La lettre juridique n°865 du 20 mai 2021 : Procédure civile

[Le point sur...] La postulation : certitudes et incertitudes à la suite de la réforme de la procédure civile

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par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’AAPPE et de Droit & Procédure

le 19 Mai 2021

Mots-clés : postulation • réforme de la procédure civile • référés • nullité de fond

Tout le monde connaît la postulation mais qui sait qu’elle n’est définie nulle part dans les textes ? Or, l’extension de la représentation obligatoire résultant de la réforme de la procédure civile entraîne mécaniquement sa propre extension. Il faut donc en maîtriser le fonctionnement, d’autant que le non-respect des règles qui la gouvernent constitue une irrégularité de fond qui peut être soulevée en tout état de cause et sans avoir à justifier d’un grief. En cas de non-respect, tout n’est pas perdu pour autant, mais il faut agir à temps : l’irrégularité peut être couverte, mais seulement avant que le juge statue.


 

La réforme de la procédure civile issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 (N° Lexbase : L8421LT3) n’a, en apparence, pas changé les règles de la postulation. En effet, la réforme n’a modifié qu’à la marge les articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Ces articles réservent la postulation, c’est-à-dire la représentation obligatoire par avocats, à certains avocats devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel, sur une base territoriale.

Après avoir rappelé ce qu'est la postulation est (I), nous verrons que la réforme a subrepticement étendue son champ, tout en créant des incertitudes (II). Nous conclurons en pointant les dangers liés à la non-prise en compte de cette extension et les solutions possibles (III).

I. Ce que la postulation est

De façon étonnante, la postulation n’est définie ni dans les textes ni dans les livres (A). Il faut aller chercher sa définition dans la jurisprudence de la Cour de cassation (B). On s’aperçoit alors que, comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir, les avocats postulent souvent sans le savoir non plus (C).

A. La postulation, un concept sans définition dans les textes et dans les livres

1) Absence de définition dans les textes

On cherchera en vain une définition de la postulation dans le Code de procédure civile ou dans n’importe quel autre code d’ailleurs. Une recherche en plein texte dans Légifrance ne permet de trouver que six occurrences de ce terme dans l’ensemble des codes.

Cinq sont situées dans le Code de commerce. Elles concernent le tarif des avocats dans des matières particulières (saisie immobilière ; partage ; licitation ; sûretés judiciaires). Elles se trouvent à l’article R. 444-71 (N° Lexbase : L1317LKY), au Tableau 6 annexé à l'article R. 444-3 (N° Lexbase : L2443LGL) et à l’Annexe 4-8 du Code de commerce. La sixième occurrence se trouve dans le Code de la Sécurité sociale, à son article R. 653-20 (N° Lexbase : L2222LRQ). Cet article concerne l’allocation que l’avocat peut recevoir en cas d’invalidité temporaire, impliquant la cessation de toute activité, y compris de postulation.

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est plus riche en utilisation du verbe « postuler » et du mot « postulation » : dix occurrences. Elle oppose le verbe « postuler » à celui de « plaider ». Mais elle n’en propose pas pour autant de définition.

La postulation est donc un terme au contenu juridiquement indéfini.

2) Absence de définition dans les livres

La doctrine n’éclaire pas plus : le principal ouvrage en matière de procédure civile ne contient pas d’entrée « postulation » en tant que telle à son index. Il faut aller chercher sous l’entrée « tribunal judiciaire (procédure) / RO (avocat postulant/avocat plaidant) » pour trouver un renvoi (S. Guichard (s. la dir.), Droit et pratique de la procédure civile 2021|2022, Dalloz, 10e éd., 2019, 441.73).

Un autre ouvrage n’a pas non plus d’entrée propre à son index mais sa classification nous paraît plus convaincante : on retrouve le terme à l’entrée « Représentation en justice / postulation » qui propose deux renvois (J. Héron , Th. Le Bars, K. Salhi, Droit judiciaire privé, LGDJ, 7e éd., 2019, 205, 770). Là encore, aucune définition du terme n’est cependant clairement énoncée.

