Réf. : Cass. com., 30 octobre 2012, n° 11-12.231, F-D (N° Lexbase : A3290IWR)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
le 16 Novembre 2012
En application des règles de droit et des solutions jurisprudentielles, il est indispensable de déterminer la date de la survenance de la cessation des paiements (A), afin de savoir si le dirigeant de la société débitrice a respecté le délai légal pour procéder à la déclaration de cessation des paiements (B).
A - La caractérisation de la cessation des paiements
En application de l'article L. 631-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3381IC9) (1), la cessation des paiements est l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Ainsi, pour déterminer si cette dernière est survenue, il faut comparer les deux éléments de la définition, c'est-à-dire, comparer le passif exigible avec l'actif disponible du débiteur. Tout d'abord, le passif exigible est composé de toutes les dettes échues au jour où le tribunal statue. Toutefois, lorsque la détermination de la date de la cessation des paiements du débiteur intervient postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire, il n'y a pas lieu de prendre en compte les dettes devenues échues en raison de la déchéance du terme provoquée juridiquement par le régime juridique propre à cette procédure collective. Dans la présente affaire, il ne semble pas que la détermination du passif exigible au moment de l'ouverture de la procédure collective de la société débitrice ait causé la moindre difficulté, contrairement à l'actif disponible. En effet, il est également indispensable de préciser sa composition et de le chiffrer précisément, afin de fixer le montant total de l'actif disponible avant de le comparer, de le confronter au passif exigible du débiteur. A défaut, les juges ne caractérisent pas l'état de cessation des paiements de ce dernier. La Cour de cassation est particulièrement vigilante sur ce point, censurant les décisions du fond pour défaut de motivation dès lors que l'arrêt critiqué ne permet pas de savoir quel est le montant du passif exigible, quel est celui de l'actif disponible l'empêchant de pouvoir contrôler, si au jour où la cour d'appel a statué, le débiteur était effectivement en état de cessation des paiements. En l'occurrence, la cour d'appel retient que la déclaration de cessation des paiements en date du 2 décembre 2004 a été effectuée au-delà du délai légal de quinze jours pour les procédures antérieures à 2006, dès lors qu'il résulte que, dès janvier 2004, certains créanciers n'étaient pas réglés et qu'en juillet et novembre 2004 des chèques ont été rejetés par la banque pour défaut de provision. Ainsi, aucune information n'étant donnée quant à la consistance de l'actif disponible, il n'est pas possible juridiquement parlant de déterminer la date de survenance de la cessation des paiements de la société débitrice.
B - Le non-respect de l'obligation légale de déclarer la cessation des paiements
A défaut de pouvoir déterminer avec précision la date de cessation des paiements, par voie de conséquence, il n'est pas possible d'affirmer, comme le fait la cour d'appel dans la présente affaire, que la déclaration de cessation des paiements a été effectuée tardivement.
En effet, sous l'empire des dispositions légales applicables à la procédure ouverte à l'égard de la société débitrice, le représentant légal de celle-ci était tenu de procéder à la déclaration de cessation des paiements dans les quinze jours de sa survenance (2). Par ailleurs, commet une faute, le dirigeant de la société débitrice qui ne demande pas l'ouverture d'une procédure collective dans ce délai (3), susceptible de faire prononcer une mesure d'interdiction de gérer. Telle était bien la situation du dirigeant dans la présente affaire. Or, à défaut de pouvoir déterminer avec précision la date de cessation des paiements, il n'est pas possible de savoir si la déclaration est tardive ou non. Pour cette raison, la Cour de cassation censure la cour d'appel, la faute reprochée au dirigeant n'est pas caractérisée, et par conséquent, il ne peut être condamné à l'appui d'un acte qui n'est pas qualifié comme tel.
La loi du 26 juillet 2005 a modifié quelque peu la situation sur ce point. En effet, pour les procédures ouvertes après le 1er janvier 2006, le débiteur a l'obligation de procéder à la déclaration de cessation des paiements dans un délai de quarante-cinq jours, le législateur ayant pris acte de la difficulté de déterminer avec exactitude la survenance de la cessation des paiements lors de l'apparition des difficultés financières. En outre, ce délai de quarante-cinq jours permet de sanctionner le débiteur lorsque ce dernier a effectivement conscience de la cessation des paiements, notamment parce qu'il n'aura pas pu procéder au règlement lors de l'échéance mensuelle survenue au cours de ces quarante-cinq jours.
II - L'obligation de caractériser la faute ayant contribué à l'insuffisance d'actif
Que ce soit en matière d'action en comblement du passif (ancien régime) ou d'action en responsabilité pour insuffisance d'actif (nouveau régime), le dirigeant de la personne morale débitrice ne peut être sanctionné que s'il a commis une faute (ou plusieurs fautes) de gestion (A) ayant contribué à cette insuffisance d'actif (B).
