La lettre juridique n°505 du 15 novembre 2012 : Avocats

[Evénement] Autour de quelques propos issus du colloque organisé par le Barreau de Paris "Génération médiation - La justice change et vous ?" : l'avocat dans le processus de médiation

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[Evénement] Autour de quelques propos issus du colloque organisé par le Barreau de Paris "Génération médiation - La justice change et vous ?" : l'avocat dans le processus de médiation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/7087883-evenementautourdequelquesproposissusducolloqueorganiseparlebarreaudeparisigeneration
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 15 Novembre 2012

"La médiation doit être au coeur de la justice de demain". Tel est l'un des souhaits émis par Maître Christiane Féral-Schuhl, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris qui lors de sa campagne avait déjà montré tout son intérêt pour les modes alternatifs de règlement des litiges (MARL ou encore ADR pour sa version anglaise, alternative dispute resolution), en général, et pour la médiation en particulier. Dès 2012, elle a donc confié à Maître Michèle Jaudel la responsabilité d'une commission ouverte sur la médiation, commission très active, dont nous avons déjà eu l'occasion, dans ces colonnes, de publier les comptes-rendus des réunions aux intervenants de grande qualité. Dans la droite ligne de cette dynamique favorable au développement de ce MARL, était donc organisé par le barreau de Paris, un colloque, sous le Haut Patronage du Président de la République, François Hollande, au titre évocateur et peut-être même volontairement un brin provocateur : Génération médiation - La justice change et vous ?. Cette conférence, conçue et animée par Martine Boitelle-Cousseau, vice-Président et Président de la neuvième chambre, troisième section au tribunal de grande instance de Paris, avocat honoraire et ancien MCO et Michèle Jaudel, avocat à la cour, déléguée du Bâtonnier à la médiation, responsable de la commission ouverte sur la médiation du barreau de Parsi et médiateur agréée du CMAP, s'est donc tenue à la Maison du Barreau le jeudi 25 octobre 2012. Les éditions juridiques Lexbase présentes à cet évènement vous proposent une sélection des premiers échanges de la matinée qui avaient pour objet de présenter la médiation comme un outil de justice moderne au service des professionnels du droit, et notamment des avocats. Dans ses propos introductifs à cette journée riche en échanges, Madame le Bâtonnier, qui est elle-même médiateur agréée depuis une quinzaine d'année, a tenu à rappeler son attachement à la médiation, convaincue qu'elle jouera un rôle très important dans les années à venir, lesquelles "commencent dès à présent". C'est la raison pour laquelle elle a souhaité la création de la commission ouverte sur la médiation, animée par Maître Jaudel et dont l'ambition est notamment de communiquer cet enthousiasme pour ce mode alternatif de règlement des litiges et qu'un dialogue s'instaure au-delà des avocats avec les magistrats, les entreprises, tous les acteurs de la société civile et du monde économique. Cette commission a aussi pour objet de fédérer les associations du secteur, que sont, notamment, le Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), l'Association des médiateur européens (AME), l'Institut d'expertise, d'arbitrage et de médiation (IEAM), la Fédération nationale des centres de médiation (FNCM), l'Institut de formation à la médiation et à la négociation (IFOMENE), etc., pour mieux faire connaître cette multiplicité de talents. En tant que médiateur, Christiane Féral-Schuhl a pu constater que la médiation est véritablement un mode complémentaire à la voie judiciaire et permet une véritable conciliation des parties, un dialogue. Elle insiste en particulier sur l'intérêt qu'elle porte à la première étape du processus de médiation qui consiste à se mettre d'accord sur le désaccord, première étape qui ouvre la voie à la réconciliation et donc au règlement du litige. Dans ce cadre, l'avocat a un rôle important à jouer. Si Madame le Bâtonnier reconnaît que le rôle premier de l'avocat est de défendre son client et les intérêts de ce dernier, la médiation ouvre un véritable enrichissement de cette mission traditionnelle. En effet, au-delà de cette dernière, l'approche d'apaisement du conflit est un exercice très particulier qui exige une grande technicité et offre au tiers médiateur la possibilité de tirer une grande fierté de la réconciliation de parties qui étaient dans une dynamique d'affrontement.

Face à ce constat, Christiane Féral-Schuhl émet le souhait que l'avocat devienne un acteur incontournable de la médiation, qu'il apprenne à conseiller à ses clients l'opportunité du recours à cet ADR, lorsqu'il s'avère possible. En effet, "si la justice tranche, la médiation apaise" ; elle permet aux parties de trouver une solution et au médiateur d'éviter le traumatisme de la sanction de la justice parfois trop brutale et qui souvent ne donne satisfaction à aucune des parties. Dans le cadre du processus de médiation, les émotions et les sentiments sont pris en compte, cela permet à la dimension humaine de pénétrer le monde de la justice, élément fondamental pour le Bâtonnier de Paris. Convaincue que le développement de la justice consensuelle est un atout pour le justiciable, Christiane Féral-Schuhl en tire la conclusion qu'elle l'est aussi pour les avocats. En effet, là où le juge est enfermé dans le périmètre du procès déterminé par les demandes des parties, le médiateur peut aller au-delà et permet l'expression de solutions que les parties n'avaient pas du tout imaginées. Dès lors, le justiciable devient un véritable acteur de la solution dans un cadre structurant et ne va alors plus seulement subir la décision du juge. La médiation, applicable dans différentes sphères du droit, propose un outil complémentaire qui repositionne le rôle de l'avocat avec un élargissement de ses compétences.