Enfin, un dernier ouvrage consulté mentionne bien une entrée « postulation » dans son index mais le point auquel il renvoie traite de la définition des dépens. Parmi ceux-ci, les frais de postulation sont évoqués en passant et une définition de la postulation, reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation, est proposée en note de bas-de-page (L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 10e éd., 2017, 47).

La postulation est donc largement un impensé de la procédure civile.

B. La définition issue de la jurisprudence de la Cour de cassation

1) Première définition : la postulation, c’est la représentation obligatoire devant les juridictions

Pour savoir ce qu'est la postulation est, il faut donc se tourner vers la Cour de cassation. Dans un arrêt du 28 janvier 2016, la Cour a posé que « la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d'une partie devant une juridiction ». En conséquence, « un avocat ne postule pas lorsque la représentation n'est pas obligatoire » (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n°14-29.185, F-P+B+I (N° Lexbase : A9588N4U).

À retenir : la postulation est donc une forme de représentation particulière qui n’existe que lorsque la représentation est obligatoire devant les juridictions.

2) Seconde définition : la postulation, c’est la représentation obligatoire par avocat devant les juridictions

Par deux avis du 5 mai 2017 en matière de représentation devant la cour d’appel en matière prud’homale, la Cour de cassation a encore restreint cette définition (Cass. avis, 5 mai 2017, deux avis, n° 17006 N° Lexbase : A9752WBS et n° 17007 N° Lexbase : A9753WBT). En effet, il semble falloir déduire de ces deux avis que la postulation est la représentation obligatoire par avocat, à l’exclusion des cas où la représentation obligatoire peut se faire par avocat ou par une autre personne.

La Cour de cassation conclut en l’espèce que, si la représentation est bien obligatoire en matière d’appel prud’homale, elle n’est pas réservée aux seuls avocats, un défenseur syndical pouvant aussi représenter les parties. En conséquence de quoi, la Cour de cassation écarte les règles de la postulation.

Cette solution est critiquée en doctrine (J. Héron, Th. Le Bars, K. Salhi, ibid., 770) et nous paraît effectivement plus opportuniste que juridiquement fondée. Mais, en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, force est de tenir compte de son existence.

À retenir : la postulation est donc une forme de représentation particulière qui n’existe que lorsque la représentation est obligatoire devant les juridictions et qui est de plus assurée par les seuls avocats, à l’exclusion de toute autre personne.

C. La postulation, c’est la prose des avocats

1) La postulation non-dite en cas de cumul des qualités d’avocat plaidant et postulant devant « ses » tribunaux judicaires et « sa » cour d’appel avant la réforme

Cette définition interroge par rapport au langage juridique courant. En effet, dans celui-ci, la postulation désigne le cas où l’avocat doit recourir à un correspondant local car il n’est pas établi dans le ressort de la cour d’appel du tribunal judiciaire saisi ou dans le ressort de la cour d’appel si c’est celle-ci qui est saisie. On a donc un avocat « plaidant » qui a la maîtrise du dossier et un avocat « postulant » qui assure la représentation obligatoire devant la juridiction saisie. Cette dichotomie est usuellement exprimée dans les écritures par la formule « ayant pour avocat postulant : […] et pour avocat plaidant : […] ».

On retrouve ainsi la distinction entre les fonctions de plaidoiries et de postulation de l’avocat énoncée à l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Mais, si l'on applique la définition de la Cour de cassation, la postulation est la représentation obligatioire devant les juridictions par avocat. Ni plus ni moins. L’avocat qui représente un client devant un tribunal judiciaire du ressort de la cour d’appel dans lequel il est établi postule donc aussi. Simplement, il cumule alors sur son chef les deux qualités d’avocat plaidant et postulant, raison pour laquelle les écritures portent usuellement la formule « ayant pour avocat : […] » sans plus de précision que l’avocat à la fois postule et plaide.

Comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir (Molière, Le Bourgeois Gentilhomme, acte II, scène IV), il faut donc en conclure que l’avocat fait souvent de la postulation sans le savoir, lorsqu’il cumule les qualités de postulant et de plaidant.

2) La double limitation territoriale à la postulation avant la réforme

L’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne disait en réalité pas autre chose avant la réforme de la procédure civile. Il ne faisait que fixer une double limitation à la postulation, la première matérielle, la seconde territoriale.

