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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
En période de crise économique, de course effrénée à la productivité et à la réduction des coûts, l'arrêt et ses conséquences au regard du management et des ressources humaines n'ont rien d'anodin. On pourra toujours se réfugier derrière le fait que, dans cette affaire, l'employé fut victime d'un infarctus du myocarde et qu'à ce titre le caractère professionnel de l'accident ait été irrévocablement reconnu ; mais, l'attendu de principe, plutôt général, ne laisse planer aucun doute. Le stress et ses conséquences médicales sont l'affaire de l'employeur qui, s'il n'y prend garde, engage sa responsabilité pour faute... inexcusable.
On savait, pourtant, qu'un harcèlement moral ne pouvait simplement résulter d'un stress, d'un conflit personnel, du pouvoir disciplinaire/d'organisation de l'employeur, mais devait être la conséquence d'une volonté réitérée de l'employeur portant atteinte à la dignité de la personne (Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-43.947, F-D). Et, du côté de la fonction publique, le comportement d'un agent générant un stress permanent dans son service et son manque d'organisation relèvent de l'inaptitude professionnelle et ne sont pas de nature à justifier légalement l'application d'une sanction disciplinaire (CAA Nancy, 3ème, 16 juin 2005, n° 01NC00151).
Mais là, c'est l'accroissement du travail patent sur les années précédant l'accident et la politique de surcharge, de pressions, "d'objectifs inatteignables" qui sont clairement en cause. Il y a des limites à la performance économique et financière de l'entreprise : les dirigeants se doivent de prendre la mesure des conséquences de leur objectif de réduction des coûts en terme de facteurs de risque pour la santé de leurs employés.
Alors, bien entendu, pour établir s'il y a faute ou non de l'employeur, le juge ne va certainement pas s'adonner à une analyse détaillée de la nécessité ou de la justesse de la politique comme des décisions de réduction des coûts. Les magistrats ne sont pas juges de la productivité et de la rentabilité de l'activité économique. C'est donc tout naturellement sur le terrain de l'obligation de sécurité de résultat qu'ils se placent. Et cette obligation ne peut exclure le cas, non exceptionnel, d'une réaction à la pression ressentie par le salarié. Un infarctus du myocarde dont le lien de causalité avec la pression professionnelle exercée aura tôt fait d'emporter la conviction des juges du fond.
Pour retracer la lignée de cet arrêt, on se souviendra que la Cour suprême avait reconnu que la mise en place d'entretiens d'évaluation pouvait être un facteur de stress, la direction devant dans ce cas consulter le CHSCT (Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964, FS-P+B+R). Et, l'appréhension du stress par le juge suprême n'est donc pas chose nouvelle ; la Haute juridiction a récemment confirmé l'octroi, à une salariée victime d'un syndrome anxio-dépressif majeur, de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de brimades, alors que la salariée évoquait, dans ses conclusions, des signes manifestes de stress (Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-27.457, F-D). Mieux, les jalons de la décision rendue le 8 novembre 2012 étaient présents dans trois arrêts plus anciens, aux termes desquels le juge suprême écartait la responsabilité de l'employeur pour absence de caractérisation de l'existence d'une faute de l'employeur ayant un rôle causal dans la survenance du décès du salarié stressé par des conditions de travail anormales (Cass. civ. 2, 8 novembre 2007, n ° 06-17.575, F-D) ou par l'annonce d'un déplacement dans une région éloignée (Cass. civ. 2, 3 juin 2010, n° 09-65.552, FS-D) ; ou d'un syndrome dépressif du salarié stressé par les difficultés qu'il devait surmonter, compte tenu de son handicap, pour continuer à remplir ses objectifs (Cass. civ. 2, 20 mai 2010, n° 09-13.984, F-D).
La filiation de la décision rendue le 8 novembre 2012 est donc directe. Si juridiquement elle ne constitue pas une surprise, ce qui explique la confidentialité de sa diffusion, elle marque assurément les esprits et, gageons, le pas vers une humanisation croissante des décisions d'entreprise, même si des restructurations et autres recherches d'économies sont parfois inéluctables. Pour ceux qui quittent l'entreprise, les employeurs ont trouvé leur salut avec les "départs volontaires" et autres ruptures conventionnelles... Mais pour les "prisonniers du boulot", l'affaire pourrait s'avérer un peu plus compliquée, d'autant que, face au stress et à la maladie, l'inégalité est de mise...
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