Dès lors, Madame le Bâtonnier a émis le souhait que le barreau de Paris fasse en sorte que l'année 2013 soit l'année de la médiation et que puisse être décliné ce mode alternatif de règlement des litiges dans tous les domaines du droit afin que les magistrats restent les garants de la paix sociale, mais avec à leurs côtés des médiateurs qui répondent à une exigence éthique, vigie du recours sécurisé au processus de médiation. Les avocats doivent se saisir de cette opportunité ; être des promoteurs et des prescripteurs de la médiation.

Et de conclure en ces termes : "C'est l'heure de la médiation, c'est la génération médiation !"

Comme l'a rappelé Jean-Bernard Dagnaud, président de chambre honoraire au tribunal de commerce de Bobigny, formateur et médiateur agréé, la médiation, qui est définie par le Code de procédure civile, a été renforcé par la Directive de 2008 (Directive (CE) 2008/52 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale N° Lexbase : L8976H3T), transposée par l'ordonnance de novembre 2011 (ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, portant transposition de la Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale N° Lexbase : L2513IRI) et le décret du 20 janvier 2012 (décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012, relatif à la résolution amiable des différends N° Lexbase : L8264IRI). Ce processus présente une voie originale au service des parties et des conseils pour résoudre des conflits, des différents, des incompréhensions, des oppositions, à moindres frais et dans des délais raisonnables et ô combien compatibles avec les activités économiques. En effet, une sentence judiciaire ou arbitrale entraîne une rupture de la relation commerciale ; au contraire, la médiation en instaurant un dialogue entre les parties et en trouvant en compromis au bénéfice de chacune permettra une poursuite de cette relation d'affaires. L'objectif de la médiation repose sur la volonté de mettre un terme au litige par un accord construit par les parties sous la conduite d'un médiateur qui n'est pas force de proposition : on le voit, le rôle des conseils, et donc des avocats, sera ici essentiel. Le médiateur est un tiers indépendant et neutre ; sa formation est un élément très important. Cette formation, dispensée par les centres précédemment déclinés par le Bâtonnier de Paris, offre une assurance aux parties et à leurs conseils de sérieux, de compétence, de neutralité et d'indépendance. L'accord aura la force de la chose jugée et pourra être homologué, étant entendu que s'il est homologué, il perdra l'un des avantages de la médiation qui est son caractère confidentiel. Cette confidentialité est essentielle et doit être respectée par tous les intervenants, les parties, les conseils, le médiateur, les experts, les sachants, etc., et les avocats grâce à leur déontologie ont une "habitude" de la confidentialité, ce qui en fait des acteurs majeurs du processus.

Dans le cadre de la première table ronde qui avait pour thème "La médiation : un outil de justice moderne au service des professionnels du droit", Jacques Biancarelli, conseiller d'Etat, délégué au droit européen, a rappelé la définition de la médiation issue de l'article 1528 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8343IRG), "la médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s'entendent de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence".

La médiation, s'agissant de la pratique de l'homologation des titres dans le cadre de l'Union européenne, soulève, selon Monsieur le Conseiller d'Etat, dix interrogations, que les conseils doivent avoir à l'esprit :

1° Quelle est la marge d'appréciation d'un juge de l'Union européenne auquel il est demandé d'homologuer un titre ou un accord issu du processus de médiation qui s'est déroulé sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne : s'agit-il d'un simple coup de tampon ou, au contraire le juge homologateur peut-il exercer un certain contrôle sur l'accord et si oui jusqu'à quel point ? Peut-il par exemple dans ce cadre effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE ?

2° Quelle est la portée exacte du syntagme qui figure à l'article 1er de la Directive 2008/52 et qui exclut la médiation des droits et obligations des parties dont elles ne peuvent disposer en vertu de la législation nationale applicable : s'agit-il de ce que l'on appelle, en droit français, les dispositions d'ordre public ou bien s'agit-il d'une autre acception de ce terme ?

3° Bien que la médiation soit interdite en droit pénal, le règlement de certains litiges en matière civile et commerciale peut dépendre du régime d'admissibilité de la preuve. A cet égard il existe une différence substantielle entre la majorité des Etats membre dont le système repose sur le droit romano-germanique et où prévaut le principe de liberté de la preuve, et les Etats membres de common law. Dès lors, un juge peut-il refuser d'homologuer un accord de médiation au motif que les éléments de preuve qui ont permis d'y aboutir seraient considérés par lui comme non-admissibles ou non-recevables ?

4° Le juge de l'homologation pourrait-il exiger, avant de statuer, la communication de l'entier dossier du processus de médiation et comment, alors, garantir "effectivement" la confidentialité qui doit s'attacher à toute médiation ?