La première limitation, matérielle, concernait les juridictions devant lesquelles l’avocat pouvait postuler : les tribunaux de grande instance et les cours d’appel. Cette limitation matérielle à la postulation était logique puisque la représentation obligatoire par avocat existait essentiellement devant le tribunal de grande instance et la cour d’appel avant la réforme. On ne pouvait postuler devant les tribunaux de commerce ou les Conseils des Prud’hommes, faute de représentation obligatoire devant ces juridictions.

La seconde limitation, territoriale, concernait les tribunaux de grande instance et les cours d’appel devant lesquels l’avocat pouvait postuler : il s’agissait des seuls tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel dans lequel l’avocat était établi et de cette cour d’appel. 

Des ajustements dans deux sens, réduction et extension, étaient prévues à cette limitation territoriale.

Dans le sens de la réduction, devant les tribunaux de grande instance, l’avocat ne pouvait postuler que devant celui dans le ressort duquel il était établi en matière de saisie immobilière, de partage et de licitation, s’il intervenait au titre de l’aide juridictionnelle ou s’il postulait pour un confrère qui aurait été l’avocat plaidant.

Dans le sens de l’extension, les avocats de Paris, Bobigny, Créteil, relevant de la cour d’appel de Paris, et de Nanterre, relevant de la cour d’appel de Versailles, échappaient à la limitation territoriale de la postulation, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la « multipostulation ». C’était l’article 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

À retenir : avant la réforme de la procédure civile, la postulation était donc la représentation obligatoire par les seuls avocats devant les tribunaux judiciaires de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’avocat était établi et devant cette cour d’appel, sauf limitation à son seul tribunal de grande instance d’établissement dans certains cas (saisie immobilière, partage, licitation, aide juridictionnelle, postulation au profit d’un avocat plaidant) ou extension dans certains endroits (multi-postulation à Paris, Bobigny, Créteil et de Nanterre).

II. L’extension de la postulation à la suite de la réforme et ses incertitudes

Avec la réforme de la procédure civile, le champ de la représentation obligatoire par avocat devant les juridictions s’est étendu, entraînant, mécaniquement, celui de la postulation (A). Mais cette extension n’est pas sans ses parts d’ombres qui, pour certaines, font encore débat aujourd’hui (B).

A. L’extension subreptice de la postulation à la faveur de la réforme de la procédure civile

On sait que l’un des changements majeurs issus de la réforme de la procédure civile résultant des décrets n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 (N° Lexbase : Z7419194) réside dans l’extension de la représentation obligatoire par avocat devant :

  • le tribunal judiciaire (CPC, art. 760) ;
  • le tribunal de commerce (CPC, art. 853) ;
  • le juge de l’exécution (CPCE, art. L. 121-4 et R. 121-6).

Nous renvoyons sur ce sujet aux commentaires précédemment publiés ici (S. Hazoug, Réforme de la procédure civile 2020- Extension de la représentation par avocat » Lexbase, Droit privé, janvier 2020, [LXB= N1954BYZ]C. Simon, Même joueur joue encore : la réforme de la réforme de la procédure civile, Lexbase, Droit privé, décembre 2020, n°847 (N° Lexbase : N5622BYU).

Mécaniquement, l’extension de la représentation obligatoire par avocat entraîne l’extension de la postulation puisque la seconde se définit précisément comme étant la première.

Les avocats postulent donc désormais devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel lorsque la représentation est obligatoire mais aussi devant les tribunaux de commerce et les juges de l’exécution.

C’est du moins le premier mouvement qu’on peut avoir. En pratique, la question est loin d’être claire.

B. Les incertitudes quant à l’étendue de cette extension

1) La déconnexion des règles de postulation issues de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 avec l’extension de la représentation obligatoire issue de la réforme

La réforme de la procédure civile n’a donné lieu qu’à un toilettage superficiel de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, en particulier ses dispositions sur la postulation. L’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 (N° Lexbase : L4046LSN) prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 (N° Lexbase : L6740LPC) et de réforme pour la justice a simplement remplacé les mots « tribunal de grande instance » et « tribunaux de grande instance » par « tribunal judiciaire » et « tribunaux judiciaires » aux articles 5 et 5-1 de la loi.

