La lettre juridique n°496 du 6 septembre 2012 : Divorce

[Chronique] Chronique de droit du divorce - septembre 2012 - Octroi d'une prestation compensatoire : attention aux précédentes décisions

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

le 04 Octobre 2012

Il existe des affaires, a priori simples, presque "réglées d'avance", pour lesquelles le résultat est inattendu du fait de l'obstination, de la ruse, de l'anticipation ou, au contraire, du manque d'inattention des parties et/ou de leurs conseils. Les arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, les 6 et 7 juin 2012 (Cass. civ. 1, 6 juin 2012, n° 11-12.275, FS-D et Cass. civ. 2, 7 juin 2012, n° 11-14.676, FS-D), en sont des exemples topiques. Dans la première espèce, l'arrêt rejetant la demande de prestation compensatoire, à défaut de disparité dans les conditions de vie des époux, fut cassé au motif que les juges du fond n'avaient pas tenu compte d'une décision précédente, validant l'engagement du défendeur d'assurer une couverture sociale au demandeur, comme si le lien matrimonial avait été maintenu. Dans la seconde affaire, la demande de prestation compensatoire fut écartée, bien que la disparité dans les conditions vie respectives eut été reconnue, au motif qu'il ne peut être statué sur une demande de prestation compensatoire qu'au cours de la procédure de divorce et qu'une précédente décision, rejetant la demande, avait autorité de la chose jugée.
  • Absence de disparité dans les conditions de vie mais décision précédente validant l'engagement du défendeur d'assurer une couverture sociale au demandeur, comme si le lien matrimonial avait été maintenu (Cass. civ. 1, 6 juin 2012, n° 11-12.275, FS-D N° Lexbase : A3835IND)

En 1997, un couple s'est séparé de corps par consentement mutuel. Selon la convention définitive homologuée, l'époux s'est engagé à assurer à l'épouse, en cas de divorce et jusqu'à la fin de ses jours, une couverture sociale égale à celle dont elle aurait bénéficié si le lien matrimonial avait été maintenu.

En 2009, un divorce a été prononcé pour altération définitive du lien conjugal. L'époux était alors âgé de 69 ans et l'épouse de 63 ans. Le mariage avait duré 45 ans. L'épouse n'avait exercé aucune activité professionnelle et était atteinte d'ostéoporose. Elle était propriétaire de deux studios et d'une résidence et avait bénéficié du règlement de deux successions. L'époux, qui vivait sur un bateau, touchait une retraite confortable et en versait près du tiers à l'épouse, au titre de la contribution aux charges du mariage.

Les juges du fond ont estimé qu'il n'y avait pas de disparité actuelle et prévisible dans les conditions de vie respectives des époux. La demande de l'épouse tendant à l'octroi d'une prestation compensatoire, sous forme de rente viagère, avec une couverture sociale à vie, a donc été rejetée. Les effets du divorce furent fixés au 9 décembre 1996, date à partir de laquelle les époux ont résidé séparément.

Le 6 juin 2012, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en visant l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B). Elle a reproché à la cour d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions de l'épouse qui faisait valoir, qu'à l'occasion du prononcé de la séparation de corps, l'époux avait, aux termes de la convention définitive homologuée, souscrit l'engagement de lui assurer, en cas de divorce et jusqu'à la fin de ses jours, une couverture sociale égale à celle dont elle aurait bénéficié si le lien matrimonial avait été maintenu.

La prestation compensatoire est versée en cas de disparité dans les conditions de vie respectives des époux et celle-ci doit être appréciée au moment du divorce. En pratique, lorsque les époux sont séparés depuis plusieurs années et gèrent leurs affaires chacun de leur côté, le divorce a rarement pour effet de créer une disparité dans leurs conditions de vie respectives. Les membres du couple ont généralement déjà cessé de cohabiter et de contribuer aux charges du ménage et il n'y a donc souvent pas lieu d'attribuer de prestation compensatoire.

La séparation de corps est une situation intermédiaire entre le mariage et le divorce. Les époux sont séparés de biens et ne sont plus tenus au devoir de cohabitation. Il leur est "seulement" imposé d'être fidèles, même si les juges apprécient cette obligation avec indulgence, et de se porter secours. Ainsi, lorsque, avant le divorce, les époux avaient opté pour une séparation de corps, cela facilite la preuve de la séparation et permet fréquemment de conclure à l'absence de disparité dans les conditions de vie.

Dans l'affaire examinée, la question posée aux juges était de savoir si, lorsque la séparation de corps a été prononcée par consentement mutuel, les juges doivent, pour décider de l'attribution d'une prestation compensatoire, tenir compte de la convention homologuée. Que deviennent, au moment du divorce, les engagements pris dans la convention, conclue par les époux et homologuée par le juge, lors d'une précédente séparation de corps par consentement mutuel ? Ceux-ci doivent-ils toujours être respectés ou sont-ils caduques, du fait que les époux ne sont plus séparés de corps mais divorcés ? De manière générale, la décision de séparation de corps lie-t-elle la décision de divorce ?