A - La faute de gestion
L'action en responsabilité intentée contre le dirigeant de fait de la société débitrice est destiné à réparer le préjudice subi par les créanciers du fait de l'insuffisance d'actif du débiteur. Avant 1985, cette responsabilité spéciale au droit des entreprises en difficulté était fondée sur une présomption de faute des dirigeants de la personne morale soumise à une procédure collective. Depuis, la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), la mise en jeu de cette responsabilité nécessite une faute prouvée par le mandataire de justice. La réforme de 2005 a maintenu cette exigence, qui se situe au coeur de cette affaire.
La faute du dirigeant doit, par ailleurs, être une faute de gestion, notion qui semble être plus large que la faute commise dans la gestion énoncées aux articles L. 223-22 (N° Lexbase : L5847AIE) et L. 225-251 (N° Lexbase : L6122AIL) du Code de commerce (4). Toutefois, la jurisprudence fait une application relativement souple de la notion de faute de gestion dès lors que ce qui est reproché au dirigeant poursuivi est en relation directe avec la gestion de l'entreprise de la personne morale débitrice.
Enfin, la loi ne comporte aucune précision quant aux caractéristiques de la faute. Par conséquent, il n'y a pas lieu de considérer qu'il faille un faute d'une gravité suffisante pour qu'elle puisse être prise en compte dans le but d'actionner la responsabilité pécuniaire du dirigeant. Ainsi, dans la présente affaire, le mandataire de justice reprochait au dirigeant de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements de la société débitrice dans le délai légal, et de ne pas avoir remis une comptabilité complète au liquidateur. En effet, il faut et il suffit que cette faute ait contribué à la création de l'insuffisance d'actif constatée lors de la procédure collective. Ainsi, la déclaration tardive de la cessation des paiements, et la tenue d'une comptabilité qui n'est pas conforme aux prescriptions du livre Ier du Code de commerce, s'agissant d'une société commerciale, peuvent effectivement être qualifiées de faute de gestion.
B - La contribution à l'insuffisance d'actif
Ainsi, la faute de gestion ne suffit pas à elle seule à entraîner la responsabilité du dirigeant. Il faut, en outre, que cette dernière ait contribué à l'insuffisance d'actif, ce que confirme la Cour de cassation dans cet arrêt du 30 octobre 2012. Sous l'empire des dispositions antérieures à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, il semble que la jurisprudence admettait plus facilement la contribution de la faute à l'apparition de l'insuffisance d'actif. En effet, il suffit qu'une faute commise par le dirigeant soit pour partie à l'origine de cette insuffisance d'actif pour faire condamner le dirigeant (5). Telle semblait être la situation car le retard dans la déclaration de cessation des paiements ne peut être retenu, faute de déterminer avec précision la date de survenance de cette dernière. En outre, il paraît douteux que la seule remise d'une comptabilité partielle suffise à créer l'insuffisance d'actif constatée dans cette liquidation judiciaire.
La réforme de 2005 semble avoir apporté un peu de rigueur en la matière, car les dispositions légales actuelles font expressément référence à la "contribution" de la faute à l'insuffisance d'actif social. Par conséquent, toute faute de gestion commise par le dirigeant ne pourrait plus justifier sa condamnation à payer tout ou partie des dettes sociales impayées dans le cadre de la liquidation judiciaire. Il faudrait que les fautes qui lui sont reprochées aient eu un impact réel et effectif sur l'apparition de l'insuffisance d'actif. Dans l'arrêt du 30 octobre 2012, alors que la procédure collective est régie par les dispositions antérieures à 2005, il semble que la Cour de cassation se soit inspirée des nouveaux textes (6), lorsqu'elle censure la cour d'appel pour ne pas avoir caractérisé en quoi les fautes reprochées au dirigeant contribuaient à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société.
Par cette décision, la Cour de cassation s'inspire donc des nouvelles dispositions légales pour contrôler les conditions d'application des mesures de sanctions prononcées à l'encontre des dirigeants de personne morale débitrice, tout en respectant les conditions d'application dans le temps des nouveaux textes. Cette méthode semble plus conforme aux respects des libertés fondamentales, car sur le terrain de l'équité, il peut paraître anormal de condamner un dirigeant en raison de fautes commises alors que celles-ci ne sont pas à l'origine de l'insuffisance d'actif du débiteur.
(1) Ancien art L. 620-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6852AIM) pour la procédure collective ouverte dans la présente affaire.
(2) Ancien article L. 621-1, alinéa 2, du Code de commerce.
(3) Ancien article L 625-5, 5° du Code de commerce.
(4) F. Derrida, P. Godé, J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires, Dalloz, 3ème éd., 1991, n° 458 b.
(5) Cass. com., 3 janvier 1995, n° 91-18.198 (N° Lexbase : A9176CMS), Bull. IV n° 440, ; Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-12.087, F-P+B (N° Lexbase : A8180DIS), D., 2005, p. 1950, obs. A. Lienhard.
(6) C. com., art L. 651-2 (N° Lexbase : L8961IN9), modifié dernièrement par l'ordonnance de réforme n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT).
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