Alors que la réforme a étendu la représentation obligatoire aux tribunaux de commerce, rien n’est dit sur le cadre géographique de la postulation devant ceux-ci. Nous doutons que ce silence soit volontaire. Plus certainement, cela est dû à l’absence de réflexion d’ensemble des auteurs de la réforme. Celle-ci a modifié certains équilibres antérieurs sans souci des effets secondaires qui n’ont manifestement pas été anticipés car non maîtrisés.

Dans le silence des textes, il faut opter pour l’absence de limitation territoriale à la postulation devant les tribunaux de commerce. À défaut, cela rendrait la procédure impraticable devant cette juridiction puisque les conditions de représentation par avocat seraient inconnues.

Si les textes sont tout aussi silencieux quant à la postulation devant le juge de l’exécution, la logique milite pour appliquer les règles valant devant le tribunal judiciaire. En effet, tout d’abord, le Juge de l’exécution est une fonction particulière du tribunal judiciaire (COJ, art. L. 213-5 N° Lexbase : L7741LPE à L. 213-7 N° Lexbase : L7739LPC). Ensuite, le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, de la procédure de saisie immobilière (COJ, art. L. 213-6 al. 3 N° Lexbase : L7740LPD) qui fait l’objet d’une restriction aux règles habituelles de territorialité de la postulation devant le tribunal judiciaire (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 5 al. 3).

À retenir : après la réforme de la procédure civile, la postulation est la représentation obligatoire par les seuls avocats devant les juridictions.

L’avocat peut postuler devant tous les tribunaux de commerce lorsque la représentation y est obligatoire.

Il ne peut postuler que devant les tribunaux judiciaires et les juges de l’exécution de la cour d’appel dans le ressort de laquelle il est établi et devant cette cour d’appel, sauf limitation à son seul tribunal judiciaire ou juge de l’exécution d’établissement dans certains cas (saisie immobilière, partage, licitation, aide juridictionnelle, postulation au profit d’un avocat plaidant) ou extension dans certains endroits (multi-postulation à Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre).

2) La résistance d’une partie de la doctrine quant aux procédures de référé devant le tribunal judiciaire

Un autre auteur a défendu ici l’idée que la réforme n’aurait pas étendu la représentation obligatoire à l’hypothèse des référés devant le tribunal judiciaire. En effet, pour lui « il est permis de considérer, même si en pratique l’hypothèse est en réalité plutôt d’école, que la dispense de représentation en matière de référés, admise alors que la procédure ordinaire devant le tribunal de grande instance supposait l’intervention d’un avocat, pourra perdurer » (S. Hazoug, ibid.).

Le principal ouvrage en matière de procédure civile est cependant d’un avis contraire (S. Guichard, ibid., 441.71), de même que la Chancellerie.

À la question « l’extension de la représentation obligatoire par avocat à certaines procédures de référé est-elle applicable aux affaires en cours au 1er janvier 2020 ? », la Chancellerie a répondu dans sa Foire aux questions de février 2020 que l’extension de la représentation obligatoire n’était applicable qu’aux instances introduites après le 1er janvier 2020 (Direction des affaires civiles et du sceau, Réforme de la procédure civile – FAQ, février 2020, p. 13 - lien).

Elle vise dans sa réponse les articles 760 (N° Lexbase : L9225LTT) et 761 (N° Lexbase : L8600LY8) du Code de procédure civile propres au tribunal judiciaire. C’est donc bien que, pour la Chancellerie qui a rédigé la réforme, la représentation est désormais aussi obligatoire aux procédures en référé devant le tribunal judiciaire.

Il en est mécaniquement de même de la postulation. La Chancellerie répond d’ailleurs ainsi à la question suivante « est-ce que les règles de la postulation s’appliquent ? » : « Les règles de la postulation issues des articles 4 et 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 n’ont pas été modifiées de sorte qu’elles ont en principe vocation à s’appliquer aux matières qui se sont vues étendre la représentation obligatoire par avocat » (Direction des affaires civiles et du sceau, ibid., p. 13).