Lorsque la séparation de corps est convertie en divorce (C. civ., art. 306 et s. N° Lexbase : L2860DZX), l'article 308 du Code civil (N° Lexbase : L2721ABE) dispose clairement : "du fait de la conversion, la cause de la séparation de corps devient la cause du divorce ; l'attribution des torts n'est pas modifiée. Le juge fixe les conséquences du divorce. Les prestations et pensions entre époux sont déterminées selon les règles propres au divorce". Les effets du divorce remplacent ceux de la séparation de corps, même si la décision prononçant cette dernière est devenue irrévocable. Lorsque le divorce est prononcé à la suite d'une nouvelle demande, indépendamment de la séparation de corps, la même solution semble encore plus s'imposer. Le divorce, indépendant de la séparation de corps, n'en reprend ni les causes, ni les effets. Le juge de la séparation de corps ne lie pas le juge du divorce.

Dans les situations contentieuses, où les conséquences de la séparation sont fixées par le juge, la solution peut s'entendre. Un jugement "impartial" de séparation de corps est remplacé par un jugement "impartial" de divorce. Dans les séparations par consentement mutuel, la situation est différente. Les époux peuvent conclure, et le juge accepter d'homologuer, une convention déséquilibrée. Or, ignorer la convention homologuée lors de la séparation de corps revient à permettre à un conjoint, après avoir convaincu son partenaire d'accepter cette séparation par consentement mutuel, en lui concédant plusieurs avantages dans la convention, de faire ensuite fi de cette dernière lorsque, après deux ans de séparation, il obtient aisément un divorce pour altération du lien conjugal. De plus, depuis la réforme du divorce de 2004, le maintien du devoir de secours, en cas de divorce "pour cause de séparation", c'est-à-dire le divorce pour altération du lien conjugal qui a remplacé le divorce pour altération de la vie commune, a été supprimé. L'époux qui n'a pas droit à une prestation compensatoire n'a donc droit à... rien !

En l'espèce, il est vrai qu'il n'y avait pas de disparité actuelle et prévisible dans les conditions de vie respectives des époux. L'engagement pris par le mari, dans la convention, s'inscrivait davantage dans l'esprit du maintien du devoir de secours que de l'octroi d'une prestation compensatoire. Etant donné le patrimoine des époux, et notamment de l'épouse, le fait de perdre une couverture sociale ne pouvait pas réellement être assimilé à la création d'une disparité dans les conditions de vie. Néanmoins, permettre à l'époux de se dédouaner de ses engagements, au motif qu'un divorce était prononcé, alors que ceux-ci couvraient expressément cette hypothèse, eut été très critiquable.

La Cour de cassation n'a pas clairement tranché la question. Elle s'en est remise aux juges du fond en demandant à la cour d'appel de renvoi, contrairement à l'arrêt attaqué, de répondre aux conclusions de l'épouse sur ce point.

  • Disparité dans les conditions de vie mais décision précédente de rejet ayant autorité de la chose jugée (Cass. civ. 2, 7 juin 2012, n° 11-14.676, FS-D N° Lexbase : A3928INS)

En septembre 2003, un juge aux affaires familiales a prononcé un divorce et attribué à l'épouse, à titre de prestation compensatoire, la part du mari sur le domicile conjugal, à charge pour elle d'en régler le crédit d'acquisition. En novembre 2004, sur appel de l'époux, un arrêt a confirmé le divorce, conclu que la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, sursis à statuer sur le montant de la prestation compensatoire et ordonné la réouverture des débats, en invitant les parties à conclure sur le montant en capital sollicité au titre de ladite prestation.

En juin 2005, un nouvel arrêt a débouté l'épouse de sa demande tendant à l'attribution, à titre de prestation compensatoire, de la part revenant au mari sur l'immeuble commun, en pleine propriété.

En 2009, l'épouse a de nouveau demandé une prestation compensatoire, sous la forme d'un capital, et un juge lui a accordé la somme de 100 000 euros. Le 28 avril 2010, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, au contraire, déclaré la demande irrecevable et, le 7 juin 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l'épouse.

A première vue, la décision peut surprendre. La demande de prestation compensatoire est rejetée alors qu'il n'est pas contesté que le divorce créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Néanmoins, lorsque l'on l'étudie attentivement, la solution de cette affaire est parfaitement logique. Elle rappelle l'importance de la formulation des demandes et les dangers de l'obstination.

