Lexbase Fiscal n°866 du 27 mai 2021 : Fiscalité internationale

[Brèves] Retenue à la source prélevée au titre de dividendes versés à une société d’assurance-vie non-résidente : non-conformité à la liberté de circulation des capitaux

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 11 mai 2021, n° 438135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A52584R8)

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[Brèves] Retenue à la source prélevée au titre de dividendes versés à une société d’assurance-vie non-résidente : non-conformité à la liberté de circulation des capitaux. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/68195817-breves-retenue-a-la-source-prelevee-au-titre-de-dividendes-verses-a-une-societe-dassurancevie-nonres
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par Marie-Claire Sgarra

le 28 Mai 2021

Les mesures interdites par l'article 63 du TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ;

À cet égard, un traitement fiscal désavantageux, par un État membre, des dividendes versés à des sociétés résidentes d'un autre État membre, par rapport au traitement réservé aux dividendes versés à des sociétés résidentes, est, par principe, de nature à induire une telle dissuasion ; il ne saurait être compatible avec la liberté de circulation des capitaux qu'à condition de s'appliquer à des situations purement nationales et transfrontalières qui ne sont pas objectivement comparables ou d'être justifié par une raison impérieuse d'intérêt général.

Les faits :

  • une société d'assurance-vie de droit britannique a perçu au cours des années 2007 et 2008 des dividendes distribués par des sociétés françaises qui ont fait l'objet de la retenue à la source, dont le taux a été limité à 15 % en application de l'article 9 de la convention fiscale franco-britannique (N° Lexbase : E8209ET9) ;
  • par voie de réclamations adressées à l'administration fiscale, cette société a demandé la restitution des retenues ainsi prélevées sur le montant brut des dividendes de source française qu'elle avait perçus à raison de titres détenus pour les besoins de sa gestion de contrats d'assurance-vie en unités de comptes, au motif que ces retenues avaient été appliquées en méconnaissance des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives aux libertés de circulation, sans tenir compte de ce qu'elle était réglementairement tenue, concomitamment à la perception de ces dividendes, de constituer des provisions techniques qui, si elle avait été établie en France, auraient annulé la charge fiscale supportée à raison de ces revenus ;
  • à la suite du rejet de sa réclamation par l'administration, la société a saisi le tribunal administratif de Montreuil qui a rejeté sa demande ;
  • la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement (CAA Versailles, 1er octobre 2019, n° 17VE03599 N° Lexbase : A6520ZQK).

Principes :

  • toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites (TFUE, art. 63 N° Lexbase : L2713IP8) ;
  • les mesures interdites par l'article 63 du TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre.

Solution du Conseil d’État

✔ Une société établie en France, qui perçoit des dividendes versés par une société résidente sans relever du régime fiscal des sociétés mères, est imposée à raison de ces dividendes selon les modalités de droit commun de calcul du résultat imposable déterminées par l'article 38 du Code général des impôts (N° Lexbase : L7146LZP), ces dividendes étant compris dans le résultat d'ensemble de cette société. Les sociétés d'assurance-vie sont tenues de constituer, au titre de leurs engagements réglementés, des provisions techniques représentatives de leurs engagements vis-à-vis des assurés.

👉 Pour autant que la perception de dividendes provenant d'actifs admis en représentation des engagements réglementés a pour effet d'accroître, à concurrence de tout ou partie de leur montant, les engagements de l'assureur vis-à-vis de l'assuré, et par suite le montant des provisions techniques, la charge fiscale supportée par l'entreprise d'assurance établie en France à raison de la perception de ces dividendes se trouve réduite, voire annulée, du fait de l'admission en déduction, en application des règles de détermination du bénéfice soumis à l'impôt sur les bénéfices, du supplément de provision correspondant.

✔ En comparaison, une société établie hors de France, qui reçoit les mêmes dividendes versés par une société résidente est imposée sur le montant brut de ces dividendes par la voie de la retenue à la source. Le fait qu'elle exerce une activité d'assurance-vie, et en particulier qu'elle soit, dans son État membre de résidence, soumise à des obligations de provisionnement technique analogues, eu égard à leur caractère harmonisé à l'échelle de l'Union européenne, à celles prévues par le Code français des assurances est, dans son cas, sans incidence sur le taux effectif d'imposition des dividendes.

👉 Il en résulte, dans l'hypothèse où la perception des dividendes s'accompagne d'une augmentation corrélative des provisions techniques, une différence de traitement fiscal défavorable à une situation transfrontalière au sens de la jurisprudence susmentionnée de la Cour de justice de l'Union européenne.

En jugeant que la société requérante n'établissait pas, en se bornant à faire état de ce qu'elle aurait pu déduire des provisions techniques d'un montant quasi-identique aux dividendes en cause si elle avait été établie en France, que les retenues à la source opérées sur les dividendes de source française qu'elle avait perçus au cours des années en litige avaient été prélevées en méconnaissance de la liberté de circulation des capitaux, sans rechercher si, ainsi que le soutenait cette société, ces dividendes provenaient d'actifs admis en représentation de ses engagements réglementés et avaient pour effet, en exécution des engagements souscrits à l'égard de ses assurés, titulaires de contrats d'assurance-vie en unités de compte, d'accroître à due concurrence ces engagements, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit.

💡 Bon à savoir :

  • la CJUE a condamné le régime fiscal appliqué aux fonds de pension, qui sont exonérés d'impôt s'ils sont résidents alors qu'ils ne le sont pas s'ils ne sont pas résidents (CJUE, 8 novembre 2012, aff. C-342/10, Commission européenne c/ République de Finlande N° Lexbase : A5095IWM) ;
  • la différence de traitement fiscal entre les fonds de pension non‑résidents, qui perçoivent les dividendes faisant l’objet d’une retenue à la source définitive, et les fonds de pension résidents, dont les dividendes perçus font également l’objet de cette retenue mais qui peuvent imputer celle‑ci sur l’impôt sur les sociétés, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux (CJUE, 13 novembre 2019, aff. C-641/17, College Pension Plan of British Columbia N° Lexbase : A6186ZUN).

 

     

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