La conséquence pratique est que, devant le tribunal judiciaire, il convient désormais d'appliquer les règles propres à la postulation, en particulier sa limitation territoriale, y compris en référé.

À retenir : devant les tribunaux judiciaires, il faut tenir compte des éventuelles limitations territoriales à la postulation, y compris en référé.

3) Le cas du juge de l’exécution

Devant le juge de l’exécution, la Chancellerie a adopté dans sa foire aux questions une position qui étonne au premier abord : les limitations territoriales à la postulation s’appliqueraient en procédure ordinaire lorsque la représentation est obligatoire mais ne s’appliqueraient pas en matière de requête, alors même que la représentation par avocat serait obligatoire (Direction des affaires civiles et du sceau, ibid., p. 13-14).

Le raisonnement de la Chancellerie est le suivant : en matière de requête devant le Juge de l’exécution, il existe en réalité une représentation concurrente par les huissiers de justice, en application des articles L. 122-2 (N° Lexbase : L5811IRN) et R. 121-23 (N° Lexbase : L9213LTE) du Code des procédures civiles d’exécution. En conséquence, il conviendrait de se référer au raisonnement de la Cour de cassation en matière d’appel prud’homal où, pour rappel, la compétence concurrente des défenseurs syndicaux chasse la postulation (voir ci-dessus I. B. 2)). La postulation ne s’appliquerait donc pas en matière de requêtes devant le juge de l’exécution, du fait de la compétence concurrente des huissiers.

La Chancellerie prend cependant le soin d’indiquer qu’elle livre cette analyse « sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions », c’est-à-dire qu’elle reconnaît être incapable d’indiquer les effets d’un texte de procédure dont elle est pourtant l’auteur…

À retenir : les règles de postulation, en particulier leurs limitations territoriales s’agissant du tribunal judiciaire, s’appliquent devant le juge de l’exécution, sauf en matière de requêtes où n’importe quel avocat pourrait présenter une requête selon la Chancellerie.

4) Le séparatisme étatique

Un élément annexe de la réforme de la procédure civile aurait pu constituer une brèche de taille à la postulation devant les tribunaux judiciaires.

L’article 761 du Code de procédure civile prévoit en effet que l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration devant le tribunal judiciaire. Il s’agit d’une dispense générale à la représentation par avocat. La même dispense à l’obligation de représentation par avocat existe dans le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à l’article R. 311-9 (N° Lexbase : L9442LTU).

Cette compétence concurrente aurait pu être utilisée pour tenter d’écarter, de façon générale, les règles de la postulation devant le tribunal judiciaire. Mais la Cour de cassation vient de mettre le holà à une telle interprétation.

Par un avis du 6 mai 2021 concernant la procédure en matière d’expropriation, elle a jugé que cette dispense ne profitait qu’à certaines personnes publiques, ès-qualités, et ne s’étendait pas aux autres parties. Par conséquent, les règles de la postulation s’appliquent aux autres parties, malgré la compétence concurrente des fonctionnaire et agents de certaines personnes publiques pour représenter celles-ci mais seulement celles-ci (Cass. avis, 6 mai 2021, n° 15007 N° Lexbase : A88644RQ).

La postulation devant le tribunal judiciaire est donc sauve.

III. Dangers liés à l’extension de la postulation et solutions possibles

Ceci exposé, il convient de s’intéresser aux dangers liés à l’extension de la postulation. Ce sont, en pratique, les dangers habituels inhérents au non-respect des règles de la postulation (A). Il en est de même des solutions (B).

A. Dangers liés à l’extension de la postulation

1) La violation des règles de postulation est sanctionnée d’une nullité de fond

Le non-respect des règles de postulation constitue une irrégularité de fond. En effet, ce non-respect correspond à un défaut de capacité d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice au sens de l’article 117 du Code de procédure civile. La doctrine le dit (S. Guichard (s. la dir.), ibid., 441.73), tout comme la jurisprudence (Cass. civ. 2, 23 octobre 2003, n°01-17.806, FS-P+B N° Lexbase : A9382C9D ; Cass. civ. 2, 9 janvier 1991 n° 89-16.180N° Lexbase : A0501CQM, commenté dans JCP G n°16, 15 avril 1992, II 21831). Tout acte réalisé en violation des règles de postulation se trouve ainsi menacé d’une nullité de fond.