D'abord, en novembre 2004, les magistrats de la cour d'appel ont dû apprécier si la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Selon les articles 273 (N° Lexbase : L2665ABC) et 274 (N° Lexbase : L2840DZ9) du Code civil, dans leur version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2005, la prestation compensatoire avait un caractère forfaitaire et prenait la forme d'un capital dont le montant était fixé par le juge, lequel décidait des modalités selon lesquelles s'exécuterait l'attribution ou l'affectation de biens en capital. Or, à l'époque, l'épouse ne formulait pas une demande en capital. Elle sollicitait l'attribution de la part revenant au mari dans le bien immobilier commun. Selon un moyen annexe, elle estimait la valeur de ce bien à la somme de 91 469,41 euros, suivant l'évaluation figurant dans le projet de convention temporaire élaboré par notaire en 1998, alors que les époux avaient initié une procédure de divorce par consentement mutuel. Or, cette estimation, contestée par le mari, ne pouvait être retenue compte tenu de son ancienneté et de l'évolution du marché immobilier dans la région (PACA). Ainsi, d'une part, en l'absence de toute estimation objective actualisée, il ne pouvait être fait droit à la demande d'attribution en propriété du bien commun. D'autre part, à défaut de disposer des éléments pour déterminer le montant de la prestation compensatoire sollicitée, et en l'absence de tout subsidiaire, la cour d'appel ne pouvait statuer sur ce point sans prononcer la réouverture des débats, afin qu'il fût conclu sur le montant du capital sollicité, conformément aux anciens articles 273 et 274 du Code civil. Il est donc parfaitement logique que, en 2004, la cour d'appel, même si elle a constaté que la rupture créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, a sursis à statuer sur le montant de la prestation compensatoire. Il est également parfaitement logique, à défaut de pourvoi, que cette décision soit devenue irrévocable.

Ensuite, en juin 2005, les magistrats ont rouvert les débats afin qu'il fût conclu sur le montant en capital sollicité, à titre de prestation compensatoire, en application des anciens articles 273 et 274 du Code civil.

Cependant, l'épouse s'est contentée de conclure sur une nouvelle estimation du bien commun (estimation officieuse et contestée par l'époux, par deux agences immobilières, à 89 797 euros) et de solliciter la confirmation du jugement entrepris, à savoir l'attribution de la part en pleine propriété revenant au mari sur le bien immobilier commun. Une telle prétention ne répondait pas à la demande de la cour d'appel. Cette dernière devait toujours, conformément aux anciens articles 273 et 274 du Code civil, allouer un capital, qu'elle fixait, avant d'en décider des modalités de paiement. Sauf à statuer "ultra petita", elle ne pouvait que débouter l'épouse de sa demande.

L'épouse n'ayant pas formé de pourvoi, cet arrêt est aussi devenu irrévocable. Il a acquis autorité de la chose jugée, tant sur le prononcé du divorce que sur ses effets, et notamment le débouté de la demande de prestation compensatoire.

Puis, le 28 avril 2010, la cour d'appel a rappelé, pour débouter l'épouse :

- d'une part, qu'effectivement, en novembre 2004, le juge du divorce avait constaté que la séparation créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, mais que la demande de prestation compensatoire ne pouvait être formée qu'au cours de la procédure de divorce ;
- d'autre part, que l'arrêt définitif, de juin 2005, avait débouté l'épouse de sa demande tendant à l'attribution en pleine propriété de la part revenant au mari sur l'immeuble commun, à titre de prestation compensatoire.

Selon l'épouse, la cour d'appel de 2010 a violé les articles 480 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6594H7D) et 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP). Les magistrats ont méconnu l'autorité de chose jugée de l'arrêt de 2005 :

- en ne déduisant pas que le principe du versement d'une prestation compensatoire était définitivement acquis ;
- en retenant, pour déclarer la demande irrecevable, que le juge avait débouté l'épouse de sa demande de prestation compensatoire, en 2005, tout en relevant que les termes mêmes du dispositif visaient la seule demande d'attribution en pleine propriété de la part revenant au mari sur l'immeuble commun.

Enfin, en juin 2012, la Cour de cassation a retenu, pour rejeter le pourvoi, qu'il ne pouvait être statué sur une demande de prestation compensatoire qu'au cours de la procédure de divorce et que l'arrêt irrévocable de 2005, qui avait débouté l'épouse de sa demande de prestation compensatoire, sous la forme de l'attribution en pleine propriété de la part revenant à son mari sur l'immeuble commun, avait mis fin à l'instance en divorce. C'était donc sans méconnaître l'autorité de la chose jugée attachée aux arrêts de 2004 et 2005 que la cour d'appel avait déclaré irrecevable la nouvelle demande de prestation compensatoire sous la forme d'un capital. Cela est parfaitement logique.

Neuf ans ! Neuf ans de procédure pour aboutir à la non-attribution d'une prestation compensatoire, alors qu'il n'était pas contesté que la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Si elle peut être déplorée en fait, la solution doit être approuvée en droit. Il faut espérer que ce résultat ne soit pas dû à la négligence du conseil de l'épouse, qui n'a pas formulé de demande subsidiaire, mais à l'obstination de cette dernière, qui voulait le bien immobilier, et rien d'autre... et n'a eu rien d'autre !

Deux épouses obstinées, deux situations opposées. Pour l'une, le divorce créait un déséquilibre, elle avait droit à une prestation compensatoire mais, parce qu'elle réclamait un bien précis, et seulement celui-ci, elle a fini, à force de décisions, par ne rien obtenir. L'affaire est close. Pour l'autre, le divorce ne créait pas un déséquilibre, elle réclamait une prestation compensatoire avec, surtout, le maintien d'une couverture sociale et, grâce à une précédente décision visant une convention bien rédigée, elle va peut-être l'obtenir...

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