Le Quotidien du 23 août 2021 : Avocats/Champ de compétence

[Textes] La médiation ne sera pas obligatoire ou elle ne sera pas… décryptage

Réf. : Décision du 18 décembre 2020 portant modification du règlement intérieur national de la profession d'avocat (N° Lexbase : Z947691A)

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par Michèle Jaudel, Avocat au barreau de Paris Médiateur référencé au CNMA (Conseil national des barreaux), inscrit sur les listes des cours d’appel de Paris et Angers Médiateur agréé auprès du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP)

le 29 Juillet 2021


Mots-clés : texte • avocats • RIN • MARD • responsabilité • déontologie • pédagogie • formation


 

Le développement des modes amiables de règlement des différends (MARD) est aujourd’hui une évidence. Ce qui n’implique pas pour autant que l’on puisse constater un recours très significatif à ces outils.

J’entends vous parler de mon expérience en ce domaine, plus particulièrement dans celui de la médiation, ayant suivi une formation de médiateur, auprès du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP), il y a quinze ans et pratiquant depuis, toujours avec autant d’enthousiasme, ma profession d’avocat conseil, de contentieux et maintenant aussi d’avocat prescripteur et accompagnateur de mes clients en médiation, ainsi que de médiateur désigné par les juridictions et conventionnellement par les parties directement.

Alors oui, je n’hésiterai pas à l’affirmer : magistrats, avocats et justiciables, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, dorénavant tous connaissent l’existence de la médiation, ce qui ne veut pas dire qu’ils la prescrivent, la pratiquent ou la connaissent vraiment, tout simplement.

Le Conseil national des barreaux (CNB) s’est emparé du sujet, de son paradoxe et des difficultés qui en découlent inéluctablement.

Il est grand temps en effet que les MARD soient reconnus pour ce qu’ils sont véritablement, à savoir un outil favorisant la qualité de solutions adaptées aux besoins du justiciable et de la société. Il ne suffit pas d’en parler et d’exprimer une reconnaissance de leur utilité… pour les autres, il convient avant tout de reconnaître les raisons pour lesquelles la performance est réelle et pour cela de se former pour les appréhender, les pratiquer effectivement et à bon escient.

Un groupe de travail [1] a été constitué au sein du CNB à l’effet de réfléchir à l’opportunité ou non d’une modification du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (R.I.N.) (N° Lexbase : L4063IP8), pour donner un écho à l’élaboration d’un article 3.7.1 du Code de déontologie des avocats européens, ce Code de déontologie étant, pour mémoire, annexé au R.I.N.

L’article 3.7.1 dispose :

« L’avocat doit essayer à tout moment de trouver une solution au litige du client qui soit appropriée au coût de l’affaire et il doit lui donner, le moment opportun, les conseils quant à l’opportunité de rechercher un accord ou de recourir à des modes alternatifs de règlement des litiges. »

Le groupe de travail a eu pour objectif de faire des MARD un axe majeur dans l’avenir de l’avocat et, pour l’inciter à y recourir et renforcer le recours par ce-dernier aux MARD, il a suggéré d’insérer un nouvel alinéa 4 à l’article 6.1 du R.I.N. et il a proposé une rédaction plus claire et positive de l’actuel alinéa 1 de l’article 8.2 du R.I.N.

Le groupe de travail a également, en vue de garantir la proportionnalité de la mesure proposée à l’Assemblée générale, comme l’impose désormais la Directive (UE) 2018/958 du 28 juin 2018 relative au contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions (N° Lexbase : L3560LLG), évalué les différentes options envisageables pour inciter les avocats à adopter une conduite adaptée par rapport à l’efficacité des MARD, dans l’objectif de promouvoir une meilleure protection du justiciable et une meilleure administration de la justice.

A l’issue de ces travaux, le groupe de travail a opté pour la voie de la recommandation, de l’incitation, sans obliger l’avocat, de manière à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi sans excéder ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

Le 18 décembre 2020, l’Assemblée générale du Conseil national des barreaux a adopté une décision à caractère normatif n°2020-004 portant réforme du règlement intérieur national de la profession d’avocat en ses articles 6.1 et 8.2, ce qui a fait l’objet d’une publication au Journal officiel du 17 janvier 2021.

