La lettre juridique n°862 du 15 avril 2021 : Construction

[Brèves] La contestation de la qualité des travaux, un obstacle à la réception tacite ?

Réf. : Cass. civ. 3, 1er avril 2021, n° 20.14.975, FS-P (N° Lexbase : A48044NA)

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

le 14 Avril 2021

► La réception tacite ne peut pas être caractérisée si la volonté des maîtres d’ouvrage de recevoir l’ouvrage est équivoque ;
► le paiement des factures doublée de la prise de possession n’y change rien ;
► la contestation de la qualité des travaux empêche la caractérisation d’une volonté non-équivoque.

Il serait, sans doute, temps d’intervenir pour mettre un terme à cette création prétorienne qui est la réception tacite. La multiplicité des contentieux, jusqu’en cassation, est bien la preuve de l’inefficacité du régime mis en place, sans même évoquer l’absence de sécurité juridique consécutif. Devoir aller jusqu’en cassation pour savoir si un ouvrage est réceptionné n’est pas satisfaisant. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Législateur a souhaité y mettre un terme. L’article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX) ne prévoit pas la réception tacite. Seules les réceptions expresses et judiciaires sont possibles. La jurisprudence, tant administrative que judiciaire, a toutefois résisté.

Le régime de la réception tacite est trop compliqué. Doit être caractérisée la volonté non-équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Si cette volonté est caractérisée, il y a réception tacite mais si, au contraire, est caractérisée la volonté non-équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, il n’y a pas de réception tacite possible. L’approche paraît simple mais cela est loin d’être le cas.

Sont ainsi insuffisants, pris isolément, à caractériser une réception tacite, la prise de possession des lieux (Cass. civ. 1, 4 octobre 2000, n° 97-20.990, publié au bulletin N° Lexbase : A7732AHT Constr. Urb. 2000, n° 298), le paiement du prix (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-17.014 N° Lexbase : A5487AC9, Constr. Urb. 1998, com 409), la signature d’une déclaration d’achèvement des travaux et d’un certificat de conformité (Cass. civ. 3, 11 mai 2000, n° 98-21.431, F-D N° Lexbase : A4667CRB, AJDI, 2000, 741), des difficultés financières (CA Metz, 12 mars 2003, n° 01/01157 N° Lexbase : A8846S3Z), l’achèvement de l’ouvrage (Cass. civ. 3, 25 janvier 2011, n° 10-30.617 N° Lexbase : A8600GQL), la succession d’une entreprise à une autre (Cass. civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-17.129, FS-P+B N° Lexbase : A0851RQL), le paiement du solde dû à l’entreprise (Cass. civ. 3, 22 juin 1994, n° 90-11.774 N° Lexbase : A6284ABD), surtout lorsque des réserves importantes sont émises par le maître d’ouvrage (Cass. civ. 3, 10 juillet 1991, n° 89-21.825, publié au bulletin N° Lexbase : A2841ABT).

Mais, la prise de possession des lieux doublée du paiement complet du prix peut suffire à caractériser cette volonté (Cass. civ. 3, 18 mai 2017, n° 16-11.260, FS-P+B N° Lexbase : A4987WD3) même si les travaux ne sont pas achevés (Cass. civ. 3, 8 novembre 2006, n° 04-18.145, FS-P+B N° Lexbase : A2934DSH, JCP G 2006, IV, 3336). C’est ainsi que, depuis une jurisprudence amorcée le 24 novembre 2016 (Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-25.415, FS-P+B N° Lexbase : A3460SLQ) clairement confirmée en 2019 (Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, n° 18-10.197 N° Lexbase : A5083YUS ; Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734 N° Lexbase : A3818Y9B), la réception tacite est présumée lorsqu’il y a paiement intégral du prix et prise de possession. La Haute juridiction y tient. Elle a déjà eu l’occasion d’y revenir (Cass. civ. 3, 5 mars 2020, n° 19-13.024, FS-D N° Lexbase : A54163IG, obs. J. Mel, Lexbase, Droit privé, avril 2020, n° 819 NN° Lexbase : N2886BYK).

Forts de cette jurisprudence, les maîtres d’ouvrage avaient invoqué la prise de possession et le paiement de 80 % du prix pour prétendre avoir tacitement réceptionné les travaux et solliciter l’application de la responsabilité civile décennale des constructeurs.

Ils obtiennent gain de cause en première instance, mais pas en appel. Pour les conseillers, la contestation constante par les maîtres d’ouvrage de la qualité des travaux exécutés, accompagnée d’une demande d’expertise judiciaire relative aux manquements de l’entrepreneur dont l’abandon du chantier est de nature à rendre équivoque la volonté des maîtres d’ouvrage de recevoir l’ouvrage.

La Haute juridiction ne trouve rien à y redire et rejette le pourvoi. L’arrêt s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence amorcée il y a quelques années (Voir récemment Cass. civ. 3, 5 mars 2020, n° 19-13.024, préc.) ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2020, n° 19-19.969, F-D N° Lexbase : A06363WH ; Cass. civ. 3, 14 décembre 2017, n° 16-24.752, FS-P+B+I N° Lexbase : A3673W78), récemment confirmée (Cass. civ. 3, 18 mars 2021, n° 19-24.537 N° Lexbase : A89024LB).

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