La lettre juridique n°865 du 20 mai 2021 : Propriété intellectuelle

[Brèves] Revirement : fin de l'exclusivité des dispositions de l'article R. 411-21 du CPI

Réf. : Cass. com., 12 mai 2021, n° 18-15.153, FS-P (N° Lexbase : A52794RX)

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par Vincent Téchené

le 19 Mai 2021

► L'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3862ADE) doit être désormais interprété en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l'application de l'article 126 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1423H4H) et que, dès lors, l'irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l'INPI résultant de l'omission, dans la déclaration de recours, d'une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

Faits et procédure. La société Sogiphar, titulaire de la marque complexe « LIBEOZ », déposée le 25 juillet 2016 et enregistrée pour désigner, notamment, les produits pharmaceutiques, produits hygiéniques pour la médecine, aliments et substances diététiques à usage médical, compléments alimentaires, emplâtres, matériels pour pansements, désinfectants, appareils et instruments chirurgicaux, médicaux, articles orthopédiques et matériel de suture, a formé opposition à la demande d'enregistrement portant sur le signe verbal « LIBZ », déposée le 12 septembre 2016 par la société Biogaran, pour désigner des produits identiques et similaires. Par décision du 21 juin 2017, le directeur de l'INPI a rejeté l'opposition.

La société Sogiphar a formé un recours contre cette décision. Son recours ayant été déclaré irrecevable (CA Douai, 8 février 2018, n° 17/04577 N° Lexbase : A9290XC3), cette dernière a formé un pourvoi en cassation.

Décision : revirement. Opérant un revirement de jurisprudence de première importance, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 6, § 1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).

Elle rend un arrêt particulièrement pédagogique.

En effet, elle commence par rappeler qu’il résulte de l’article 6, § 1, de la CESDH, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme, que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même, et elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, de la CESDH que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, 28 octobre 1998, Req. 116/1997/900/1112, § 44 N° Lexbase : A7537AW3 ; CEDH, 26 janvier 2017, Req. 797/14 et 67755/14, § 42 N° Lexbase : A5893TAI ; CEDH, 13 mars 2018, Req. 56354/09 et 24970/08, § 40 N° Lexbase : A9077XGB).

Elle poursuit en précisant que, s'agissant plus particulièrement de la réglementation relative aux formes à respecter pour introduire un recours, elle vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, et la Cour européenne des droits de l'Homme a considéré que les intéressés devaient s'attendre à ce que ces règles soient appliquées, rappelant, à cet égard, qu'il leur incombe au premier chef de faire toute diligence pour la défense de leurs intérêts.

Or, les dispositions de l'article R. 411-21 du Code de propriété intellectuelle, dans leur rédaction alors applicable, qui prévoient qu'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration de recours contre une décision rendue par le directeur de l'INPI comporte lorsque le requérant est une personne morale, les précisions de sa forme, sa dénomination, son siège social et de l'organe qui la représente légalement, sont légitimes, dès lors que, s'appliquant à un recours contre l'acte administratif individuel que constitue la délivrance d'un titre de propriété industrielle par le directeur de l'INPI (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 04-13.676, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6045DMT), elles sont destinées à assurer le respect du principe de sécurité juridique. En effet, poursuit la Haute juridiction, l'obligation pour la personne morale de mentionner l'organe la représentant permet au juge et à la partie défenderesse de s'assurer que le recours est formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale.

La Cour de cassation estime ensuite que, énoncée clairement par le texte susvisé, cette formalité peut être aisément accomplie, dès lors que la personne morale connaît nécessairement l'identité de son représentant légal, de sorte que ce texte ne crée aucune incertitude et permet à l'auteur du recours, qui doit s'attendre à ce que ces règles soient appliquées et faire toute diligence pour la défense de ses intérêts, de se conformer aux exigences du texte. Cependant, tandis que l'article 126 du Code de procédure civile dispose que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, il est jugé de façon constante que les dispositions de l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle sont spécifiques, qu'elles excluent l'application de l'article 126 du code précité et qu'il ne peut donc être procédé à la régularisation ultérieure d'un défaut de mention (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-14.115, F-D N° Lexbase : A6955DAT ; Cass. com., 17 juin 2003, n° 01-15.747, FS-P N° Lexbase : A8564C8P).

Or, la possibilité de régularisation jusqu'à ce que le juge statue n'empêcherait pas le contrôle du juge et ne porterait aucune atteinte aux intérêts légitimes de la partie défenderesse. Par ailleurs, les objectifs de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, auxquels répond l'irrecevabilité pour défaut d'une des mentions requises, ne seraient pas affectés par l'ouverture d'une telle possibilité de régularisation.

Par conséquent, opérant donc un revirement important, la Cour retient que l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il a jusqu'à présent été interprété, n'assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d'accès au juge. Il apparaît donc, selon elle, nécessaire d'abandonner la jurisprudence précitée et d'interpréter désormais l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l'application de l'article 126 du Code de procédure civile et que, dès lors, l'irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l'INPI résultant de l'omission, dans la déclaration de recours, d'une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

Application au cas d’espèce. Pour la Haute juridiction, cette nouvelle interprétation ne saurait toutefois être opposée à la société Sogiphar, pour lui reprocher de ne pas avoir procédé à la régularisation de la situation résultant du défaut de mention dans sa déclaration de recours de l'organe la représentant, dans la mesure où la jurisprudence antérieure excluait toute possibilité de régularisation. Or, elle constate que, pour déclarer irrecevable le recours de la société Sogiphar, l'arrêt d’appel relève qu'il a été formé par cette société, « prise en la personne de ses représentants légaux », et retient que, dès lors qu'une société anonyme n'a pas le même représentant légal, selon qu'elle est à conseil d'administration ou à directoire et conseil de surveillance, la seule mention de sa forme sociale ne permet pas de déduire l'organe la représentant légalement.

Censure. En conséquence, la Cour de cassation retient qu’en statuant ainsi, alors qu'elle devait écarter l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété alors, en tant qu'il atteignait de façon disproportionnée le droit d'accès à un tribunal de la société Sogiphar, la cour d'appel a méconnu les exigences de l’article 6, § 1, de la CESDH.

À noter : cet arrêt fera l’objet d’un commentaire par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski publié dans une édition de Lexbase Affaires à venir.

 

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