L’article 6.1 du R.I.N. est complété (en gras dans le texte) comme suit :

« 6.1 MISSION GENERALE

Partenaire de justice et acteur essentiel de la pratique universelle du droit, l’avocat a vocation à intervenir dans tous les domaines de la vie civile, économique et sociale. Il est le défenseur des droits et des libertés des personnes physiques et morales qu’il assiste ou représente en justice, et à l’égard de toute administration ou personne chargée d’une délégation de service public comme à l’occasion de la réunion d’une assemblée délibérative ou d’un organe collégial.

Il fournit à ses clients toute prestation de conseil et d’assistance ayant pour objet, à titre principal ou accessoire, la mise en œuvre des règles ou principes juridiques, la rédaction d’actes, la négociation et le suivi des relations contractuelles.

Il peut collaborer avec d’autres professionnels à l’occasion de l’exécution de missions nécessitant la réunion de compétences diversifiées et ce, aussi bien dans le cadre d’interventions limitées dans le temps et précisément définies, que par une participation à une structure ou organisation à caractère interprofessionnel.

Lorsque la loi ne l’impose pas, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables ou alternatifs de règlement des différends préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci, ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet.

Dans l’accomplissement de ses missions, l’avocat demeure, en toutes circonstances, soumis aux principes essentiels. Il doit s’assurer de son indépendance, et de l’application des règles relatives au secret professionnel et aux conflits d’intérêts ».

L’article 8.2 du R.I.N. est modifié (en gras dans le texte) comme suit :

« 8.2 REGLEMENT AMIABLE

Si un différend est susceptible de recevoir une solution amiable, avant toute procédure ou lorsqu’une action est déjà pendante devant une juridiction, l’avocat ne peut prendre contact ou recevoir la partie adverse qu’avec l’assentiment de son client. Avant toute procédure ou lorsqu’une action est déjà pendante devant une juridiction, l’avocat peut, sous réserve de recueillir l’assentiment de son client, prendre contact avec la partie adverse ou la recevoir afin de lui proposer un règlement amiable du différend. A cette occasion, il rappelle à la partie adverse la faculté de consulter un avocat et l’invite à lui en faire connaître le nom. Il s’interdit à son égard toute présentation déloyale de la situation et toute menace. Il peut néanmoins mentionner l’éventualité d’une procédure.

L’avocat, mandataire de son client, peut adresser toute injonction ou mise en demeure à l’adversaire de ce dernier.

La prise de contact avec la partie adverse ne peut avoir lieu qu’en adressant à cette partie une lettre, qui peut être transmise par voie électronique, en s’assurant préalablement de l’adresse électronique de son destinataire, rappelant la faculté pour le destinataire de consulter un avocat et l’invitant à lui faire connaître le nom de son conseil.

Ces règles s’appliquent également à l’occasion de toute relation téléphonique, dont l’avocat ne peut prendre l’initiative. » 

Afin de décrypter les motivations et les effets de ces travaux et résolutions, je vais m’attacher à réaliser un bref constat quant au rôle joué par les avocats dans le domaine de la médiation jusque dans un passé récent (I) afin de souligner ensuite ce que la modification du R.I.N. change (II) et envisager enfin ce qui peut et doit encore changer (III).

Cet exercice n’a pour seul objectif que de convaincre avec pragmatisme et humilité que les avocats, de par leur engagement, leur responsabilité et leur éthique [2] ont un rôle déterminant dans le succès du recours à la médiation, qui engendrera au demeurant un développement durable de leur activité professionnelle et la bonne marche de leur cabinet.

I - Le constat

Les avocats sont peut-être ceux qui se sont penchés le plus sur la médiation, mais sans jamais bien et complètement se l’approprier.

Si l’on laisse de côté les postures de principe résolument hostiles à la médiation et aux modes amiables en général - où ils sont perçus comme un mode de concurrence dans un monopole de la défense menacé -, on relèvera deux types de positionnement chez les avocats qui souhaitent investir ce champ, l’un renvoyant à une conception attributive de la compétence, l’autre à une conception de spécialisation.