Le risque est donc aujourd’hui que certains avocats qui n’ont pas pris conscience des conséquences de la réforme de la procédure civile en matière de postulation se présentent demain par exemple devant le juge des référés d’un autre tribunal judiciaire qu’un de ceux se trouvant dans le ressort de la cour d’appel où ils résident alors que la représentation est obligatoire. Cette situation entraînera :

  • en demande, la nullité de l’assignation ;
  • en défense, l’impossibilité d’entendre l’avocat qui se présente pour plaider puisque son client n’est pas valablement représenté devant le tribunal.

Tout jugement obtenu en violation des règles de postulation se trouvera quant à lui automatiquement frappé de nullité (voir Cass civ. 2, 9 janvier 1991 précité).

Comme pour toute nullité de fond, l’irrégularité tenant au défaut de capacité de l’avocat ne pouvant postuler peut être soulevée en tout état de cause (CPC, art. 118 N° Lexbase : L8421IRC) et celui qui la soulève n’a pas à justifier d’un grief (CPC, art. 119 N° Lexbase : L1407H4U).

C’est donc un danger majeur pour l’avocat.

2) Le piège de la séparation des qualités d’avocat postulant et plaidant

Lorsque la postulation est obligatoire et qu’elle est de plus réservée à certains avocats sur une base territoriale, comme devant le tribunal judiciaire en application de l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, son respect est par conséquent primordial.

Cela inclut le respect de la restriction supplémentaire obligeant à ce que le postulant soit non seulement établi dans le ressort de la cour d’appel du tribunal saisi mais, plus encore, établi dans le ressort de ce tribunal s’il n’est pas le plaidant.

Pour illustrer cela d’exemples, soit une instance en référé devant le tribunal judiciaire avec représentation obligatoire :

  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat parisien pour une audience devant le juge des référés du tribunal de Paris n’est pas critiquable ;
  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat parisien pour une audience devant le juge des référés du tribunal de Grasse est frappée d’une nullité de fond (l’avocat parisien ne peut pas postuler devant le tribunal de Grasse) ;
  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat postulant niçois avec un avocat plaidant parisien devant le juge des référés du tribunal de Grasse est frappée d’une nullité de fond (l’avocat niçois ne peut pas postuler devant le tribunal de Grasse. Le tribunal de Grasse est certes dans le ressort de la même cour d’appel que le tribunal de Nice, celle d’Aix-en-Provence, mais l’avocat niçois n’a pas la maîtrise du dossier et ne plaide pas et ne peut donc pas postuler devant un autre tribunal que celui de Nice) ;
  • l’assignation mentionnant la constitution d’un avocat postulant grassois avec un avocat plaidant parisien devant le juge des référés du tribunal de Grasse n’est pas critiquable (l’avocat grassois peut postuler devant le tribunal dans le ressort duquel il réside, même s’il n’a pas la maîtrise du dossier et ne plaide pas).

À retenir : le non-respect des règles de postulation, en particulier de leurs limitations territoriales s’agissant du tribunal judiciaire, est sanctionné par une nullité de fond.

B. Les solutions face à ces dangers

Le risque attaché à une nullité de fond est amoindri par le fait que ce type de nullités peut être couvert avant que le juge statue (CPC, art. 121 N° Lexbase : L1412H43).

C’est ainsi que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de sauver une procédure devant l’ancien tribunal de grande instance (Cass. civ. 2, 20 mai 2010, n° 06-22.024, FS-P+B N° Lexbase : A7198EXU). En l’espèce, la procédure avait débuté classiquement par une assignation mais celle-ci mentionnait en tant que postulant un avocat qui ne pouvait postuler devant le tribunal saisi. Heureusement pour le demandeur, un avocat pouvant postuler devant ce tribunal s’est constitué avant que le juge statue, couvrant l’irrégularité.

À retenir : si les règles de postulation n’ont pas été respectées, il est possible de couvrir l’irrégularité de fond en constituant un avocat pouvant postuler, jusqu'à ce que le juge statue.

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