5° Comment s'opère l'articulation entre les titres ou accord issus d'un processus de méditation et le droit international privé et les Règlements européens dits "Rome I" et "Rome II" sur les obligations contractuelles et sur les obligations non-contractuelles ?

6° Quel est le bilan de l'application effective de la procédure participative ? Les Etats membre de l'Union ont-ils tous adopté cette procédure ? Est-elle plus efficace que les modes alternatifs de règlement des litiges plus anciens tels que la médiation ?

7° Le Code de conduite européen de mai 2004 a-t-il été actualisé et en quoi le code français de déontologie de la médiation tel que présenté publiquement le 5 février 2009 et la charte française de médiation de 2011 en diffèrent-ils ? Y-a-t'il une harmonisation suffisante en matière de déontologie ?

8° Quelles sont les solutions retenues par les autres Etats membres de contrôle de la qualité de la médiation ? Existe-t-il des procédures spécifiques, peut-être plus exigeantes, plus rigoureuses, pour le contrôle des médiations dites transfrontalières ?

9° Les dispositions en matière de recours effectif à la médiation, et notamment les exigences figurant en bas de la Directive 2008/52 sur la mise à dispositions de moyens pour contacter concrètement des médiateurs et organismes de médiation, ont-elles été suivies d'effets ?

10° Les dispositions de l'article 10 de la Directive 2008/52 qui impose une obligation à la Commission européenne de mettre à la disposition du public des informations qui lui sont régulièrement transmises par les Etats membres ont-elles été respectées ?

Pour Jean-Michel Darrois, avocat à la cour, ancien MCO, l'exercice de la médiation est un exercice complexe et les questions soulevées par le conseiller Biancarelli ne font que renforcer cette conviction. Selon lui, à la question de savoir si la profession d'avocat est naturellement favorable à la médiation, la réponse est évidemment négative. Elle est négative, lui semble-t-il, pour deux raisons essentielles.

En premier lieu, la tradition conflictuelle ancienne du barreau français apparaît opposée au processus de médiation : les avocats, en France, contrairement aux pays anglo-saxons (Etats-Unis et Royaume-Uni essentiellement), sont historiquement consultés par leurs clients à l'occasion de poursuites ; ils apparaissent alors comme les hommes du contentieux. Au fond, les avocats ayant pris l'habitude de défendre avec courage détermination et compétence les intérêts de leurs clients, il est assez difficile pour eux de se convertir à un processus de négociation. En effet, pour beaucoup d'avocats, il est plus simple de s'en remettre à la décision du juge, lequel endosse seul la responsabilité d'une réussite ou d'un échec. Il est donc nécessaire de faire admettre aux avocats, qui n'ont pas cette culture de la médiation, qu'il est préférable dans bien des cas de prescrire à leurs clients une médiation en acceptant de faire des concessions, processus dans lequel l'avocat aura un rôle à jouer dans la solution à trouver.

En second lieu, à l'opposé, les avocats d'affaires, habitués à négocier, pensent qu'ils sont capables, seuls, sans intervention d'un tiers, de trouver des solutions.

Ces deux mouvements se rejoignent, selon Maître Darrois, pour expliquer le fait que la médiation n'ait pas, pour l'instant en France, le succès escompté. Il faut en effet avoir à l'esprit que les intérêts des clients seront parfois bien mieux préservés par un accord avec leurs contradicteurs plutôt que par une intervention du juge. L'intervention d'un tiers va également permettre de trouver plus facilement une solution, qui sera plus équilibrée que dans le cadre d'une négociation en tête-à-tête. Par ailleurs, le tiers aura, dans certains cas, plus d'autorité sur les parties que leurs avocats pour les contraindre à négocier et arriver à un accord. Mais les avocats doivent être partie prenante dans ce processus et y contribuer ; cela signifie pour eux d'accepter que le contradictoire ne soit pas respecté et que le médiateur rencontre les parties en tête-à-tête, parfois hors la présence de l'avocat.

Dans le cours d'une affaire, s'ouvre parfois une fenêtre favorable au rapprochement des parties, que ce soit par la négociation, la conciliation ou la médiation. Il convient donc de réfléchir, selon Maître Darrois, aux conditions dans lesquelles peut s'ouvrir une médiation : ce ne doit pas être systématique, la médiation ne doit pas s'ouvrir à un moment prédéterminé du contentieux. Et là, le rôle de l'avocat est déterminant puisqu'il est le seul à pouvoir ressentir le moment auquel la médiation est opportune, le moment auquel son client est le plus enclin à la discussion et la résolution du litige par une solution négociée. Enfin, pour Jean-Michel Darrois, dans des affaires très complexes, la présence de deux médiateurs sera indispensable afin d'assurer l'union d'une compétence technique et d'une compétence juridique.

Ainsi, la médiation semble avoir un bel avenir devant elle, encore faut-il que les avocats fassent l'effort de s'ouvrir à cette technique nouvelle, même si elle apparaît contraire, de prime abord, à la formation qu'ils ont reçue ou à l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes.

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