Les premiers défendent l’idée qu’ils sont en capacité de résoudre des conflits à l’amiable sans une formation supplémentaire. D’autres avocats s’accordent à considérer que les seuls fondamentaux de la profession ne suffisent pas pour accomplir des médiations et/ou pour bien prescrire et accompagner le justiciable en médiation.

Le rattachement à l’une ou l’autre des postures n’a pas le même résultat en termes de promotion et d’incitation à la médiation. Dans la première il s’agit d’un investissement a minima, dans la seconde, considérer qu’il s’agit d’une spécialisation sous-entend que le professionnel s’est formé et par là-même peut adopter un discours, une rhétorique et une posture différente [3].

En dépit des colloques, conférences, publications et prolifération des formations de médiateur, ainsi que des actions de promotion courageuses et innovantes de représentants du barreau, on se retrouve confronté à la constatation suivante :

  • soit l’avocat se dit faire de la médiation naturellement, comme s’inscrivant dans l’ADN de son exercice professionnel, et il n’a pas besoin de recourir aux services d’un tiers formé à cet effet,
  • soit il se forme pour devenir médiateur en attendant ensuite que les médiations « tombent du ciel »…

Dans les deux cas, l’avocat qui croit faire de la médiation comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, passe à côté de son rôle de conseil et de prescripteur.

Moins l’avocat est formé, moins il n’a d’appétence pour la médiation.

En réalité, il croit connaître ce qu’il ne connaît pas ou a minima ne maîtrise pas.

Aujourd’hui, je constate que la sensibilisation à la médiation ne suffit pas. Si nous laissons bon nombre d’avocats mettre en exergue la posture du médiateur « naturel », considérant alors toute formation comme accessoire, l’implication efficace des avocats dans la médiation ne sera le fait que d’avocats convaincus.

Et tout un pan des devoirs et obligations de l’avocat restera occulté [4].

Il est vain de ne promouvoir qu’un processus pour lequel les potentiels médiés ne trouvent pas suffisamment d’avocats formés comme prescripteurs et accompagnateurs.

Un autre point que l’on constate au fil des années et des législations qui passent… c’est la difficulté pour l’avocat (et par ricochet le justiciable) de distinguer dans le flou autour de la définition de la médiation et des explications des outils qui la servent, les différences avec la transaction, la conciliation, la médiation des entreprises, la médiation de la consommation, etc.

Or, pour paraphraser Albert Camus, mal nommer les choses, c’est se condamner à mal faire.

II - Ce que la modification du R.I.N. change

Le CNB a franchi un cap essentiel. Il n’a pas hésité à dire que le recours à la médiation, à tous les MARD d’ailleurs, relevait d’une nécessaire incitation afin de créer une culture des modes amiables, un réflexe de nature à insuffler une ligne claire qui doit faire des MARD un axe majeur dans l’avenir de l’avocat.

Il a été délibérément proposé par le groupe de travail de ne pas aller au-delà de la recommandation à l’avocat de recourir aux MARD.

Il est pertinent d’inciter l’avocat à s’approprier les outils des MARD et notamment de la médiation pour accomplir l’oeuvre de justice en donnant à son client le conseil approprié. Ces outils, c’est en apprenant à les maîtriser que l’avocat, dans l’exercice en toute liberté et indépendance de sa mission, construira sa stratégie dans l’intérêt des besoins de son client.

L’Assemblée générale du CNB n’a pas hésité à adopter des textes qui énoncent clairement les démarches positives en faveur des MARD, que l’avocat entreprendra avec ses clients avant ou au cours du contentieux, qu’il engagera également dans un échange constructif avec son contradicteur, sans omettre d’insérer dans les actes juridiques des clauses de recours aux modes amiables préalablement à toute saisine du tribunal.

Une obligation de recourir aux MARD serait vouée à l'échec, en ajoutant un risque de sanction en cas de non recours aux MARD, ce qui est non seulement contraire au principe même de l’adhésion volontaire du justiciable au processus de médiation, mais encore une épée de Damoclès sur les épaules de l’avocat, inefficace et donc contreproductive (en termes de preuves et de poursuites notamment).

