) en vertu duquel, selon lui, "le procureur de la République décide librement de l'opportunité d'engager des poursuites". Envisager ce texte tel un facteur de liberté du procureur dans le choix des poursuites relève toutefois du contre-sens, à moins qu'il ne s'agisse d'une réserve implicite d'interprétation. Bien au contraire, cette disposition, issue de la loi "Perben II" du 9 mars 2004 (43), visait précisément à encadrer le pouvoir d'appréciation du Parquet quant à l'opportunité des poursuites et ce, afin d'augmenter le taux de réponse pénale (44). A telle enseigne que cet article 40-1 hiérarchise, par ordre de préférence, les options offertes au ministère public lorsqu'il exerce son pouvoir d'opportunité.

Somme toute, le contexte législatif de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 n'édulcore en rien la subordination hiérarchique du Parquet qu'il édicte. Au contraire, l'incapacité de ce contexte à démontrer l'autonomie fonctionnelle des magistrats du Parquet accentue, par contraste, la netteté d'un texte prévoyant expressément leur subordination hiérarchique au garde des Sceaux.

En définitive, la déclaration de conformité de l'article 5 de l'ordonnance de 1958 au principe d'indépendance des magistrats du Parquet ne convainc pas davantage que la reconnaissance constitutionnelle dudit principe. Au risque de se répéter, il aurait certainement été plus simple de constater l'existence d'un principe constitutionnel de dépendance statutaire du Parquet et de déclarer, dans la foulée, les dispositions attaquées conformes à la Constitution. Le Parquet est institutionnellement dépendant en France. C'est là une situation juridique que le Conseil constitutionnel lui-même ne saurait remettre en cause, la question ressortissant exclusivement au pouvoir constituant.


(1) Décision commentée.
(2) V., à cet égard, loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du Garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique (N° Lexbase : L9267IXI). Notamment, cette loi met un terme aux instructions individuelles du ministre de la Justice (C. pr. pén., art. 30 N° Lexbase : L4926IXQ).
(3) Projet de loi constitutionnelle de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, adopté en Conseil des ministres le 13 mars 2013.
(4) Refonder le ministère public, rapport de la commission de modernisation de l'action publique présidée par J.-L. Nadal, 2013 ; Rapport sur la procédure pénale, rapport de la commission présidée par J. Beaume, 2014.
(5) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A2353EUP) ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06 (N° Lexbase : A7244GKI).
(6) Règlement (UE) n° 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU).
(7) Règlement (UE) n° 2017/1939, art. 6. Sur ce texte, v., not., G. Taupiac-Nouvel et A. Botton, Les aspects procéduraux du Règlement (UE) 2017/1939 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, JCP éd. G, à paraître en janvier 2018.
(8) Compte tenu de sa jurisprudence antérieure. V., notamment, en dernier lieu, Cons. const., décision n° 2016-555 QPC, du 22 juillet 2016 (N° Lexbase : A7431RXI) (subordination de la mise en mouvement de l'action publique en matière d'infractions fiscales à une plainte de l'administration). Dans le considérant 10 de la décision, le Conseil précisait déjà qu'"il découle de l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du Parquet, un principe selon lequel le ministère public exerce librement [...] l'action publique devant les juridictions pénales".
(9) Décision commentée, cons. 9.
(10) Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre, art. 28.
(11) Ibid., article 66.
(12) Cons. 9, in fine.
(13) Ibid.
(14) C. proc. pén., art. 39-3 (N° Lexbase : L4827K8B).
(15) C. proc. pén., art. 40-1 (N° Lexbase : L7457LBS).
(16) C. proc. pén., art. 33 (N° Lexbase : L7056A44) et ordonnance précitée du 22 décembre 1958, art. 5.
(17) S'agissant des affaires individuelles, l'indépendance fonctionnelle est assurée, de manière générale, par l'article 30 du Code de procédure pénale suivant lequel le ministre de la Justice ne peut adresser aucune instruction aux magistrats du Parquet.
(18) A cet égard, le commentaire officiel de la décision, dans une sorte d'obiter dictum révélateur, prend le soin -utile ?- de préciser que "le Conseil constitutionnel n'a pas constitutionnalisé' les dispositions législatives citées" (commentaire officiel, site internet du Conseil constitutionnel, p. 22).
(19) L'article 65 de la Constitution en témoigne.
(20) Décision n° 95-360 DC du 2 février 1995 N° Lexbase : A8324ACB) Loi relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, cons. 6.
(21) Du fait du principe de séparation des fonctions, découlant lui aussi de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
(22) V., en dernier lieu, loi relative à la transparence de la vie publique, cons. 46. Sur cette formule, v., commentaire officiel de la décision, préc., p. 15.
(23) M.-L. Rassat, Le ministère public, entre son passé et son avenir, Thèse Paris, LGDJ, 1967, p. 39, n° 50. L'auteur écrit : "Pour décider de l'opportunité de la répression, le ministère public doit connaître de l'affaire au fond', exactement comme le ferait le juge de jugement et prendre une décision qui s'apparente à celles que rend ce dernier et l'on peut dire, alors, que le ministère public s'immisce dans la fonction du juge de jugement' ".
(24) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06.
(25) Cons. 11.
(26) Art. 28 (nomination des magistrats du Parquet par décret du Président de la République) et art. 66 (décision de sanction disciplinaire prise par le Garde des Sceaux).
(27) C. proc. pén., art. 30 al. 2 (émission des instructions), C. proc. pén., 39-1 (N° Lexbase : L4929IXT) et C. proc. pén., 39-2 (N° Lexbase : L4923IXM) (mise en oeuvre des instructions).
(28) C. proc. pén., art. 30 (N° Lexbase : L4926IXQ).
(29) C. proc. pén., art. 33 (N° Lexbase : L7056A44) et 5 in fine de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958.
(30) C. proc. pén., art. 31 (impartialité dans l'exercice de l'action publique) et 39-3 (impartialité dans la direction d'enquête).
(31) C. proc. pén., art. 40-1.
(32) Ce dont nous doutons fortement (cf. supra I).
(33) Expression utilisée dans le commentaire officiel de la décision (préc., p. 22).
(34) V., sur ce phénomène, B. de Lamy et A. Botton, La QPC, révélateur des limites du droit constitutionnel ? Lectures contrariées et contradictoires (1), Recueil Dalloz, 2012, p. 2030 et la réplique de X. Magnon, p. 2032.
(35) Commentaire préc., p.22.
(36) Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, avril 2017, p. 129 et s. (accessible en ligne sur le site de la Cour de cassation).
(37) Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 préc..
(38) Maintien que le Conseil relève lui-même au considérant 11 de sa décision.
(39) Chiffres-clés de la justice 2017, ministère de la Justice, p. 19. Précisément, ces 42,5 % se décomposent en 37,5 % d'alternatives au classement sans suite et de 5 % de composition pénale.
(40) Idem, p. 19. Précisément, sur 496 872 affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel, le ministère de la Justice dénombre 158 870 (soit environ 32 %) procédures d'ordonnance pénale et 87 733 procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (soit environ 17 %).
(41) Respectivement les lois du 25 juillet 2013 (préc.) et du 3 juin 2016 (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale).
(42) V., à cet égard, la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l'Homme qui distingue nettement les deux exigences d'indépendance et d'impartialité. V., supra, note 5.
(43) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8).
(44) V., à cet égard, B. de Lamy, Commentaire de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, D., 2004, p. 1910. M. le Professeur Bertrand de Lamy écrit ainsi que : "la loi, si elle maintient le principe de l'opportunité des poursuites, l'encadre plus précisément et entend réduire la part des classements sans suite".

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