Il convient de rappeler, comme le soutient un ancien Président du CNB, que l’information à propos de la médiation relève d’une obligation de conseil qui pèse sur l’avocat et dont la méconnaissance peut d’ores et déjà ouvrir droit à réparation.

En tout état de cause, ce qu’il faut offrir à l’avocat, c’est :

  • l’envie de s’engager sur la voie de ces outils performants,
  • et la formation adaptée pour savoir faire et satisfaire son envie.

III -  Ce qui peut et doit encore changer

Cet embarras face à la médiation, après cet aménagement en termes d’incitation au recours à la médiation, évoluera nécessairement au fur et à mesure que le justiciable sera assuré de son adaptation à ses besoins, à ceux d’une justice apaisée et rapide.

Cet embarras explique sans doute que l’avocat n’est pas encore le principal prescripteur, puisque de façon assez courante, certains avocats attendent que le magistrat use de son pouvoir de persuasion (l’impérium du juge) envers les justiciables pour ensuite soutenir – ou non – la proposition auprès de son client.

Combien de fois entendons-nous l’avocat dire à son client que de toute façon on n’a pas intérêt à refuser la proposition du juge, allons-y, on verra bien…

Or, c’est exactement l’opposé qu’il convient de faire rentrer dans les réflexes des avocats.

Il leur appartient d’analyser le dossier et d’amener leur client à prendre la décision d’engager ou non un processus de médiation. Ce n’est pas chose aisée, contrairement à ce que l’on imagine.

Le rôle d’un prescripteur, son savoir-faire, l’art de convaincre son client, de convaincre l’autre partie, son contradicteur, n’est pas une sinécure. Or, on ne conseille bien que ce que l’on connaît bien.

Je considère, quand je remplis mon rôle d'avocat et que je suis prescripteur d’une médiation, que je rentre déjà dans le processus pour convaincre l’autre. Les outils du médiateur me sont indispensables pour être à l’aise dans mon exercice et bien conseiller.

Ce sont ces outils, maniés avec discernement, qui permettront de développer le bon usage de la médiation. Il faut savoir faire la bonne recommandation au bon moment et ce sont des milliers d’avocats formés à la prescription et à l’accompagnement qui donneront leurs heures de gloire à la médiation.

La prescription et l’accompagnement passent donc par la formation.

On peut conclure à la nécessité de cultiver une « pédagogie » de la médiation qui gagnerait à être développée à l’ENM et dans les écoles d’avocats afin que cette formation dédiée, qui se distingue de la formation de médiateurs, permette aux magistrats et aux avocats de « toucher du doigt » ce qu’est une médiation et de savoir comment et pourquoi cela marche, et apprendre ainsi à bien la prescrire.

Nous traversons une période propice à ces défis puisqu’une avocate, en la personne de la Vice-bâtonnière du barreau de Paris, Nathalie Roret, dirige l’ENM, et qu’un magistrat, en la personne de Gilles Accomondo, Premier président de la Cour d’appel de Pau, prend ses fonctions comme directeur de l’EFB Paris.

Nathalie Roret s’est d’ailleurs exprimée en ces termes : « En 2021, nous allons pouvoir accélérer l’interprofessionnalité et les formations communes. »


Puisse l’avenir lui donner raison et permettre de placer « L’avocat au cœur de la médiation » !

👉 Une formation a d'ailleurs été élaborée par trois avocats médiateurs et accompagnateurs de leurs clients en médiation, et se tiendra pour la première fois les 4 et 5 mars prochains en visioconférence [lien vers le programme].

 

[1] Groupe co-animé par Catherine Peulvé et Dominique de Ginestet, avocates, membres du CNB.

[2] Nos obs., Ethique et responsabilité : l’engagement des juges et des avocats dans le développement de la médiation, désormais une évidence, RLDA, n° 166, janvier 2021, p. 37.

[3] Fathi Ben Mrad, docteur en sociologie, Sociologie des pratiques de médiation: entre principes et compétences, L'Harmattan.

[4] Nos obs., Ethique et responsabilité : l’engagement des juges et des avocats dans le développement de la médiation, désormais une évidence, RLDA, n° 166, janvier 2021, p. 37.

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